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Loi de finances pour 2019 - Dette déductible en matière d’IFI : un soulagement de courte durée !

Loi de finances pour 2019 - Dette déductible en matière d’IFI : un soulagement de courte durée !
Publié le 22/02/2019 à 10:56


Le cabinet d’affaires internationales Alérion a proposé une matinée de débat sur la loi de finances 2019. Philippe Pescayre, avocat associé, et Christophe Grohin, reviennent pour les lecteurs du JSS sur l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) remplaçant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Bonne ou mauvaise nouvelle pour l’assujetti ?




L’impôt sur la fortune immobilière (IFI), institué par l’article 31 de la loi 2017-1837 du 30 décembre 2017, est venu en remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Ce nouvel impôt s’appliquant sur le patrimoine immobilier net imposable est déjà au centre de toutes les controverses, moins d’un an seulement après son instauration. En effet, cet impôt a une assiette beaucoup plus restreinte puisque, au lieu du patrimoine global du redevable, ne sont imposés que les immeubles et droits immobiliers détenus par celui-ci, directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une société ou d’une entité juridique.


Cette assiette restreinte a conduit le législateur à truffer l’IFI de mesures dites « anti-abus », le recours à l’endettement étant vu comme une pratique suspecte pouvant être motivée par la recherche d’une économie fiscale. Ces mesures anti-abus édictent ainsi des principes de non-déductibilité de certaines dettes souscrites pour l’acquisition d’actifs immobiliers, soit au titre de règles d’assiette pour la détermination de la valeur des sociétés immobilières taxables, soit au titre de la définition des passifs déductibles.


Malgré la nouveauté du texte régissant l’IFI, la loi de finances pour 2019 (loi n°° 2018-1317du 28 décembre 2018) vient déjà aménager les conditions d’application des mesures anti-abus. Sous l’apparence de dispositions très techniques venant corriger des imperfections rédactionnelles, ces modifications vont inévitablement aboutir à une hausse substantielle des bases imposables à l’IFI pour de nombreux contribuables qui en feront l’amer constat au moment de remplir leur déclaration pour l’année 2019.


 


Extension du champ d’application des dettes non déductibles pour la détermination de la valeur des sociétés immobilières


L’article 973 du CGI prévoit par principe que certaines dettes ne sont pas prises en compte pour la valorisation des titres dans les sociétés immobilières taxables à l’IFI, sauf application de la clause de sauvegarde permettant de retrouver le droit de les déduire en justifiant, selon le cas, que le prêt n’a pas été contracté dans un objectif principalement fiscal ou que le prêt présente un caractère normal. Les dettes concernées sont celles provenant de prêts consentis à la société par le redevable de l’IFI ou par une société dont il a le contrôle ou par un membre de son groupe familial (ascendants, descendants, frères et sœurs). Sont aussi concernés les prêts de toute nature consentis à la société pour l’acquisition d’un bien immobilier appartenant au redevable de l’IFI qui la contrôle (« vente à soi-même »).


Le texte applicable pour l’IFI dû au titre de 2018, limitait toutefois la non-déductibilité aux dettes souscrites pour l’acquisition d’un « bien ou droit immobilier » ou le financement de travaux y afférents. Ainsi, une lecture littérale du texte aboutissait à la conclusion que les dettes souscrites pour l’acquisition de titres de sociétés immobilières n’étaient pas concernées par le dispositif anti-abus.


La loi de finances pour 2019 vient corriger cet oubli en prévoyant désormais que le dispositif s’applique aux dettes d’acquisition de tout "actif responsable", ce qui inclut les titres de sociétés immobilières.  


Cette modification mettant en relief une imperfection du texte d’origine, cela pourra donner matière à déposer une réclamation contentieuse pour obtenir une réduction de l’IFI 2018 pour les contribuables qui ont pris une position très conservatrice dans leur déclaration et n’ont pas tenu compte pour la valorisation des titres des sociétés qu’ils détiennent des dettes souscrites pour l’acquisition de titres de sociétés immobilières.


 


Extension du champ d’application des dettes non déductibles au niveau du foyer fiscal


Les redevables de l’IFI doivent également être attentifs à la liste des dettes non déductibles de leur patrimoine imposable. Ainsi, l’article 974 du CGI refuse la déduction des dettes souscrites par le redevable auprès d’un membre de son foyer fiscal, auprès d’un membre de son groupe familial composé de ses ascendants, descendants et frères et sœurs, ou encore auprès d’une société dans laquelle il détient le contrôle. Là encore, il existe une clause de sauvegarde permettant de retrouver le droit de déduire la dette en justifiant que le prêt a été accordé à des conditions normales. Cette clause de sauvegarde n’est toutefois pas applicable pour les dettes envers un membre du foyer fiscal, lesquelles sont frappées d’une impossibilité absolue de déduction.


Contrairement à l’article 973 précité, l’article 974 prévoit bien que les dettes non déductibles sont celles souscrites en vue de l’acquisition d’un actif imposable, intégrant donc dans le champ des dettes couvertes par le dispositif celles souscrites en vue de l’acquisition de titres de sociétés détenant directement ou indirectement des immeubles. En revanche, ce même article prévoyait également que les prêts remboursables in fine ou ceux ne prévoyant pas de terme pour le remboursement du capital devaient faire l’objet d’un retraitement particulier en réputant que ces prêts étaient amortissables annuellement. Or, le texte initial relatif à ces emprunts particuliers ne s’appliquait que lorsqu’ils avaient été souscrits pour l’acquisition de biens ou droits immobiliers, laissant ainsi s’échapper du dispositif les prêts in fine ou sans terme conclus pour l’acquisition de titres de sociétés.


Là encore, la loi de finances pour 2019 vient réparer cette anomalie afin de viser désormais les prêts souscrits pour l’acquisition de tout actif imposable.


 


Le dispositif de lutte contre les prêts in fine ou sans terme est étendu aux sociétés


Prenant peut-être conscience qu’il était facile de contourner les règles limitant la déductibilité des emprunts in fine ou sans terme en interposant une société qui s’endettait pour acquérir l’actif immobilier, l’article 48 de la loi de finances pour 2019 vient prévoir que désormais le dispositif s’applique également pour la détermination de la valeur des parts de la société immobilière.


Ainsi par exemple, lorsqu’une société a souscrit un emprunt remboursable intégralement au bout de dix ans pour acquérir un actif immobilier taxable, la valorisation des parts de la société pour l’IFI devra se faire en diminuant fictivement la dette de 1/10e de son montant par an.


 


Focus sur les avances en comptes courants d’associés


L’avance en compte courant d’associé constitue un prêt consenti par l’associé à la société. L’avance est un moyen simple d’apporter des fonds à la société en évitant d’avoir à réaliser une augmentation de capital, ou de se tourner vers un emprunt bancaire. C’est aussi un instrument très souple car il n’est pas nécessaire de prévoir une date de remboursement, et en pratique, le montant du compte courant varie régulièrement dans le temps, que ce soit à la hausse si la société a besoin d’un apport complémentaire pour payer une dépense exceptionnelle, ou à la baisse lorsque la société dispose d’une trésorerie excédentaire permettant de rembourser en tout ou partie la dette envers son associé.


Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, les dettes d’une société immobilière envers son associé redevable de l’IFI sont par principe suspectes et ne sont donc pas à prendre en compte pour déterminer la valeur de ses parts. Toutefois, la loi autorise la déduction de telles dettes si le redevable de l’IFI justifie que le prêt à la société n’a pas été consenti dans un objectif principalement fiscal. En quelque sorte, c’est comme si on obligeait le redevable de l’IFI qui a des liquidités qu’il entend affecter à une acquisition au travers d’une société à les apporter en capital. Et s’il ne veut pas apporter les fonds en capital mais en compte courant d’associé, il doit justifier de motifs valables autres que fiscaux pour agir ainsi et démontrer que ces motifs non fiscaux ont plus de poids que les motifs fiscaux. Nul doute que la tentation sera grande pour l’administration fiscale de considérer systématiquement que le financement par avance en compte courant est principalement motivé par la volonté de diminuer la base imposable à l’IFI. Le combat sera en outre d’autant plus inégal que l’administration fiscale mettra en avant un avantage fiscal quantifiable correspondant à l’économie d’IFI réalisée par le redevable tandis que ce dernier n’aura bien souvent que des motifs juridiques ou opérationnels non quantifiables à opposer (plus grande souplesse pour récupérer les sommes prêtées, financement inégalitaire avec les autres associés, faciliter une transmission ultérieure en diminuant la valeur de la société…). Comment apprécier dans ce cas lequel de ces motifs est le principal ? Force est de constater que l’administration semble être confrontée à la même difficulté car elle ne donne aucune indication ou piste de réflexion dans son BOFIP, en se bornant à préciser que « l’analyse du caractère principal de l’un des objectifs résulte d’une appréciation de fait tenant notamment compte du montant de l’économie d’impôt résultant de la minoration de l’assiette imposable à l’IFI rapporté à l’ensemble des gains ou avantages de toute nature obtenus du fait du montage » (BOI-PAT-IFI-20-30-30-20180608, § 240).


C’est donc avec grand soulagement que les fiscalistes avaient accueilli la confirmation par l’administration fiscale dans ce même BOFIP que « peuvent être susceptibles de caractériser un objectif principalement autre que fiscal les circonstances que la dette a été souscrite avant la création de l’IFI au 1er janvier 2018, ou à une date très antérieure à celle à compter de laquelle le foyer fiscal est devenu redevable de cet impôt ». En d’autres termes, le stock de dettes existantes au 1er janvier 2018 reste intégralement déductible et le dispositif anti-abus ne concerne que les dettes nées postérieurement à cette date. Malheureusement, la loi de finances pour 2019 change totalement la donne et ce pour le plus grand plaisir des laboratoires fabriquant des médicaments contre les maux de tête ! En effet, sauf en cas de convention écrite prévoyant un remboursement à une date précise, les avances en compte courant constituent par hypothèse des prêts sans terme. Elles sont donc concernées par l’extension aux sociétés immobilières du dispositif de lutte contre les prêts in fine ou sans terme.


Fini donc la déduction intégrale des comptes courants préexistants au 1er janvier 2018 !


La mise en pratique de ces nouvelles règles ne manquera pas de poser de sérieuses difficultés.


En effet, à défaut de terme prévu pour le remboursement des comptes courants, ceux-ci seront réputés être des prêts amortissables sur une durée de 20 ans à compter de la mise à disposition des fonds. Cela imposera en conséquence de retracer l’évolution du compte courant depuis son origine afin d’identifier ce qu’il a financé et les différents apports faits au fil des ans. Chaque apport net annuel devra faire l’objet de son propre plan d’amortissement. Cela induira donc un suivi très précis et complexe, notamment au sein des groupes de sociétés.


En outre, certaines questions restent sans réponse aujourd’hui. Ainsi, par exemple, si un remboursement partiel a été réalisé en cours d’année, comment faudra-t-il l’imputer ? Pourra-t-on considérer qu’il vient diminuer l’avance la plus ancienne, ou devra-t-on l’imputer proportionnellement sur le montant des avances faites annuellement ? Et qu’en est-il lorsque les avances en compte courant ont financé l’acquisition d’un actif immobilier pour partie, et des dépenses non liées à l’immobilier pour le reste ? Incontestablement, le législateur n’a pas pris la mesure des nombreuses incertitudes créées par ce nouveau texte, ce qui est regrettable.


Pour conclure, s’il parait légitime que le législateur souhaite réagir pour contrer les schémas abusifs, la démarche consistant à abuser des mesures anti-abus doit être dénoncée, car elle va à l’encontre du principe constitutionnel d’intelligibilité de la loi en mettant le contribuable dans l’impossibilité d’appliquer correctement la loi en raison de son extrême complexité.


 


Philippe Pescayre,

Avocat associé,

Alerion


Christopher Grohin,

Juriste


 


1 commentaire
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DESCUBES
- il y a 5 ans
Merci pour cette excellente analyse et l'ouverture que vous faites pour attaquer ces textes par une QPC...Ai je raison ?

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