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L’immixtion du droit pénal dans le domaine des avalanches - Quels enseignements faut-il en tirer ?

L’immixtion du droit pénal dans le domaine des avalanches - Quels enseignements faut-il en tirer ?
Publié le 19/03/2018 à 14:16


Si initialement l’immixtion du droit pénal dans l’univers de la montagne était vécue comme un sacrilège, l’évolution judiciaire et sociale a balayé cette vision. Même si le nombre de décisions provenant des tribunaux correctionnels reste limité, pour les professionnels de la neige et les accompagnateurs bénévoles, la crainte de comparaître devant une juridiction pénale demeure. Est-ce pourtant justifié ?


Tout d’abord, la réponse est nuancée au regard de la jurisprudence qui opère une distinction juridique aux conséquences importantes pour l’engagement des poursuites pénales. Cette analyse concerne l’origine du déclenchement de l’avalanche. En effet :


soit l’auteur (skieur ou surfeur) n’a pas provoqué le phénomène avalancheux ;


soit l’auteur est directement à l’origine de l’avalanche.


Ensuite, l’analyse des critères retenus par les juridictions répressives pour retenir une condamnation permet de dégager des comportements particulièrement sanctionnés.


 


L’auteur n’a pas provoqué directement le phénomène avalancheux


Rappelons que l’article 121–3 du Code pénal vient définir l’auteur indirect d’un dommage.


Il s’agit de celui qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou de celui qui n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, sans avoir causé directement le dommage.


En cas d’accident, il doit être établi à l’encontre de cet auteur l’existence d’une faute caractérisée, exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. Une telle faute est beaucoup plus exigeante que la faute simple : si son degré de gravité n’est pas suffisant, les juridictions prononcent la relaxe de la personne poursuivie.


C’est ce qu’illustre une décision du 22 mai 2015 du tribunal correctionnel d’Albertville (Journal Spécial des Sociétés, Droit de la montagne – Partie 2, 16 mars 2016, page 12).


Le 9 décembre 2010, en fin de matinée, une avalanche emporte un moniteur de ski et son client dans un secteur hors-piste. Le moniteur, enseveli partiellement, arrive à s’extraire seul, mais ne peut se mouvoir en raison d’une fracture du fémur. Son client est en revanche décédé, malgré le déclenchement de son sac airbag. Ni l’absence de matériel (pelle, sonde, DVA, et même airbag) ni l’ignorance du bulletin des risques d’avalanche (BRA) ne pouvaient être retenues en l’espèce, à l’encontre du moniteur.


L’expert en nivologie désigné dans le cadre de l’enquête pénale concluait cependant à plusieurs erreurs d’appréciation, au regard d’une pente à forte déclivité, de la présence d’un goulet hérissé de rochers, et du peu de distance entre les pratiquants évoluant sur le parcours hors-piste. Il apparaissait que le manteau neigeux était plus instable que ne l’avait évalué le professionnel de la montagne. Pour autant, le tribunal d’Albertville n’a pas considéré que cette erreur de diagnostic atteignait le niveau de gravité exigé par la loi, de sorte que la faute caractérisée ne pouvait être retenue : la relaxe a donc été prononcée.


Le singulier employé par le texte pénal (à savoir, la « faute caractérisée ») renvoie aux débats parlementaires qui précisent qu’il faut entendre par cette expression, la faute qui présente « une particulière évidence », « une particulière intensité ».


Cette terminologie laisse penser, à la première lecture, qu’il doit s’agir d’un acte unique. En réalité, il n’en est rien : la jurisprudence s’attache à une accumulation de fautes, comme le choix de l’itinéraire de la sortie, l’absence de prise en compte du niveau de l’élève ou du client, la non-consultation du bulletin météorologique, l’absence de formation minimale au maniement des DVA etc., (Florine Lachenal, Avalanches et responsabilité des professionnels de la montagne, sous la direction du professeur Philippe Yolka, 2016).


La Cour de cassation a eu, en effet, l’occasion de préciser les contours de la notion de faute caractérisée, en indiquant qu’il peut s’agir de « l’accumulation par une même personne, de négligences et d’imprudences dont chacune, prise isolément, n’aurait peut-être pas été regardée comme étant suffisamment grave pour être génératrice de responsabilité pénale » (Cass.crim. janvier 2006, Jurisdata numéro?2006–032023).


C’est ce que résume le professeur Yves Mayaud : « la faute caractérisée est donc la qualification de ce qui relève de l’unité comme de la pluralité : unité de défaillance par l’importance de l’obligation à respecter ; ou pluralité sous forme de nombreux manquements en présence d’un risque connu » (droit pénal général, éd. PUF, 2015).


Cependant, dans un autre contexte, la faute simple sera suffisante pour engager la responsabilité pénale de l’auteur du déclenchement de l’avalanche.


 


l’auteur est directement à l’origine de l’avalanche


La circulaire du 11 octobre 2000, pour l’application de la loi Fauchon du 10 juillet 2000, est venue tenter d’éclaircir la notion de causalité directe : « lorsque la personne en cause a elle-même frappé ou heurté la victime, soit a initié ou contrôlé le mouvement d’un objet qui a heurté ou frappé la victime ».


Les juridictions ont donc été amenées à s’interroger sur le fait que « l’objet » visé pouvait concerner une avalanche.


Déjà en 2007, le tribunal correctionnel de Nice avait retenu un lien de causalité directe entre le moniteur de ski et le déclenchement de l’avalanche qui avait causé le décès de son client, ensuite de l’aveu même du professionnel à la barre du tribunal :


Le président du tribunal :


« Pensez-vous que c’est le passage de Monsieur D. et vous qui soit à l’origine de l’avalanche ? »


Le prévenu :


« Honnêtement, oui, je pense que cette plaque est partie du fait que la pente avait été fragilisée à notre passage et à ceux d’autres skieurs, ce jour-là et les jours précédents ».


Une affaire plus récente du 10 octobre 2013 (tribunal correctionnel d’Albertville) est venue conforter cette analyse.


Malgré un risque d’avalanche avéré, un moniteur de ski avait conduit son groupe de skieurs à évoluer en hors-piste sur une pente à forte déclivité, alors qu’en aval se tenait dans le même temps un autre groupe.


Lorsqu’il entame sa descente en premier, il déclenche une coulée de dimension modeste, qui entraîne à son tour une avalanche qui ensevelit un des skieurs situés dans le groupe en aval : celui-ci ne survivra pas à l’arrivée brutale de cette masse de neige.


Tout l’enjeu résidait dans l’établissement du lien de causalité – directe ou indirecte – qui allait servir à identifier le type de faute à établir. En effet, en cas de causalité directe, une faute simple est suffisante au regard du Code pénal.


Le tribunal a adopté une conception extensive de la notion de causalité directe, en retenant que l’auteur direct est celui qui est à l’origine du paramètre déclencheur essentiel ou déterminant qui a conduit au décès de la victime.


La juridiction reprend ainsi en droite ligne la jurisprudence antérieure de l’affaire du collège Saint François d’Assise, lors de l’avalanche de la commune de CROTS (Cass.Crim. 26?novembre 2002, numéro 01–88–900) en retenant le défaut de contrôle de la présence d’un groupe en aval « qui est une donnée élémentaire en termes de sécurité lors de l’évolution en terrain hors-piste et qui constitue à lui seul une faute, laquelle suffit à retenir la responsabilité pénale ».


Le professionnel averti ne pouvait donc pas ignorer le danger et le défaut de mise en œuvre d’une donnée sécuritaire primordiale, ce qui présume donc l’absence de l’accomplissement d’une « diligence normale », nécessaire pour retenir la faute simple (Camille Montagne, Les Annonces de la Seine, Droit de la montagne, 30 mars 2014, p. 29).


Si l’avalanche avait été déclenchée accidentellement par un membre du groupe en amont, le moniteur n’aurait probablement pas été qualifié d’auteur direct, et il aurait fallu que le procureur de la république démontre l’existence d’une faute caractérisée, plus délicate à analyser en l’espèce.


De telles hésitations résultent de l’absence de définition précise unitaire de la notion de caractère direct ou indirect du lien de causalité. Comme souvent dans une telle situation, certains sollicitent une prise de position plus tranchée du législateur afin de ramener une part de certitude, voire d’apaisement, sur les risques encourus en matière pénale, lors des délicates situations d’avalanche causant à autrui un dommage.


 


Quels sont les critères analysés pour rechercher la responsabilité en cas d’avalanche ?


Plusieurs éléments généraux entrent en compte dans l’appréciation des juridictions :


les règles techniques des fédérations (L.131–16 du Code du sport) : les fédérations délégataires (FFS/FFME) sont habilitées à édicter des recommandations et des règles de sécurité propres à leurs disciplines qui servent d’éléments de référence ;


les méthodes d’enseignement du ski et de l’alpinisme français : c’est la mission de l’école Nationale de Ski et d’Alpinisme de Chamonix (ENSA) d’élaborer et de mettre en place les règles sécuritaires de base ;


les expertises : le recours à une mesure technique, par exemple une analyse nivologique, lors du déclenchement d’une avalanche aux conséquences graves est systématique. Il peut s’agir d’obtenir l’avis des enquêteurs eux-mêmes (PGHM/CRS) ou d’un d’expert inscrit sur la liste officielle des experts agréés auprès d’une cour d’appel. L’avis technique motivé est important pour éclairer les débats devant la juridiction.


Pour schématiser, chaque affaire est analysée, en distinguant essentiellement trois phases :


 


  • La préparation de la sortie


 


  1. La constitution du groupe

    La question du niveau technique et du nombre de participants à la sortie constitue comme une évidence qui permet de mesurer le rôle de l’encadrant de la sortie, qu’il soit professionnel ou non.

    Cette question a été posée dans le contexte d’une avalanche en Suisse, en dessous du col du Grand-Saint-Bernard. Dans une ordonnance de classement sans suite du 12?mars 2013, rendue par le ministère Public du canton du Valais, la personne chargée de l’encadrement de la sortie était apparue comme n’ayant aucun ascendant sur le groupe et ne disposant pas d’un niveau supérieur aux autres membres, chacun ayant la même capacité d’analyse de la configuration des lieux et des risques encourus (Annonces de la Seine, Droit de la Montagne, 30 mars 2014, p.22).

    Ce point de vue renvoie à l’idée que les alpinistes, les skieurs ou les randonneurs qui conviennent de faire ensemble une ascension en terrain de montagne, acceptent d’assumer les risques que cette entreprise comporte pour la vie et l’intégrité corporelle de chacun d’eux.

    Très concrètement, cela implique l’analyse de la qualité d’« ascendant » de celui qui gère le groupe : est-il un professionnel ? Quelle est son autorité ? Quelle est son expérience ? Ces questionnements sont formulés dans le but de vérifier si la ou les personnes qu’il accompagne sont placées ou non en confiance sous sa protection physique et donc juridique, ce qui a pour corollaire l’engagement éventuel de sa responsabilité, en cas de faute avérée.

     

  2. Le choix de la course

    Ce choix est évidemment en lien étroit avec le niveau technique et l’expérience des participants ou clients.

    La référence aux différents topos issus de l’ouvrage de référence ou la consultation des sites internet reconnus, permet au tribunal de vérifier, par des éléments objectifs, s’il était opportun de choisir un niveau élevé – trop élevé ou inadapté – pour la sortie programmée.

     

  3. L’analyse des données nivo-météorologiques

    Il s’agit souvent d’un point capital dans la procédure judiciaire pour l’analyse d’une responsabilité pénale éventuelle.

    Négligence dans la recherche d’informations :

    il s’agit, dans ce cas, d’une absence de consultation des bulletins nivo-météorologiques, pourtant consultables à la fois sur un support informatique et en différents lieux de la station. Cette carence constitue incontestablement une négligence fautive.

    Mauvaise appréciation du contenu des outils d’information.

    Une mise au point s’impose après consultation des deux bulletins considérés comme indispensables à la préparation d’une sortie hors-piste, à savoir le bulletin météorologique et le Bulletin d’Estimation des Risques d’Avalanche (BRA).

    Ces outils fournissent des informations générales, à l’échelle d’un massif montagneux, et non d’un secteur ou d’une zone en particulier. Le bulletin d’estimation n’est pas retenu par les juridictions comme « juridiquement contraignant ». C’est au professionnel ou à l’encadrant du groupe d’utiliser ses connaissances, son expérience, son bon sens également, pour déterminer si les informations recueillies modifient ou annulent son projet de sortie.

    Cette appréciation, plus technique, va s’appuyer sur le ou les rapport(s) d’expertise diligenté(s) lors de la survenance de l’accident.

     

  4. L’équipement en matériel de sécurité et les consignes pour son usage

    La règle d’or est désormais connue : sondes, pelles, détecteurs de victimes d’avalanche (DVA). Sur le plan judiciaire, c’est une obligation dont l’omission caractérise l’existence d’une faute. De nombreuses décisions le rappellent, dont l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 23 juin 2016 : il s’agissait d’une avalanche à Tignes en décembre 2012?dans laquelle trois moniteurs de ski, encadrants à l’UCPA, prenaient la décision de faire évoluer leurs stagiaires en hors-piste dans un secteur exposé aux avalanches, en ayant omis d’équiper les participants de tout le matériel de sécurité. Le décès d’une jeune stagiaire de 20 ans sous une avalanche déclenchée par le passage des skieurs dans la zone, justifiait la réalisation d’une mesure d’expertise.

    Le tribunal de grande instance d’Albertville (7 août 2015), approuvé en cela par la cour d’appel, relevait :

    « Les prévenus ont ainsi accumulé une prise de risque énorme avec l’absence de matériel de sécurité, et ce, d’autant que la présence d’un DVA aurait sans aucun doute permis de retrouver la victime plus rapidement et certainement indemne ».

    Encore faut-il que l’équipement des participants ne soit pas une simple formalité, rendant inopérante la présence du matériel de sécurité. Son mode d’utilisation doit être clairement exposé, afin d’éviter toute confusion lors de sa mise en œuvre, avec la vérification de la connaissance et de la maîtrise par les membres du groupe du fonctionnement de ce matériel, par exemple les modes émission/réception des DVA.

     


pendant la sortie


L’attente des membres du groupe encadré repose sur la confiance dans le « leader », c’est-à-dire sur ses qualités techniques – réelles ou supposées – et sur sa capacité à mettre en œuvre, au cours de la sortie, les dites qualités annoncées.


L’expérience, l’observation du terrain, la justification du choix précis de l’itinéraire seront des éléments essentiels dans l’analyse juridique.


Tout d’abord, la prudence consiste à tester le manteau neigeux. Ainsi, dans son jugement du 30 avril 2012, le tribunal correctionnel d’Albertville relaxait un moniteur qui « au départ de la pente, a testé la neige à l’aide de son bâton. Ses déclarations démontrent qu’il a pris en compte les conditions météorologiques et nivologiques avant de s’engager dans la descente en appuyant lui-même sur ses skis dans la partie la plus pentue pour tester la neige… »


Ensuite, en bonne logique, il sera vérifié si des traces de ski n’ont pas été suivies sans effectuer préalablement un repérage ou des tests sécuritaires. Les juges observeront également si les consignes de sécurité ont bien été fournies. C’est ce que rappelle le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 8 mars 2007, déjà évoqué :


« (…) Il convient de constater que le prévenu – moniteur de ski –, n’a jamais enseigné à ses clients, malgré le temps passé avec eux, les consignes à suivre en cas d’avalanche (…) interrogé à la barre sur cette question, le prévenu reconnaît ne pas avoir indiqué à ses clients les réflexes à avoir en cas d’avalanche, réflexes qui lui ont permis d’avoir la vie sauve à titre personnel, ainsi qu’il déclara à la barre : "le conseil de réflexes n’est pas une chose qui se dit. Donner ce genre de conseil n’est pas évident, les gens pourraient avoir peur et bloquer en milieu de piste" ».


Pourtant, le terme de « consignes » employé dans cette décision, est beaucoup trop vague pour être retenu sans aucune précision : de quelles consignes s’agit-il précisément ? Comment vérifier concrètement leur compréhension par les clients ?


Il faut, en outre, rechercher chaque fois le lien de causalité : la consigne enseignée, intégrée, pouvait-elle pour autant éviter l’accident de manière certaine ?


L’analyse nécessite donc d’être très précise et factuelle avant toute décision judiciaire, pour retenir ou non l’existence d’une faute.


 


La survenance de l’accident


Dans cette phase, il s’agit de rechercher si l’alerte a été donnée correctement et si les mesures d’auto-sauvetage ont été mises en œuvre.


Suite à un accident d’avalanche ancien qui s’était déroulé le 17 mars 1983, il avait été recherché si les secours avaient été correctement mis en œuvre. Les juridictions avaient retenu qu’à la date de l’accident, les balises ARVA existaient depuis peu, qu’elles posaient encore des problèmes de compatibilité et qu’elles n’avaient été conseillées par l’ENSA de Chamonix qu’en 1984?et rendues obligatoires qu’en janvier 1986. Le défaut d’un équipement dont l’usage et la diffusion étaient encore restreints à l’époque, n’avait pas été considéré comme fautif.


La même décision souligne que les professionnels (guides) avaient eu des réactions appropriées en envoyant des stagiaires donner l’alerte, en aidant au dégagement des camarades visibles, et en commençant les recherches de sondages sur place, même si malheureusement les hélicoptères s’étaient posés sur le front de la coulée, là où précisément la victime avait été retrouvée le lendemain (Cassation, civ 1, 24 janvier 2006, n° 03–18045)


Le matériel ayant désormais acquis une plus grande fiabilité, on rappellera ici l’incidence des explications techniques qui doivent être données, relatives à l’utilisation du DVA : sans connaissance préalable des consignes, un temps précieux peut être perdu, anéantissant les chances de survie de la personne ensevelie.


Ces critères qui sont retenus par la jurisprudence lors de la survenance d’un accident peuvent être repris comme autant d’outils d’analyse d’une bonne pratique permettant d’éviter une confrontation au droit pénal.

 


Maurice Bodecher,

Avocat (Avocatcimes),

Albertville,

Membre du réseau GESICA



Élisabeth Arnaud-Bodecher,

Avocat Honoraire,

Co-auteur de « Carnet Juridique du Ski »



Pauline Collange,

Étudiante en Master 2 droit de la montagne, Université Savoie Mont-Blanc


 


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