L’observation de l’accélération du développement de la
révolution informatique et numérique qui s’opère au niveau mondial depuis le
début du XXIe siècle, ainsi que les multiples incidents à répétition qui accompagnent
cette considérable évolution, nous invitent à examiner, avec la plus grande
attention, les nombreuses conséquences de cette situation sur la liberté et la
vie privée des citoyens du monde.
La conjonction du progrès des recherches sur
l’intelligence artificielle avec la concentration des informations de toutes
natures sur les réseaux sociaux et la colossale puissance de calcul, de
stockage et d’analyse des ordinateurs actuels, conduit à s’inquiéter, en
premier lieu, de la situation quasi monopolistique acquise par les grands opérateurs
(1) occidentaux implantés principalement aux USA, désormais « talonnés » par leurs
homologues asiatiques (2) sous dépendance chinoise !
Ces puissants réseaux sociaux, dont la liste va sans
doute encore s’allonger, sont à la fois complémentaires mais aussi concurrents,
et comptent un nombre d’utilisateurs en constante progression (bientôt
3 milliards contre 970 millions en 2010) !
L’analyse de la chronologie des évènements, depuis
une quarantaine d’années, permet de résumer comme suit les dates-clés de cette
fabuleuse aventure technologique qui a favorisé la naissance d’entreprises
gigantesques dont le développement continuel en fait désormais de puissants
empires dotés de pouvoirs incommensurables !
1975 : Création d’APPLE par
Steve Jobs et Steve Wozniak
1975 : Création de MICROSOFT par
Bill Gates
1977 : Premier Personnel Computer
APPLE
1981 : Conception de Windows par
Bill Gates
1982 : Lancement de la
Messagerie Internet par Vinton Cerf
1987 : Création de HUAWEI par
Ren Zhengfei
1990 : Naissance du Web par Tim
Berners Lee
1994 : Création d’AMAZON par
Jeff Besos
1994 : Création de YAHOO par
David Filo et Jerry Yang
1998 : Création de GOOGLE par
Larry Page et Sergey Brin
1999 : Création d’ALI BABA par
Lary Peng et Jack Ma
2004 : Création de FACEBOOK par Mark
Zuckerberg
2008 : Création de AIRBNB par
Brian Chesky et Joe Gebbia
2009 : Création de UBER par
Travis Kalanik, Garret CAMP et Oscar Salazar.
Les immenses capacités d’intervention de ces
entreprises, dont la puissance dépasse souvent très largement celle de nombreux
États, en font des acteurs
d’autant plus essentiels de l’économie et des évolutions technologiques que
leurs orientations ne semblent pas toujours répondre aux mêmes objectifs
sociologiques et politiques.
Chacun dans leurs domaines respectifs, ces géants,
devenus quasi incontournables, détiennent sur leurs « clients partenaires » un volume considérable d’informations (3), dont une exploitation
déviante, grâce à la puissance de leurs outils informatiques, pourrait porter
gravement atteinte aux libertés !
Il faut savoir, par exemple, que les progrès de la
technologie 5G promettent des débits théoriques décuplés (4) et une meilleure
réactivité sans faille. Toutefois, cette technique polyvalente révolutionnaire,
largement décentralisée, fonctionnera de façon autonome. Plus résilient,
l’ensemble sera donc vulnérable en raison de son caractère omniprésent et de
l’impossibilité de garantir totalement sa sécurité.
Actuellement, il ne semble pas exister d’équivalent
américain opérationnel de cette technologie. Dans ces conditions, la dangereuse
et féroce guerre économique qui s’annonce entre les deux superpuissances (Chine
et USA) éclaire particulièrement ce décor et lui donne des airs apocalyptiques
de nature à menacer l’ensemble du monde !
Il est donc légitime de s’inquiéter des dérives
possibles du système et de réfléchir aux hypothèses susceptibles de se réaliser
avec, ou plutôt sans, la participation des pays de l’Union européenne, voire au
probable détriment de leurs ressortissants, dans la mesure où ceux-ci
apparaissent constituer la cible première des belligérants !
Il va donc devenir essentiel de s’interroger sur le
niveau réel d’indépendance de ces réseaux afin d’obtenir des garanties sur
l’adoption de mesures de sécurité et de règles éthiques indispensables à la
protection des données personnelles des utilisateurs.
Des voix (5) s’élèvent de toutes parts pour souligner
les dangers de l’hyperconnexion et de la navigation sur Internet qui
démultiplient les risques de cyber-attaque, dont les conséquences peuvent
atteindre des coûts considérables.
En faisant l’éloge de
la « Chine Capitaliste Confucéenne
Communiste » (CCCC), certains vont même jusqu’à prédire la fin de la mondialisation
(6) et l’avènement d’une ère individualiste,
consumériste et amorale !
La vision « apocalyptique » d’un tel monde en gestation fait naître de nombreuses inquiétudes,
notamment celle d’un
risque de tentation totalitaire (7) et d’une dictature de
certaines valeurs sur les réseaux sociaux et sur Internet.
Parmi les principales préoccupations soulevées par
l’évolution du rôle potentiel des GAFAM figurent plusieurs questions
importantes sur le comportement hypothétique de ces puissants opérateurs dans
les domaines suivants :
• Comment garantir la protection des données personnelles des utilisateurs
des réseaux sociaux (plus de 3 milliards), notamment dans le domaine de la
santé, des dépenses financières, voire des opinions politiques, contre une
exploitation déviante (8) au service d’intérêts privés ?
• Faut-il et peut-on combattre la tentation grandissante des GAFAM d’ouvrir
des établissements bancaires et/ou de créer des cryptomonnaies, comme
l’envisage très sérieusement Facebook avec
son projet (9) « Libra » ?
• Comment identifier, mesurer et contrôler l’impact de ces perspectives sur
la souveraineté des États en matière d’émission de la monnaie et sur la
fiabilité du système financier mondial ?
• Comment évaluer les conséquences de l’utilisation de l’intelligence
artificielle par les GAFAM, et peut-on identifier ses dérives
potentielles ?
• Quelles sont les modalités pratiques et la nature des risques d’un
éventuel affrontement «
cybernétique » entre les géants du Web des deux principales
zones économiques mondiales (GAFAM
contre Huawei e t Ali Baba) ?
• Que penser du développement de la cybersurveillance et des conséquences
possibles, sur les libertés, de l’usage des outils de reconnaissance
faciale ?
• La nature circonstanciée des réponses à ces questions, sensiblement
impactées par les valeurs morales des opérateurs et par leur positionnement
philosophique au regard de la démocratie et des droits de l’homme, déterminera
largement l’avenir de l’humanité à court et moyen terme.
NOTES :
1) Les GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon ainsi
que Microsoft et Yahoo.
2) Les Huawei et Ali Baba.
3) La collecte quotidienne des informations par Facebook
et Twitter atteint 17 téraoctets (1 000 milliards de caractères),
soit l’équivalent de la Library of Congress, la plus grande bibliothèque
du monde.
4) Les performances de la 5G (vitesse mesurée en
millisecondes) sont 10 000 fois supérieures à la 2G.
5) Tristan Nitot, Surveillance : les libertés au
défi du numérique (Éditions C et F Blogollection - sept. 2016).
6) Evan Osnos, Age of Ambition cité par Gaspard
Koenig dans Le Point du 18 juillet 2019.
7) Hebdomadaire Le Point n° 2450 du 15 août
2019 – page 34.
8) Risque réel illustré par les scandales à répétition
nés du détournement des données de 87 millions d’utilisateurs par
Cambridge Analytica avec fuites massives de mots de passe.
9) Nouvelle devise virtuelle
annoncée comme disponible au cours du premier semestre 2020.
Étienne Lampert,
Président de l’association des
anciens élus
du Conseil Supérieur de l’ordre des
experts-comptables