Autrefois considéré comme « la danseuse du président », l’art en entreprise est désormais un « investissement »
à privilégier pour les entreprises soucieuses de leur contribution à l’intérêt
général. Conscient de cette (R)évolution : intérêt personnel vers intérêt
collectif, le législateur fiscal les aide à structurer leurs actions de
soutien.
la location
d’œuvres d’art
Il n’existe pas de
dispositif fiscal spécifique à la location d’œuvre d’art. Il s’agit d’une
transposition des règles fiscales applicables en matière de déductibilité des
charges. Seules les dépenses réalisées dans l’intérêt de l’entreprise sont
déductibles du résultat imposable.
Lorsqu’une entreprise
loue des œuvres d’art, les loyers supportés sont la contrepartie de la
jouissance d’un bien meuble. Ils sont déductibles dans les conditions de droit
commun. L’opération de location doit être réalisée dans l’intérêt de
l’entreprise : décoration de locaux professionnels, outil de communication
auprès de ses salariés (par exemple, intervention dans le choix des œuvres) et
de sa clientèle (renouvellement régulier de la collection, vernissage,
conférence avec l’artiste…). Le montant des versements effectués doit être
considéré comme normal (ne pas présenter un caractère excessif eu égard à la
valeur locative du bien) et être justifié.
La location d’œuvres
d’art peut constituer un premier pas vers une stratégie de mécénat artistique
plus pérenne.
Achat
d’œuvres originales d’artistes vivants
Les
sociétés soumises de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés, et
les entreprises individuelles soumises à l’impôt sur le revenu dans la
catégorie des Bénéfices industriels et commerciaux, qui achètent des œuvres
originales1 d’artistes vivants pour les exposer au public peuvent bénéficier d’une
déduction spéciale2.
L’entreprise
doit exposer l’œuvre d’art, pendant cinq ans (soit la période correspondant à
l’exercice d’acquisition et aux quatre années suivantes) :
• dans
les locaux de l’entreprise, à condition qu’ils soient effectivement accessibles
au public ou aux salariés (il ne peut pas s’agir d’un bureau personnel, d’une
résidence personnelle ou d’un lieu réservé aux seuls clients de l’entreprise),
• lors de
manifestations organisées par l’entreprise ou par un musée, une collectivité
territoriale ou un établissement public dans lequel le bien aura été confié,
• dans
un musée auquel le bien est mis en dépôt,
• par
une région, un département, une commune ou un de leurs établissements publics
ou un établissement public à caractère scientifique, culturel ou professionnel.
L’exposition
doit être permanente (pendant les cinq années requises et même au-delà), et non
réalisée à l’occasion de manifestations ponctuelles (exposition temporaire,
festival saisonnier, etc.)
L’œuvre
doit être inscrite à un compte d’actif immobilisé. La quote-part doit être
déduite extra-comptablement sur l’imprimé 2058-A du résultat de l’exercice
d’acquisition et des quatre années suivantes ligne XG « déductions
diverses » et figurer sur la déclaration 2069-M-SD (imprimé pour la
réduction d’impôt mécénat). Chaque année, le montant de la déduction ne peut
dépasser cinq pour mille du chiffre d’affaires réalisé, l’excédent ne pouvant
être reporté au titre des exercices ultérieurs.
Le
montant de la déduction doit être inscrit dans un compte de réserve spéciale au
passif du bilan. Cette obligation comptable exclue les titulaires de BNC3 car sur le plan
juridique ils n’ont pas la faculté de créer au passif de leur bilan un tel
compte.
En
cas de changement d’affectation (notamment lorsque l’œuvre n’est plus exposée
au public), de cession de l’œuvre ou de prélèvement sur le compte de réserve,
pendant ou après les cinq ans du bénéfice de la déduction, le montant de
déduction dont l’entreprise a bénéficié est réintégré au résultat imposable.
L’entreprise
peut constituer une provision pour dépréciation, lorsque la dépréciation de
l’œuvre excède le montant des déductions déjà opérées. Exemple :
Une
société à l’impôt sur les sociétés réalise au titre d’un exercice un chiffre
d’affaires de 5 400 000 euros et un bénéfice de
300 000 euros (IS théorique 100 000e uros).
En
avril dudit exercice, elle achète une œuvre originale d’un artiste vivant d’un
montant de 50 000 euros.
Au
titre de cet exercice et des quatre exercices suivants, la société peut déduire pour
chaque exercice la somme de 10 000 euros,
dès lors que pour chaque exercice, cette déduction ne dépasse pas 0.5 % du
chiffre d’affaires réalisé (soit, au cas d’espèce 2 000 000 euros)4. Ce plafond s’entend
après déduction des sommes versées à des organismes sans but lucratif visés à
l’article 238 bis du Code général des
impôts (cf §III).
L’économie
d’impôt annuelle maximale s’élève donc à 3 3335 euros
soit 16 665 euros sur les cinq
années.
Si
la société revend l’œuvre 60 000 euros
des années plus tard elle sera imposée de la façon suivante :
• Plus-value
60 000 euros - 50 000 euros = 10 000 euros : IS dû 3 330 euros ;
• Réintégration
fiscale de la déduction obtenue préalablement soit 16 665 euros ;
• Coût
fiscal total de la sortie de l’œuvre : 19 965 euros.
Il
s’agit donc d’un investissement sur le long terme dont l’objectif est le
soutien à la création artistique contemporaine. Beaucoup d’entreprises ont
conscience que cet achat est un outil fort en termes de communication interne
(vis-à-vis des collaborateurs) et externe (valeurs de l’entreprise auprès du
public).
Don à des
organismes d’intérêt général ayant un caractère culturel ou concourant à la mise en
valeur du patrimoine artistique.
Ouvrent droit à une
réduction d’impôt égale à 60 % de leur
montant, les versements pris dans la limite d’un plafond unique de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes, effectués par les entreprises
assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés au profit
d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général6.
Le don n’étant pas une
charge déductible du résultat imposable, il doit être réintégré
extra-comptablement sur l’imprimé 2058 A.
Parmi ces organismes
bénéficiaires qui doivent être à gestion désintéressée et à vocation d’intérêt
général, certains sont spécifiquement dédiés à l’art :
• Les œuvres ou organismes d’intérêt
général ayant un caractère culturel ou concourant à la mise en valeur du
patrimoine artistique. Il s’agit des organismes dont l’activité est consacrée,
à titre prépondérant, à la création, à la diffusion ou à la protection des
œuvres de l’art et de l’esprit sous toutes leurs différentes formes. S’y
ajoutent les musées de France ainsi que les organismes qui mènent à titre
prépondérant une activité propre en faveur du développement de la vie
culturelle (activité de formation artistique, actions tendant à faciliter et à
élargir l’accès du public aux œuvres artistiques et culturelles…)
• Les organismes dont l’objet est
d’assurer la sauvegarde, la conservation et la mise en valeur de biens
mobiliers ou immobiliers appartenant au patrimoine artistique national, régional
ou local. La notion de patrimoine artistique englobe les œuvres d’art au sens
traditionnel et les biens qui ont une valeur historique.
• Les organismes publics ou privés, y
compris les sociétés de capitaux dont les actionnaires sont l’État ou un ou
plusieurs établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec une ou
plusieurs collectivités territoriales, dont la gestion est désintéressée et qui
ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques,
lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ou
l’organisation d’expositions d’art contemporain à la condition que les
versements soient affectés à cette activité.
Contrairement à l’achat
d’œuvres d’art, lorsqu’au titre d’un exercice le don excède le plafond de cinq
pour mille, l’excédent est reporté successivement sur les cinq exercices
suivants et ouvre droit à la réduction d’impôt dans les mêmes conditions, après
prise en compte des versements de l’exercice d’imputation. Exemple :
Sur la base des mêmes
éléments que l’exemple précédent.
La société donne sur 5 ans 10 000 euros par
an à un musée. Cette donation ouvre droit à une réduction d’impôt annuelle de 6 0007 euros. Sur
cinq ans, le don total de 50 000 euros ouvre droit à une économie d’impôt de 30 000 euros au lieu de 16 665 euros dans le cas de l’achat d’œuvre d’art.
Si l’impôt à payer est
inférieur au montant de la réduction d’impôt8, le
supplément est reporté au titre de l’un des cinq exercices suivants. Si le
montant du don est supérieur au 0,5 % du
chiffre d’affaires, la différence est également reportable sur les exercices
suivants.
En principe, la société
mécène ne doit recevoir aucune contrepartie en échange du don offert à
l’organisme9. Elle peut néanmoins solliciter que son nom
soit mentionné en tant que mécène et communiquer sur son action de mécénat.
La
constitution d’un fonds de dotation
De plus en plus
d’entreprises réfléchissent au sens de leur métier afin d’en extraire des
thèmes universels et de faire de leur mécénat un enjeu stratégique de
communication et de cohésion interne et externe. À ce titre, une société peut
constituer son propre organisme d’intérêt général avec des missions qui
reflètent les valeurs de l’entreprise, son inscription politique, économique, écologique
dans le territoire.
Beaucoup de grandes
entreprises ont initié le mouvement en créant leur fondation, mais cette
stratégie peut être étendue aux PME via la constitution d’un fonds de
dotation dont les règles de création et de fonctionnement sont plus souples que
celles de la fondation.
Le fonds de dotation
est un outil innovant de financement du mécénat qui combine les atouts de
l’association loi de 1901 et de la fondation, sans leurs inconvénients. Doté de la
personnalité juridique, il est constitué d’une allocation irrévocable10 de biens pour la réalisation d’une mission ou d’une œuvre d’intérêt
général. Il collecte des fonds d’origine privé, qu’il peut soit constituer en
dotation dont il utilise les fruits, soit consommer pour accomplir sa mission.
Il peut mener lui-même cette mission, ou financer un autre organisme d’intérêt
général pour son accomplissement.
On peut imaginer qu’une
société crée son propre fonds de dotation avec pour objet d’assurer la
conservation et la diffusion au public de sa collection d’œuvres d’art. Le
fonds peut amplifier ses actions de mécénat et de soutien à d’autres domaines
d’action tel que par exemple : l’accès pour tous à la culture et la
création artistique, l’insertion professionnelle…
Le fonds de dotation va
alors collecter les fonds nécessaires à son action, financer ou commander des
œuvres d’art, initier, organiser ou soutenir toutes manifestations
(expositions, colloques, résidences d’artiste…), mener des actions en faveur de
mission d’intérêt général… Exemple :
Sur la base des mêmes
éléments que l’exemple précédent.
La société crée son
fonds de dotation via une dotation de 15 000 euros (les quatre années suivantes elle verse 8 750 euros) soit un investissement global de 50 000 euros. Via cette dotation qui sera consomptible, le
fonds de dotation finance des œuvres d’art, et organise des manifestations.
L’économie d’impôt est
de 30 000 euros et la
société, via le fonds de dotation, peut soutenir la création artistique et
développer une stratégie de communication tant externe qu’interne sur des
valeurs d’intérêt général qui correspondent à son activité.
Ophélie
Dantil,
Spécialiste
en droit fiscal,
Avocat
associé,
Cabinet
d’avocats Estramon,
Membre de
l’Institut Art & Droit
1)
Les productions artisanales ou de série ne constituent pas des œuvres
originales
2)
Article 238 bis AB du CGI
3)
Rép. Foulon : AN 10-3-2015 p. 1719 n° 36875 ; BOI-BIC-CHG-70-10 n° 1 BF 5/15
inf. 412
4)
2 000 000 € x 0,5% = 10 000 €
5)
10 000 € par an x impôt théorique de 33,33 %
6)
Article 238 bis du CGI
7)
50 000 € x 60 %
8)
Par exemple la société avait des déficits antérieurs reportables
9)
Une contrepartie est possible si celle-ci ne dépasse pas 25 % du montant du don
10)
Minimum 15 000 euros