Notaires et experts-comptables ont présenté
le 10 janvier dernier la loi de finances 2019 et l’actualité fiscale à
travers l’analyse des principales mesures prises par le gouvernement l’an
passé, et leur impact sur l’année à venir. Fiscalité du patrimoine, des
entreprises, dispositions impactant les revenus, etc., tout a été passé en
revue.
« La
loi de finances est passionnante cette année. Elle est révolutionnaire à
certains titres, elle va donner du travail aux professionnels que nous sommes »
a déclaré Jérôme Cesbron, notaire, en préambule de la présentation.
Adoptée fin 2018 par les
parlementaires, la loi de finances 2019 va en effet induire de nombreux changements fiscaux cette année.
Les mesures votées au dernier moment (loi gilets jaunes du 21 décembre
2018) ont notamment fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Lors de cette
rencontre avec les journalistes, les experts ont commencé par présenter les
mesures impactant la fiscalité des entreprises.
LES MESURES IMPACTANT LES
ENTREPRISES
« La
loi de finances concernant la seule fiscalité des entreprises n’a rien de
révolutionnaire, mais se situe dans la continuité des évolutions déjà amorcées
l’an passé », a commencé Virginie Roitman, expert-comptable.
D’abord
concernant le CICE en 2019, que va-t-il se passer ? Depuis le 1er janvier
2019, il n’existe plus et est remplacé par une exonération de charges.
À noter
aussi la suppression du plafonnement de la déductibilité du salaire du conjoint
de l’exploitant. Ce salaire était en effet déductible jusqu’à hauteur de
17 500 euros, désormais il sera déplafonné.
L’expert-comptable
a aussi mentionné une « révolution fiscale » : le droit à
renonciation à l’impôt sur les sociétés (IS). Certaines sociétés de personnes,
automatiquement soumises à l’impôt sur le revenu (IR), pouvaient opter à
l’impôt sur les sociétés. Cette option était au préalable irrévocable. Mais cette
dernière peut, avec la nouvelle loi, être révoquée sous cinq ans et sous
certaines conditions. En pratique cependant, selon Jérôme Cesbron, « l’utilité
et l’efficacité de la renonciation vont être extrêmement rares ». Pour
le notaire en effet, le délai de cinq ans est trop court. En outre, les
conséquences de la renonciation sont les mêmes que celles d’une cessation
d’entreprise. Donc, les sociétés de personnes auraient une fiscalité
extrêmement importante au moment de la renonciation. Alors, pourquoi avoir instauré
cette loi ? Selon Maître Cesbron, il s’agit en fait d’une forme de droit à
l’erreur « pour des contribuables qui auraient opté pour l’IS de
manière trop optimiste et n’auraient pas obtenu les résultats escomptés [avec
leur entreprise] ».
« On
se demande comment nous professionnels allons pouvoir utiliser cette mesure, on
réfléchit encore » a insisté de son côté Virginie Roitman.
Celle-ci a
ensuite annoncé, pêle-mêle, les autres mesures de la loi de finances, notamment
l’instauration d’une TVA des services électroniques (télé communication) pour
des prestations à hauteur de 10 000 euros ; le « nouveau
dispositif de limitation des charges financières », qui s’applique
pour les entreprises qui ont plus de 3 millions de recettes de charges financières.
Avec cette mesure, un nouveau terme apparaît, « l’EBITDA fiscal », notion
pas tout à fait bien définie, a déclaré l’experte.
Autre
évolution : l’aménagement du régime de l’intégration fiscale. Celui-ci
était auparavant un régime de groupe. « Cet aménagement met fin à la
neutralisation d’un grand nombre de subventions et abandons de créances »,
a explicité Madame Roitman. Par conséquent, cela ôte pratiquement tout
intérêt au régime de l’intégration fiscale. Que va devenir ce régime ?
s’est-elle interrogée. Le seul intérêt que présente celui-ci sera de pouvoir « imputer
les résultats déficitaires d’une filiale sur la mère, ou les sœurs entre
elles » a ajouté l’experte. En effet, économiquement, il n’est pas
tout à fait sain d’avoir des sociétés ouvertes.
L’expert-comptable a ensuite évoqué la mesure sur « le
renforcement et l’encadrement de la réduction d’impôt mécénat d’entreprise ».
Actuellement, les entreprises peuvent déduire de leurs impôts 60 % de
leurs dépenses de mécénat, plafonné à 5 ‰ HT de leur chiffre d’affaires.
Ainsi, « si vous faites 1 million de CA vous pouvez déduire
5 000 euros », a expliqué Virginie Roitman. La loi de
finances 2019?vient d’instaurer un nouveau plafond : les
entreprises qui font moins de 2 millions de CA, peuvent déduire jusqu’à
10 000 euros. Ce plafond de 10 000 euros est un mécanisme
alternatif à celui de 5 ‰ du chiffre d’affaires HT. L’idée étant de
« faire rentrer l’art dans ces petites entreprises », a-t-elle
commenté.
Enfin, la loi promeut l’instauration d’un suramortissement pour les PME
industrielles. Ainsi, quand ces dernières vont investir, elles pourront déduire
40 % de la valeur des biens acquis.
Pur conclure sur ce thème, Jérôme Cesbron a déclaré : « L’IS
continue à baisser progressivement. La nouveauté 2019 par rapport à 2018 ne concerne que les grosses entreprises ; car la seule différence
c’est le taux d’imposition de la quote-part de résultat qui excède 500 000 euros
qui était de 33,33 % l’an passé, et qui est descendu à 31 %. »
Maître Laurence Briday-Lelong, notaire et Nora Vartanyan,
expert-comptable ont ensuite présenté les dispositions impactant les revenus.
LES DISPOSITIONS IMPACTANT LES
REVENUS
Parmi les
réformes, les deux professionnelles ont surtout développé celles instaurées par
la loi du 21 décembre 2018? ite
« lois gilets jaunes ». Des mesures essentiellement en faveur du
pouvoir d’achat.
D’abord, il
y a la prime de fin d’année, il s’agit d’une prime exceptionnelle qui peut être
versée jusqu’au 31 mars 2019 à tous les salariés dans la
limite de 1 000 euros. Elle concerne tous les
salariés dont le salaire brut est de 53 943 euros par an maximum. Ce bonus
est exonéré d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales, et il ne peut se
substituer à une augmentation déjà existante ou autre prime, a commenté
Maître Briday-Lelong. En outre, pour pouvoir la donner, il faut un accord
d’entreprise et une décision unilatérale de l’employeur.
Quant aux
heures supplémentaires, dès à présent, elles seront défiscalisées.
Concernant
les crédits et réductions d’impôt, le CITE (Crédit d’impôt sur la transition
écologique) est prorogé jusqu’au 31 décembre 2019. Il était prévu qu’il
soit arrêté en faveur d’une prime, mais cela ne se fera pas.
On note
également quelques changements concernant notamment les dépenses réalisées pour
l’achat de matériaux d’isolation thermiques des parois vitrées, et celles liées
aux coûts de main-d’œuvre (Cf. article 200 quater du
Code général des impôts).
Quant au
crédit d’impôt éco-prêt à taux zéro, il est prorogé jusqu’au 31 décembre
2021. Là aussi, de nombreuses modifications ont été apportées :
facilitation de l’accessibilité du prêt à certains ménages à revenus modestes,
élargissement aux travaux effectués en copropriété, etc.
Le
dispositif Censi-Bouvard qui concerne les investissements dans le secteur de la
location meublée non professionnelle est lui aussi prorogé jusqu’au 31 décembre
2021.
« Pour
ceux qui souhaitent investir dans l’immobilier, la loi Pinel dans les zones où
l’offre est très faible imposait que l’acquisition soit faite avant le 31 décembre 2018 » a poursuivi Laurence
Briday-Lelong. Or, aujourd’hui, l’acquisition peut être faite jusqu’au 15 mars
2019.
En outre, le
champ Pinel est désormais ouvert aux travaux, pour les logements vétustes. Il
est ainsi possible d’avoir le dispositif dit Pinel optimisé au déficit foncier,
et de pouvoir cumuler à ce dispositif le déficit foncier habituel, sur les
revenus fonciers plafonnés à 10 700 euros par an.
Pour les investissements en outre-mer, la loi Girardin qui accorde une
aide fiscale au titre de la réalisation d’investissements dans les secteurs
considérés comme prioritaires, a elle aussi été prorogée. Il faut savoir
également que les réductions outre-mer sont plus avantageuses que celles
appliquées en métropole.
Si l’on préfère plutôt investir dans le capital en numéraire d’une PME,
on peut bénéficier d’une réduction d’impôt qui est passée à 25 % (avant 15 %).
Cependant, comme cela est considéré comme un avantage aux entreprises, il faut
attendre la validation de la Commission européenne avant de pouvoir en
profiter.
Le gros chantier pour l’année à venir est bien entendu le prélèvement à
la source, mesure que Nora Vartanyan, expert-comptable a explicité en détail.
Au mois d’août 2018, toutes les particularités, les différents statuts
(salariés, libéraux, employés de particuliers…) ont été analysés et catégorisés
sur le site du BOFIP-Impôts (Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts),
ce qui a permis de « classer » les contribuables selon leur situation.
Si le PAS
permet de faciliter la collecte de l’impôt en France (comme cela est pratiqué
dans de nombreux pays européens), il reste que psychologiquement, il faut
pouvoir s’y adapter. Avec ce nouveau mode de prélèvement, le contribuable perd
en quelque sorte la main sur les montants prélevés. Auparavant, il pouvait en
effet échelonner les paiements selon sa situation du moment, ou
« négocier » avec l’administration fiscale pour obtenir des délais.
Au niveau
pratique, lors de la première déclaration ou pour mettre à jour ses données, le
contribuable doit se connecter sur son espace sur le site impot.gouv.fr. Il a
alors accès au montant de son acompte, à son taux moyen ainsi qu’aux détails
des calculs qui ont permis de définir ce taux (la transparence des calculs est
une nouveauté de la loi de Finances 2019).
Sur l’espace personnel, les citoyens peuvent eux-mêmes choisir leur taux
(taux neutre, taux individualisé…), en fonction de leur condition du moment. « Il
vaut mieux faire les modifications le plus tôt possible, car l’administration
met deux mois à les mettre à jour (…). Et les impôts ne remboursent pas cette
période de deux mois » a précisé l’expert-comptable.
Pour les employeurs, lors du recrutement d’un salarié, il existe le
logiciel Topaze qui permet d’interroger l’administration fiscale pour pouvoir
récupérer le vrai taux d’imposition d’une personne, de son foyer fiscal.
L’objectif de Topaze permet d’éviter de recourir au « taux
imposition neutre » lors du versement de premier salaire pour les contribuables
nouvellement embauchés.
Actuellement,
le taux est calculé sur la déclaration 2017, mais à partir du mois d’août
(jusqu’à mai 2020) le taux sera de nouveau calculé, a spécifié Nora Vartanyan.
De fait, le
taux change tous les six mois. Dès que les contribuables déclarent leurs
impôts, un nouveau taux s’applique.
D’autres
mesures découlent du PAS, notamment le versement par anticipation de certains
crédits et réductions d’impôts, ainsi que l’aménagement du dispositif pour les
employeurs particuliers.
Ainsi, le
taux de versement anticipé des CI et RI sur l’emploi de salarié à domicile et
la garde d’enfant est passé de 30 % à 60 %. Quant à l’aménagement du dispositif
pour les employeurs particuliers, la loi de Finances 2019 prévoit que les particuliers employeurs
soient dispensés, à titre temporaire et exceptionnel, d’effectuer une retenue à
la source sur les salaires versés en 2019.
Les
personnes qui en bénéficieront sont les assistants maternels, les
gardes-chasses, les employés de maison, etc.
Nora Vartanyan
a ensuite passé la parole à Maître Jérôme Cesbron qui a présenté les mesures
impactant la fiscalité du patrimoine.
FISCALITÉ DU PATRIMOINE
Même si la
loi de Finances 2019 introduit
moins de changements fiscaux qu’en 2018, elle apporte néanmoins des nouveautés
qui vont fortement impacter le patrimoine des individus. Maître Cesbron en
a détaillé quelques-unes.
D’abord, concernant les personnes physiques qui transfèrent leur
domicile fiscal hors de France (Exit tax) et qui sont soumises à l’IR et aux
prélèvements sociaux sur certaines plus-values latentes, le dispositif est
assoupli en 2019 sur plusieurs points : le délai de dégrèvement est
réduit à 2 ou 5 ans en fonction de la valeur globale des
titres ; les obligations déclaratives sont simplifiées ; un sursis de
paiement automatique peut être accordé aux contribuables sous certaines
conditions.
En outre, sous certaines conditions, les non-résidents sont exonérés au
titre de la plus-value réalisée sur la cession du logement qui était leur
résidence principale dans l’Hexagone avant leur départ à l’étranger.
Quant à la Flat tax, la loi de Finances prévoit l’aménagement du régime
de report d’imposition des plus-values d’apport de titres à une société
passible de l’IS.
L’administration fiscale a également pensé à l’imposition sur les
monnaies virtuelles, celles-ci étant en plein essor de nos jours.
Ainsi, les gains de cession occasionnelle d’actifs numériques (bitcoin)
réalisés par les personnes physiques en France sont soumis à l’impôt sur le
revenu à hauteur de 12,8 % et aux prélèvements sociaux au taux de
17,2 % soit un taux global de 30 %.
Parmi les
mesures, on note également l’assouplissement du régime d’exonération partielle
de droits de mutation à titre gratuit « Dutreil transmission ». De
nombreux points ont été aménagés. Entre autres : les seuils minimums
requis pour la conclusion de l’engagement collectif sont abaissés ;
l’engagement collectif pourra être souscrit par un signataire unique ; le
dispositif autorisant l’apport à une holding des titres soumis aux engagements
de conservation est entièrement refondu.
On peut
citer également l’application du dispositif d’échelonnement infra-annuel de
l’acompte contemporain à certains revenus non commerciaux ; la
modification de la grille des taux proportionnels pour les contribuables
domiciliés en Guadeloupe, Réunion et Martinique.
Enfin, les
intervenants ont développé un dernier thème intitulé « Fraude ou
confiance ? » et sont revenus sur deux lois adoptées au cours de
l’année 2018 visant à
renforcer le droit à l’erreur des contribuables de bonne foi et à sanctionner
plus lourdement ceux qui se rendent coupables de fraudes fiscales.
FRAUDE OU CONFIANCE
Virginie Roitman a d’abord évoqué la loi ESSOC (État au service d’une
société de confiance) du 10 août 2018. « Qui dit confiance dit
“droit à l’erreur” pour l’administration fiscale », a-t-elle précisé.
En tant que contribuable, il peut arriver de se tromper. Si par ailleurs on
respecte bien ses obligations déclaratives et de paiement, on peut bénéficier
du droit à l’erreur lequel institue de nouvelles garanties, notamment :
l’intérêt de retard est réduit de 50 % en cas de rectification
spontanée ; possibilité d’effectuer ces rectifications en cours de
contrôle fiscal… En outre l’amende de 5 % qui sanctionnait le défaut de
production de certains documents n’est plus applicable en cas de réparation de
l’omission.
Puis il y a
la loi contre la fraude, du 23 octobre 2018. « La fraude fiscale
et sociale coûte des milliards d’euros à la France tous les ans ; et tous
les ans le législateur cherche des solutions pour lutter contre cette
fraude » a rappelé l’expert-comptable. Il en a trouvé une en
sanctionnant des conseils qui auraient la « mauvaise idée » de donner
quelques astuces fiscales. On parle ici des professionnels du droit et du
chiffre. Si jamais le contribuable a une pénalité de 80 %, le conseil
pourra être condamné à verser une amende qui pourrait s’élever à 50 % des
honoraires qu’il aurait perçus, s’il s’avère que c’est lui qui a donné des
conseils « limites » à ses clients. En outre, le professionnel qui a
reçu ce genre d’amende n’a plus le droit de faire partie des Commissions
d’impôts…
« Il
semble qu’à travers cette loi, les pouvoirs publics ont eu envie de changer
l’adage, “les conseilleurs ne sont pas les payeurs” » a ironisé
Virginie Roitman.
« Cette
sanction du conseil est assez nouvelle, en termes pratiques elle ne sera
appliquée que si la pénalité s’élève à 80 % » a quant à lui
précisé Maître Cesbron.
Enfin,
Madame Roitman est revenue sur la notion d’abus de droit au titre des
montages poursuivant un but principalement fiscal. Avant dans la loi, pour que
l’on puisse parler d’abus de droit, on devait démontrer que le but était
« exclusivement » fiscal ; il suffisait d’avoir un but autre,
pour échapper à l’abus de droit. Les professionnels du droit pouvaient trouver
un but économique à n’importe quelle situation (donation, démembrement..).
Maintenant il va falloir démontrer que le but n’est pas
« principalement » fiscal. Un terme qui n’est pas clairement défini
par le législateur. Par conséquent, les tribunaux vont certainement être
débordés, a prévenu Virginie Roitman, car c’est au juge qu’il reviendra la
lourde tâche de définir ce terme de « principalement ».
Maria-Angélica Bailly
2019-4490