La délégation du Sénat aux
Droits des femmes et à l'Égalité des chances entre les hommes et les femmes a
organisé le 4 mai une table ronde consacrée aux conséquences des violences
sexistes et sexuelles au travail sur la santé des femmes. Les spécialistes
intervenues ont insisté : ces violences, qui ne
sauraient être réduites à des problèmes individuels, et qui impactent la victime ainsi que l'exercice de ses fonctions, peuvent aussi menacer l’économie de
l’entreprise, ont-elles souligné.
Le sujet des violences sexistes
et sexuelles «
est un sujet grave, parce que c'est une atteinte à la dignité des femmes. Ces
violences sont au cœur du processus de domination et parler d'égalité
professionnelle et salariale sans éradiquer en amont les violences sexistes et
sexuelles est un non-sens, puisque la condition à la mise en place de cette
égalité même, c'est de pouvoir parler de ces violences sexistes et sexuelles »,
a affirmé Raphaëlle Manière, pilote de la cellule contre la violence sexiste et
sexuelle de la CGT et membre du collectif Femmes-Mixité de la CGT, lors de sa
prise de parole au Sénat le 4 mai.
Lors
de cette table ronde consacrée à l’impact que peuvent avoir sur la santé les
violences sexistes et sexuelles subies par les femmes dans l’enceinte du
travail, organisée par la délégation du Sénat aux Droits des femmes et à
l’Égalité des chances entre les hommes et les femmes, Raphaëlle
Meunière a également indiqué qu'elle incluait les violences sexistes dans les
risques professionnels, au même titre que les troubles musculosquelettiques,
les cancers professionnels, la charge mentale, etc.
Si la délégation du Sénat a choisi de s’intéresser à la santé des
femmes au travail sous l’angle des politiques de santé publique, c'est parce
qu'il s'agit d'un thème encore trop peu étudié, ont de leur côté précisé les
sénatrices de la délégation. D’où l’organisation tout au long du premier
trimestre 2023 d’un cycle d’auditions sur la santé des femmes dans les milieux
professionnels, afin de récolter des expertises et témoignages visant à
éclairer la problématique soulevée. La délégation entend ainsi « aborder la
santé dans une approche large, se référant à la définition de l’OMS de la santé
» qui la caractérise comme « un état de complet bien-être physique, mental et
social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité
».
« Me Too »,
déclencheur de conscientisation
C'est le mouvement « Me Too » qui a permis de mettre la
lumière sur la banalité des faits de violences sexistes ou sexuelles. En effet,
ce qui semblait être des actes isolés ne sont finalement que le haut de
l’iceberg, car ces violences sont en réalité systémiques. Catherine Cavalin, sociologue
de la santé et chargée de recherche CNRS à l’Institut de recherche
interdisciplinaire en sciences sociales, a estimé que « ce mouvement a touché et continue de
toucher de nombreux pays et des populations variées, mais un facteur d'unité
réside dans le fait qu'une partie des dénonciations porte sur des violences
sexistes et sexuelles commises dans les relations nouées au travail ».
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oublié
De
son côté, Florence Chappert, spécialiste de la santé et des conditions de
travail à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
(Anact) et responsable de la mission Égalité intégrée et du projet Genre,
égalité, santé et conditions de travail, s'est réjouie de « ce moment
exceptionnel de conscientisation des violences masculines qui ont lieu dans le
monde professionnel, qui a donné lieu à des débats publics et qui bouscule tous
les lieux de travail ». «
Certes il est aujourd'hui permis de dire plus, pour autant, est-ce que les
femmes sont plus entendues ? » s'est interrogée la spécialiste.
Les violences au travail ne
sont pas des problèmes individuels
L'Anact
a constaté que lorsqu’il y a dans une entreprise des cas avérés de violences
sexistes ou sexuelles, les dirigeants « gardent comme clé de lecture que ces
violences sont une question de comportement inapproprié et qu’elles sont la
conséquence de relations interindividuelles », a précisé Florence
Chappert. Mais les violences qui ont lieu au travail ne peuvent être réduites à
des problèmes individuels, a-t-elle insisté. La sociologue
Catherine Cavalin est du même avis : pour elle, les relations dans le
monde du travail ne sont pas de l'ordre des rapports sociaux.
De
son côté, Raphaëlle Manière a considéré qu’une « situation de domination s'est mise en place
de façon déséquilibrée ». Florence Chappert a également fait référence
à un article publié dans un numéro de la Revue des conditions de travail,
publication événementielle de l’Anact depuis 2015, dans lequel le cabinet de
conseil en qualité de vie au travail Empreinte humaine définit ce qu’est le « climat
organisationnel sexiste ». Ce dernier permet de maintenir le climat de violence au
sein de l’entreprise, en trois
critères : la banalisation des faits, le sentiment d’impunité qui mène
vers une inversion de la culpabilité, et le manque de recadrage de la part de
la hiérarchie. Raphaëlle Manière déplore d’autant plus que ces violences soient
généralement minimisées : «
On parle de geste inapproprié, de propos déplacés. » Il est
ainsi plus difficile d’apprécier la gravité des faits, a-t-elle pointé.
Un vrai risque pour l'entreprise
Les violences sexistes et sexuelles impactent en premier lieu la
victime, ont rappelé les intervenantes. Elle est affectée aussi bien sur le
plan physique que psychologique. Cela se traduit par toutes sortes de
symptômes, comme le sentiment de culpabilité, l’anxiété ou le stress. Des
addictions peuvent s’installer et, dans le pire des cas, mener la victime à
faire des tentatives de suicide.
Mais les conséquences de ces violences ne s’arrêtent pas là et
vont aussi se répercuter sur son travail. La victime de violences subit par la
suite une perte de confiance qui va impacter ses compétences. La
déconcentration est l’un des symptômes et celui-ci va directement impacter les
performances du salarié, qui risque la double peine en cas de désinsertion, de
licenciement ou de mutation. Ces répercussions peuvent s’immiscer jusque dans
la vie personnelle du salarié, notamment en cas d’arrêt maladie de longue durée
avec la baisse des indemnités qui peut mener à un endettement, des difficultés
avec l’entourage qui se cumulent, et une rupture de la vie sociale.
Les violences sexistes et sexuelles sont donc de plus en plus
considérées comme un vrai risque pour l’entreprise. En effet, ces violences
vont impacter «
les équipes, le collectif dans le travail, l’ambiance de travail qui se dégrade
avec des tensions et des clivages entre salariés », a souligné
Florence Chappert. De même, cela peut affecter l’économie de l’entreprise et
porter « atteinte à
l’image de l’entreprise, dont il peut découler une perte des talents, un manque
d’attractivité voire des contentieux ».
Tina Millet