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L’Observatoire de la récidive et de la désistance livre son premier rapport

L’Observatoire de la récidive et de la désistance livre son premier rapport
Publié le 18/01/2018 à 09:27

Jeudi 13 décembre dernier, l’Observatoire de la récidive et de la désistance a remis, par l’intermédiaire de sa présidente, Henriette Chaubon, son premier rapport annuel à la ministre de la Justice. Le document d’une quarantaine de pages fait état de la grande difficulté de cerner la récidive, multiforme et complexe à analyser. L’Observatoire propose par ailleurs plusieurs pistes permettant d’étudier cette récidive sous un angle plus « humain », et s’étend sur la notion de « désistance » – soit le fait de sortir de la délinquance, phénomène assez peu étudié en France jusqu’alors.


 


Longtemps, il n’a existé aucune statistique sur la récidive, relève l’Observatoire de la récidive et de la désistance. Ce dernier met en avant l’intérêt d’une étude publiée fin mars 2017 par la sous-direction de la statistique et des études dont les statistiques dressent un état des lieux révélateur. Ainsi, de 2005 à 2014, 3,1 millions de personnes ont été condamnées pour 5,5 millions de condamnations prononcées – dont 1,3 millions ont été condamnés au moins deux fois. Autres chiffres percutants : 335 000 personnes condamnées entre 2005 et 2014 l’ont été 5 fois et plus, et parmi elles, 88 000 l’ont été 10 fois et plus. L’étude distingue par ailleurs selon que les condamnations concernent les mêmes infractions ou des infractions diverses. « Elle fournit des enseignements précieux sur la part des condamnations de multi condamnés ou de mono condamnés selon les domaines d’infractions sanctionnées : 78 % des condamnés pour outrage, 77 % des condamnés pour atteintes aux biens et 75 % des condamnés pour infractions à la législation sur les produits stupéfiants sont des multi condamnés », reprend l’Observatoire dans son rapport. L’étude pré-citée démontre également, explique-t-il, que des peines plus lourdes sont prononcées à l’encontre des multi-condamnés : l’emprisonnement ferme ou mixte est prononcé pour 11 % des primo condamnés, pour 34 % des réitérants et 41 % des récidivistes. En outre, plus le multi-condamné affiche de condamnations, plus le délai entre les infractions des deux premières condamnations tend à diminuer : de 31 mois quand il y a 2 condamnations à 14 mois quand il y en a 6 et plus. Autre point : il y aurait eu une légère augmentation de la part de multi-condamnés parmi les condamnés, qui passe de 48 % en 2006 à 52 % en 2014. Pour l’Observatoire, cette augmentation est à mettre en lien « avec une politique pénale de réponse pénale systématique et graduée et à l’inscription au casier judiciaire des compositions pénales ».


 


La délicate mesure de la récidive


Si des statistiques ont pu émerger, les chiffres sont toutefois à manier avec précaution. Il s’avère notamment que les taux de récidive en fonction de la nature de l’infraction sont particulièrement complexes à interpréter. L’Observatoire met en exergue une étude publiée en 2011, là encore réalisée par la sous-direction de la statistique et des études, qui montre qu’entre 2004 et 2011, les infractions présentant les taux les plus importants de récidive dans un délai de huit ans sont des infractions liées au transport dans la majorité des cas (81,7 %), suivies par des infractions liées à la police des étrangers (59,3 %), aux stupéfiants (45,7 %), aux vols, recels aggravés et escroqueries (43,7%), et aux violences volontaires (40 %). À l’inverse, les taux les plus faibles de récidive concernent les atteintes aux mœurs (35,7 %), les atteintes à l’ordre économique (29,1 %) et les homicides ou blessures involontaires (12,3 %). Or « ces résultats ne signifient pas forcément que les vols et escroqueries sont, par exemple, plus marqués par la récidive que les atteintes à l’ordre économique », souligne l’Observatoire de la récidive et de la désistance. Ces taux, obtenus à partir des infractions enregistrées entre 2004 et 2011, dépendent de plusieurs facteurs. Par exemple, le temps de procédure judiciaire. Quand ce dernier est long, l’observation de la récidive sur huit ans peut ainsi être insuffisante. « Dans le même ordre d’idée, il faut reconnaître une spécificité de la grande criminalité en matière de trafic de stupéfiants où la récidive prend la forme d’une délinquance continue », affirme l’Observatoire.


Les recherches sur la récidive sont principalement fondées sur des données enregistrées par les institutions, expose l’Observatoire. En France, les connaissances sur le phénomène de récidive sont tirées principalement de l’exploitation du casier judiciaire national et du fichier national des détenus. Elles permettent de déterminer certains facteurs de récidive, et de mettre à la disposition de l’administration des données chiffrées. Prédicteur le plus significatif de la récidive : les antécédents judiciaires. Les travaux précédemment cités réalisés par la sous-direction de la statistique et des études ont ainsi permis de mettre en avant que
« la présence d’antécédents judiciaires lors de la condamnation influence fortement le risque de récidive "toutes choses égales par ailleurs". Un condamné ayant des antécédents judiciaires dans les huit ans qui précèdent sa condamnation présente ainsi 2,1
fois plus de risque de récidiver qu’un primo condamné ». L’âge est un autre prédicteur important. « Plus un condamné est jeune (moins de 26 ans), plus il aura de risque de récidiver et plus il le fera rapidement », observe Rémi Josnin dans son étude intitulée « Une approche statistique de la récidive des personnes condamnées ». Par ailleurs, souligne l’Observatoire, l’enquête de 2011 montre que 78 % des mineurs libérés sont condamnés à nouveau dans les cinq années suivant leur libération.


 


Emergence de la notion de désistance


Alors que certains récidivent, d’autres tendent, au contraire, à sortir de la délinquance. Se pose la question : comment ces derniers arrêtent-ils leurs activités délictuelles ou criminelles ? C’est tout l’objet des travaux sur la désistance. Ici, l’obstacle est de mesurer un phénomène assez difficilement observable. Une approche « dynamique » de la désistance s’appuie notamment sur des études réalisées auprès d’individus « ayant été relativement engagés dans un véritable style de vie délinquant », ce qui met de côté la délinquance que l’on pourrait qualifier d’« occasionnelle ». « Autrement dit, la désistance renvoie aux processus par lesquels les individus quittent une délinquance habituelle autour de laquelle est organisée leur vie (familiale, professionnelle, etc.) pour adopter progressivement un mode de vie plus conventionnel », résume l’Observatoire. Selon une approche « sociale » de la désistance, explique-t-il, l’arrêt de la délinquance résulterait d’une succession d’événements qui modifient peu à peu les trajectoires de vie des individus : professionnels, familiaux (par exemple, dans le mariage, l’emploi, l’engagement religieux…). Ces « turning points » peuvent aussi être imprévisibles : « L’arrêt de la délinquance résulterait alors, non pas forcément d’un processus conscient et volontaire, mais d’un enchevêtrement de plusieurs conséquences ». Les processus de désistance impliquent aussi un « dialogue interne » à partir duquel les individus « réfléchissent à leurs expériences passées, et à leur cohérence par rapport à leur mode de vie présent et à leurs ambitions futures », ajoute l’Observatoire dans son rapport : l’individu se détache peu à peu de l’identité de délinquant et du mode de vie qui va avec. Shadd Maruna, professeur de criminologie à l’Université de Manchester, a pu faire un lien entre désistance et positionnement des délinquants par rapport à l’image que les autres leur renvoient. Cela « suppose que les individus doivent "intérioriser" le changement de regard de leur entourage. A contrario, l’individu qui reste marqué par le stigmate du délinquant, et notamment qui est vu comme tel par son entourage, continuera d’adopter des comportements délinquants conformes à l’image que ses proches lui renvoient, expose le rapport. De manière générale, il s’agit, pour un individu, de croire en ses capacités de changement, à la fois celle de s’identifier autrement qu’à travers l’étiquette du délinquant et celle de modifier ses activités quotidiennes pour qu’elles deviennent cohérentes avec cette nouvelle identité "normée" ».


Au-delà, pour l’Observatoire, les enjeux socio-politiques de la désistance sont très importants. « La prise en compte de ce phénomène modifie la perspective et le regard porté sur la criminalité, comme le relève Stephen Farrall, professeur de criminologie à l’université de Sheffield ». Le rapport tient à ce titre à rappeler les apports de la loi du 15 août 2014, « dont l’un des objectifs prioritaires était l’adaptation des peines et des prises en charge aux parcours individuels, cette approche étant à même d’assurer une vraie efficacité de l’action entreprise par l’institution et les professionnels, pour permettre de sortir de la délinquance ».


 


Des axes de recherche pour approfondir les savoirs en matière de récidive et de désistance


L’Observatoire dresse toutefois un constat : il n’existe pas d’étude sur les parcours délinquants à proprement parler, dont les résultats permettraient de lutter plus efficacement contre la délinquance. « Les données dont on dispose restent insuffisantes pour fonder des politiques publiques et pour évaluer les dispositions législatives comme les dispositifs de prise en charge mis en œuvre par les services de l’application des peines, l’administration pénitentiaire et les différents services publics impliqués dans la réinsertion des personnes condamnées », reproche-t-il. En effet, la plupart des personnes n’informent pas les institutions et les travailleurs sociaux à la sortie de la délinquance, et le retour en justice ne fait pas forcément l’objet d’une analyse. « Il reste difficile de déterminer s’ils procèdent d'un échec des mesures mises en place, d’une inadaptation de la mesure, de l'absence de mesure ou d’événements étrangers à la mesure », note l’Observatoire. Ce dernier souligne donc l’intérêt du suivi de cohorte et le nécessaire développement d’analyses à partir de panels. Il relève en outre que les tribunaux prononcent beaucoup de courtes peines d’emprisonnement ferme : celles inférieures ou égales à un an sont passées de 90 000 en 1990 à 106 000 en 2014. À cet effet, l’Observatoire estime que des travaux devraient être menés en priorité sur les courtes peines d’emprisonnement, dont le but serait de s’intéresser aux parcours de vie de délinquants qui ont exécuté ces peines. « Les effets sur l’emploi, la formation, les relations familiales, le logement, la poursuite de soins devraient être interrogés, mais aussi les effets sur l’entourage familial lui-même (santé du conjoint, des enfants, résultats scolaires…) L’incarcération a-t-elle provoqué des effets uniquement négatifs, désocialisants ? A-t-elle provoqué une prise de conscience, une volonté de changement, permis la mise en place d’un suivi ? Il faudra préciser si un aménagement de peine a été possible et si oui comment ce dernier a été vécu et si non comment a été vécue la sortie sèche ». Ainsi, propose l’Observatoire, il pourrait être intéressant d’examiner les placements sous surveillance électronique. En substance, il s’agirait de chercher à savoir comment cette mesure est perçue et vécue par la personne et par son entourage : plutôt comme une sanction, ou plutôt comme une faveur permettant d’échapper à l’emprisonnement ferme, par exemple. L’Observatoire recommande par ailleurs de faire porter ces recherches sur un échantillon de personnes condamnées il y a environ cinq ans à une courte peine d'emprisonnement, sur quelques sites judiciaires et pénitentiaires. Il reste cependant assez vague sur l’étude en question. « En lien avec les autorités judiciaires et l'administration pénitentiaire, le parcours de chacun pourrait être étudié, après avoir établi le contact et recueilli le consentement de l'intéressé pour un entretien en vue d'établir un récit de vie », se contente-t-il d’expliquer.


Dans la même lignée, l’Observatoire suggère de réaliser des entretiens avec des professionnels « qui n'auraient pas changé d'affectation, pour recueillir leur point de vue sur la prise en charge de l'intéressé, son rapport à l'institution, à la mesure », une piste qui pourrait cela dit être plutôt aléatoire, puisque l'Observatoire précise aussitôt « si tant est que ce dernier ait laissé un souvenir aux professionnels ».


Autre idée envisagée : un projet de recherche pour lequel serait constituée une cohorte dans un ou deux établissements pénitentiaires et/ou dans des établissements du milieu ouvert. Un questionnaire serait passé auprès des personnes sous-main de justice. Cette étude permettrait de recueillir des données sur la perception de la peine et des mesures judiciaires en cours ou passées. L’équipe de recherche pourrait dans un second temps mettre en place un suivi de cette cohorte avec une série d’enquêtes et d’entretiens dans les années suivantes.


À partir d'un projet déjà présenté à l'Agence nationale de la recherche en 2012 mais non retenu, l'Observatoire de la récidive et de désistance propose en outre de développer un programme de recherche sur les sorties de délinquance. Cela consisterait en un terrain basé sur trois axes. Premièrement, une campagne d’entretiens en face à face, réalisés en fonction de questionnaires passés préalablement. Ensuite, une enquête en détention réalisée à la fois par questionnaire et entretien, sur les perceptions de la désistance. Enfin, une « ethnographie urbaine prolongeant les travaux de l’un des membres de l’équipe, portant plus spécifiquement sur les sorties de trafic de stupéfiants et les sorties de bande ». Il s’agirait de travailler sur les parcours des personnes ayant été condamnées en 2012, pour couvrir une période suffisamment longue du point de vue biographique.


Parmi les autres pistes, on peut encore noter celle sur la citoyenneté, que l’Observatoire propose de lier à la désistance. Ce dernier explique que l’idée est déjà explorée par des chercheurs au Royaume-Uni : l’enquête court depuis le milieu des années 1990, sur un échantillon de départ de 200 personnes. Il s’agit d’essayer de cerner comment la trajectoire hors de la délinquance se construit par une réappropriation de ses prérogatives citoyennes. « Comment cette inclusion même modeste dans des dispositifs démocratiques locaux, comités de quartier, instances de parents d’élèves, participation dans une association locale, resocialise à la chose publique et éloigne d’un mode de vie délinquant », détaille l’Observatoire. Résultat : les observations soulignent entre autres un retour au vote (notamment pour les scrutins locaux) ainsi qu’une amélioration de la perception de l’action des gouvernants locaux. À voir donc si de telles observations pourraient être menées en France.


 


Bérengère Margaritelli





L’Observatoire de la récidive et de la désistance, en quelques mots

 

Créé par la loi pénitentiaire de 2009, l'Observatoire de la récidive et de la désistance a été installé le 26 avril 2016 par l’ancien ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. Composé de dix-sept membres, parmi lesquels chercheurs, élus et praticiens, il a pour objectif d’étudier ces deux phénomènes. Par le biais d’un rapport annuel public, l’Observatoire est ainsi chargé d’exposer les données et analyses disponibles, et d’énoncer toute recommandation permettant d’améliorer l’appréhension de ces faits et de mieux lutter contre la délinquance.

 





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