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La liste des médiateurs près les cours d’appel, une étape vers le développement de la médiation judiciaire ?

La liste des médiateurs près les cours d’appel, une étape vers le développement de la médiation judiciaire ?
Publié le 16/06/2018 à 08:55

Si de nombreuses voix appellent au développement de la médiation judiciaire, la constitution des listes de médiateurs près les cours d’appel, initiée par le décret du 9 octobre 2017, semble aller dans ce sens. Alors que les candidatures sont toujours en cours d’instruction, un colloque animé par Didier Faury, président de l’Institut d’Expertise, d’Arbitrage et de Médiation (IEAM), est revenu, le 5 juin dernier, dans la grande salle d’audience du Tribunal de commerce de Paris, sur ce nouvel outil. Un outil qui ne doit pas aller sans un effort des juridictions pour promouvoir les modes de résolution amiable des conflits.


 « La loi pour la modernisation de la justice du XXIè siècle a préconisé, pour accompagner le développement du recours aux modes alternatifs de règlement des litiges, que les cours d’appel établissent des listes qui référenceraient les médiateurs qui s’étaient fait connaître. L’idée étant de permettre aux magistrats de savoir vers qui se tourner pour encourager les parties à partir en médiation lorsque le litige s’y prête », a rappelé Ségolène Pasquier, adjointe au chef de bureau de l’accès au droit et de la médiation au Secrétariat général du ministère de la Justice. Cette même loi disposait qu’un décret devait être pris dans les 6 mois de sa publication, en précisant les modalités de ces listes. Pourtant, avec la fin du mandat présidentiel de l’ex-président Hollande et l’adoption d’un certain nombre de textes, ce décet était quelque peu tombé aux oubliettes. Ce n’est donc que le 11 octobre 2017 qu’a été publié au Journal officiel le décret du 9 octobre 2017 relatif aux listes des médiateurs auprès de la cour d'appel. Ce dernier, pris en application de l'article 8 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle modifiant la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, (notamment son article 22-1A, selon lequel chaque cour d'appel établit, pour l'information des juges, une liste des médiateurs, qui comporte une rubrique spéciale pour les médiateurs familiaux), a par la suite été précisé par une dépêche du 8 février 2018, fruit d'une coope´ration de plus d'un an entre les principaux organismes de médiation, venue compléter certains points ; l’aboutissement d’un long processus.



Pas de liste nationale


L’absence d’une liste nationale, comme pour les experts, n’empêche pas que les juges qui ne trouvent pas le médiateur qu’ils souhaitent sur la liste de leur cour d’appel puissent aller chercher ailleurs un autre professionnel, a souligné Ségolène Pasquier. Par ailleurs, cette dernière a affirmé que même si les listes avaient été pensées pour que candidatent des personnes qui habitent ou ont leur activité professionnelle dans le ressort d’une cour d’appel donnée, les médiateurs ont malgré tout la possibilité de s’inscrire sur la liste de leur choix, comme l’indique la dépêche du 8 février 2018, qui affirme que « Les médiateurs peuvent solliciter leur inscription dans plusieurs cours d'appel, sans condition de résidence ou d'activité ». Ce qui n’est pas sans représenter une difficulté, puisque « cela entraîne un afflux massif de candidatures, et une difficulté d’instruction des dossiers », a toutefois nuancé l’adjointe au chef de bureau de l’accès au droit et de la médiation.


En dépit de l’existence de listes de médiateurs préexistantes - notamment la liste gérée par la Commission d'Évaluation et de Contrôle de la Médiation de la Consommation pour les litiges en la matière ; or, « il ne paraissait pas judicieux de mêler deux types de médiation, car la médiation à la consommation est gratuite, et, même s’il ne s’agit pas d’une profession réglementée, les médiateurs ont à cœur de pouvoir être rémunérés pour le travail fourni », a indiqué Ségolène Pasquier -, les cours d’appel ont été sommées d’établir d’ici la fin de l’année 2018 leur liste de médiateurs sur le modèle des listes d’experts judiciaires. Christophe Baconnier, conseiller à la cour d’appel de Paris, magistrat coordonnateur en matière de conciliation et de médiation, fait partie de l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel qui examine actuellement les candidatures. Cette dernière instruit actuellement les dossiers de candidatures jusqu’à novembre, à l’issue de quoi les médiateurs retenus seront inscrits sur la liste : les candidats retenus effectueront leur prestation de serment, tandis que ceux qui n’ont pas été retenus se verront notifier une décision de rejet.



Candidatures : quelles conditions ?


Se pose la question de l’appréciation des candidatures lors de l’instruction. En quoi un médiateur satisfait ou ne satisfait pas à l’inscription sur la liste ? « Nous ne contrôlerons pas la qualité des médiateurs. Dire ce qu’est un bon médiateur, ou ce qu’est un médiateur performant, nous ne le savons pas, nous ne le ferons pas. La Première présidente de la cour d’appel de Paris avait appelé de ses vœux la création d’un conseil national de la médiation, qui aurait notamment pour objet de recenser et évaluer pratiques dans les différents champs de la médiation :  c’est- à cette instance qu’il appartiendra de dire ce qu’est un bon médiateur. L’objet de notre instruction consiste seulement à vérifier si les conditions prévues par les textes sont remplies », a précisé Christophe Baconnier.


Si la loi ne précise pas les conditions pour figurer sur ces listes, le décret d’application et la dépêche que le ministère de la justice a publiée le 8 février ont apporté des précisions - avec un petit air de déjà-vu. « Sur la liste des médiateurs, l’idée était de faire avec les réglementations existantes », s’est défendue Ségolène Pasquier. Le décret n’a donc pas créé de conditions ex nihilo, mais s’est contenté de reprendre certaines conditions de l’article 131-5 du Code de procédure civile. « Il aurait pu être possible de modifier ces compétences requises, mais cela supposait de modifier ces articles et de nombreux textes qui en découlaient : cela n’a pas été jugé opportun », a indiqué l’adjointe au chef de bureau de l’accès au droit et de la médiation. Aux termes de cet article 131-5,  cinq critères sont en effet imposés au médiateur en médiation judiciaire : ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire ; ne pas avoir été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative ; posséder la qualification requise eu égard à la nature du litige ;  justifier d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ; ou présenter les garanties d’indépendance nécessaires à l’exercice de la médiation. Pour l’établissement des listes près les cours d’appel, les critères de sélection retenus par l’article 2 du décret du 9 octobre 2017 et par la dépêche du 8 février 2018 reprennent ainsi la condition liée au casier judiciaire, celle qui impose l’honorabilité, et celle requérant une formation ou une expérience adaptée à la pratique de la médiation. Concernant cette dernière, Christophe Baconnier l’a souligné : « Comme on peut le lire, il s’agit d’une condition alternative : le médiateur n’est pas obligé d’avoir à la fois la formation et l’expérience, il ne peut avoir que l’une ou l’autre, et pour autant satisfaire aux conditions ». La cour d’appel examine d’abord la condition de formation, avec toutefois un obstacle : le texte est en effet muet quant à la durée d’une telle formation. A partir de combien d’heures peut-on alors estimer qu’un médiateur entre dans les clous du décret ?


En effet, comme l’a rappelé Ségolène Pasquier, « La médiation n’est pas une profession réglementée : il  existe donc beaucoup de formations, mais aucun diplôme officiel qui puisse être exigé comme tel pour pouvoir permettre à quelqu’un de se dire médiateur. Le seul diplôme qui existe est un diplôme d’Etat de la médiation familiale ». Les formations existantes sont donc nombreuses, et dispensent un quota d’heures de formation aléatoire. « Nous avons regardé ce qui existait ailleurs, et nous avons retenu comme instrument de référence celui du Centre National de Médiation des Avocats (CNMA), pour qui les avocats, afin d’être référencés comme médiateurs, doivent justifier de 200 heures de formation, que ce soit en formation initiale, en formation continue et à travers des ateliers pratiques », a expliqué le magistrat. La cour d’appel de Paris vérifie donc selon le même système si les médiateurs justifient bien de 200 heures de formation. Lorsque les pièces justificatives ne permettent pas d’établir que cette condition est bien remplie, les commissions s’intéressent alors à l’expérience pratique des candidats - ce qui est généralement suffisamment éloquent. « Sur la centaine de candidatures que j’ai instruites pour l’instant, 98 font l’objet d’un avis favorable », s’est réjoui Christophe Baconnier. De son côté, Ségolène Pasquier a pointé qu’il était « important, non seulement de se prévaloir d’un diplôme, mais de montrer qu’on s’en est servi. Il ne s’agit pas d’écarter des personnes nouvelles - au contraire, on cherche à ouvrir cette opportunité aux personnes qui ont du mal à se faire connaître - mais si on est titulaire du diplôme depuis longtemps et que l’on n’a jamais pratiqué, il est nécessaire de soutenir ce diplôme par de la pratique et par une formation continue ».



« Un travail important à mener »


« A mon sens, pour que la médiation fonctionne, il est indispensable que le juge soit prescripteur, qu’il y ait concomitance entre la proposition du juge et l’entretien proposé par le médiateur aux parties, et qu’il existe une permanence entre le médiateur et le juge », a affirmé Christophe Baconnier. Edmée Bongrand, présidente de la 5e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, a pour sa part qualifié la création des listes d’ « avancée notable », mais a néanmoins laissé entendre qu’un travail important restait encore à mener pour voir se développer la médiation judiciaire, aussi bien par le législateur que dans les tribunaux. Sur la loi, cette dernière s’est notamment interrogée sur la notion de contrainte à la médiation, dans l’attente du texte qui sera adopté suite au projet de loi de programmation pour la justice : « Est-ce que le juge doit inviter ou enjoindre les parties à recourir à la médiation ? Car, pour moi, ce n’est pas la même chose : forcer quelqu’un à faire la trêve, peut avoir une dimension gênante et décourageante ». Ségolène Pasquier a estimé de son côté qu’un aspect obligatoire n’était pas forcément rebutant, et a souhaité pour cela mettre en exergue l’expérimentation de la tentative de médiation préalable obligatoire, instaurée par l’article 7 de la loi du 18 novembre 2016, en citant notamment l’exemple de Pontoise, une des onze juridictions expérimentales, dont les « retours des médiateurs sont très favorables ». L'article 2 du projet de loi de programmation pour la justice prévoit quant à lui d'étendre cette tentative préalable obligatoire de résolution amiable, actuellement prévue pour les litiges devant le tribunal d'instance introduits par déclaration au greffe, aux litiges portés dorénavant devant le tribunal de grande instance, lorsque la demande porte sur le paiement d'une somme et n'excède pas un montant défini par décret en Conseil d'État, ou lorsqu'elle a trait à un conflit de voisinage. Par ailleurs, il est à noter que ce même article 2 comprend plusieurs mesures relatives à la médiation : il est également proposé que le juge puisse désormais enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur en tout état de la procédure, y compris en appel, lorsqu'il estime qu'une résolution amiable est possible, mais aussi de permettre au juge aux affaires familiales, avec l'accord des parties, d'ordonner une médiation dans la décision statuant définitivement sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.


Pour que la médiation fonctionne, la présidente de la 5e chambre a également invité les magistrats à un effort de pédagogie : « Encore aujourd’hui, dans l’esprit des parties, le recours à la médiation n’est pas clair. Il faut que les magistrats améliorent leur approche de la médiation, leurs explications », a-t-elle estimé. Aussi, le coût de la médiation, qui n’est, selon elle, « pourtant pas si élevé, eu égard au travail effectué par les médiateurs et à l’importance des enjeux dans des dossiers aux aspects financiers importants ou à forte trame familiale », reste tout de même à ajouter aux autres frais de justice, et peut facilement décourager des parties, d’autant plus si elles ont été mal aiguillées vers la médiation. Edmée Bongrand a donc envisagé la généralisation de permanences de médiateurs dans les tribunaux : « Dans les tribunaux d’instance, j’ai déjà vu des conciliateurs qui attendaient dans un bureau à côté de la salle d’audience, pour intervenir rapidement le cas échéant. Cela fonctionnait, car il n’y a pas de perte de temps, les parties restent dans une dynamique de conciliation - ce qui est fondamental, car choses peuvent très vite retomber ». Pour elle, le développement et le succès de la médiation doivent donc passer par des « stratagèmes physiques ». « Cela permettra aux parties - et même à tous ceux qui se rendent au tribunal - de voir que cette permanence existe, d’aller se renseigner, et au juge, d’orienter vers ces structures ».  


Toujours en matière de pédagogie, « Il y a aussi un travail à mener auprès des avocats qui sentent un danger planer au-dessus de leurs dossiers lorsqu’on parle de médiation », a reconnu Edmée Bongrand. Mais les avocats et les parties ne sont pas les seuls dans le viseur : le président de l’IEAM, Didier Faury, a attiré l’attention sur une nécessaire « sensibilisation du juge à l’intérêt de la médiation ». En effet, pour convaincre les parties du bien-fondé du recours à ce mode de règlement amiable, « encore faut-il qu’ils soient eux-mêmes convaincus des bienfaits de cette procédure ? », a-t-il estimé, se questionnant sur une formation des magistrats à ce sujet.



L’exemple du tribunal de commerce de Paris


Patrick Coupeaud, juge au tribunal de commerce de Paris, a en tout cas témoigné d’une prise en compte croissante, dans les tribunaux de commerce, de la nécessité de recourir aux modes amiables de résolution des différends, bien que du chemin reste encore à parcourir. En effet, en 2017, sur 134 tribunaux de commerce français, 65 ont déclaré y avoir eu recours. Le tribunal de commerce de Paris développe plutôt la conciliation que la médiation, comme la plupart des tribunaux de commerce, puisqu’en 2017, 2447 conciliations ont été menées, pour 46 médiations ; et, au tribunal de commerce de Paris, 470 conciliations pour 3 médiations. « Notre pratique a été relativement systématisée depuis 5 ans », s’est félicité Patrick Coupeaud. « L’originalité de notre tribunal, c’est que nous engageons la conciliation ab initio, c’est-à-dire dès l’arrivée du dossier devant la chambre de placement et de conciliation ». Par ailleurs, la pratique est tellement développée que le magistrat en a témoigné : « Il nous arrive que la médiation soit proposée aux parties par le juge des référés, ou encore dans le cadre des procédures collectives ». En outre, le tribunal a développé un fichier des juges conciliateurs à disposition de tous les juges, recensant leurs spécialités, et a également développé depuis deux ans des « référents à la conciliation », qui sont des juges nommés par le président de chaque chambre. Si la conciliation est donc largement rentrée dans les mœurs du tribunal de commerce de Paris, reste donc à espérer, pour les promoteurs de la médiation, que celle-ci se développe sur ce modèle dans les différentes juridictions.





Bérengère Margaritelli


 


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