SOCIÉTÉ

Les violences sexistes et sexuelles, un risque pour le salarié comme pour l'entreprise, alerte le Sénat

Les violences sexistes et sexuelles, un risque pour le salarié comme pour l'entreprise, alerte le Sénat
Publié le 11/05/2023 à 18:20

La délégation du Sénat aux Droits des femmes et à l'Égalité des chances entre les hommes et les femmes a organisé le 4 mai une table ronde consacrée aux conséquences des violences sexistes et sexuelles au travail sur la santé des femmes. Les spécialistes intervenues ont insisté : ces violences, qui ne sauraient être réduites à des problèmes individuels, et qui impactent la victime ainsi que l'exercice de ses fonctions, peuvent aussi menacer l’économie de l’entreprise, ont-elles souligné.

Le sujet des violences sexistes et sexuelles « est un sujet grave, parce que c'est une atteinte à la dignité des femmes. Ces violences sont au cœur du processus de domination et parler d'égalité professionnelle et salariale sans éradiquer en amont les violences sexistes et sexuelles est un non-sens, puisque la condition à la mise en place de cette égalité même, c'est de pouvoir parler de ces violences sexistes et sexuelles », a affirmé Raphaëlle Manière, pilote de la cellule contre la violence sexiste et sexuelle de la CGT et membre du collectif Femmes-Mixité de la CGT, lors de sa prise de parole au Sénat le 4 mai. 

Lors de cette table ronde consacrée à l’impact que peuvent avoir sur la santé les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes dans l’enceinte du travail, organisée par la délégation du Sénat aux Droits des femmes et à l’Égalité des chances entre les hommes et les femmes, Raphaëlle Meunière a également indiqué qu'elle incluait les violences sexistes dans les risques professionnels, au même titre que les troubles musculosquelettiques, les cancers professionnels, la charge mentale, etc.

Si la délégation du Sénat a choisi de s’intéresser à la santé des femmes au travail sous l’angle des politiques de santé publique, c'est parce qu'il s'agit d'un thème encore trop peu étudié, ont de leur côté précisé les sénatrices de la délégation. D’où l’organisation tout au long du premier trimestre 2023 d’un cycle d’auditions sur la santé des femmes dans les milieux professionnels, afin de récolter des expertises et témoignages visant à éclairer la problématique soulevée. La délégation entend ainsi « aborder la santé dans une approche large, se référant à la définition de l’OMS de la santé » qui la caractérise comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».

« Me Too », déclencheur de conscientisation

C'est le mouvement « Me Too » qui a permis de mettre la lumière sur la banalité des faits de violences sexistes ou sexuelles. En effet, ce qui semblait être des actes isolés ne sont finalement que le haut de l’iceberg, car ces violences sont en réalité systémiques. Catherine Cavalin, sociologue de la santé et chargée de recherche CNRS à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales, a estimé que « ce mouvement a touché et continue de toucher de nombreux pays et des populations variées, mais un facteur d'unité réside dans le fait qu'une partie des dénonciations porte sur des violences sexistes et sexuelles commises dans les relations nouées au travail ».

À lire aussi : L’impact du travail sur la santé des femmes, le grand oublié

De son côté, Florence Chappert, spécialiste de la santé et des conditions de travail à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et responsable de la mission Égalité intégrée et du projet Genre, égalité, santé et conditions de travail, s'est réjouie de « ce moment exceptionnel de conscientisation des violences masculines qui ont lieu dans le monde professionnel, qui a donné lieu à des débats publics et qui bouscule tous les lieux de travail »« Certes il est aujourd'hui permis de dire plus, pour autant, est-ce que les femmes sont plus entendues ? » s'est interrogée la spécialiste.

Les violences au travail ne sont pas des problèmes individuels

L'Anact a constaté que lorsqu’il y a dans une entreprise des cas avérés de violences sexistes ou sexuelles, les dirigeants « gardent comme clé de lecture que ces violences sont une question de comportement inapproprié et qu’elles sont la conséquence de relations interindividuelles », a précisé Florence Chappert. Mais les violences qui ont lieu au travail ne peuvent être réduites à des problèmes individuels, a-t-elle insisté. La sociologue Catherine Cavalin est du même avis : pour elle, les relations dans le monde du travail ne sont pas de l'ordre des rapports sociaux.

De son côté, Raphaëlle Manière a considéré qu’une « situation de domination s'est mise en place de façon déséquilibrée ». Florence Chappert a également fait référence à un article publié dans un numéro de la Revue des conditions de travail, publication événementielle de l’Anact depuis 2015, dans lequel le cabinet de conseil en qualité de vie au travail Empreinte humaine définit ce qu’est le « climat organisationnel sexiste ». Ce dernier permet de maintenir le climat de violence au sein de l’entreprise, en trois critères : la banalisation des faits, le sentiment d’impunité qui mène vers une inversion de la culpabilité, et le manque de recadrage de la part de la hiérarchie. Raphaëlle Manière déplore d’autant plus que ces violences soient généralement minimisées : « On parle de geste inapproprié, de propos déplacés. » Il est ainsi plus difficile d’apprécier la gravité des faits, a-t-elle pointé.

Un vrai risque pour l'entreprise

Les violences sexistes et sexuelles impactent en premier lieu la victime, ont rappelé les intervenantes. Elle est affectée aussi bien sur le plan physique que psychologique. Cela se traduit par toutes sortes de symptômes, comme le sentiment de culpabilité, l’anxiété ou le stress. Des addictions peuvent s’installer et, dans le pire des cas, mener la victime à faire des tentatives de suicide. 

Mais les conséquences de ces violences ne s’arrêtent pas là et vont aussi se répercuter sur son travail. La victime de violences subit par la suite une perte de confiance qui va impacter ses compétences. La déconcentration est l’un des symptômes et celui-ci va directement impacter les performances du salarié, qui risque la double peine en cas de désinsertion, de licenciement ou de mutation. Ces répercussions peuvent s’immiscer jusque dans la vie personnelle du salarié, notamment en cas d’arrêt maladie de longue durée avec la baisse des indemnités qui peut mener à un endettement, des difficultés avec l’entourage qui se cumulent, et une rupture de la vie sociale.

Les violences sexistes et sexuelles sont donc de plus en plus considérées comme un vrai risque pour l’entreprise. En effet, ces violences vont impacter « les équipes, le collectif dans le travail, l’ambiance de travail qui se dégrade avec des tensions et des clivages entre salariés », a souligné Florence Chappert. De même, cela peut affecter l’économie de l’entreprise et porter « atteinte à l’image de l’entreprise, dont il peut découler une perte des talents, un manque d’attractivité voire des contentieux ».

 

Tina Millet

 

 

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