Le 13 juillet dernier, l’association Open
Law*, le Droit Ouvert, l’AFJE (Association Française des Juristes de l’Entreprise),
l’UNHJ (Union nationale des huissiers de justice), le réseau interprofessionnel
Eurojuris, l’association Juriconnexion, l’association Cercle Montesquieu et
l’Association des avocats numériques, ont formulé de concert une tribune
portant sur les legaltech. Ce service, faisant appel à l’Intelligence
artificielle, peut faciliter le travail – parfois chronophage – de certains
professionnels du droit. Toutefois, au service d’une justice de qualité –, et
dans un contexte de justice du 21e siècle toujours plus tournée vers
le numérique –, ce dernier se doit de répondre à certaines règles, soumis,
comme toute autre start-up, au respect de la loi.
Un nombre croissant d’acteurs du monde du droit adoptent ou développent
des outils pour améliorer l’offre des services juridiques et répondre aux
besoins des justiciables. La legaltech, portée par des professionnels du droit
(avocats, huissiers, notaires, greffiers, etc.) ou par des entreprises
classiques (jeunes pousses, éditeurs juridiques, assurances, secteur bancaire,
etc.), nous invite à revisiter l’organisation d’un marché du droit numérique et
moderne et participe à définir de nouvelles règles nécessaires à la protection
des intérêts du secteur public de la justice.
Cette mutation est mondiale et doit impérativement prendre en compte
les apports techniques du traitement des données, de l’intelligence
artificielle, de l’accès à l’information en ligne, de la sécurisation de la
correspondance, de la modernisation de l’État, de la mobilité, de l’ergonomie
des interfaces, de l’inclusion des plus démunis, etc.
Micro secteur en hyper croissance, la legaltech évolue dans un
environnement juridique complexe, de par la sensibilité des données traitées ou
de par l’articulation des règles propres à chaque profession réglementée du
droit.
Dans ce secteur et plus que dans n’importe quel autre, les acteurs qui
développent des activités se doivent d’être exemplaires et sont redevables de
leurs choix technologiques. Tout écart ne manquerait pas d’être mis en exergue
comme une défaillance de « la preuve par l’exemple ». En
effet, comment accepter qu’un acteur juridique soit en délicatesse avec la
règle de droit qui fonde sa propre légitimité ? Les technologies elles
aussi se doivent en effet d’être irréprochables afin de gagner la bataille
fondamentale de la confiance numérique, auxquelles se livrent aujourd’hui tous
les acteurs.
À ce titre, est-il utile de rappeler qu’aucun acteur de la legaltech
n’est au-dessus des lois et se doit encore plus que toute autre start-up de s’y
conformer ? Est-il aussi utile de rappeler qu’en marge de tous les
secteurs économiques, des minorités d’acteurs ont des pratiques peu
scrupuleuses sans que cela n’empêche une majorité d’entreprises de trouver des
modèles nouveaux et parfaitement légaux pour transformer ou/et améliorer le
quotidien de millions de citoyens ? Il convient donc de dénoncer tous les
comportements et pratiques illégales nuisant au développement vertueux de cet
écosystème, et il est tout aussi nécessaire de penser en co-construction plutôt
qu’en confrontation ; ce n’est pas dans l’opposition que l’on construira
un véritable secteur juridique numérique, mais au contraire dans la
collaboration entre les acteurs du droit et du numérique.
Dans ce secteur et plus que dans n’importe quel autre, les institutions
et les acteurs publics qui organisent ce service public doivent donner à tous
les mêmes moyens d’innover. À ce titre, pourquoi les données
jurisprudentielles, plus de 18 mois après
le vote de la loi pour une République numérique, ne sont-elles toujours pas
librement accessibles et pseudonymisées pour les acteurs qui en feraient la
demande ? Qu’attendent les autorités et les instances représentatives des
professions pour mettre fin à ces situations de monopole qui nuisent à la transformation
numérique de la justice et à ses usagers, professionnels du droit et
justiciables ? N’est-il pas nécessaire, au 21e siècle, de
rendre le droit pleinement accessible et intelligible à tous, à l’instar de
l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi », alors que les
enquêtes, jusqu’à présent, démontrent que plus de 50 % de la population n’a pas accès au droit et à la justice ?
N’est-ce point là un enjeu démocratique majeur ?
Dans ce secteur et plus que dans n’importe quel autre, les
professionnels du droit doivent être formés à la cyber sécurité et à la
sensibilité des données stockées puis manipulées. Il en va de la protection du
justiciable, de sa confiance envers la justice et envers les professions
soumises au secret professionnel garanti à leurs clients. À ce titre, au vu de
l’actualité récente, la possibilité que des dizaines de professionnels du
droit, soumis à une déontologie stricte, aient pu être dupés par des pratiques
de « typosquatting » est très inquiétante. Ce sont là de
véritables enjeux de formation et de sensibilisation à la sécurité informatique
indispensables à tous ceux qui sont amenés à travailler sur le marché du droit
et,
a fortiori, à l’heure du tout numérique souhaité par le ministère de la
Justice.
Dans ce secteur et plus que dans n’importe quel autre, la
transformation du marché du droit est globale et complexe. Les acteurs de la
legaltech doivent agir en concertation, avec prudence et humilité. Ils sont
souvent amenés à révéler et résoudre des problématiques délicates qui n’ont pas
été encore identifiées, ni par le législateur, ni par les instances
représentatives des professions réglementées. Pour co-construire ce nouveau
marché, ces activités doivent être en mesure de s’autoréguler en partageant
leurs pratiques et leurs difficultés, tout en remettant en question le sens de
leurs démarches et l’impact de leurs services. Il s’agit d’offrir à chacun un
cadre cohérent pour expérimenter des modèles nouveaux visant à améliorer
l’accès et la qualité du droit et de la justice dans le respect des lois, de
tous les acteurs du marché et de l’intérêt supérieur du justiciable.
C’est
pourquoi il nous semble aujourd’hui essentiel, dans cette période de mutations
fortes, de rappeler les fondamentaux. L’accès aux textes et à la jurisprudence
doit être gratuit et ouvert au plus grand nombre. La puissance publique, les
acteurs juridiques se doivent d’être exemplaires dans la transparence et les
procédures d’information et de pédagogie. Cela fonde notre action et détermine
nos objectifs.
Voilà le
sens de l’engagement de nos institutions pour une justice moderne, fiable et
transparente.