Si
de nombreuses voix appellent au développement de la médiation judiciaire, la
constitution des listes de médiateurs près les cours d’appel, initiée par le
décret du
9 octobre 2017, semble aller dans ce sens. Alors que les candidatures sont
toujours en cours d’instruction, un colloque animé par Didier Faury, président
de l’Institut d’Expertise, d’Arbitrage et de Médiation (IEAM), est revenu, le 5
juin dernier, dans la grande salle d’audience du Tribunal de commerce de Paris,
sur ce nouvel outil. Un outil qui ne doit pas aller sans un effort des
juridictions pour promouvoir les modes de résolution amiable des conflits.
« La
loi pour la modernisation de la justice du XXIè siècle a préconisé, pour
accompagner le développement du recours aux modes alternatifs de règlement des
litiges, que les cours d’appel établissent des listes qui référenceraient les
médiateurs qui s’étaient fait connaître. L’idée étant de permettre aux
magistrats de savoir vers qui se tourner pour encourager les parties à partir
en médiation lorsque le litige s’y prête », a rappelé Ségolène
Pasquier, adjointe au chef de bureau de l’accès au droit et de la médiation au
Secrétariat général du ministère de la Justice. Cette même loi disposait qu’un
décret devait être pris dans les 6 mois de sa publication, en précisant les
modalités de ces listes. Pourtant, avec la fin du mandat présidentiel de
l’ex-président Hollande et l’adoption d’un certain nombre de textes, ce décet
était quelque peu tombé aux oubliettes. Ce n’est donc que le 11 octobre 2017
qu’a été publié au Journal officiel le décret du 9 octobre 2017 relatif aux
listes des médiateurs auprès de la cour d'appel. Ce dernier, pris en
application de l'article 8 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la
justice du XXIe siècle modifiant la loi du 8 février 1995 relative à
l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et
administrative, (notamment son article 22-1A, selon lequel chaque cour d'appel
établit, pour l'information des juges, une liste des médiateurs, qui comporte
une rubrique spéciale pour les médiateurs familiaux), a par la suite été précisé par une dépêche du 8
février 2018, fruit d'une coope´ration de plus d'un an entre les
principaux organismes de médiation, venue compléter certains points ; l’aboutissement d’un long processus.
Pas
de liste nationale
L’absence d’une
liste nationale, comme pour les experts, n’empêche pas que les juges qui ne
trouvent pas le médiateur qu’ils souhaitent sur la liste de leur cour d’appel
puissent aller chercher ailleurs un autre professionnel, a souligné Ségolène
Pasquier. Par ailleurs, cette dernière a affirmé que même si les listes avaient
été pensées pour que candidatent des personnes qui habitent ou ont leur
activité professionnelle dans le ressort d’une cour d’appel donnée, les médiateurs ont
malgré tout la possibilité de s’inscrire sur la liste de leur choix, comme
l’indique la dépêche du 8 février 2018, qui affirme que « Les médiateurs peuvent solliciter leur inscription dans plusieurs
cours d'appel, sans condition de résidence ou d'activité ».
Ce qui n’est pas sans représenter une difficulté, puisque « cela
entraîne un afflux massif de candidatures, et une difficulté d’instruction des
dossiers », a toutefois nuancé l’adjointe au chef de bureau de l’accès
au droit et de la médiation.
En dépit de
l’existence de listes de médiateurs préexistantes - notamment la liste gérée
par la Commission d'Évaluation et de Contrôle de la Médiation de la
Consommation pour les litiges en la matière ; or, « il ne paraissait
pas judicieux de mêler deux types de médiation, car la médiation à la
consommation est gratuite, et, même s’il ne s’agit pas d’une profession
réglementée, les médiateurs ont à cœur de pouvoir être rémunérés pour le
travail fourni », a indiqué Ségolène Pasquier -, les cours d’appel ont
été sommées d’établir d’ici la fin de l’année 2018 leur liste de médiateurs sur
le modèle des listes d’experts judiciaires. Christophe Baconnier, conseiller à
la cour d’appel de Paris, magistrat coordonnateur en matière de conciliation et
de médiation, fait partie de l’assemblée générale des magistrats du siège de la
cour d’appel qui examine actuellement les candidatures. Cette dernière instruit
actuellement les dossiers de candidatures jusqu’à novembre, à l’issue de quoi
les médiateurs retenus seront inscrits sur la liste : les candidats
retenus effectueront leur prestation de serment, tandis que ceux qui n’ont pas
été retenus se verront notifier une décision de rejet.
Candidatures
: quelles conditions ?
Se pose la
question de l’appréciation des candidatures lors de l’instruction. En quoi un
médiateur satisfait ou ne satisfait pas à l’inscription sur la liste ?
« Nous ne contrôlerons pas la qualité des médiateurs. Dire ce qu’est un
bon médiateur, ou ce qu’est un médiateur performant, nous ne le savons pas,
nous ne le ferons pas. La Première présidente de la cour d’appel de Paris avait
appelé de ses vœux la création d’un conseil national de la médiation, qui
aurait notamment pour objet de recenser et évaluer pratiques dans les
différents champs de la médiation : c’est- à cette instance qu’il
appartiendra de dire ce qu’est un bon médiateur. L’objet de notre instruction consiste
seulement à vérifier si les conditions prévues par les textes sont remplies »,
a précisé Christophe Baconnier.
Si la loi ne
précise pas les conditions pour figurer sur ces listes, le décret d’application
et la dépêche que le ministère de la justice a publiée le 8 février ont apporté
des précisions - avec un petit air de déjà-vu. « Sur la liste des
médiateurs, l’idée était de faire avec les réglementations existantes »,
s’est défendue Ségolène Pasquier. Le décret n’a donc pas créé de conditions ex
nihilo, mais s’est contenté de reprendre certaines conditions de l’article 131-5
du Code de procédure civile. « Il aurait pu être possible de modifier
ces compétences requises, mais cela supposait de modifier ces articles et de
nombreux textes qui en découlaient : cela n’a pas été jugé opportun »,
a indiqué l’adjointe au chef de bureau de l’accès au droit et de la médiation. Aux
termes de cet article 131-5, cinq critères sont en effet imposés au
médiateur en médiation judiciaire : ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation,
d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 2 du casier
judiciaire ; ne pas avoir été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la
probité et aux bonnes mœurs ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou
administrative ; posséder la qualification requise eu égard à la nature du
litige ; justifier d’une formation ou d’une expérience adaptée à la
pratique de la médiation ; ou présenter les garanties d’indépendance
nécessaires à l’exercice de la médiation. Pour l’établissement des listes près
les cours d’appel, les critères de sélection retenus par l’article 2 du décret
du 9 octobre 2017 et par la dépêche du 8 février 2018 reprennent ainsi la
condition liée au casier judiciaire, celle qui impose l’honorabilité, et celle requérant
une formation ou une expérience adaptée à la pratique de la médiation.
Concernant cette dernière, Christophe Baconnier l’a souligné : « Comme
on peut le lire, il s’agit d’une condition alternative : le médiateur n’est pas
obligé d’avoir à la fois la formation et l’expérience, il ne peut avoir que
l’une ou l’autre, et pour autant satisfaire aux conditions ». La cour
d’appel examine d’abord la condition de formation, avec toutefois un obstacle :
le texte est en effet muet quant à la durée d’une telle formation. A partir de
combien d’heures peut-on alors estimer qu’un médiateur entre dans les clous du
décret ?
En effet, comme
l’a rappelé Ségolène Pasquier, « La médiation n’est pas une profession
réglementée : il existe donc
beaucoup de formations, mais aucun diplôme officiel qui puisse être exigé comme
tel pour pouvoir permettre à quelqu’un de se dire médiateur. Le seul diplôme
qui existe est un diplôme d’Etat de la médiation familiale ». Les
formations existantes sont donc nombreuses, et dispensent un quota d’heures de
formation aléatoire. « Nous avons regardé ce qui existait ailleurs, et
nous avons retenu comme instrument de référence celui du Centre National de
Médiation des Avocats (CNMA), pour qui les avocats, afin d’être référencés
comme médiateurs, doivent justifier de 200 heures de formation, que ce soit en
formation initiale, en formation continue et à travers des ateliers pratiques »,
a expliqué le magistrat. La cour d’appel de Paris vérifie donc selon le même
système si les médiateurs justifient bien de 200 heures de formation. Lorsque
les pièces justificatives ne permettent pas d’établir que cette condition est
bien remplie, les commissions s’intéressent alors à l’expérience pratique des
candidats - ce qui est généralement suffisamment éloquent. « Sur
la centaine de candidatures que j’ai instruites pour l’instant, 98 font l’objet
d’un avis favorable », s’est réjoui Christophe Baconnier. De son côté,
Ségolène Pasquier a pointé qu’il était « important, non seulement de se
prévaloir d’un diplôme, mais de montrer qu’on s’en est servi. Il ne s’agit pas
d’écarter des personnes nouvelles - au contraire, on cherche à ouvrir cette
opportunité aux personnes qui ont du mal à se faire connaître - mais si on est
titulaire du diplôme depuis longtemps et que l’on n’a jamais pratiqué, il est
nécessaire de soutenir ce diplôme par de la pratique et par une formation
continue ».
« Un
travail important à mener »
« A mon
sens, pour que la médiation fonctionne, il est indispensable que le juge soit
prescripteur, qu’il y ait concomitance entre la proposition du juge et
l’entretien proposé par le médiateur aux parties, et qu’il existe une permanence
entre le médiateur et le juge », a affirmé Christophe Baconnier. Edmée
Bongrand, présidente de la 5e chambre du Tribunal de grande instance de Paris,
a pour sa part qualifié la création des listes d’ « avancée
notable », mais a néanmoins laissé entendre qu’un travail important restait
encore à mener pour voir se développer la médiation judiciaire, aussi bien par
le législateur que dans les tribunaux. Sur la loi, cette dernière s’est
notamment interrogée sur la notion de contrainte à la médiation, dans l’attente
du texte qui sera adopté suite au projet de loi de programmation pour la justice
: « Est-ce que le juge doit inviter ou enjoindre les parties à recourir
à la médiation ? Car, pour moi, ce n’est pas la même chose : forcer quelqu’un à
faire la trêve, peut avoir une dimension gênante et décourageante ».
Ségolène Pasquier a estimé de son côté qu’un aspect obligatoire n’était pas
forcément rebutant, et a souhaité pour cela mettre en exergue l’expérimentation
de la tentative de médiation préalable obligatoire, instaurée par l’article 7
de la loi du 18 novembre 2016, en citant notamment l’exemple de Pontoise, une
des onze juridictions expérimentales, dont les « retours des médiateurs
sont très favorables ». L'article 2 du projet de loi de programmation pour la
justice prévoit quant à lui d'étendre cette tentative préalable obligatoire de
résolution amiable, actuellement prévue pour les litiges devant le tribunal
d'instance introduits par déclaration au greffe, aux litiges portés dorénavant
devant le tribunal de grande instance, lorsque la demande porte sur le paiement
d'une somme et n'excède pas un montant défini par décret en Conseil d'État, ou
lorsqu'elle a trait à un conflit de voisinage. Par ailleurs, il est à noter que
ce même article 2 comprend plusieurs mesures relatives à la médiation : il est
également proposé que le juge puisse désormais enjoindre aux parties de
rencontrer un médiateur en tout état de la procédure, y compris en appel,
lorsqu'il estime qu'une résolution amiable est possible, mais aussi de
permettre au juge aux affaires familiales, avec l'accord des parties,
d'ordonner une médiation dans la décision statuant définitivement sur les
modalités d'exercice de l'autorité parentale.
Pour que la
médiation fonctionne, la présidente de la 5e chambre a également invité les
magistrats à un effort de pédagogie : « Encore aujourd’hui, dans
l’esprit des parties, le recours à la médiation n’est pas clair. Il faut que
les magistrats améliorent leur approche de la médiation, leurs explications »,
a-t-elle estimé. Aussi, le coût de la médiation, qui n’est, selon elle, « pourtant
pas si élevé, eu égard au travail effectué par les médiateurs et à l’importance
des enjeux dans des dossiers aux aspects financiers importants ou à forte trame
familiale », reste tout de même à ajouter aux autres frais de justice,
et peut facilement décourager des parties, d’autant plus si elles ont été mal aiguillées
vers la médiation. Edmée Bongrand a donc envisagé la généralisation de
permanences de médiateurs dans les tribunaux : « Dans les tribunaux
d’instance, j’ai déjà vu des conciliateurs qui attendaient dans un bureau à
côté de la salle d’audience, pour intervenir rapidement le cas échéant. Cela
fonctionnait, car il n’y a pas de perte de temps, les parties restent dans une
dynamique de conciliation - ce qui est fondamental, car choses peuvent très
vite retomber ». Pour elle, le développement et le succès de la
médiation doivent donc passer par des « stratagèmes physiques ».
« Cela permettra aux parties - et même à tous ceux qui se rendent au
tribunal - de voir que cette permanence existe, d’aller se renseigner, et au
juge, d’orienter vers ces structures ».
Toujours en
matière de pédagogie, « Il y a aussi un travail à mener auprès des
avocats qui sentent un danger planer au-dessus de leurs dossiers lorsqu’on
parle de médiation », a reconnu Edmée Bongrand. Mais les
avocats et les parties ne sont pas les seuls dans le viseur : le président de
l’IEAM, Didier Faury, a attiré l’attention sur une nécessaire « sensibilisation
du juge à l’intérêt de la médiation ». En effet, pour convaincre les
parties du bien-fondé du recours à ce mode de règlement amiable, « encore
faut-il qu’ils soient eux-mêmes convaincus des bienfaits de cette procédure ? »,
a-t-il estimé, se questionnant sur une formation des magistrats à ce sujet.
L’exemple
du tribunal de commerce de Paris
Patrick
Coupeaud, juge au tribunal de commerce de Paris, a en tout cas témoigné d’une
prise en compte croissante, dans les tribunaux de commerce, de la nécessité de
recourir aux modes amiables de résolution des différends, bien que du chemin
reste encore à parcourir. En effet, en 2017, sur 134 tribunaux de commerce
français, 65 ont déclaré y avoir eu recours. Le tribunal de commerce de Paris
développe plutôt la conciliation que la médiation, comme la plupart des
tribunaux de commerce, puisqu’en 2017, 2447 conciliations ont été menées, pour
46 médiations ; et, au tribunal de commerce de Paris, 470 conciliations pour 3
médiations. « Notre pratique a été relativement systématisée depuis 5
ans », s’est félicité Patrick Coupeaud. « L’originalité de
notre tribunal, c’est que nous engageons la conciliation ab initio,
c’est-à-dire dès l’arrivée du dossier devant la chambre de placement et de
conciliation ». Par ailleurs, la pratique est tellement développée que
le magistrat en a témoigné : « Il nous arrive que la médiation soit
proposée aux parties par le juge des référés, ou encore dans le cadre des
procédures collectives ». En outre, le tribunal a développé un fichier
des juges conciliateurs à disposition de tous les juges, recensant leurs
spécialités, et a également développé depuis deux ans des « référents à
la conciliation », qui sont des juges nommés par le président de
chaque chambre. Si la conciliation est donc largement rentrée dans les mœurs du
tribunal de commerce de Paris, reste donc à espérer, pour les promoteurs de la médiation,
que celle-ci se développe sur ce modèle dans les différentes juridictions.
Bérengère Margaritelli