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Lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice - Partageons une ambition pour la Justice

Lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice - Partageons une ambition pour la Justice
Publié le 27/04/2017 à 09:00

En cette fin de quinquennat, le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a adressé  à son successeur une lettre ouverte publiée par les Éditions Dalloz. Parce que celui-ci défend une certaine « ambition de la Justice » qu’il vise à partager, le garde des Sceaux expose, sur 57 pages, les dix chantiers majeurs à venir. Il aborde,  notamment, le rapprochement de la Justice du citoyen, le développement du numérique ou encore la dignité des conditions de détention.


Madame la ministre,

Monsieur le ministre,

Tout l’art de la politique est de savoir se servir des conjectures. Et, dans la responsabilité que vous endossez, celles-ci vous inviteront rapidement à l’action.

En effet, non seulement la Justice est plus souvent source de critiques qu’objet de félicitations dans notre pays mais, de surcroît, la campagne électorale en a fait un regrettable sujet de polémiques.

Pourtant, son essence même est la concorde, puisque la paix véritable ne peut se construire au milieu des injustices de tous ordres. Et, de fait, les hommes l’ont inventée dans le but de dépasser la violence, le lynchage ou la tyrannie de l’instant. C’est pour cela qu’elle occupe une place singulière dans notre organisation publique, au point que Diderot écrivait : « La Justice est la seule vertu qui existe ».

Cependant, vous aurez probablement peu loisir d’y réfléchir, tant vous serez sollicité(e) par les urgences. Dans l’action ministérielle, il manque toujours du temps. Sans doute, d’ailleurs, est-ce la marque de notre société. Faut-il, alors, s’étonner que nos régimes politiques se soient fait une spécialité des demi-mesures, faute de pouvoir bénéficier du recul suffisant pour penser les réformes vigoureuses ?

C’est pour tenter de pallier cette carence que j’ai engagé le travail que je vous remets. À l’occasion de mes vœux aux personnalités du monde judiciaire, le 17 janvier 2017, j’avais indiqué qu’un ministre doit se comporter comme un jardinier et planter des graines pour que ses successeurs profitent des arbres et récoltent les fruits qui en seront issus. Tout au long de ces mois place Vendôme, j’ai donc inlassablement sarclé, obstinément biné, opiniâtrement semé, en cherchant à renforcer le service public de la Justice.

Certaines pousses apparaissent déjà, j’y reviendrai plus en détail ; j’ai, par exemple, été heureux d’entendre de nombreux chefs de cour ou de juridiction reconnaître qu’ils avaient commencé l’actuel exercice budgétaire avec plus de moyens qu’ils n’en avaient jamais eus. Et certains fruits sont même formés : ainsi, toutes les écoles du ministère (celle de la protection judiciaire de la jeunesse à Roubaix, celle des greffes à Dijon, celle de la magistrature à Bordeaux, celle de l’administration pénitentiaire à Agen) fonctionnent-elles au maximum de leurs capacités de formation tant les recrutements ont été conséquents.

Mais des chantiers majeurs restent encore à mener, pour lesquels le temps m’a fait défaut. J’ai tenté de les identifier puis ai rassemblé expertise et technicité pour que les diagnostics soient amplement partagés, au-delà des alternances. De même, j’ai fait évoluer bien des textes qui entravaient notre capacité à conduire ces chantiers ; j’ai aussi négocié des évolutions statutaires avec les organisations syndicales partenaires pour que les personnels accompagnent sereinement ces évolutions. Toutefois, ces efforts préparatoires n’annoncent malheureusement pas des concrétisations aisées ou des compromis faciles tant la souplesse et le pragmatisme ne figurent pas au panthéon de nos spécialités nationales. Jules César n’avait-il pas déjà identifié, dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, que la discorde perpétuelle des tribus gauloises constituait leur principale faiblesse ?

Il vous faudra donc agir sans désemparer, avec l’élan nécessaire que permet un début de quinquennat. Pour ce faire, je vous soumets dix chantiers, tous tournés vers une unique ambition : réparer le présent et préparer le futur.

 

 

Jean-Jacques Urvoas

 

 

Les dix chantiers :


Chantier I : Vite ! Une loi de programmation pour la justice (2018-2022) ;

Chantier II : Poursuivre le rapprochement de la justice du citoyen : accessibilité, simplicité, efficacité, rapidité ;

Chantier III : Mettre la force de la technologie au service de tous ;

Chantier IV : Repenser la peine et son exécution ;

Chantier V : Garantir l’encellulement individuel et la dignité des conditions de détention ;

Chantier VI : Promouvoir une « justice de protection » et de restauration du lien social ;

Chantier VII : Amplifier la politique de recrutements massifs et adapter les capacités de formation au sein

du ministère de la Justice ;

Chantier VIII : Le droit comme levier de croissance ;

Chantier IX : Vers une Europe de la justice ;

Chantier X : Une révision constitutionnelle au service de la nation.


 

Retrouvez plus d’articles dans le Journal Spécial des Sociééts n° 33 du 26 avril 2017

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