Le 13 juin dernier, alors que la Haute
Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet
(Hadopi) célébrait ses dix années d’existence, son président, Denis
Rapone, a présenté le rapport d’activité 2018 de l’institution. L’occasion de
revenir sur les opérations phares de l’année, mais aussi de se projeter vers la
décennie à venir et les nouvelles missions de l’Hadopi.
Créée il y a dix ans par la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, la
Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur
Internet (Hadopi) célèbre cette année sa première décennie.
à l’ère du « tout gratuit », comment
l’institution parvient-elle à être efficace dans la défense des droits sur le
Web ? Visant à représenter une institution reconnue pour ses actions, son
président, Denis Rapone, se dit délibérément tourné vers l’avenir. Celui-ci
a en effet, depuis son élection en 2018, œuvré à une plus grande reconnaissance
de l’autorité en retissant des liens de confiance avec les acteurs publics et
ceux de son écosystème, mais aussi en pesant sur la scène européenne et
internationale. Dans son discours de présentation du rapport d’activité 2018,
il est ainsi revenu sur la nouvelle dynamique de l’institution, et a présenté à
cette occasion des pistes jugées nécessaires pour que l’Hadopi puisse évoluer
au même rythme que les pratiques sur Internet. Ce rapport annuel, remis au
directeur de cabinet d’Édouard Philippe le 17 juin dernier, fait ainsi
autant office de bilan de l’année écoulée que de propositions afin de mieux
protéger la création sur Internet dans les années à venir.
Car bien que l’autorité publique ne chôme pas – « les services
de l’Hadopi traitent actuellement entre cinquante et soixante-dix mille
saisines par jour », a précisé le président dans son allocution du
13 juin dernier, – encore faut-il qu’elle soit efficace. Comme l’a
souligné Denis Rapone, « les avertissements envoyés par l’Autorité ont
un impact majeur : dans 60 % des cas, les internautes avertis ne se
voient pas reprocher de nouveaux faits ». Toutefois,
« parallèlement, de nouvelles pratiques de piratage pour lesquelles
l’Hadopi ne dispose pas de moyens d’action dédiés se sont déployées »
a déploré le président de l’Autorité, évoquant notamment le streaming ou
l’accès de façon illégale à des programmes de télévision en direct. « L’Hadopi
ne dispose pas de moyens pour lutter contre ces pratiques, et de fait, le
piratage reste un fléau préoccupant par la captation prédatrice de valeur qu’il
entraîne » s’est-il inquiété, rappelant que « dans le seul
domaine audiovisuel, on compte plus de deux milliards d’actes de
contrefaçon par an » (les pertes sont évaluées à 800 millions
d’euros, et à 400 millions d’euros de recettes fiscales et sociales
échappent chaque année à l’État). Le président appelle donc à l’obtention de
nouvelles compétences pour lutter efficacement : « Nous devons
nous donner les moyens de mettre un terme à ces pratiques et se fonder pour se
faire sur une régulation moderne, adaptée au monde numérique tel qu’il est
aujourd’hui et non tel qu’il était il y a dix ans lors de la création de
l’institution. »
Afin de protéger la création, le président de l’Hadopi a ainsi relevé
trois objectifs : « sensibiliser le grand public et dissuader les
consommateurs illicites ; responsabiliser les plateformes légales pour
qu’elles ne soient ni les relais ni les promoteurs des offres illicites ;
et permettre d’aboutir au blocage rapide et pérenne des services
illégaux ».
Sensibiliser les plus jeunes
Aussi, dans
le cadre de ses missions de sensibilisation, l’Hadopi prône le développement de
l’offre légale. À ce titre, le président de l’Autorité a évoqué dans son
discours la nécessité de la formation, notamment auprès des plus jeunes.
« Les études et l’expérience de l’Autorité montrent qu’il est
indispensable de sensibiliser les consommateurs et notamment les plus
jeunes », a-t-il déclaré. Pour cela, « nous finalisons
actuellement une convention partenariale avec l’Éducation nationale pour
sensibiliser les élèves à la création et aux pratiques numériques
responsables » a annoncé le président. De plus, depuis la rentrée
2018, l’institution expérimente des modules pédagogiques à destination des
élèves du CM1 à la 3e,
mettant les élèves en position de créateurs d’œuvres numériques, afin de les
sensibiliser à la protection des œuvres et à leur consommation illégale sur
Internet. Rappelons que pour faciliter les consultations sur le Web, l’Hadopi
référencie près de 450 sites et services légaux sur son moteur de
recherche.
pénalisation
: Plus de pouvoir pour l’autorité
Dans sa
mission de protection de la création sur Internet, l’Hadopi met en œuvre la
procédure de réponse graduée sur les réseaux pair-à-pair. Aussi, au cours des
dernières années, le nombre de dossiers transmis au procureur de la République
a augmenté de façon sensible : 1 045 en 2018, contre 922 en 2017. Sur les 594 suites
judiciaires portées à la connaissance de l’Hadopi en 2018, 484 constituent
des réponses pénales, soit 81 %, un taux qui demeure stable depuis
plusieurs années (83 décisions de condamnations, 108 classements sans
suite, 401 mesures altératives et 2 jugements de relaxes). Mais cela
est-il suffisant ? En 2018, l’Hadopi a soumis aux pouvoirs publics une
étude réalisée, à la demande de l’institution, par deux membres du Conseil
d’État, sur la faisabilité juridique des pistes d’évolution de la procédure de
réponse graduée. « La mise en œuvre du dispositif de réponse graduée a
fait l’objet d’un travail considérable : les services de l’Hadopi ont
ainsi traité près de 60 000 saisines des ayants droit chaque jour
ouvré » a assuré le président. Toutefois, pour celles qui persistent
malgré les avertissements de l’Autorité, la question se pose de savoir si les
sanctions pécuniaires prononcées par le juge sont pleinement dissuasives. Le
président appelle à une « évolution de la procédure vers l’attribution
à l’Hadopi d’un pouvoir de transaction pénale [qui] serait de nature à
mieux garantir son caractère dissuasif à l’égard des titulaires d’accès à
Internet qui ne prennent aucune mesure pour faire cesser les atteintes au droit
tout en continuant à nouer, à travers la phase pédagogique de la procédure, un
dialogue approfondi avec les internautes de bonne foi ». Bien que le
juge resterait le seul à décider de l’illégalité d’un site ou d’un service, « la
compétence de caractérisation de l’Autorité permettrait de prendre ces sites en
étau en amont et en aval des procédures par une série d’actions », a
prédit le président. « En bref, l’Hadopi est en mesure, pour autant
qu’on lui en donne les moyens, notamment à travers de nouvelles compétences qui
relèvent de la loi, d’aborder la deuxième décennie de son existence en
inscrivant son action dans l’efficacité et la modernité d’un acte II de la
protection et de la diffusion de la création à l’ère numérique »,
a-t-il appelé de ses vœux.
Internet et biens
culturels : quels utilisateurs ?
également investie d’une mission d’observation
des usages des œuvres sur Internet, l’Hadopi publie chaque année deux
baromètres permettant de juger l’évolution des usages et de l’offre légale sur
le Web. En 2018, la consommation de biens culturels dématérialisés s’est
stabilisée, et a concerné 77 % des internautes de quinze ans et plus.
Selon ces baromètres, 56 % des internautes consommeraient de la musique en
ligne, 49 % des vidéos et 43 % des séries TV en 2018. Le taux de
consommateurs de musique et de film a augmenté, pour chacun, de 4 points
par rapport à 2017, et celui de séries TV de 6 points. Après une
augmentation en 2017, la consommation illicite de ces dernières s’est
d’ailleurs stabilisée en 2018 à 27 %
des internautes. II faut dire que les séries TV et les films restent, de loin,
les biens culturels les plus touchés par les pratiques illicites
(respectivement 44 % et 47 % de consommateurs illicites en 2017).
Toutefois, l’Hadopi constate de façon générale que l’offre légale tend à
séduire de plus en plus de consommateurs. En effet, seulement 3 % des
internautes ont exclusivement eu recours aux sites illicites pour accéder à des
contenus protégés sur Internet en 2018.
Vivement
engagé dans sa mission au sein d’Hadopi, Denis Rapone souhaite ainsi redonner à
l’institution toute sa place, en adaptant les moyens aux méthodes de
consommation actuelles. Visant à réguler sans priver, celui-ci aspire à trouver
le bon axe : « Nous devons toujours nous poser la question de
savoir où se trouve le juste équilibre entre la défense des libertés
individuelles et la protection du droit fondamental de propriété. »
Constance Périn