Un rapport
remis par quatre sénatrices pointe des conseils de prud’hommes en difficulté
malgré un contentieux en baisse, et préconise tout une série de mesures
destinées à booster leur efficacité et à redorer le blason prud’homal.
Au terme de 18 mois de travaux, déplacements
et auditions – dont 13 conseil des prud’hommes (CPH) auscultés – quatre sénatrices ont présenté, le 16
juillet dernier, les conclusions de leur
rapport sur la justice prud’homale, réalisé au nom de la commission des
affaires sociales et de la commission des lois.
Si les auteures du texte s’accordent à dire
que « la présence de juges issus du monde
professionnel, connaissant les réalités du monde du travail, de l’entreprise et
des métiers, est reconnue comme essentielle par l’ensemble des acteurs de la
justice du travail », et qu’il convient donc « de ne pas remettre en cause
» l’existence même de la justice
prud’homale, elles le soulignent : l’organisation connaît « des difficultés récurrentes, que des
réformes récentes n’ont pas permis de résoudre » Ainsi, observe le rapport,
malgré la baisse de 43 % du nombre d’affaires nouvelles enregistrée depuis 2005
(notamment en raison de la baisse du nombre de licenciements et du recours
croissant à la rupture conventionnelle), les délais de jugement ne se réduisent
pas. Bien au contraire, ils dépassent 16 mois, voire plus de 30 mois lorsqu’un
juge départiteur doit intervenir, « ce
qui est nettement plus que pour les autres juridictions civiles de première
instance ».
Les quatre sénatrices mettent toutefois en
exergue des écarts importants entre CPH, « qui
laissent penser que les délais excessifs sont en partie liés à des difficultés
locales ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors qu’à Saint-Omer (Pas-de-Calais),
il faut environ 4,9 mois pour juger 468 affaires, pour seulement 222 affaires,
le conseil des prud’hommes de Vannes (Morbihan) met en moyenne 35,9 mois. Un
écart saisissant. En plus d’engorger certains CPH, ces délais excessivement
longs présentent un autre inconvénient. En effet, ils constituent une
défaillance du service public de la justice et peuvent engager la
responsabilité de l’État. Ainsi, soulignent les sénatrices, en 2017,
l’État a été condamné à 332 reprises
pour délais non raisonnables en matière prud’homale, pour un montant approchant
2 millions d’euros, soit 87 % du montant total des condamnations de l’État pour
dysfonctionnement du système judiciaire en matière civile.
Autre statistique préoccupante : deux-tiers
des jugements sont frappés d’appel, affirme le rapport. Pour ses auteures, cela
montre « le manque d’acceptabilité des
décisions des conseillers prud’hommes, lié à l’insuffisance de la motivation
des jugements rendus par les CPH ».
DES MOYENS
FINANCIERS ET HUMAINS « INSUFFISANTS
»
En cause : en premier lieu, des moyens
financiers et humains jugés « insuffisants
». Les « équipes des greffes sont parfois
très réduites » et les « postes
vacants pourvus avec beaucoup de retard », dénonce le rapport, qui pointe
aussi la diversité des conditions matérielles des conseils de prud’hommes : « Si certains conseils, comme celui de
Martigues, bénéficient de locaux neufs, parfois dans un bâtiment partagé avec
une autre juridiction, d’autres se trouvent dans des locaux plus ou moins vétustes.
Tous les CPH ne disposent pas d’une salle d’audience permettant de rendre la
justice dans les conditions de solennité qui seraient souhaitables. »
Également dans le viseur : la « faiblesse»
des moyens informatiques, « qu’il
s’agisse des ordinateurs, des applications informatiques ou de l’accès à des
ressources juridiques ou documentaires en ligne ». « L’accroissement des crédits du ministère de la Justice doit permettre
de mettre à niveau les moyens dont disposent les CPH pour accomplir leurs
missions », réclament donc les rapporteures. Ces dernières recommandent
également la réévaluation des conditions d’indemnisation des conseillers, mais
aussi l’adaptation de leur nombre par
conseil de prud’hommes « sans remise en cause de la carte judiciaire
prud’homale, afin de tenir compte des évolutions démographiques, économiques et
contentieuses ». Au-delà, le rapport considère que pour que chaque
conseiller prud’homal acquière une expérience
suffisante, il serait « nécessaire qu’il participe régulièrement à
des formations de jugement » – ce qui est parfois impossible, certains
conseillers ne siégeant « que quelques fois par an », eu égard à
leur surnombre par rapport au nombre d’affaires. Le texte estime indispensable
également de « renforcer la formation
» des conseillers via l’instauration d’une obligation de formation continue
destinée à prolonger la formation initiale dispensée par l’École nationale de
la magistrature (ENM).
Le rapport suggère en outre d’adapter le
nombre de juges départiteurs, de pourvoir l’intégralité des postes de greffiers
dans les greffes des conseils de prud’hommes et de permettre le recrutement au
sein des conseils de prud’hommes, d’assistants de justice et de juristes
assistants.
CONCILIATION
: VERS UN « NOUVEAU SCHÉMA PROCÉDURAL
» ?
L’efficacité de la procédure, elle non plus,
n’échappe pas aux critiques. Si la conciliation est en principe la vocation
première des conseils de prud’hommes, le jugement n’intervenant qu’à titre
subsidiaire, ce mode de règlement ne représente aujourd’hui que 8 % des
affaires, constatent les rapporteures. Compte tenu « de la faiblesse du taux de résolution des affaires par voie de
conciliation », et « du coût et de la
lourdeur d’une telle procédure », ces dernières se posent donc la question
de la « réelle utilité » de
l’audience obligatoire de conciliation.
Ambitieux, le groupe de travail propose de
réorganiser la procédure prud’homale. Il
préconise de rendre la conciliation facultative et de mettre en place un « nouveau schéma procédural » dans lequel
un bureau d’orientation, où la comparution des parties serait facultative,
serait chargé d’orienter les affaires soit vers une médiation ou un autre mode
amiable, soit vers un bureau de conciliation, soit vers un bureau de jugement,
présidé le cas échéant par un magistrat professionnel. Cela viserait « à rendre la procédure plus efficace, en
redonnant de la consistance à la tentative de conciliation », estime le
texte. « Il s’agirait donc de tenter
moins de conciliations, pour en réussir, en pratique, davantage, en les
préparant et en les conduisant mieux. »
« AFFIRMER LA SPÉCIFICITÉ ET L’AUTONOMIE »
DES JURIDICTIONS PRUD’HOMALES
Autre cheval de bataille : l’autonomie des
conseils de prud’hommes. Le rattachement des greffes des CPH à ceux des futurs
tribunaux judiciaires a suscité une très forte hostilité, et la crainte d’une
suppression des CPH à l’occasion du prochain renouvellement général des
conseillers, rapportent les sénatrices. Ces dernières en appellent donc à « affirmer la spécificité et l’autonomie de la
juridiction prud’homale, dotée d’un greffe dédié, sans remise en cause du
regroupement administratif des greffes du conseil de prud’hommes et du futur
tribunal judiciaire ». Les sénatrices font par ailleurs remarquer que la
responsabilité ministérielle des CPH, qui sont pourtant des juridictions
judiciaires à part entière, est aujourd’hui partagée entre le ministère de la
Justice et la direction générale du travail du ministère du Travail.
Incohérent, selon elles. Le rapport propose donc de confier au seul ministère
de la Justice la responsabilité complète de la justice prud’homale. Le but de
la manœuvre étant de « conforter
l’ancrage des conseillers prud’hommes eux-mêmes dans l’institution judiciaire
».
UNE JURIDICTIONNALISATION
DAVANTAGE MARQUÉE
Parmi les 46 mesures proposées, on peut
également signaler les propositions concernant le renforcement du caractère
juridictionnel des conseils de prud’hommes. En effet, les rapporteures sont
convaincues qu’il « n’importe pas
seulement que la justice soit rendue de
manière impartiale et sur des bases juridiquement solides, mais également que
le justiciable soit convaincu de l’impartialité des juges et de la qualité des
décisions rendues ». Selon les sénatrices, l’absence de tenue spécifique,
en particulier, nuirait à l’autorité des conseillers prud’hommes. « Prévoir le port d’une robe, ou à tout le
moins donner aux conseillers la possibilité de la porter, pourrait contribuer à faire apparaître, aux yeux du justiciable,
les conseillers prud’hommes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des juges »,
assurent-elles.
Le rapport observe par ailleurs que certains
CPH sont contraints d’organiser les audiences « dans des salles ne permettant pas le respect d’un minimum de solennité
». « Or, il importe pour qu’elle soit
respectée que la justice soit rendue dans un lieu qui s’y prête », ajoute-t-il,
recommandant ainsi d’assurer dans chaque conseil de prud’hommes
l’existence d’une « salle d’audience conforme à sa fonction juridictionnelle
».
Après la tenue et le lieu, c’est au tour du
vocabulaire d’être remis en question. Les rapporteures l’affirment : les termes
de conseil et de conseillers « peuvent
être ambigus et peuvent induire les justiciables en erreur quant à la nature de
la procédure qu’ils engagent ». Elles soumettent ainsi de changer la dénomination de conseil de prud’hommes en « tribunal de prud’hommes », composé de « juges prud’hommes ».
Enfin, le rapport emmène les CPH sur le
terrain des exigences déontologiques, et propose l’instauration d’une
obligation de déclaration d’intérêts pour les conseillers prud’hommes, adressée
au président ou au vice-président du conseil, qui permettrait de « garantir leur impartialité en identifiant et
en prévenant les risques éventuels de conflit d’intérêts, comme c’est le cas
pour les magistrats professionnels et
les juges des tribunaux de commerce ».
Dans le même sens, le texte invite à
instaurer une limitation du nombre de mandats consécutifs de président ou de
vice-président de conseil de prud’hommes, comme c’est le cas pour les juges des
tribunaux de commerce.
« IL CONVIENT DE LES VALORISER ET DE LES
RESPONSABILISER DAVANTAGE »
Plus largement, on l’aura compris, les quatre
sénatrices appellent à redonner leurs lettres de noblesse aux conseils de
prud’hommes. Il s’agit, selon elles, de réaffirmer leur place parmi les autres
juridictions. Elles soulignent notamment que certains avocats ont déjà pu
considérer que le procès prud’homal « représente à leurs yeux une phase
préparatoire, et que c’est devant la cour d’appel qu’ils étaient réellement
appelés à défendre leur dossier en droit », et constatent également une certaine
« défiance réciproque » entre conseillers prud’hommes et magistrats
professionnels. Pourtant, rappelle le rapport,
« Les
conseillers prud’hommes exerçant des fonctions juridictionnelles, participent
au service public de la justice tout comme les magistrats professionnels. Il
convient donc de les valoriser et de les
responsabiliser davantage. » Les rapporteures suggèrent de demander aux
chefs de cours d’organiser des échanges réguliers entre les magistrats
professionnels, notamment des cours d’appel, et les conseillers prud’hommes,
afin de leur permettre d’assister aux audiences et aux délibérés des chambres sociales,
« mais aussi d’échanger sur les bonnes
pratiques professionnelles et les questions de droit ».
Bérengère Margaritelli