Le droit du
tourisme est régi par l’Europe.
Plus précisément, la directive 2015/2302 du 25 novembre 2015 relative
aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées est venue modifier le
Code du tourisme français, qui l’a adoptée par transposition effective au 1er
juillet 2018.
Les
opérateurs du tourisme français attendaient beaucoup de cette transposition –
d’harmonisation maximale – qui représentait pour eux l’occasion de voir
définitivement enterrée la responsabilité de plein droit, qui pénalise tant
leur activité dans leurs relations avec leurs clients et avec leurs partenaires
professionnels. Peine perdue cependant : la responsabilité de plein droit,
dérogatoire au texte européen, perdure en France, et elle est même désormais
partagée entre organisateur et détaillant. Selon le gouvernement français, elle représente un droit acquis
au consommateur mais ne déroge pas sur le fond aux principes européens.
La responsabilité de plein droit
Le
professionnel qui vend un forfait touristique (au sens de l’article L. 211-I-1°) est responsable
de plein droit de l’exécution des services prévus au contrat, sous-entendu de
vente du forfait touristique, de manière directe s’il exécute ces
services lui-même, ou indirecte s’il en confie l’exécution à d’autres
prestataires de services de voyage.
Avant la
vente au consommateur, le professionnel doit lui délivrer une offre préalable
écrite comportant pas moins de 15 rubriques obligatoires et un formulaire d’information standardisé
reprenant les droits essentiels du voyageur (JORF n° 0055 du 7 mars 2018 – Texte n° 29 – Arrêté du 1er mars 2018 fixant le modèle de formulaire
d’information pour la vente de voyages et de séjours).
Puis, la
vente du service de voyage est concrétisée par un contrat en version papier ou
par voie électronique, reprenant ces 11 rubriques, auxquelles il convient
d’en ajouter 8 autres, sans
compter les clauses sur l’opposition au démarchage téléphonique, la médiation
et le RGPD).
Le
professionnel conserve son recours contre ses prestataires, dans une action
dont il a été jugé à de nombreuses reprises qu’elle repose sur la preuve de la
faute contractuelle – ou quasi-délictuelles selon les cas – du prestataire (Civ. 1re 15.03.2005 Bull. civ. I n°138).
Le
consommateur qui n’a pas à prouver la faute de son agence de voyage devra
seulement démontrer les non-conformités du service rendu par rapport au contrat
pour obtenir réparation. Selon l’article L. 211-17 du Code, la responsabilité du professionnel se traduit
principalement de deux manières pour le voyageur : une réduction du prix
appropriée pour toute période de non-conformité des services et/ou des
dommages-intérêts (dans les meilleurs délais) pour le préjudice subi du fait de
ces non-conformités.
Surtout, le
Code (même article) détaille désormais toutes les situations qui peuvent se
produire sur place, donnant au consommateur une « grille » de lecture
des situations et des droits de plus en plus étendus en fonction de la gravité
des non-conformités relevées. Au préalable, le consommateur DOIT signaler sur
place la non-conformité. Ensuite, il pourra exiger que les remèdes adéquats
soient apportés par le professionnel, lui donner un délai raisonnable pour
cela, remplacer lui-même les prestations défaillantes et se faire rembourser des dépenses
nécessaires et même demander à mettre fin à son (contrat de) voyage et être rapatrié.
Une responsabilité de plein droit
concernant également les services de voyage
L’article L. 211-16 a pris de l’envergure puisqu’il détaille plus précisément les
contours de cette responsabilité de plein droit. Ainsi, plutôt que de faire
référence aux « opérations mentionnées à l’article L. 211-1 »,
il distingue, après le forfait touristique, les services de voyage de
l’article L. 211-1-I-2°,
visés également par la responsabilité de plein droit,
en prévoyant également le droit de recours du professionnel contre le
prestataire de service. Précisons ici que ces services de voyage correspondent au transport – même si en
réalité le transport vendu seul est exclu des dispositions du Code du tourisme
et plus particulièrement de la responsabilité de plein droit (article L. 211-7)
– au logement, à la location d’un véhicule ou à d’autres services de voyage que
les professionnels ne produisent pas eux-mêmes. Quant aux « autres services de voyage » visés par l’article L. 211-2-I-4°, il
faut aller en chercher des exemples dans les considérants 17 et 18 de la directive 2302, selon
lesquels ces autres services touristiques ne font pas partie intégrante d’un
service de voyage de transport, hébergement ou location de véhicule et peuvent
être : les assurances voyage, l’accès à des concerts ou des
manifestations sportives, des excursions ou des parcs à thème, les visites
guidées, les forfaits ski ou encore les soins en spa. Notons que pour
constituer un forfait touristique et donc entraîner la responsabilité de plein
droit du professionnel, ces services touristiques doivent constituer la
caractéristique essentielle du forfait ou en représenter plus de 25 % du prix global. Par exemple, une nuit
d’hôtel au prix de 100 euros et l’accès à un concert pour 25 euros
vendus ensemble constitue un forfait.
Sur le fond et en termes de protection du consommateur, il faut retenir
que la responsabilité du professionnel, aux niveaux précontractuel comme
contractuel, est la même : documents et clauses obligatoires, formulaire
standard d’information sur les droits essentiels à remettre, absence de faute à
prouver.
Une remarque de fond cependant ici : l’esprit comme la lettre de la
directive 2302 et du Code du tourisme rendent responsables de plein
droit les organisateur ET détaillant. Dans le cadre des futures actions en
justice, il appartiendra d’une part au voyageur de choisir s’il poursuit les
deux professionnels, puis d’autre part au juge de déterminer les parts de
responsabilité, voire d’ordonner des responsabilités solidaires. L’organisateur
et le détaillant sont les professionnels qui élaborent, vendent ou offrent à la
vente les prestations touristiques (forfaits et services de voyage).
Limitation et exonération de
responsabilité
Le consommateur est très protégé mais il existe cependant une – faible –
possibilité pour le professionnel de s’exonérer de cette responsabilité de
plein droit.
Le principe de l’exonération de responsabilité est
maintenu puisqu’il est le corollaire des responsabilités pour faute encadrées
(comme dans la directive) ou, comme en France, de plein droit. Le professionnel
pourra résoudre le contrat ou s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité
s’il prouve que le dommage déploré est imputable soit au voyageur, soit à un
tiers étranger à la fourniture des services et revêt un caractère imprévisible
et inévitable, soit à des circonstances exceptionnelles et inévitables
(articles L. 211-14-III,
L. 211-16-I
répété à L. 211-17-III).
Les circonstances exceptionnelles
et inévitables
Car désormais, la notion de force
majeure, qui répondait à une définition jurisprudentielle parfois fluctuante
autour de l’extériorité (disparue dans le nouvel article 1218 du Code civil,
définissant la force majeure comme l’événement échappant au contrôle du
débiteur, raisonnablement imprévisible lors de la conclusion du contrat et dont
les effets sont inévitables malgré la prise de mesure appropriées), de
l’imprévisibilité lors de la conclusion du contrat et enfin de
l’irrésistibilité, sort du Code du tourisme.
Il est probable que l’appréciation
des juges va évoluer, notamment parce qu’il ne sera plus fait référence à l’imprévisibilité de l’événement au moment de la
conclusion du contrat : il s’agira d’apprécier cumulativement le caractère
exceptionnel d’un événement au moment où il survient, par son amplitude et sa
nature, ainsi que son caractère inévitable pour le professionnel au sens, où
même en tentant de prendre des mesures appropriées et raisonnables, il ne
pourrait en éviter les conséquences. On retrouve la même notion, par
réciprocité, au bénéfice du voyageur qui lui aussi pourra invoquer les
circonstances exceptionnelles et inévitables qui impactent son voyage avant
qu’il commence, pour résoudre son contrat (article L. 211-14-II).
Le Code donne ici au consommateur un droit de résolution avec remboursement,
mais sans indemnisation de son contrat, fondée sur une appréciation en
apparence objective des conséquences des circonstances exceptionnelles et
inévitables sur son contrat : ces circonstances survenant au lieu de
destination ou à proximité immédiate de celui-ci doivent avoir des conséquences
importantes sur l’exécution du contrat ou sur le transport vers le lieu de destination. En pratique, l’appréciation de
ce que sont des « conséquences importantes » et la « proximité immédiate » sera nécessairement subjective et donnera sans doute matière à une jurisprudence au cas par cas.
Le consommateur voit ses droits étendus et
détaillés, mais il ne pourra les exercer que dans les limites d’une
prescription biennale (sauf pour le préjudice corporel), nouvellement applicable
aux réclamations liées au forfait et aux services de voyage, ce qui crée une
logique procédurale avec les recours en responsabilité contre les transporteurs
aériens notamment.
Responsabilité de plein droit maintenue donc au
grand dam des professionnels et de leurs instances représentatives, mais à la
grande satisfaction des associations de consommateurs qui ont eu gain de cause
lors de la transposition de la directive qu’ils considèrent comme un droit
acquis : les professionnels français y sont habitués.
Le droit du tourisme français assume d’être plus
sévère que le droit européen, dans l’objectif de protection du consommateur
voyageur, déjà très protégé par le statut règlementé des agences de voyages,
inscrites sur le registre national géré par Atout France et qui doivent pour
cela notamment fournir une garantie financière couvrant leur éventuelle
défaillance, plus importante que… les banques par exemple, puisqu’elle est
illimitée (ou si l’on veut, limitée par la totalité des fonds déposés par les
voyageurs).
Mais cette protection du consommateur pèse lourd
dans la balance lorsque l’on additionne les nouvelles obligations des
professionnels issues de la directive, aux nouveaux droits des voyageurs tels
que : la justification du mode de calcul des frais d’annulation, le
formulaire d’offre préalable et ses mentions parfois impossibles à respecter
comme les horaires de vol ou l’adaptation du voyage aux personnes à mobilité
réduite, la prise en charge des frais de remplacement, l’annulation du voyage
par le voyageur en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables à
destination ou à proximité, son droit de remplacer lui-même les services qu’il
signale comme non-conformes, etc.
Nous sommes encore dans l’attente de courants
jurisprudentiels fondés sur le nouveau Code pour mesurer l’analyse qu’en feront
les juges, en espérant de leur part une certaine sagesse dans leur appréciation
de ce nouveau droit, certes plus protecteur des consommateurs, mais encore plus
contraignant pour les professionnels.
Emmanuelle Llop,
Avocat Associé,
Équinoxe Avocats