ACTUALITÉ

Le statut du fermage à l’épreuve de la réforme du droit des obligations

Le statut du fermage à l’épreuve de la réforme du droit des obligations
Publié le 24/03/2017 à 14:51



Pourquoi vouloir tenter de déterminer les éventuelles incidences de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 sur le statut du fermage ? Si, comme beaucoup de ruralistes veulent le croire, le statut était un système juridique clos, étanche au droit commun des obligations, cette entreprise serait effectivement vaine. Mais, il est aussi permis de ne pas vraiment partager cette conception « moniste » du statut. Aussi nombreuses et précises ces dispositions, contenues aux articles L. 411-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, soient-elles, la jurisprudence et même la pratique mettent régulièrement en évidence que la solution de certains conflits nés d’un bail rural suppose d’en appeler au droit civil parce que le droit spécial, laconique sur ce point, est impuissant à les résoudre. Une certitude technique : l’impact de la réforme sur le statut sera à la mesure de sa perméabilité au droit commun du contrat. Il conviendra donc de consacrer quelques développements à la question, générale, de l’articulation du statut et du droit commun du contrat (I), avant d’essayer de projeter concrètement la réforme sur la vie du bail rural (II).

 


L’Articulation du Statut et du droit commun du contrat


La question de l’articulation du statut du bail rural et des textes issus de la réforme renvoie évidemment à la confrontation entre règles spéciales et règles générales (A). Mais, il faut aussi compter avec la logique propre du statut, qui se saisit parfois lui-même de cette question (B).


 


La directive découlant du droit commun : specialia generalibus


à première vue, le statut du fermage laisse très peu d’envahie au droit commun du contrat. Cela n’est pas vraiment pour surprendre qui sait que le statut a été précisément créé, en 1945, en réaction contre le libéralisme du Code civil. à une époque où la France avait besoin de se nourrir après des années de privation, il n’était plus supportable que les baux ruraux fussent autant déséquilibrés à l’avantage des propriétaires et au détriment des locataires exploitants devenus incapables, à cause de conditions contractuelles porteuses de précarité et de charges financières excessives, d’investir suffisamment pour moderniser leurs exploitations. La réaction normative du législateur de l’époque fut radicale et, peut-on dire, étonnamment avant-gardiste pour préfigurer des décennies de législation dirigiste au service – réel ou supposé – de l’intérêt général : droit de préemption, quasi-incessibilité du bail, renouvellement automatique, ordre public, encadrement administratif du loyer… autant d’institutions dérogatoires qui scandent le statut et l’isolent du socle contractuel commun. Et l’on peut dire que soixante-dix années après son édiction, le statut porte encore très beau, qui, loin de s’assouplir et de rentrer dans le rang contractuel, s’est même renforcé, complexifié au fil des lois de « programmation », « d’orientation » et, en dernier lieu, « d’avenir pour l’agriculture » successives.


Il est certain que le droit général du contrat et, conséquemment, la réforme qui nous intéresse n’ont et n’auront aucune prise sur les questions spécifiquement réglées par les dispositions statutaires. Cependant, le « législateur statutaire » n’a pas été exhaustif ; il n’a pas créé un régime locatif particulier aussi complet que l’on ne doive jamais faire appel, parfois, aux droits communs du contrat, des obligations et de la preuve d’icelles pour dénouer certaines situations dérivant d’un bail rural. En ce cas, force est pour le juge de faire application de ces droits communs tels qu’éventuellement amendés par une réforme. Soit un raisonnement tout simplement adossé sur la règle bien connue : specialia generalibus derogant1. Deux exemples. Si l’ordonnance de 2016 vise à introduire la cession de contrat dans le Code civil en l’assortissant d’un régime assez souple2, cette réforme sera sans aucun emport sur la cessibilité très contrôlée, très limitée dont le bail rural, peut faire l’objet en vertu des dispositions statutaires spécifiques3. Inversement, en guise d’illustration « en négatif » du raisonnement exposé plus haut, et pour en rester à la cession du bail rural, la jurisprudence a, par deux arrêts récents et remarqués par les praticiens de ce bail, retenu que, dans le silence du statut du fermage, il convenait d’appliquer les formalités communes de l’article 1690 du Code civil, relatif à la cession de créances, pour l’opposabilité de l’opération au bailleur débiteur cédé4. Il est donc à prévoir que les dispositions nouvelles qui fonderont demain – plus souplement : une « notification » au lieu d’une signification5 – l’opposabilité de la cession de créances au débiteur cédé seront de plein droit applicables à la cession de bail rural. De la même manière, la plupart des dispositions nouvelles relatives à la « durée du contrat », qui seront sans doute très utiles en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles particulières, n’auront aucune prise sur le bail rural. Le statut du fermage est en effet particulièrement disert sur la durée du bail et les modalités de son achèvement/renouvellement. Toutefois, la prorogation du bail rural, ignorée par le statut du fermage et accueillie par la jurisprudence6, offrira peut-être une prise à la réforme en ce que celle-ci introduit, pour la première fois, une disposition organisant cette voie d’étirement du contrat dans le temps7.

 

Les indications découlant du statut lui-même


Le statut contient, en lui-même, des indications relatives à son articulation avec le Code civil. Trois séries de dispositions doivent être abordées de ce point de vue.


Les dispositions renvoyant expressément au droit commun du louage


Relativement peu nombreuses (surtout depuis le « toilettage » du statut opéré par l’ordonnance du 13 juillet 20068 sous couvert de sa « modernisation »), de telles dispositions nous rappellent que le bail rural… est un bail et qu’il n’est donc pas incongru que certains des aspects de son régime soient appréhendés par des dispositions du droit commun du louage qui ont fait, depuis 1804, leurs preuves. Il en est ainsi, pour prendre quelques exemples, de l’article
L. 411-26
du Code rural et de la pêche maritime renvoyant à l’article 1768 du Code civil pour imposer au locataire une obligation d’avertissement en cas d’usurpation, de l’article L. 411-27 du même Code plaçant les obligations du preneur relatives à l’utilisation du bien loué sous le pavillon des articles 1766 et 1767 du Code civil, ou encore de l’article
L. 415-8
du même Code soumettant aux dispositions de l’article 1719 du Code civil l’obligation du bailleur d’assurer la permanence et la qualité des plantations (pérennes)…


Mais, à la réflexion, la question rebondit : le droit commun du louage est-il, lui, perméable au droit commun des contrats ? La réponse n’est pas évidente. Si, d’un côté, ce droit commun du louage est « géographiquement » (et philosophiquement) plus proche du droit commun des contrats que le statut du fermage et, surtout, s’il est regardé comme étant généralement de nature diapositive, il est possible, d’un autre côté, de considérer que par l’effet du renvoi qu’il opère, le statut du fermage et son ordre public généralisé9 rendent indisponible à la convention des parties, en modifiant leur nature « civiliste », les dispositions communes visées par lui.


 


 

Les dispositions accueillant expressément la liberté contractuelle


ça et là, mais plutôt rarement dans l’ensemble, le statut du fermage admet que les parties au bail puissent contractualiser tel ou tel aspect de leur relation. Il en est ainsi, par exemple, pour la détermination de l’indemnité due à un locataire qui a réalisé sur le bien loué et sur ses deniers certains gros travaux limitativement énumérés par la loi10 ou qui est entré en jouissance d’un terrain en friche ensuite mis en valeur par ses soins11. Par extension et en creux, le juge déduit parfois la liberté contractuelle de ce que le « législateur statutaire » s’est abstenu de règlementer une institution par lui créée. Tel est le cas des conventions de mise à disposition consenties à une société par un associé locataire12 ou propriétaire13 que le juge déclare entièrement laissé à la libre négociation des parties dans la mesure où le statut, qui y fait allusion, ne leur est pas applicable14. (…)


 

1) V. Cass. civ. 1re, 9 mars 2016, n° 15-18.899, visant « le principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales », rappr. le nouvel article 1105, alinéa 3, du Code civil.

2) Nouveaux articles 1216 et s. du Code civil.

3) Article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime, lequel texte chasse d’ailleurs expressément le droit commun du louage et sa cessibilité de principe.

4) V. en dernier lieu : Cass. civ. 3e, 9 avril 2014, n° 13-10.945,
RD rur. 2014, comm. 144, note S. Crevel.

5) Nouvel article 1324, alinéa 1er, du Code civil.

6) Voir par ex., Cass. civ. 3e, 26 mars 2014, n° 13-13.433, RD rur. 2014, comm. 116, note S. Crevel.

7) Nouvel article 1213 du Code civil.

8) Ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006 relative au statut du fermage et modifiant le Code rural.

9) Article L. 415-12 du Code rural et de la pêche maritime.

10) Ibid Article L. 411-29.

11) Ibid Article L. 411-77.

12) Ibid Article L. 411-37.

13) Ibid Article L. 411-2.

14) Arrêt de principe : Cass. civ. 3e, 7 décembre 2011,

n° 10-26.820 , RD rur. 2012, comm. 12, note S. Crevel.


 

Samuel Crevel,

Avocat associé,

Cabinet Racine


Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial des Sociétés n° 23 du 22 mars 2017

S’abonner au journal

 


 


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles