Et si demain votre banque ne
vous permettait plus de faire des virements en dollars ? Cette hypothèse ne
relève pas de la fiction, et déjà aujourd’hui, certaines banques ont beaucoup
de difficultés à processer les flux en devise américaine, alors que le dollar cristallise
de nombreuses inquiétudes. Pour comprendre
la situation, il faut
s’intéresser à la façon dont les banques opèrent entre elles, et avec leur
écosystème.
PREMIÈRE ALERTE :
LA MACHINE S’EST GRIPPÉE
Plus que jamais, les écarts
entre les établissements financiers se sont creusés, notamment pour trois types
d’acteurs bancaires : si l’on grossit le trait, les grandes banques américaines
deviennent de plus en plus hégémoniques, face à des banques européennes de
taille moyenne en souffrance, et des petites banques à l’agonie. L’accès au
dollar, devise des échanges internationaux par excellence, tient une
responsabilité prépondérante dans ce phénomène qui bouleverse l’échiquier bancaire
au niveau mondial.
Les grandes banques américaines
que nous pouvons appeler « Tier 1 », auxquelles appartiennent JP Morgan
ou encore Citi pour ne citer qu’elles, sont des championnes de la banque
d’investissement. Elles ont une empreinte et un impact globaux.
Les banques de « Tier 2 »,
de leur côté, les talonnent en termes de taille et de produits bancaires. Il
s’agit de manière générale d’institutions européennes et asiatiques qui
avaient, il y a encore peu de temps, de grandes ambitions parmi lesquelles la
Deutsche Bank et la Société Générale. En « Tier 3 », on retrouve le « commun
des banques », celles qui semblent ne pas avoir tiré leur épingle du jeu.
Lorsqu’on se concentre sur le
billet vert, seules les banques du premier niveau sont « clearer en dollars »,
c’est-à-dire autorisées à faire de la compensation dans cette devise. En
d’autres termes, l’accès au dollar ne se fait que par leur biais ; ces banques
font donc figure d’intermédiaires incontournables.
Pour ce faire, les banques « Tier
1 » proposent aux banques de deuxième niveau un service de « correspondance
bancaire ». En effet de cascade, ces organes proposent à leur tour de jouer
les intermédiaires pour les banques plus petites ou locales, les « Tier 3 ».
Bon an mal an, ce système de poupées russes précaire fonctionnait jusqu’alors.
Jusqu’en 2008 précisément, où
la crise financière a sérieusement grippé la machine, bloquant les rouages d’un
système jusqu’à présent bien huilé. Résultat ? De nombreux clients se
plaignent, et se voient dans l’incapacité d’émettre ou de recevoir des
virements/paiements en dollars.
DEUXIÈME DRAPEAU
ROUGE : UN SYSTÈME AU BORD DE L’IMPLOSION, DUE À LA PRESSION RÉGLEMENTAIRE
Afin de lutter contre le
blanchiment d’argent, de mieux identifier le financement du terrorisme et
d’augmenter la transparence de l’ensemble du système financier, les autorités –
américaines en tête – ont considérablement augmenté leurs exigences, et les
sanctions qui en découlent. Cette austérité n’est que réaction à la pression
exercée au global : celle-ci se fait tellement forte que de plus en plus de
banques « Tier 1 » n’assument désormais plus leur rôle d’intermédiaire.
En cause ? Pas assez de garanties de transparence, et trop de risques d’amendes
si d’aventure, elles faisaient transiter malgré elles des flux financiers
douteux. Une opération trop risquée, basée sur de (trop) nombreux sacrifices,
notamment si elles prennent le pari d’onboarder. Par effet de domino,
elles obligent ainsi les banques « Tier 2 » à avoir des procédures de
conformité toujours plus strictes, exigent la réorganisation de départements
entiers quand elles n’imposent pas la refonte de systèmes d’information
colossaux, avec des coûts de développement et de maintenance très lourds.
Fatalement, les banques « Tier 2 », pour des raisons de traçabilité des
mouvements financiers, sont à leur tour réticentes à jouer les intermédiaires
envers les banques « Tier 3 ». Privant ces dernières de l’accès aux plus
grandes devises, et notamment au dollar.
Pour les opérateurs de
financement aux entreprises, ne nous mentons pas : c’est une bonne nouvelle. En
tant que fintechs, partie d’une page blanche, elles cochent toutes les
cases exigées par les clearers en dollars, là où les banques
faillissent. Aujourd’hui si l’on souhaite avoir un bon accès à cette devise, il
ne reste que deux options : avoir une relation avec un « Tier 1 », ou se
diriger vers des acteurs alternatifs, qui fondent les contours d’un nouveau
monde bancaire.
La correspondance bancaire est
un exemple des tremblements de terre qui secouent l’univers bancaire. Nouvelles
procédures et nouvelles législations créent un terrain de jeu pour les fintechs
: un terrain que nous n’avons pas fini de défricher.
Par Pierre-Antoine Dusoulier,
CEO,
iBanFirst