Didier Migaud, Premier président de la Cour
des comptes, était l’invité de Dominique Chagnollaud de Sabouret, président du
Cercle des constitutionnalistes. Fidèle à ses habitudes, le haut magistrat a
tenu un discours clair et franc sur son expérience des comptes publics.
Didier Migaud énonce les missions
sous la responsabilité de la Cour des comptes et donne quelques chiffres. Le
budget de la Cour s’élève à 85 millions d’euros. Environ 780 personnes y
travaillent dont 230 magistrats. Le champ de contrôle excède 1000 milliards
d’euros. L’institution juge la régularité des comptes établis par les comptables
publics dans les différents services de l’État. Elle contrôle l’emploi et la
gestion des fonds publics dont elle synthétise un rapport annuel. Elle édite
également de multiples travaux (quasiment 200 en 2018) destinés à l’information
des citoyens. Elle certifie la régularité, la sincérité et la fidélité des
comptes de l’État depuis la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois
de finances (LOLF) du 1er août 2001. Elle est chargée de la même mission,
notamment pour les organismes nationaux du régime général de la sécurité
sociale depuis la loi organique du 2 août 2005.
L’institution assiste par
ailleurs le Parlement et le gouvernement pour vérifier la bonne exécution des
lois de finances de l’État et des lois de financement de la sécurité sociale. Elle
établit chaque année un rapport sur l’exécution des lois de finances, transmis
au Parlement au mois de juillet.
Enfin, selon l’article 47-2 de la Constitution,
introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la Cour des
comptes, de manière générale, assiste le Parlement dans le contrôle de l’action
du gouvernement. Attachée à ses valeurs, ses traditions, son indépendance, elle
veille à conserver une position équidistante de l’ensemble des pouvoirs publics
et entend se montrer utile à chacun d’entre eux. La préservation de cette place
contribue au crédit dont bénéficie la Cour des comptes. On reproche parfois à
celle-ci de sortir de son rôle, ce à quoi Didier Migaud répond qu’elle raisonne
toujours par rapport aux objectifs définis soit dans un traité international,
soit dans la loi. Elle doit occuper toute sa place, mais rien que sa place!
La
LOLF avait pour objectif de renforcer, de rééquilibrer le pouvoir budgétaire du
Parlement d’une part, et d’autre part, de passer d’une logique de moyens à une
logique de résultat pour aller vers une politique publique plus efficiente,
notamment à travers la responsabilisation du gestionnaire public. Pour le
Premier président, elle a amené de la transparence mais porte son lot de
déception, car la pratique quotidienne s’est éloignée de l’esprit initial de la
loi. Le texte ne fait pas tout, les mentalités, la culture sont essentielles et
demande du temps pour changer.
La révision constitutionnelle de 2008 a apporté
de vrais progrès, avec les semaines de contrôle par exemple, même si elles ne
sont pas parfaitement organisées. Malheureusement, le parlement n’exploite pas
tous les éléments à sa disposition, fournis par la Cour des comptes, la mission
d’évaluation et de contrôle (MEC), ou encore les commissions parlementaires.
Cette masse de travaux finit rarement à l’ordre du jour. Ils ne sont pas
discutés alors qu’ils aboutissent souvent à des constats identiques et
proposent des solutions consensuelles sur des sujets lourds.
Concernant
l’objectif de performance devant favoriser une action publique plus efficace,
des améliorations restent à faire. Les conditions financières contraintes ont
conduit le ministère de l’Économie et des Finances à ne pas changer. On y fait
du ligne à ligne avec les ministères. Cette culture de méfiance, de défiance
entre Bercy et les autres administrations perdure. Tout semble confectionné
pour déresponsabilisé complètement le gestionnaire public. Quand celui-ci veut
faire preuve d’esprit d’initiative, il en est dissuadé par une procédure
budgétaire infantilisante. Or, chaque ministre devrait se sentir son propre
ministre de l’Économie et des Finances. Si c’était les bons rapports et la
bonne façon de faire, le déficit français ne durerait pas depuis 40 ans.
Le
budget est bâti avec des perspectives d’augmentation de la dépense même sans
nouvelle mesure. On observe effectivement une augmentation historiquement
tendancielle tandis que les résultats, l’évaluation, l’efficacité de la dépense
préexistante ne retiennent pas l’attention. De plus, les lobbys ont une
influence évidente. À titre d’exemple, on peut citer l’écotaxe. Pour cette
mesure, votée à l’unanimité au Parlement, l’installation a été particulièrement
coûteuse, pourtant, la contestation a entraîné sa fin (quasiment à l’unanimité
aussi). La recette que les transporteurs routiers devaient générer a été
transférée sur les automobilistes.
Il serait intéressant d’avoir moins de
fonctionnaires, mieux rémunérés, remarque le haut magistrat. Aujourd’hui, le
numérique change la façon de concevoir les services. Si la masse salariale de
l’État n’est pas maîtrisée, alors la dépense publique a peu de chance de l’être
en France. Ainsi, notre pays consacre à l’éducation un niveau de crédit qui se
situe dans la moyenne internationale haute. Mais nos performances médiocres
dans les évaluations mondiales témoignent de décrochages dans plusieurs
domaines. Cet exemple est symptomatique.
Nos résultats ne se trouvent pas à la
hauteur des moyens engagés. Le gouvernement souhaite mettre en avant une
responsabilité managériale. Pour Didier Migaud, entre une responsabilité
politique et une responsabilité pénale, il y a de la place pour une
responsabilité administrative et financière. Le régime de responsabilités
actuelles mérite d’être revu. Par ailleurs, la culture de l’évaluation n’est
pas développée en France, ou alors, on n’en tient pas compte. Dommage, il faut
que les décideurs s’en emparent.
C2M