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L’Union des avocats européens consacre son colloque international au soupçon

L’Union des avocats européens consacre son colloque international au soupçon
Publié le 14/11/2018 à 16:49

Geneviève Maillet, bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille, présidait ce colloque international organisé par Jacques Bonnaud, premier vice-président de la délégation de l’Union des avocats européens (UAE), et Gérard Abitbol, doyen des présidents d’honneur de l’UAE. Le thème choisi, le soupçon, reste une notion aux contours juridiques flous, qui infuse pourtant largement notre droit, et notamment notre droit pénal des affaires.



La difficulté du concept de soupçon est accentuée par l’absence de définition légale et jurisprudentielle. En effet, la terminologie n’a pas été définie, ni par le Code pénal, ni par le Code de procédure pénale français. La doctrine quant à elle n’a jamais tenté de cerner le sens exact de ce mot.


 


un soupçon endémique :


« Les soupçons ne sont autre chose que des rides : la première jeunesse n’en a pas » ainsi sexprimait Victor Hugo dans Les Misérables.


Le soupçon, quand il tend à se diffuser dans toute une société, discrédite, paralyse et détruit tout lien social.


Le soupçon affecte aussi la justice dans son ensemble, mais pas que. Elle s’insinue dans les rapports que ses acteurs peuvent entretenir.


À partir du XIXe siècle, nombreux sont les historiens qui ont considéré la dénonciation comme le symptôme d’un mal incurable : le soupçon. Les détracteurs de la Révolution ont fait de cette « cette des dénonciations" le signe dune dégradation générale des mœurs, la preuve dun dysfonctionnement global du politique dont la Terreur aurait constitué lapogée, ou encore pour certains, un argument pour faire de la Révolution la matrice des totalitarismes. À l’inverse, l’historiographie classique de la Révolution n’a pris en compte ces phénomènes que comme une conséquence logique de l’établissement progressif d’un régime d’exception justifié par les circonstances.


L’examen des fondements théoriques de la dénonciation, de la place qui lui est accordée par les autorités politiques et dans l’opinion publique, permet-il de considérer la dénonciation comme « un acte de discours » qui aurait exprimé lessence de la Révolution française ? Le soupçon endémique à l’égard de la diplomatie en particulier tient-elle à des caractères qui lui seraient spécifiques ou à une crise de confiance plus globale à l’égard des acteurs politiques en général ?


William Shakespeare disait ainsi que « La renommée est un instrument à vent que font résonner les soupçons, les jalousies, les conjectures ».


 


Du blanchiment


L’obligation de déclaration d’opérations ou de sommes suspicieuses a été introduite dans le droit positif en 1990 (L.  90-614, 12 juill.1990), dès lors qu’il est apparu nécessaire d’associer certains acteurs de la société civile à la lutte contre les opérations de blanchiment, puis à compter de mars 2004 contre le financement des activités terroristes.


Il faut distinguer le criminel (pas le délinquant) qui blanchit lui-même de ceux qui ont recours au système financier.


Les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier sont tenues, dans les conditions fixées par le présent chapitre, de déclarer au service mentionné à l’article L. 561-23, les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme.


Pour déclarer que le blanchisseur ne peut être l’auteur du délit principal, encore faut-il rechercher que les actes matériels de commission de diverses infractions sont ou non exclusifs les uns des autres.


Or, le blanchiment se commet de deux façons : soit en facilitant, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des fonds ou des biens, soit en participant à une opération de placement, dissimulation ou conversion.


Il est bien évident que l’auteur du délit principal qui ment sur l’origine des fonds qu’il a obtenus par une activité criminelle n’est pas plus blanchisseur que receleur, sauf s’il a, par ses mensonges, perpétré de nouvelles malversations en des actes matériellement distincts de ceux du délit principal. Mais qu’en est-il de celui qui place les fonds criminels ? Alors que le criminel l’a laissé dans l’ignorance du caractère illégal des fonds ainsi placés.


En revanche, participer à une opération de placement, dissimulation ou conversion, c’est participer, selon les autorités de poursuite à un stade quelconque, à un réseau de blanchiment. Or, ce réseau est soit créé par l’auteur du délit principal (le trafiquant de drogue), qui met en place non seulement le réseau de distribution du produit psychotrope, mais également le recyclage des gains illicites d’argent ; soit déjà en place, et il est simplement recherché et utilisé par le trafiquant. Serions-nous passés d’une société de confiance à une société du soupçon ? La question se pose lorsque l’on a devant nous autant d’exemples où le soupçon est devenu la règle. On pense notamment à la levée du secret bancaire en cas de doute sur l’origine des fonds.


Nous devons au bonheur de plume cette citation de Sosthène de La Rochefoucauld-Doudeauville : «  Si le monde est léger dans ses soupçons, il est généralement vrai dans ses jugements. »


 


La déclaration de soupçon


On assiste aujourd’hui à une approche préventive par le risque qui consiste à déclarer tout soupçon à Tracfin.


Cependant, il faut néanmoins évoquer en permanence la présomption dinnocence.


Il s’agira en réalité de toutes les infractions visées par le Code pénal, le Code monétaire et financier, de même que par tous les textes pénaux non codifiés. On pense alors à la fraude fiscale, quelle que soit sa dimension, mais aussi à sa délimitation délicate avec l’habileté fiscale qui n’est pas une infraction et qui ne peut intégrer le terrain du blanchiment. C’est dire que cette extension considérable a eu pour conséquence d’élargir le champ de la déclaration de soupçon, et corrélativement celui de l’insécurité des transactions financières. Or, un soupçon ne peut être confondu avec la preuve d’une commission du délit de blanchiment. On doit comprendre par soupçon, des éléments de vraisemblance permettant de penser que l’opération financière en question constitue un blanchiment tandis que la preuve d’une opération de blanchiment ne suppose aucun doute et permet d’affirmer que tous les éléments constitutifs du blanchiment ont été réalisés. Cependant, il faut se référer aux critères de l’instruction car le juge doit établir des éléments précis et concordants. Dans le premier cas, on se situe sur le plan préventif qui permet de présumer la mauvaise foi lorsque les professionnels ne parviennent pas à identifier le client, ce qui est dangereux ; dans le second cas, le jugement pénal et la condamnation répressive peuvent avoir lieu, les intéressés étant présumés innocents jusqu’à la preuve de la commission de l’infraction.


Convient-il, pour un professionnel déclarant, de maintenir la relation d’affaires avec un client à propos duquel il a adressé à Tracfin une déclaration de soupçon ? Après l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009, le Code monétaire et financier n’en fait toujours pas une obligation. Mais la question se pose avec acuité au regard des conséquences que les juridictions répressives ont pu tirer, s’agissant d’établissement de crédit, de la clôture ou du maintien du compte d’un titulaire « soupçonné ».


L’attaque contre le « caractère », cest-à-dire lintégrité ou lhonorabilité dun adversaire politique, est un phénomène fréquent. La vie privée dune personnalité politique reste un sujet tabou, et pourtant, certains débats médiatiques récents, centrés sur la « morale privée » des élites politiques, laissent poindre à lhorizon le spectre dune américanisation de nos mœurs politiques.


C’est bien autour de cette notion de soupçon que tout s’articule. La plus dangereuse des failles, c’est le soupçon. On pourra toujours continuer à s’offusquer du complotisme ambiant, déplorer le rejet des élites, rien ne sera crédible tant que persistera cette intuition qu’une infime part de l’humanité s’exonère, en cachette, des devoirs communs et de l’intérêt général.


Le soupçon, c’est aussi le pressentiment que l’on peut avoir.


Le soupçon et la suspicion étant tous deux une forme de conjecture, le doute domine dans l’esprit lorsqu’ils s’y imprègnent.


Le soupçon est teinté d’une valeur morale, la suspicion se pare de principes juridiques : détention, suspicion investiguée dans le cadre d’une enquête criminelle, requête en suspicion légitime. « En matière criminelle, correctionnelle ou de police, la chambre criminelle de la Cour de cassation peut dessaisir toute juridiction d’instruction ou de jugement pour cause de suspicion légitime. » « La jurisprudence détermine la suspicion légitime à partir d’éléments révélant la partialité de la juridiction visée. »


La loi italienne sur la suspicion légitime prévoit que la notion de suspicion légitime peut être invoquée pour demander le renvoi d’une affaire devant une autre juridiction. La suspicion légitime repose sur des circonstances graves qui risquent de perturber le cours normal et équitable du procès. La suspicion est, en cela, un moyen qui permet au plaideur de requérir l’intervention d’une juridiction supérieure parce qu’il a des motifs sérieux de penser que justice ne lui sera pas rendue en raison des intérêts ou des causes de partialité de la juridiction inférieure. Il appartient à cette dernière de déterminer le caractère légitime de la suspicion.


Le délit de blanchiment est souvent mis en parallèle avec le recel.


La Cour de cassation elle-même a eu l’occasion de rappeler les règles de requalification pour une affaire de blanchiment d’argent de la drogue. La Haute Juridiction a approuvé la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 13e Ch, 5 mai 1995), qui condamna à cinq ans de prison une délinquante, poursuivie sur le chef d’accusation de complicité de blanchiment du produit d’infractions à la législation sur les stupéfiants, sous la condamnation de recel aggravé par exercice habituel de cette activité illicite (Cass.Crim. 3 déc. 1998?n° 97-85.524).


Des soupçons sont constants sur l’hypervolatilité des cryptomonnaies.


En effet, la cause est entendue : l’envolée du Bitcoin a tout à voir avec le mécanisme classique de la pyramide de Ponzi : la plus-value des sortants s’obtient par les souscriptions ultérieures des nouveaux venus.


La technologie de la chaîne de blocs va révolutionner les flux financiers, mais aussi les échanges de matières premières, de biens divers. L’avènement du Bitcoin ne doit pas cacher la forêt des recours croissants à la blockchain.


Phénomène de mode ou vraie révolution ? La controverse sur le Bitcoin s’enflamme, tandis que les autorités publiques et financières tentent d’encadrer la célèbre cryptomonnaie.


Le Bitcoin est un enfant de la crise de 2008. Il a été créé dans le contexte délétère de l’époque par un informaticien – ou un groupe d’informaticiens.


Mais une régulation internationale peut être nécessaire si le phénomène prend une ampleur systémique, aggravée par la possibilité que ce marché puisse être manipulé par quelques acteurs.


Les criminels ignorent les frontières, et il est grand temps de les stopper en dotant les procureurs des outils qui leur manquent pour agir de manière transfrontalière.


« Il est des esprits qui ne vivent que de soupçons, comme il est des gens qui ne vivent que de contrebande » sexprimait ainsi Anne Barratin.


 


Le parquet européen


Plus que jamais, le soupçon et les obligations de vigilance sont à l’ordre du jour. Fraude à la TVA, fraude sur les fonds européens, corruption, blanchiment d’argent. Chaque année, ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliards d’euros qui échappent au budget des États (50 pour la seule fraude à la TVA). Pour y faire face, 20 États membres se sont mis d’accord pour avancer ensemble vers la création d’un parquet européen.


Le parquet européen aura comme mission de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne.


Les ministres de la Justice de l’Union européenne ont entériné définitivement la création d’un parquet européen, auquel participeront 20 États Membres dont la France et l’Allemagne. Cette nouvelle instance, à laquelle le Parlement européen a donné son feu vert, ne sera dans un premier temps compétente que pour les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.


Cette nouvelle institution judiciaire aura son siège à Luxembourg comme la Cour de justice européenne et à sa tête un chef de parquet assisté de deux adjoints. Elle commencera à fonctionner à la fin de l’année 2020. Elle sera composée d’un procureur par État et de plusieurs procureurs européens délégués dans chacun d’eux, chargés de la conduite des enquêtes.


Ce parquet européen est une avancée majeure, la plus importante depuis la création du mandat d’arrêt européen.


L’harmonisation des législations représente aujourd’hui l’enjeu le plus important pour l’Europe. En effet, l’Union européenne en la matière repose sur la cœxistence d’un double niveau normatif, les législations nationales et les normes européennes. Le cœur du problème tient aux disparités qui existent entre les législations de nombreux pays du monde. Voilà maintenant le moment de parler du nouvel environnement juridique dans lequel nous allons opérer.


Parmi les phrases les plus célèbres du discours préliminaire, on se souvient de celle-ci : « Les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois. »


Allant plus loin, nous pourrions dire que le droit est fait pour ceux qui l’utilisent dans leur vie quotidienne, leur vie domestique ou leurs activités économiques et non pour les juristes. Le droit est un art pratique. Même si tous les lecteurs du Code civil n’ont pas la passion de Stendhal pour sa lecture, il doit être encore utile pour tout un chacun de l’ouvrir pour comprendre les articles qui le composent, lui permettre d’être ainsi informé d’une façon élémentaire de l’état du droit qui lui sera appliqué.


En effet, il suffit à cet égard de citer le père dominicain Henri Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »


Cicéron ne disait pas autre chose : « Nous sommes esclaves de lois pour pouvoir être libres. »


Le respect est une reconnaissance intellectuelle de la dignité de l’homme et de sa propension à la vraie grandeur. Il implique l’existence d’une justice assurant les droits de chacun.


 « L’homme qui veut vivre sans soupçon, se doit bien garder de faire trahison »,  selon le proverbe du XIVe siècle.


Mais, au fait, qu’est-ce-que le soupçon ? C’est le fait de douter, c’est le fait de suspecter. Si le doute, si le soupçon que nous dénonçons s’avèrent infondés  ? Quid de la dénonciation calomnieuse ? Quelles en sont les conséquences pour leurs auteurs ? Telle est la problématique des questions à résoudre et l’objet de nos travaux.





Gérard Abitbol,


Avocat au barreau de Marseille,


Doyen des présidents d’honneur de l’UAE





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