Le 7février 2018,
une chambre commerciale internationale a été créée au sein de la cour d’appel
de Paris pour connaître des litiges relatifs aux contrats du commerce
international, sur appel des décisions rendues par la chambre du même nom
existant déjà au tribunal de commerce de Paris.
La création de cette chambre vise à renforcer
l’attractivité de l’ordre judiciaire français en le dotant d’un système
juridictionnel à double degré adapté aux spécificités de contentieux, souvent
complexes, habituellement portés devant des juridictions anglo-américaines
considérées comme ayant une souplesse procédurale plus propice à leur
règlement.
L’initiative est louable et intéressante.
Néanmoins, elle peut aussi être
vue comme l’arbre qui cache la forêt, ou plutôt le
maquis d’un pan de notre système juridique et judiciaire devenu à bien des
égards obsolète et illisible.
Le Code de commerce n’est certes âgé que de 18 ans, puisqu’il est né d’une codification à droit constant
ou réputée telle, en l’an 2000. Mais qui n’a pas l’impression qu’il date en
réalité de 1807 ? L’impression se renforce si l’on rappelle que le Code de
1807 s’était très largement borné à reprendre les solutions dégagées par
l’ancien droit à travers la jurisprudence des Parlements et les ordonnances royales.
Celui qui enseigne la matière en deuxième ou
troisième année de droit sait qu’il s’apprête à affronter bien des regards
perplexes lorsqu’il aborde les définitions de l’acte de commerce et du commerçant. L’étudiant
naïf, qui croyait que le commerçant était seulement celui qui achète pour
revendre, découvre en effet avec surprise que le sont aussi les industriels,
des agriculteurs et des pêcheurs, les banques, les éditeurs, des pharmaciens…
Lorsqu’il existe un tel décalage entre le sens
commun d’un mot et son sens juridique, c’est indéniablement le signe que le
droit n’est plus adapté.
L’étudiant est d’autant plus perdu qu’on lui
explique ensuite que la détermination de la commercialité n’a dorénavant plus
guère d’utilité. La distinction des contrats civils et commerciaux a perdu
presque toute sa sève, sans parler de celle qui est encore faite entre les
sûretés civiles et les sûretés commerciales. Les règles en matière de preuve
sont largement harmonisées, et bien des dispositions autrefois propres aux
commerçants ont été étendues à d’autres acteurs, sur le critère de l’activité économique ou professionnelle.
En définitive, la commercialité n’implique, plus
guère aujourd’hui que des obligations comptables et de publicité légale, et ne
sert qu’à déterminer la compétence de juridictions spécifiques, avec
l’incertitude qu’implique le flou que l’on a indiqué comme caractérisant sa
définition.
Aussi la publicité légale, comme la compétence
des juridictions commerciales, font-elles aujourd’hui l’objet de projets de
réformes, l’une à l’initiative du gouvernement dans le cadre du projet de loi
dit Pacte actuellement soumis au débat parlementaire, l’autre à l’initiative
d’un côté du Sénat, dans une proposition de loi dont les dispositions ont été
intégrées au projet de loi Pacte, de l’autre côté par la Conférence générale
des juges consulaires, dans un rapport élaboré par une commission de
prospective dont ont fait partie les signataires de la présente tribune.
Il est symptomatique de constater dans ces différents
projets, qu’ils proposent tous de dépasser la notion de commercialité pour lui
substituer la notion d’entreprise ou celle d’activité économique. La
commercialité perd ainsi encore, petit à petit, du terrain… Sans pour autant
que notre droit y gagne en lisibilité, puisque les notions se cumulent.
Ne serait-il pas alors temps d’engager un
chantier de réforme plus vaste ? Ne faudrait-il pas faire table rase du
commerçant et de l’acte de commerce pour leur substituer une notion plus
moderne autour de laquelle le droit et la justice économique seraient
réorganisés ?
En quoi consiste le droit commun de
l’économie ? Quel est son champ d’application ? Quelles sont les
matières qui s’en sont détachées pour constituer des droits spéciaux ?
Comment se détermine la compétence des tribunaux chargés de l’appliquer ?
Ces questions doivent être posées, tant la
lisibilité et l’efficacité du droit régissant notre économie sont nécessaires pour en
garantir le dynamisme, la
cohérence et l’attractivité.
Pour ce faire, il ne serait pas inutile de commencer par dresser un tableau des
acteurs de notre économie qui, personnes
physiques ou personnes morales, au-delà des commerçants et des artisans, ont une activité économique, ne serait-ce qu’à
travers un chiffre d’affaires significatif et les impositions correspondantes. Il
paraît ensuite nécessaire de se demander si tout ce monde économique entre déjà
d’une manière ou d’une autre dans le Code de commerce. Sans doute, en grande
partie, mais pas exclusivement sur le critère de la commercialité. Ne
faudrait-il pas dès lors, dans un troisième temps, redéployer la liste des
actes de commerce et repenser la notion même de commerçant ? En réalité,
ces questions ne datent pas seulement du mois de novembre 2018, elles se sont
déjà posées notamment à propos de certaines associations ou de certaines
professions. Cependant, elles deviennent aujourd’hui encore plus pertinentes,
si l’on songe aux échanges organisés à partir d’un simple ordinateur ou d’une
application par téléphone, ou encore aux activités sportives.
Si l’on s’en tient, pour l’instant, à la liste
des actes de commerce, il n’est pas interdit de penser qu’elle mériterait une
certaine mise à jour, d’autant, comme l’avait écrit le doyen Roblot, qu’elle « mêle fâcheusement
les actes et les professions dans un grand désordre et avec de nombreux oublis ».
On pense notamment aux opérations de construction, mobilière comme
immobilière, de distribution, de dépôt ou encore de logistique. On peut aussi
se demander, entre autres questions, pourquoi seule la location de biens
meubles a un caractère commercial, alors que les locations d’immeubles font
aujourd’hui florès et sont l’occasion de chiffres d’affaires importants.
S’agissant de l’achat de biens immeubles pour les revendre, qui a bien une
nature commerciale, est-il encore cohérent d’affirmer qu’un tel achat reste
civil lorsque l’acheteur n’a agi qu’en vue d’édifier un ou plusieurs bâtiments
et de les vendre en bloc ou par locaux ? De même, si les opérations
d’intermédiaire sont commerciales, elles ne le sont aux termes mêmes du Code de
commerce (L. 110-1,3°) que dans la
mesure où elles concernent l’achat, la souscription ou la vente d’immeubles, de
fonds de commerce, d’actions ou parts de sociétés immobilières, ce qui paraît
très restrictif, même s’il est vrai que l’article L. 110-1, 7° qualifie le courtage d’acte de commerce. N’est-il pas
redondant, par ailleurs, de préciser (L. 110-1, 7°) que toute
opération de banque constitue un acte de commerce et de retenir la même
qualification dans l’alinéa suivant (8°) pour toutes les opérations de banques
publiques ? Ne devrait-on pas également présumer que le cautionnement
donné par un dirigeant de société a un caractère commercial, et donc admettre
que le cautionnement peut être commercial sans que l’on ait à vérifier
l’intérêt que prend la caution dans l’opération cautionnée ? De même,
qu’en est-il de l’agent commercial qui n’est toujours qu’un mandataire civil ?
Enfin, last but not least, peut-on continuer à dire, comme le fait le
Code de commerce (art. L. 110-2, 7°) que sont des actes de commerce « tous engagements de gens de
mer pour le service de bâtiments de commerce » alors que ces engagements
trouvent, pour la plupart, leur expression dans des contrats de travail ? Du reste, l’article L. 110-2 consacré
aux actes de commerce maritimes, appellerait une véritable refonte, malgré la
révérence qu’on lui doit : n’est-il pas, sur la question, la codification
à droit constant de l’ordonnance de la Marine de 1681 ?
Quant à repenser la notion de commerçant, elle
paraît tout aussi nécessaire. La définition donnée par le Code de commerce fait référence aux actes
de commerce et elle est devenue, par voie de conséquence, elle aussi
discutable. Est en effet commerçant celui qui exerce des actes de commerce et
en fait sa profession habituelle. Sans revenir sur la liste des actes de
commerce, faire référence à une profession habituelle paraît de plus en plus
anachronique en contemplation de l’évolution de l’activité commerciale. Si les
commerçants exerçant leur profession à titre habituel subsistent, de plus en
plus nombreux sont ceux qui exercent une activité occasionnellement,
temporairement ; on songe notamment à certains auto-entrepreneurs. Au
moins dans certains cas, les qualifier de commerçants relève de l’artifice
juridique et génère incertitudes et confusions. On en revient ainsi au point de
départ, à vouloir raisonner sur des concepts anciens qui sont devenus
inadaptés, notre droit perd en lisibilité et en attractivité, pour le
commerçant ou prétendu tel, ou pour celui qui ne l’est pas ou qui pensait ne
pas l’être !
Et puis, le Code de commerce lui-même, après
avoir défini le commerçant et le régime qui lui est applicable, traite ensuite
d’une autre catégorie de commerçants, qui eux le sont à raison de la forme
choisie : on songe ici aux sociétés commerciales. Mais le Code prend parfois
ses distances avec le commerçant. Ainsi, le droit de la concurrence s’applique
à « toutes les activités de production, de distribution ou de
services » (L. 410-1).
On ne peut bien sûr pas manquer de citer le
Livre VI dudit Code
intitulé « Des difficultés des entreprises » qui se garde bien de définir la
notion d’entreprise, mais qui s’applique aux artisans, professions libérales,
agriculteurs ou encore personnes morales de droit privé, et non plus aux commerçants, mais aux personnes
« exerçant une activité commerciale ».
L’évolution vers un droit plus adapté a donc commencé au moins dans
certains pans du Code de commerce ; il est
sans doute temps d’aller au-delà et de dépasser la référence à la commercialité de-ci de-là, pour réfléchir à une vision cohérente
d’ensemble, lisible pour tous, dans l’intérêt de tous.
Philippe Delebecque,
professeur à l’Université,
Paris I
Pierre Berlioz,
professeur à l’Université
Paris Descartes
Philippe Roussel Galle,
professeur à l’Université Paris Descartes