Comme rappelé
précédemment, l’autoconsommation collective est l’opération permettant à un
groupement de consommateurs et/ou producteurs géographiquement proches de
réaliser des transactions d’électricité à l’échelle locale. Pour effectuer une
telle opération, il convient donc de mettre en place un cadre contractuel de
transactions d’électricité entre sites d’injection et de soutirage, et donc de
gérer au mieux l’offre et la demande de ces sites. L’article L. 315-2 du Code de
l’énergie tel que modifié par le décret 2017-676 du 28 avril 2017 dispose en effet que l’« opération
d’autoconsommation est collective
lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs
producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein
d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont
situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de
moyenne en basse tension ».
L’article
43 de la loi PACTE adoptée le 11 avril 2019 modifie cet article et précise que
la mise en œuvre de la tarification spéciale prévue à l’article suscitée n’est
pas applicable aux utilisateurs participant à une opération d’autoconsommation
collective « sur le réseau basse tension et respectent un critère de proximité
géographique défini par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de
la Commission de régulation de l’énergie ». La loi PACTE contribue donc à un
élargissement des exonérations relatives à l’autoconsommation collective ainsi
que du périmètre de celle-ci.
Après
avoir défini l’intérêt que peut avoir le recours à la technique de blockchain
(I), il s’agira de définir ses avantages (II), ses premières réalisations (III)
et les difficultés juridiques auxquelles elle se heurte (IV).
La blockchain : pour quoi faire ?
Des
initiatives de recherches et les différents projets actuels indiquent que la
technologie de la blockchain pourrait potentiellement apporter de nombreuses
solutions aux défis énergétiques. Les exigences des systèmes énergétiques
futurs peuvent être résumées par trois grands principes : la
décarbonation, la décentralisation et la digitalisation, tel que spécifié dans
le paquet « union de l’énergie » de la Commission européenne1. Cependant, la structure des réseaux
énergétiques apparaît peu adaptée à la génération d’électricité de la part de
particuliers et surtout à l’injection de cette dernière sur les réseaux.
La
blockchain est un système collaboratif de gestion d’un registre distribué,
pouvant fournir différents services liés à la donnée comme son stockage,
son échange ou encore l’exécution d’un code dans le cadre des smart
contracts. La blockchain possède désormais un mode de gestion évitant qu’un
seul acteur détienne les droits de détention, de lecture, d’écriture et de
validation de ces données. Ce modèle peut être intéressant dans les opérations
d’autoconsommation collective, en dématérialisant le processus d’analyse de
l’énergie consommée et/ou disponible ainsi qu’en dématérialisant les contrats
de fourniture d’électricité.
La
blockchain pourrait ainsi représenter un vecteur de désintermédiation pour
l’autoconsommation collective au travers de la désignation d’un opérateur
de comptage/prestataire de service qui serait chargé d’interpréter les données
recueillies par le comptage de la consommation électrique. Les opérateurs
transmettent des données de comptage « brutes » au prestataire
qui leur rendent les résultats intégrant les transactions entre participants à
l’autoconsommation collective.
Un réseau
énergétique utilisant la blockchain permet également une productivité plus
conséquente en supprimant les intermédiaires : en effet, les transactions
étant automatisées, le lien de confiance envers les acteurs du secteur n’a pas
besoin d’être réaffirmée. L’architecture de la blockchain dans le cadre
énergétique permet donc la réalisation de transactions relatives à des flux
électriques sans la présence d’intermédiaires, ce qui implique une
traçabilité parfaite des données tout en rendant impossible la création de
transactions fictives.
Les avantages liés à la
blockchain dans le cadre de la transition énergétique
La
transition énergétique présente de nombreux défis : la production
d’énergie est en pleine transformation en devenant plus volatile et
décentralisée, les consommateurs peuvent devenir producteurs et les
fournisseurs agrégateurs (les « prosumers » ou « consomm’acteurs »),
tandis que les autres acteurs intermédiaires doivent s’adapter à ces
évolutions. La blockchain peut permettre l’avènement de marchés locaux de
l’électricité (« microgrids ») ainsi qu’une meilleure
information des consommateurs quant à leur consommation énergétique. (2)
Dans le
contexte énergétique, la technologie blockchain repose ainsi sur quatre piliers
principaux : (1.) la technologie peer-to-peer où les
utilisateurs sont interconnectés sans aucune autorité centrale ; (2.) le
registre d’information est « distribué », c’est-à-dire que
tous les participants au réseau ont accès à la même information ; (3.) les
informations sont cryptées afin de protéger leur intégrité et leur
sécurité ; (4.) la vérification de la modification du registre
d’information est effectuée par les participants eux-mêmes qui confirment les
modifications. (3)
Ce système
de blockchain pourrait ainsi tout d’abord contribuer à une plus grande
certification d’informations, en assurant la véracité des certifications
d’origine, des paiements de taxes sur le CO2, ou du système
d’échange des droits d’émission. En effet, la fraude à ces certifications ne
pourrait intervenir dans un système élaboré pour la blockchain puisque les
modifications du registre ne peuvent être effectuées qu’avec l’approbation de
ses participants. Par ailleurs, ce système peut également être utilisé afin
d’enregistrer de manière fiable les informations relatives à la consommation
réelle des collectivités et des particuliers, permettant ainsi une facturation
plus exacte et plus transparente.
La
blockchain permet également la souscription de smart contracts,
c’est-à-dire un contrat dont les termes ont été élaborés de manière
automatique, le système lui-même garantissant l’honnêteté de la transaction.
La
blockchain permet surtout la sécurité des données, le registre contenant
l’ensemble de l’historique des enregistrements effectués depuis sa création,
sans que l’on puisse le modifier. Le caractère décentralisé du registre permet
également de maximiser sa disponibilité, car la probabilité qu’aucun serveur ne
puisse répondre à un instant donné est très faible.
Par ailleurs, un désavantage de la blockchain réside dans son empreinte
énergétique, dûment évaluée dans le cadre de la « mine » des
Bitcoins. En effet, « l’exploration de données » implique de
résoudre des problèmes mathématiques pour valider des transactions. Le grand
nombre de machines fonctionnant simultanément entraîne donc une énorme
consommation d’énergie. En mars 2018, le réseau bitcoin a atteint 57 TWh
de besoins annuels en électricité, (soit plus de 85 % de la consommation
de la République Tchèque). Une seule transaction bitcoin nécessite plus de
500 000 fois plus d’énergie qu’une transaction Visa, ce qui entraîne
d’énormes émissions de carbone. (4)?
Le système
blockchain dans le cadre de l’autoconsommation collective serait évidemment
simplifié en comparaison avec le minage des bitcoins (ou le système blockchain
Ethereum), mais il convient cependant de s’intéresser à l’empreinte carbone que
cela créerait dans le contexte de l’objectif de neutralité carbone en 2050 (5).
Dans le cadre de la vérification de garanties d’origine, la blockchain
pourrait permettre un meilleur suivi de l’échange de ces dernières, tout en
garantissant leur authenticité. Greenpeace a en effet informé le public dans un
rapport de 2018 quant au greenwashing effectué par les fournisseurs d’énergies
prétendant vendre une électricité « verte » lorsque ce n’était
pas le cas (6). Pourtant, la directive
2009/28/CE, désormais la directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à
la promotion de l’utilisation d’énergie à partir de sources renouvelables,
précise la procédure devant être effectuée en ce qui concerne les garanties
d’origine.
L’article 19(2)
de cette dernière dispose que « Les États
membres peuvent prévoir que des garanties d’origine soient émises pour des
énergies produites à partir de sources non renouvelables. L’émission de garanties
d’origine peut être soumise à une limite minimale de capacité. La garantie
d’origine correspond à un volume type de 1 MWh. Une garantie d’origine est
émise au maximum pour chaque unité d’énergie produite. Les États membres
veillent à ce que la même unité d’énergie produite à partir de sources
renouvelables ne soit prise en compte qu’une seule fois. ».
Dans ce cadre, la blockchain peut permettre la traçabilité de
l’électricité dans un registre digital, en inscrivant sur ce dernier les
caractéristiques propres à une certaine quantité d’énergie produite. L’on
pourrait ainsi envisager le remplacement du registre du régulateur national
Powernext par un registre tenu grâce à la blockchain. Cela permettrait une
clarté plus conséquente pour les consommateurs et les producteurs en évitant le
greenwashing actuel. En revanche, il convient de déplorer le fait que la
directive ne prévoie des garanties d’origine que pour des unités de 1 MWh,
puisque cela ne peut concerner les petits et moyens projets ne produisant que
des faibles montants d’énergies.
Enfin, la
blockchain serait évidemment un outil majeur dans le suivi et le diagnostic en
temps réel de la consommation énergétique. En effet, elle pourrait permettre
d’instaurer de l’échange peer-to-peer et de l’autoconsommation
collective dans un système décentralisé. Les producteurs et les consommateurs
pourraient ainsi échanger l’énergie dans un cadre harmonisé, stable et
sécurisé.
Les exemples déjà en cours
De nombreux États ont mis en place des projets liés à la blockchain et
plus spécifiquement dans le cadre de « quartiers connectés » à
New York ou Amsterdam, et ce afin de permettre une meilleure maîtrise de la
consommation énergétique.
À Amsterdam, le projet City-zen connecte plus de
10 000 personnes à un réseau intelligent permettant des optimisations à moindre
coût, l’intégration de la production d’électricité renouvelable et l’assurance
de la bonne distribution de l’énergie électrique. En effet, un citoyen connecté
à ce réseau peut aisément produire de l’électricité et la vendre à son voisin.
Aux États-Unis, un excellent exemple de l’interaction entre blockchain et
autoconsommation collective est le projet de Transactive Grid dans le quartier
de Brooklyn, qui met en relation des maisons d’un même quartier produisant de
l’énergie photovoltaïque et dont la rémunération des transactions est effectuée
en cryptomonnaie (bitcoin majoritairement) (7).
En Allemagne, le projet local Conjoule s’est allié avec l’entreprise
énergétique Innogy afin de créer un micro-réseau où les producteurs d’énergie
et les consommateurs peuvent interagir sans intermédiaire. Ce projet compte
ainsi sur un compteur intelligent installé chez chaque producteur et mesure le
soutirage de l’électricité sur le réseau. En retour, les consommateurs peuvent
savoir à quel moment de la journée l’électricité est plus abondante et donc bon
marché, l’intégralité des données étant partagée entre participants. (8)
En France, les entreprises Microsoft, Bouygues construction et Energisme
ont mis en place un projet similaire dont le but est d’intégrer des solutions
innovantes aux éco-bâtiments du quartier Confluence à Lyon (9). Ce projet de micro-réseau permet une
solution basée sur une technologie blockchain pour la gestion de
l’autoconsommation collective. Les données de consommation et de production
d’électricité sont cryptées, signées et enregistrées directement à partir des
compteurs communicants (10).
Le développement de cette interaction entre blockchain et
autoconsommation se fait cependant discret, du fait du cadre juridique français
incertain autour de l’autoconsommation collective ne favorisant pas de tels
projets. En effet, le périmètre susceptible d’être utilisé en autoconsommation
est trop restreint pour des projets plus conséquents, malgré l’adoption de
l’amendement sur la loi PACTE et dans l’attente de l’arrêté ministériel prévu
par son article 43.
Les écueils du cadre juridique français relativement
à la blockchain
En dehors des lacunes quant au régime juridique entourant
l’autoconsommation collective en France, laquelle prévoit l’intervention du
gestionnaire de réseau et des conditions fiscales peu encourageantes (par ex.
le TURPE), d’autres obstacles juridiques freinent le développement de la
blockchain dans le secteur énergétique.
Par exemple, la souscription de smart contracts peut être délicate
a priori, puisque les contrats en droit français ne sont pas formés de
manière automatique, tel que disposé depuis la réforme de 2016 par les
articles 1101 et suivants du Code civil. L’on pourrait cependant imaginer une
adaptation permettant de souscrire à un contrat une seule fois de manière
« classique », mais dont les dispositions changeraient en
fonction des données recueillies par l’opérateur du système grâce à la
blockchain (prix dégressifs, baisse de consommation). Les échanges réalisés,
s’ils ne nécessitent pas de tiers comme un distributeur, ne sont pas couverts
par un contrat, la validation de la transaction sur la blockchain ne s’y substituant
pas légalement. Ce vide légal serait bien problématique en cas de litige sur
les volumes fournis.
En ce qui concerne le potentiel usage des cryptomonnaies,
l’article L. 111-1 du Code monétaire et financier dispose que la monnaie en France reste
l’euro. La loi PACTE prévoit des aménagements quant à l’utilisation des
cryptomonnaies comme le Bitcoin dans le domaine des assurances-vie, mais pas
spécifiquement en ce qui concerne le paiement relatif à une exécution
contractuelle.
Enfin, un obstacle demeure quant au rôle que joue le
gestionnaire de réseau dans l’autoconsommation collective, puisque ce dernier
contrôle l’injection d’énergie sur le réseau. Or, ce passage par un
intermédiaire va à l’encontre de réseaux liés par la blockchain dans un périmètre
plus élargi qu’un quartier d’une ville. L’article 17(1) de la directive
2018/2001?dispose que « Les
États membres établissent une procédure de notification simple pour les
connexions au réseau par laquelle les installations ou les unités de production
agrégées des autoconsommateurs d’énergies renouvelables et les projets de
démonstration d’une capacité électrique inférieure ou égale à 10,8 kW, ou
équivalente pour le raccordement autres que les connexions triphasées, doivent
être raccordés au réseau à la suite d’une notification au gestionnaire de
réseau de distribution ». La transposition de la directive devant être
effectuée avant 2021, il semble que les modalités ou le rôle joué par le
gestionnaire de réseau doivent évoluer afin d’atteindre l’objectif de promotion
de l’utilisation des énergies renouvelables présent dans cette dernière.
Conclusion
La blockchain pourrait permettre un vrai changement s’inscrivant dans la
transition écologique et énergétique. Les producteurs d’électricité pourraient
vendre l’électricité produite directement sur le réseau, l’usage de la
blockchain permettant de mesurer la distribution de l’énergie et surveiller le
respect des clés de répartition. Cette configuration en peer-to-peer
modifierait le rôle pour le moment attribué au gestionnaire de réseau puisque
son intervention ne serait plus requise. Par ailleurs, cette technologie peut
avoir un impact net sur la société et les consommateurs en leur laissant le
choix de consommer de l’énergie vraiment verte au travers des garanties
d’origine qui seraient ainsi infalsifiables.
NOTES :
1)
Communication de la Commission européenne, Cadre stratégique pour une Union de
l’énergie résiliente, dotée d’une politique clairvoyante en matière de
changement climatique, Paquet « union de l’énergie »,
25 février 2015, COM 2015 (80) final.
2) Blockchain
technology in the energy sector : A systematic review of challenges and
opportunities, M. Andoni et al, Renewable and Sustainable Energy
Reviews, vol. 100, février 2019 : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1364032118307184
3)
https://www.pwc.fr/fr/assets/files/pdf/2018/12/fr-pwc-transition-energetique-blockchain.pdf
4) Que
signifie la blockchain pour le secteur des énergies renouvelables ? EKOE
energy : https://www.ekoenergy.org/fr/what-does-blockchain-mean-for-the-renewable-energy-sector/
5)
Communication de la Commission Européenne, A Clean Planet for all A
European strategic long-term vision for a prosperous, modern, competitive and
climate neutral economy, COM 2018/773, 28 novembre 2018 :
https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/docs/pages/com_2018_733_en.pdf
6)
https://www.guide-electricite-verte.fr/
7) https://lo3energy.com/
8) http://newenergyupdate.com/blockchain-energy/innogy-and-conjoule-offer-community-solar-test-case-key-questions-remain
9) https://www.actu-environnement.com/ae/news/bouygues-blockchain-lyon-photovoltaique-autogestion-smart-grid-27675.php4
10) https://www.bouygues-immobilier-corporate.com/fr/communique-de-presse/bouygues-immobilier-sassocie-stratumn-et-energisme-pour-deployer-une
Corinne Lepage,
CEO Huglo Lepage Avocats,
Docteur en droit,
Avocate à la Cour
Amélie Noilhac,
Huglo Lepage Avocats,
Juriste