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Le Sénat veut améliorer la justice prud’homale

Le Sénat veut améliorer la justice prud’homale
Publié le 16/08/2019 à 10:06

Un rapport remis par quatre sénatrices pointe des conseils de prud’hommes en difficulté malgré un contentieux en baisse, et préconise tout une série de mesures destinées à booster leur efficacité et à redorer le blason prud’homal.


Au terme de 18 mois de travaux, déplacements et auditions – dont 13 conseil des prud’hommes (CPH) auscultés  – quatre sénatrices ont présenté, le 16 juillet dernier, les conclusions  de leur rapport sur la justice prud’homale, réalisé au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois.

Si les auteures du texte s’accordent à dire que « la présence de juges issus du monde professionnel, connaissant les réalités du monde du travail, de l’entreprise et des métiers, est reconnue comme essentielle par l’ensemble des acteurs de la justice du travail », et qu’il convient donc « de ne pas remettre en  cause »  l’existence même de la justice prud’homale, elles le soulignent : l’organisation connaît « des difficultés récurrentes, que des réformes récentes n’ont pas permis de résoudre » Ainsi, observe le rapport, malgré la baisse de 43 % du nombre d’affaires nouvelles enregistrée depuis 2005 (notamment en raison de la baisse du nombre de licenciements et du recours croissant à la rupture conventionnelle), les délais de jugement ne se réduisent pas. Bien au contraire, ils dépassent 16 mois, voire plus de 30 mois lorsqu’un juge départiteur doit intervenir, « ce qui est nettement plus que pour les autres juridictions civiles de première instance ».

Les quatre sénatrices mettent toutefois en exergue des écarts importants entre CPH, « qui laissent penser que les délais excessifs sont en partie liés à des difficultés locales ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors qu’à Saint-Omer (Pas-de-Calais), il faut environ 4,9 mois pour juger 468 affaires, pour seulement 222 affaires, le conseil des prud’hommes de Vannes (Morbihan) met en moyenne 35,9 mois. Un écart saisissant. En plus d’engorger certains CPH, ces délais excessivement longs présentent un autre inconvénient. En effet, ils constituent une défaillance du service public de la justice et peuvent engager la responsabilité de l’État. Ainsi, soulignent les sénatrices, en 2017, l’État  a été condamné à 332 reprises pour délais non raisonnables en matière prud’homale, pour un montant approchant 2 millions d’euros, soit 87 % du montant total des condamnations de l’État pour dysfonctionnement du système judiciaire en matière civile.

Autre statistique préoccupante : deux-tiers des jugements sont frappés d’appel, affirme le rapport. Pour ses auteures, cela montre « le manque d’acceptabilité des décisions des conseillers prud’hommes, lié à l’insuffisance de la motivation des jugements rendus par les CPH ».



DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS « INSUFFISANTS »

En cause : en premier lieu, des moyens financiers et humains jugés « insuffisants ». Les « équipes des greffes sont parfois très réduites » et les « postes vacants pourvus avec beaucoup de retard », dénonce le rapport, qui pointe aussi la diversité des conditions matérielles des conseils de prud’hommes : « Si certains conseils, comme celui de Martigues, bénéficient de locaux neufs, parfois dans un bâtiment partagé avec une autre juridiction, d’autres se trouvent dans des locaux plus ou moins vétustes. Tous les CPH ne disposent pas d’une salle d’audience permettant de rendre la justice dans les conditions de solennité qui seraient souhaitables. » Également dans le viseur : la « faiblesse» des moyens informatiques, « qu’il s’agisse des ordinateurs, des applications informatiques ou de l’accès à des ressources juridiques ou documentaires en ligne ». « L’accroissement des crédits du ministère de la Justice doit permettre de mettre à niveau les moyens dont disposent les CPH pour accomplir leurs missions », réclament donc les rapporteures. Ces dernières recommandent également la réévaluation des conditions d’indemnisation des conseillers, mais aussi l’adaptation de leur nombre par  conseil de   prud’hommes « sans remise en cause de la carte judiciaire prud’homale, afin de tenir compte des évolutions démographiques, économiques et contentieuses ». Au-delà, le rapport considère que pour que chaque conseiller prud’homal acquière une  expérience suffisante, il   serait « nécessaire qu’il participe régulièrement à des formations de jugement » – ce qui est parfois impossible,  certains  conseillers  ne siégeant « que quelques fois par an », eu égard à leur surnombre par rapport au nombre d’affaires. Le texte estime indispensable également de « renforcer la formation » des conseillers via l’instauration d’une obligation de formation continue destinée à prolonger la formation initiale dispensée par l’École nationale de la magistrature (ENM).

Le rapport suggère en outre d’adapter le nombre de juges départiteurs, de pourvoir l’intégralité des postes de greffiers dans les greffes des conseils de prud’hommes et de permettre le recrutement au sein des conseils de prud’hommes, d’assistants de justice et de juristes assistants.

 

CONCILIATION : VERS UN « NOUVEAU SCHÉMA PROCÉDURAL » ?

L’efficacité de la procédure, elle non plus, n’échappe pas aux critiques. Si la conciliation est en principe la vocation première des conseils de prud’hommes, le jugement n’intervenant qu’à titre subsidiaire, ce mode de règlement ne représente aujourd’hui que 8 % des affaires, constatent les rapporteures. Compte tenu « de la faiblesse du taux de résolution des affaires par voie de conciliation », et « du coût et de la lourdeur d’une telle procédure », ces dernières se posent donc la question de la « réelle utilité » de l’audience obligatoire de conciliation.

Ambitieux, le groupe de travail propose de réorganiser la  procédure prud’homale. Il préconise de rendre la conciliation facultative et de mettre en place un « nouveau schéma procédural » dans lequel un bureau d’orientation, où la comparution des parties serait facultative, serait chargé d’orienter les affaires soit vers une médiation ou un autre mode amiable, soit vers un bureau de conciliation, soit vers un bureau de jugement, présidé le cas échéant par un magistrat professionnel. Cela viserait « à rendre la procédure plus efficace, en redonnant de la consistance à la tentative de conciliation », estime le texte. « Il s’agirait donc de tenter moins de conciliations, pour en réussir, en pratique, davantage, en les préparant et en les conduisant mieux. »


« AFFIRMER LA SPÉCIFICITÉ ET L’AUTONOMIE » DES JURIDICTIONS PRUD’HOMALES

Autre cheval de bataille : l’autonomie des conseils de prud’hommes. Le rattachement des greffes des CPH à ceux des futurs tribunaux judiciaires a suscité une très forte hostilité, et la crainte d’une suppression des CPH à l’occasion du prochain renouvellement général des conseillers, rapportent les sénatrices. Ces dernières en appellent donc à « affirmer la spécificité et l’autonomie de la juridiction prud’homale, dotée d’un greffe dédié, sans remise en cause du regroupement administratif des greffes du conseil de prud’hommes et du futur tribunal judiciaire ». Les sénatrices font par ailleurs remarquer que la responsabilité ministérielle des CPH, qui sont pourtant des juridictions judiciaires à part entière, est aujourd’hui partagée entre le ministère de la Justice et la direction générale du travail du ministère du Travail. Incohérent, selon elles. Le rapport propose donc de confier au seul ministère de la Justice la responsabilité complète de la justice prud’homale. Le but de la manœuvre étant de « conforter l’ancrage des conseillers prud’hommes eux-mêmes dans l’institution judiciaire ».


UNE JURIDICTIONNALISATION DAVANTAGE MARQUÉE

Parmi les 46 mesures proposées, on peut également signaler les propositions concernant le renforcement du caractère juridictionnel des conseils de prud’hommes. En effet, les rapporteures sont convaincues qu’il « n’importe pas seulement que la  justice soit rendue de manière impartiale et sur des bases juridiquement solides, mais également que le justiciable soit convaincu de l’impartialité des juges et de la qualité des décisions rendues ». Selon les sénatrices, l’absence de tenue spécifique, en particulier, nuirait à l’autorité des conseillers prud’hommes. « Prévoir le port d’une robe, ou à tout le moins donner aux conseillers la possibilité de la porter, pourrait contribuer  à faire apparaître, aux yeux du justiciable, les conseillers prud’hommes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des juges », assurent-elles.

Le rapport observe par ailleurs que certains CPH sont contraints d’organiser les audiences « dans des salles ne permettant pas le respect d’un minimum de solennité ». « Or, il importe pour qu’elle soit respectée que la justice soit rendue dans un lieu qui s’y prête », ajoute-t-il, recommandant ainsi d’assurer dans chaque conseil  de  prud’hommes  l’existence d’une « salle d’audience conforme à sa fonction juridictionnelle ».

Après la tenue et le lieu, c’est au tour du vocabulaire d’être remis en question. Les rapporteures l’affirment : les termes de conseil et de conseillers « peuvent être ambigus et peuvent induire les justiciables en erreur quant à la nature de la procédure qu’ils engagent ». Elles soumettent ainsi de changer la  dénomination de conseil de prud’hommes en « tribunal de prud’hommes », composé de « juges prud’hommes ».

Enfin, le rapport emmène les CPH sur le terrain des exigences déontologiques, et propose l’instauration d’une obligation de déclaration d’intérêts pour les conseillers prud’hommes, adressée au président ou au vice-président du conseil, qui permettrait de « garantir leur impartialité en identifiant et en prévenant les risques éventuels de conflit d’intérêts, comme c’est le cas pour les magistrats professionnels  et les juges des tribunaux de commerce ».

Dans le même sens, le texte invite à instaurer une limitation du nombre de mandats consécutifs de président ou de vice-président de conseil de prud’hommes, comme c’est le cas pour les juges des tribunaux de commerce.


« IL CONVIENT DE LES VALORISER ET DE LES RESPONSABILISER DAVANTAGE »

Plus largement, on l’aura compris, les quatre sénatrices appellent à redonner leurs lettres de noblesse aux conseils de prud’hommes. Il s’agit, selon elles, de réaffirmer leur place parmi les autres juridictions. Elles soulignent notamment que certains avocats ont déjà pu considérer que  le procès prud’homal « représente à leurs yeux une phase préparatoire, et que c’est devant la cour d’appel qu’ils étaient réellement appelés à défendre leur dossier en droit », et constatent également une certaine « défiance réciproque » entre conseillers prud’hommes et magistrats professionnels. Pourtant, rappelle le rapport,

« Les conseillers prud’hommes exerçant des fonctions juridictionnelles, participent au service public de la justice tout comme les magistrats professionnels. Il convient donc de les valoriser  et de les responsabiliser davantage. » Les rapporteures suggèrent de demander aux chefs de cours d’organiser des échanges réguliers entre les magistrats professionnels, notamment des cours d’appel, et les conseillers prud’hommes, afin de leur permettre d’assister aux audiences et aux délibérés des chambres sociales, « mais aussi d’échanger sur les bonnes pratiques professionnelles et les questions de droit ».

Bérengère Margaritelli

1 commentaire
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jérôme Turquey
- il y a 5 ans
Si les employeurs responsables au sens de la RSE ont besoin d’un cadre légal flexible (il ne l’était et il ne l’est sans doute pas pas encore assez), le corollaire est la sanction implacable de ceux transgressifs qui dévoient le pouvoir hiérarchique et disciplinaire et des médecins du travail, IRP ou fonctionnaires ou juges qui manquent à leurs devoirs.

Or force est de constater que cette sanction est inexistante dans les faits.

Quelques mesures sont à faire entrer dans loi et règlement pour sanctionner des situations qui n’ont rien à voir avec un pouvoir de direction légitime : mesures relatives aux IRP et médecin du travail, mesures relatives à l’Inspection du travail et mesures relatives aux juridictions qui connaissent des litiges entre employeurs et salariés.

Le rapport sénatorial laisse entier le sujet de la sanction implacable des employeurs transgressifs qui dévoient le pouvoir hiérarchique et disciplinaire le cas échéant avec des complicités administratives ou syndicales.

http://qualitiges.org/prudhommes-le-corollaire-du-bareme-est-la-durete-avec-les-employeurs-manquant-de-delicatesse/

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