Comment se
mesure l’efficacité de la sanction ? Comment ont évolué l’administration
pénitentiaire et l’enquête ? Comment les acteurs de la justice ont-ils vécu ces
transformations ? Comment les technologies ont modifié leur travail ? Réponses
autour de la table ronde « prouver et juger » à
l’occasion des 30 ans de l’INHESJ.
« Prévenir, protéger, juger : 30 ans de sécurité et de justice » : pour son
trentième anniversaire célébré en grande pompe à l’Assemblée nationale,
l’INHESJ (Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice)
organisait le 13 juin dernier une journée de réflexion autour de hauts
responsables de la sécurité et de la justice, de journalistes et de chercheurs.
La troisième table ronde de la journée, intitulée « Prouver et
Juger » et animée par le journaliste Dominique Verdeilhan, était
émaillée d’extraits de journaux télévisés. Objectif : revenir sur les
événements ayant marqué la justice française ces dernières années, pour
susciter le débat entre Isabelle Gorce, présidente du tribunal de grande
instance de Marseille et ancienne directrice de l’administration pénitentiaire,
Olivier Leurent, directeur de l’École nationale de la magistrature, François
Saint-Pierre, avocat, co-directeur de l’Institut de défense pénale, et Patrick
Touron, commandant du Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale.
Une administration pénitentiaire « déconstruite » ?
Premier (petit) bond dans le temps : les invités ont pu voir un
passage d’un JT de France 2 de
septembre 2012, qui évoquait la circulaire Taubira cherchant à éviter le
« tout carcéral » et à promouvoir la probation – un « tournant
pour la justice française » la qualifiait alors le présentateur.
« Après des années de durcissement des peines, et alors que
l’incarcération était mise en avant comme réponse à la montée de la
délinquance, Christiane Taubira prend le contrepied, et publie une circulaire
envoyée à tous les procureurs de France, avec un maître-mot : la prison
n’est plus la priorité pour les petits délits », annonçait-il. La
garde des Sceaux, précisait le reportage, ambitionnait de limiter le recours
aux peines plancher et de donner la priorité aux aménagements de peine.
Neuf ans après, cela n’a pas manqué de faire réagir Isabelle
Gorce. Attrapant la balle au bond, l’ancienne directrice de l’administration
pénitentiaire a souligné que depuis la circulaire, il ne s’était « rien
passé », et a estimé que ni les peines ni la population carcérale
n’avaient diminué. Cette dernière a mentionné la loi de programmation de la
Justice, portée par Nicole Belloubet et promulguée par le président de la
République le 23 mars dernier, au sein de laquelle deux dispositions ont
été votées : une, qui entrera en vigueur en 2020, interdisant le prononcé
de peines inférieures à un mois, et la deuxième rend de droit l’aménagement de
toutes les peines inférieures à 6 mois. Ces
mesures vont-elles marcher ? s’est questionnée Isabelle Gorce. La
magistrate s’est montrée dubitative : « Je crois que la question
de la surpopulation carcérale surplombe et plombe la réflexion sur l’équilibre
des peines depuis 30 ans. La
surpopulation a entraîné une vision négative de la vision des peines, et n’a
pas permis à l’administration pénitentiaire de développer une vraie doctrine
sur la prise en charge des détenus », a-t-elle analysé.
L’ancienne directrice de l’administration pénitentiaire est revenue sur
« une administration qui a été très chahutée ces 40 dernières années, comme aucune autre », avec,
pourtant, le sentiment d’en être « toujours au même point »,
a-t-elle jugé. Ainsi, jusqu’en en 1981, l’administration pénitentiaire était
sur tous les fronts : elle nourrissait, blanchissait, éduquait, soignait
ses détenus – une administration totale. Mais à partir de 1981, a expliqué
Isabelle Gorce, s’est développée une politique dite de « décloisonnement ».
Toutes les prestations et droits qui ne ressortissaient pas aux compétences
propres de l’administration pénitentiaire ont été transférés aux institutions
de droit commun. Une loi de 1994 a parachevé
ce décloisonnement, en transférant la médecine pénitentiaire au ministère de la
Santé. « Toute la positivité des personnels pénitentiaires auprès des
personnes détenues est partie vers l’extérieur, d’autres s’en sont
emparés »,
a commenté la magistrate.
Selon elle, la gestion déléguée qui s’est ensuivie a contribué à
« désosser encore un peu plus l’administration pénitentiaire »,
faisant référence à la loi du 22 juin 1987 sur le service public pénitentiaire, qui est venue légaliser la
concession à des opérateurs publics ou privés des fonctions autres que celles
de direction, de greffe et de surveillance. « Dès les premières
discussions sur la gestion déléguée, c’était la privatisation des prisons qui
était en jeu. Il a fallu que le Conseil constitutionnel vienne dire que le
greffe, la direction et la surveillance des établissements pénitentiaires
revêtent des compétences qui ne peuvent être déléguées à des prestataires
privés pour que les prisons ne soient pas totalement privatisées en
France ». Si Isabelle Gorce a reconnu que la gestion déléguée était
par cela dit « une très bonne chose », elle a indiqué que ce
phénomène, conjugué au décloisonnement, avait « déconstruit totalement
une administration ».
Individualisation, prévention de
la récidive : des progrès réels mais jugés
insuffisants
Parallèlement à la transformation de l’administration pénitentiaire,
depuis une trentaine d’années, les sanctions pénales se sont largement diversifiées,
a rapporté Isabelle Gorce : à l’amende et à l’emprisonnement, s’est ainsi
ajouté tout un éventail de peines, à l’instar du fameux Travail d’intérêt
général (TIG), institué par la loi du 10 juin 1983,
a rappelé la magistrate, ou encore de la contrainte pénale. But de la
démarche : prévenir la récidive et individualiser la peine.
François Saint-Pierre est plus précisément revenu sur l’instauration
récente du principe de l’individualisation des peines. En effet, depuis la loi
du 15 août 2014, destinée à renforcer l’efficacité des
sanctions pénales, le Code pénal prévoit expressément que « toute peine
doit être individualisée », et précise que « dans les limites
fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime
des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la
personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et
sociale (...) ». L’avocat a cependant pointé une tendance du juge à
prononcer des peines de prison ferme « car les faits sont graves, car
il existe également des attentes sociales ».
Ce dernier a toutefois constaté devant la Cour de cassation un très grand
nombre de décisions d’annulation de décisions de condamnation, justifié « par
une mauvaise motivation d’une peine de prison ferme ».
En matière de motivation justement, Dominique Verdeilhan a fait
remarquer que depuis peu, la motivation des peines était devenue la règle pour
les peines prononcées en cour d’assises, faisant allusion à la décision du
Conseil constitutionnel du 2 mars 2018.
En effet, l’institution a considéré que « Le principe
d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de cette
déclaration, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le
juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à
chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des
jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine. »
Olivier Leurent a réagi en arguant qu’il s’agissait d’une « charge
supplémentaire de travail », car « cela vise à obliger le
magistrat à réfléchir aux raisons pour lesquelles il a recours à un
emprisonnement ferme ». Selon le directeur de l’ENM, une des solutions
à l’incarcération et au recours systématique à la prison pourrait être de
simplifier les sanctions alternatives. « Beaucoup de collègues ont
constaté que lorsqu’on veut prononcer une peine qui n’est pas l’incarcération,
c’est encore plus compliqué que de motiver une peine d’incarcération, car il faut
mettre en place le TIG, l’aménagement de peine… La réponse est encore plus
lourde à mettre en œuvre », a-t-il affirmé.
Isabelle Gorce a pour sa part signalé qu’elle n’était pas d’accord sur
ce dernier point, soutenant que le juge de l’application des peines pouvait au
contraire mettre en place assez vite un bracelet électronique ou un TIG. La
magistrate a néanmoins rejoint Olivier Leurent sur le reste : « En
réalité, le problème est que l’on est dans un flux industriel qu’est le système
correctionnel : il est effectivement plus simple de prononcer une peine
d’emprisonnement ».
L’ancienne directrice de l’administration pénitentiaire a d’ailleurs
avancé à ce titre que les juges étaient « à l’aveugle ».
« Ce qui se passe après la condamnation, ce que fait l’administration
pénitentiaire, comment celle-ci travaille avec les condamnés ; cela leur
passe totalement au-dessus de la tête. Lorsque j’étais à
l’administration pénitentiaire, j’ai institué un manuel de prise en
charge : il n’y a pas un seul juge des libertés et de la détention (JLD)
autour de moi qui l’ait lu. Ce qui se passe lors de la prise en charge est
encore globalement ignoré par les magistrats. Or, leur prise de décision est
formelle et peu fondée sur tout ce qui se passera "après" pour
le condamné. Alors que cela pourrait au contraire être pris en compte au stade
du jugement », a-t-elle soutenu, faisant allusion – entre autres – à
la méthode RBR (risques, besoins, réceptivité), appliquée par certains
conseillers d’insertion et de probation chargés du suivi des détenus, à
laquelle la France s’ouvre tout doucement. Un bénéfice lié, selon la
magistrate, à la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, lancée
par Christiane Taubira, et dont les conclusions ont été livrées en 2013. Pour l’ancienne
directrice de l’administration pénitentiaire, ces dernières constituent « un
tournant ».
La magistrate a affirmé que cet outil de travail avait apporté « une
prise de conscience » selon laquelle la France aurait une quarantaine
d’années de retard en matière de criminologie :
« On s’est rendu compte qu’on n’avait pas réussi à construire une
doctrine en matière de criminologie qui soit l’équivalent de ce qui existe aux
USA, au Canada, en Grande-Bretagne ou encore en Belgique ».
La
magistrate a notamment évoqué le courant du « what works ? »
initié au Canada, à l’origine de recherches sur l’efficacité de la réponse
pénale et des méthodes de suivi sur la prévention de la récidive. Visant a`
e´tablir « ce qui marche, pour qui, et a` quelles conditions »,
les résultats de ses différents programmes ont mené à une forte diminution de
la récidive.
Pour
Isabelle Gorce, il est donc urgent que l’Hexagone s’empare véritablement de ce
modèle. « C’est cela qui peut favoriser le retour plus important
aux aménagements de peine et au milieu ouvert : une autre manière de
s’occuper des condamnés ; ouvrir une perspective sur une prise en charge
plus efficace. »
Magistrats vs
administration pénitentiaire
Un constat s’est imposé au fil de cette table ronde : alors que
l’administration pénitentiaire et les magistrats sont amenés à entretenir des
relations, ils ne sont pas habités par les mêmes préoccupations. Ce qui a assez
naturellement amené Dominique Verdeilhan à poser la question : « Y
a-t-il deux mondes : les juges et l’administration
pénitentiaire ? », a-t-il interpellé ses invités.
Olivier Leurent a fermement réfuté cette
théorie : « Je ne crois pas qu’on puisse parler de deux mondes
parallèles, hermétiques l’un à l’autre », a-t-il assuré. Le directeur
de l’ENM a ajouté qu’en termes de formation, les auditeurs de justice ont des
« séquences en lien direct » avec l’administration
pénitentiaire. Ces derniers effectuent en effet un stage pénitentiaire en
qualité de surveillants dans une maison d’arrêt afin de découvrir le quotidien
carcéral. « Au cours de cette préparation, les futurs magistrats sont
confrontés au fonctionnement de l’administration pénitentiaire, à ses
problématiques. Ils sont amenés à réfléchir à la question de la prison en
France, aux relations que le magistrat doit entretenir avec l’administration
pénitentiaire », a développé Olivier Leurent. Toutefois, ce dernier
l’a admis : sur le terrain, les choses « peuvent se compliquer
par la charge de travail, mais aussi à cause du balancier dans un sens et
dans l’autre du pouvoir législatif », a-t-il déclaré, ajoutant qu’au
gré des fluctuations des législateurs et gouvernements successifs, le magistrat
pouvait se trouver perdu entre les doctrines. « On a le sentiment que
notre société n’est pas véritablement claire. Cela peut engendrer en effet
quelques tensions, de l’incompréhension », a reconnu le
magistrat.
L’ENM réformée « de fond
en comble »
après Outreau
Autre vidéo, autre grand tournant dans la justice : Outreau. Dans
l’extrait du journal télévisé diffusé le 19 janvier
2006 sur France 2, le présentateur évoquait en introduction
les avocats des acquittés, qui dénonçaient alors le « manque humanité
des systèmes judiciaires » et en dressaient un « tableau
accablant ». Dans le reportage, la journaliste mentionnait que ces
derniers avaient démonté l’enquête point par point, marquant « absurdité
et incohérences ». « ça
n’est pas possible, c’est fou, c’est ubuesque, ça ne tient pas debout, c’est un
conte pour enfants dérangés », témoignait un avocat. « Franck
Lavier a été renvoyé par la cour d’assises du Pas-de-Calais pour avoir violé
son enfant qui n’était pas né. Il suffisait de regarder la date de naissance de
l’enfant », s’indignait un autre.
Olivier Leurent l’a reconnu : toute la chaîne pénale de l’institution
judiciaire a été bouleversée par cette affaire ; « Il y a eu un
avant et un après Outreau ».
Au niveau de la formation-même des magistrats, le directeur de l’ENM a
relaté que l’école avait été
réformée « de fond en comble à la suite de ce cataclysme
judiciaire » : introduction d’un psychologue dans le jury du
concours d’entrée, mise en place d’une épreuve de mise en situation. Mise en
place, également, d’un pôle « environnement judiciaire », dans
lequel les modules pédagogiques ont « pour vocation de « faire
réfléchir les élèves magistrats sur la prise en compte de l’environnement
particulier dans lequel la décision de justice intervient », ou encore
d’un pôle « humanité judiciaire », relatif au statut, à la
discipline, à la déontologie, et à l’office du magistrat dans ses relations
avec justiciable, sa capacité d’écoute, la juste distance qu’il doit
entretenir.
En outre, désormais, les auditeurs de justice doivent effectuer un
stage en cabinet d’avocat au début de la formation, qui permet notamment que
« les élèves magistrats et avocats échangent sur la représentation de
la profession des uns et des autres, car cette affaire démontrait avant tout
l’absence de dialogue entre eux », a regretté Olivier Leurent. Par
ailleurs, pour « dépasser l’entre-soi », le directeur de l’ENM
a mis en avant la diversité des intervenants hors magistrats :
psychiatres, psychologues, responsables de l’administration pénitentiaire,
économistes, etc. « De plus, nous accueillons à l’école des élèves avocats en stage PPI pendant
toute la durée de leur scolarité ».
L’évaluation des auditeurs de justice a également été renforcée, avec
des séquences plus nombreuses d’examens, à l’écrit comme à l’oral, afin « d’affiner
les compétences professionnelles », a précisé Olivier Leurent. « Aujourd’hui,
l’école n’a plus grand chose à voir avec ce qu’elle était avant Outreau »,
a-t-il assuré.
Enquête criminelle : du
chemin parcouru
La table ronde a également été l’occasion de revenir sur les évolutions
en matière d’enquête ces dernières années. Isabelle Gorce a mis en exergue
qu’en matière de criminalité organisée et de lutte contre le terrorisme,
notamment, les techniques d’enquête étaient « de plus en plus précises
et techniques », et avaient « considérablement changé les
méthodes de travail ». Notamment pour le juge d’instruction, qui
travaille aujourd’hui avec des assistants spécialisés.
François Saint-Pierre a pour sa part fait état du recours croissant à
la méthode d’analyse AnaCrim, utilisée en France depuis 1994 et supportée par le logiciel ANB (Analysa NoteBook, développé
par IBM), qui permet d’établir des liens et de recouper les informations dans
le cadre d’affaires criminelles complexes. Cette dernière a ainsi relancé
récemment, par exemple, l’affaire Grégory. « Tous les cold cases
que l’on a : l’affaire Grégory, l’affaire Agnelet, etc., sont des affaires
qui, à l’époque, ont été traitées sans ce genre d’outils. Aujourd’hui, elles
auraient pu être résolues beaucoup plus rapidement et de manière certaine »,
a martelé l’avocat.
Autre révolution : l’ADN. Dans une dernière vidéo issue du journal
télévisé de 20h du 22 octobre 2009 sur TF1, le
reportage projeté revenait sur l’affaire Grégory. La présentatrice y évoquait
les progrès de la police scientifique qui étaient « en train de
révolutionner certaines affaires classées », et avaient pour ambition
de « faire parler l’ADN pour savoir qui était le corbeau ».
Patrick Touron, commandant du Pôle judiciaire de la Gendarmerie
nationale, l’a reconnu : cette affaire « est un échec ».
Selon le général, elle ne serait d’ailleurs pas devenue une affaire si l’on
avait disposé en 1984 de moyens dont on dispose actuellement. « Il y a
30 ans, on n’avait pas recours à l’ADN, qui est
aujourd’hui un élément identifiant essentiel. » En effet,
il faut attendre la fin des années 80 pour que
soit utilisé l’ADN dans les enquêtes criminelles. « Par ailleurs, à
l’époque, on ne protégeait pas non plus les indices, les éléments de preuves.
C’était le principe : il n’existait pas de phase conservatoire de protection
des données, on ne se disait pas "plus tard, peut-être que l’on pourra
en tirer quelque chose" ». Pour Patrick Touron, le gros
bouleversement de ces dernières années consiste dans la culture de
préservation, en plus de l’exploitation de l’ADN.
Olivier Leurent a toutefois tenu à nuancer. Le directeur de l’ENM a
vécu l’arrivée de l’ADN dans les affaires pénales alors qu’il était juge
d’instruction. « à
l’époque, on s’est dit que c’était miraculeux, qu’on allait pouvoir élucider un
grand nombre d’affaires criminelles, qu’il était la reine des preuves. Puis on
s’est rendu compte qu’il fallait distinguer l’ADN nucléaire de l’ADN
mitochondrial, que les probabilités d’identification n’étaient pas tout à fait
les mêmes, qu’il pouvait y avoir des transferts d’ADN, qu’on pouvait se
tromper », a-t-il relativisé. Le magistrat a ainsi évoqué une affaire
où il était question d’une attaque de fourgon blindé, et dans laquelle
l’élément de preuve principal était l’ADN d’un accusé au niveau des aisselles
et du cou sur le gilet pare-balles retrouvé sur le lieu attaque. La défense a
argué qu’en effet, il avait pu être relevé de l’ADN sur aisselles, mais a
demandé à procéder à la recherche d’autres traces sur le reste du gilet.
Résultat, 7 ou 8 traces
d’autres ADN ont été retrouvées dans le dos du gilet. Un exemple pour prouver,
a indiqué Olivier Leurent, que l’ADN n’est « pas forcément fiable à
100 %, et que la défense peut le remettre en cause. Le juge devra toujours
apprécier le contexte dans lequel cette preuve nouvelle s’inscrit. »
Tout comme, a-t-il indiqué, une image peut être interprétée de
plusieurs façons. Le magistrat a ainsi relaté que, dans une affaire, deux
caméras installées dans un wagon avaient filmé l’intégralité de la scène.
« Pourtant, on a eu beau regarder les films plein de fois, chaque
partie pouvait y voir ce qu’elle voulait », a-t-il souligné.
Le magistrat a également rappelé que dans notre système, la preuve
pénale était libre, et a regretté « la multiplication de preuves
numériques, qui transfère la charge de la preuve des enquêteurs aux parties,
qui vont elles-mêmes apporter leurs éléments ». à l’instar, par exemple, de SMS
échangés, « pris en-dehors de leur contexte », a pointé
Olivier Leurent.
Isabelle Gorce a de son côté souligné que si les enquêtes progressent,
les délinquants aussi. Ainsi, à Marseille, a-t-elle illustré, de nombreux
règlements de compte ont lieu à cause de balises placées sous des véhicules
cibles. « Les criminels aussi utilisent les données, et tout ce qu’on
peut trouver sur Internet. On peut se doter de tous les outils possibles pour
cibler des personnes et organiser des crimes. C’est une course de fond que la
justice va devoir mener », a-t-elle averti.
Sur la question des données, Patrick Touron en a profité pour aborder
le terrain de l’intelligence artificielle. Le général a mis en exergue qu’il
était souvent confronté à des enquêtes difficiles, des affaires complexes qui
donnent à analyser des milliers voire des dizaines de milliers de données.
« On doit constater qu’humainement, on peut pas traiter ça tout seul.
Il faut se faire assister, désormais, avec de nouveaux outils, des algorithmes.
L’intelligence artificielle peut nous apprendre beaucoup dans l’exploitation de
ces données. Une encyclopédie, c’est un gigaoctet de données. à l’heure actuelle, sur une enquête, on
relève plusieurs terras de données, donc plusieurs milliers d’encyclopédies. Il
faut avoir l’humanité, l’humilité d’accepter qu’on n’est plus en mesure de tout
traiter, de dire qu’il faut se réformer. C’est fini, l’époque de la
numérisation. Nous faisons face à des centaines de milliers d’heures
d’auditions, au même nombre de preuves. Il faut pouvoir exploiter cela ».
Le message est passé !
Bérengère
Margaritelli