La loi de finances pour 2020 a été publiée au Journal
officiel du 29 décembre
2019, suite à sa validation par le Conseil constitutionnel.
Nous vous proposons de faire le point sur les mesures
marquantes de cette loi au regard de leurs impacts au niveau des particuliers
et des entreprises.
Mesures
intéressant les particuliers
Domiciliation fiscale en France
des dirigeants des grandes entreprises françaises
Cette première mesure, objet de nombreux débats et
largement commentée par les médias, a finalement été adoptée par le législateur
puis validée par le Conseil constitutionnel.
En modifiant l’article 4B du Code général des impôts (CGI),
le législateur étend la domiciliation fiscale aux dirigeants des grandes
entreprises. Ainsi, sauf à rapporter la preuve contraire, les dirigeants des
sociétés établies en France et dont le chiffre d’affaires consolidé excède 250 millions d’euros (contre
un seuil initialement fixé à 1 milliard) pourront désormais être considérés comme exerçant en France leur
activité professionnelle à titre principal. Ces dirigeants, considérés comme
étant domiciliés en France, seront donc soumis à une obligation fiscale
illimitée.
Le seuil de 250 millions prévu par la loi s’entend du cumul des
chiffres d’affaires réalisés en France par la société française et par les
sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-16 du Code de commerce. S’agissant
des dirigeants concernés, après diverses modifications, le législateur a limité
le champ d’application de cette nouvelle règle au président du conseil
d’administration lorsqu’il assume la direction générale de la société, au
directeur général, aux directeurs généraux délégués, au président et membres du
directoire, aux gérants et autres dirigeants ayant une fonction analogue, à l’exclusion des fonctions non exécutives (président et membres du conseil de surveillance, administrateurs).
Cette réforme, présentée comme une mesure de justice
sociale par le gouvernement, aura une portée limitée chaque fois qu’une
convention fiscale sera applicable, étant toutefois précisé que la grande
majorité des conventions couvre exclusivement l’impôt sur le revenu (IR) et ne
concerne pas l’ Impôt sur la fortune immobilière (IFI) ni les droits de
mutation à titre gratuit. Cette mesure doit donc faire l’objet d’une attention
particulière.
à noter que cette mesure s’applique à l’IR dû au titre de l’année 2019 et des années suivantes,
aux successions ouvertes et aux donations consenties à compter du 1er
janvier 2020 et à
l’IFI à compter du 1er janvier 2020.
Taxe d’habitation
Annoncée par le Président Macron, la réforme de la
taxe d’habitation est initiée dès 2017. La loi de finances pour 2020 parachève cette réforme en supprimant progressivement la taxe d’habitation due au titre de la résidence
principale pour la totalité des contribuables d’ici 2023. Par ailleurs, dès
2020, le dégrèvement sous conditions de ressources dont bénéficie 80 % des contribuables sera égal à la totalité de la taxe
d’habitation due, conduisant, en pratique, à une exonération de taxe
d’habitation ; les 20 % de contribuables demeurant assujettis à la taxe
d’habitation bénéficieront d’une exonération de 30 % e n 2021, de 65 % en 2022 et de 100 % en 2023. Par conséquent, l’en semble des contribuables devrait être exonéré de taxe d’habitation à l’horizon 2023.
Barème progressif de l’IR
Faisant suite au grand débat national, les limites
des tranches du barème progressif de l’impôt sur le revenu sont revalorisées de 1 % pour les revenus perçus en 2019 et le taux de la deuxième
tranche abaissé à 11 %
(contre 14 %
jusqu’alors) pour les revenus perçus en 2020.
Mesures
intéressant les entreprises
Trajectoire de la baisse de
l’impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises : nouvel aménagement !
Après une première modification par la loi du 24 juillet 2019 en vue de financer les
mesures sociales du gouvernement suite au mouvement des Gilets jaunes, la
trajectoire de la baisse du taux normal de l’IS pour les grandes entreprises
est, une nouvelle fois, retouchée. Sont concernées les entreprises dont le
chiffre d’affaires s’élève au moins à 250 millions d’euros.
D’une manière générale, l’abaissement progressif du
taux de l’IS amorcé par la loi de finances pour 2018 n’est pas remis en cause.
Toutefois, il est aménagé s’agissant des grandes entreprises, pour lesquelles
cette diminution ne sera pas aussi rapide que prévue. Pour l’exercice 2020, la
fraction de bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros est imposée au taux de 31 % (contre 28 % initialement) ; et
pour 2021, l’ensemble du bénéfice est imposé à 27,5 % (contre 26,5 % initialement).
Déduction des charges financières : assouplissement
La loi de finances pour 2019 avait instauré un
dispositif de limitation des charges financières permettant aux entreprises de
déduire leurs charges financières nettes dans la limite d’un plafond égal soit
à 30 % de
leur résultat avant impôts, intérêts, dépréciations et amortissements (Ebitda
fiscal), soit à 3 millions
d’euros si ce montant est supérieur. La loi de finances étend, à compter des
exercices clos le 31 décembre
2019, la possibilité, offerte jusqu’alors et sous certaines conditions aux
entreprises membres d’un groupe consolidé, de bénéficier de la déduction
supplémentaire de 75 % des charges financières nettes non admises en
déduction du premier plafond, aux entreprises autonomes, qui ne sont pas
membres d’un groupe consolidé et qui ne disposent d’aucun établissement hors de
France, ni d’aucune entreprise associée (seuil de participation ou de droit aux
bénéfices d’au moins 25 %).
Lutte
contre les dispositifs hybrides : renforcement
Les phénomènes de déduction d’une charge sans
inclusion du produit correspondant ou de double déduction de la même charge dans deux juridictions
distinctes résultant notamment des différences de qualification d’instruments
financiers ou d’entités (dispositifs « hybrides ») font l’objet d’une
attention particulière par les différentes organisations internationales et
notamment l’OCDE. En transposant les directives européennes ATAD 1 et 2, le législateur
introduit un corpus de règles complexes en droit interne français et abroge le
dispositif anti-hybride existant.
Ces nouvelles règles, applicables dès le 1er
janvier 2020 (à
l’exception des mesures relatives aux dispositifs hybrides inversés applicables
à compter du 1er janvier 2022), s’inscrivent dans une démarche de
renforcement de l’encadrement des structures de financement pour lesquelles
l’effet hybride n’est pas nécessairement situé au niveau du créancier direct de
l’entité débitrice française mais aussi au niveau de ses actionnaires. Les
entreprises françaises sont donc désormais contraintes d’analyser précisément
leurs flux internationaux, de même que les acteurs du secteur financier pour
lesquels ces mesures ne sont pas limitées aux transactions intragroupes.
Espérons que les commentaires de l’administration apportent l’éclairage
souhaité quant à la portée pratique de ces nouvelles mesures !
Aménagements du régime des fusions : des mesures
attendues
C’était une réforme très attendue depuis la loi
Soilihi.
L’introduction, par la loi du 19 juillet 2019 de simplification, de
clarification et d’actualisation du droit des sociétés (loi Soilihi), d’un
régime de fusion simplifiée entre sociétés sœurs, caractérisé par l’absence
d’augmentation de capital et d’échange de titres de l’absorbante contre des
titres de l’absorbée imposait une adaptation concomitante des règles comptables
et fiscales en la matière. Après une période de près de six mois de silence qui
avait logiquement suscité l’inquiétude des acteurs du monde des affaires, la
réforme tant attendue entre en vigueur ! Le régime fiscal de faveur des
fusions s’applique désormais aux opérations réalisées sans échange de titres,
visant ainsi les fusions entre sociétés sœurs détenues à 100 % par la même
mère (ou au moins 90 % de leurs droits de vote) mais aussi les cas de
scissions d’une société au bénéfice de plusieurs sociétés sœurs, et ce à
compter du 21 juillet
2019, date d’entrée en vigueur de la loi Soilihi.
Parallèlement, l’ANC, dans un règlement ANC 2019-06 du
8 novembre 2019, a également précisé que les éléments
transférés doivent obligatoirement être transcrits dans les comptes de la
société absorbante pour leur valeur comptable et que la contrepartie des
apports doit être comptabilisée dans le compte « report à nouveau ».
Aucune augmentation imposable de l’actif net de la société absorbante n’est
donc constatée.
À noter que le législateur a également apporté des précisions
consécutivement à l’élargissement du régime des fusions aux sociétés sœurs au
regard du régime des sociétés mères et filiales et du régime d’imposition des
plus ou moins-values réalisées en cas de cession des titres de la société
absorbante.
Par ailleurs, le législateur introduit un second
aménagement au régime des fusions bénéficiant du régime de faveur. Ainsi, la
loi de finances pour 2020 supprime
l’obligation d’obtenir un agrément préalable autorisant le transfert de
déficits constatés par la société absorbée à la société absorbante lorsque le
montant des déficits non encore déduits est inférieur à 200 000 euros, qu’ils ne
proviennent pas d’opérations patrimoniales et que la société absorbée n’a
procédé à aucune cession de fonds de commerce ni d’établissement au cours de la
période de constatation des déficits. à
noter que cette dispense d’agrément sera également applicable aux groupes
intégrés, mais ne concernera pas les opérations de scission ou d’apport partiel
d’actif d’une ou plusieurs branches complètes d’activité.
BSPCE : EXTENSION DU RéGIME AUX SOCIéTéS éTRANGèRES
Bien connu dans le monde des start-up, les BSPCE
(bons de souscription de parts de créateur d’entreprise) sont initialement
destinés aux salariés qui participent à la création des petites et moyennes
entreprises innovantes. Conférant à leurs bénéficiaires le droit de souscrire
des titres représentatifs du capital de leur entreprise à un prix
définitivement fixé au jour de l’attribution, le gain net réalisé lors de la
cession des titres sous-jacents est soumis à un régime fiscal favorable.
Dans le prolongement de la loi Pacte, le législateur étend ce
dispositif aux bons attribués par les sociétés étrangères (situées dans l’UE ou
dans un état ayant conclu avec la
France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative)
et soumise à un impôt équivalent à l’IS. Cette mesure favorable s’applique
depuis le 1er janvier 2020 et traduit la volonté affichée du gouvernement de
favoriser l’actionnariat salarié.
Produits issus de la propriété
industrielle : assouplissement
Le nouveau régime optionnel d’imposition au taux
réduit de 10 % des revenus issus de la propriété industrielle entré en
vigueur le 1er janvier 2019 est précisé par la loi de finances pour 2020 qui entérine la position
de la doctrine administrative. Ainsi, les entreprises ayant opté pour
l’application du taux réduit et qui constateraient, au titre d’un même
exercice, un résultat d’exploitation déficitaire et un bénéfice tiré des
produits de propriété industrielle (cession, concession, sous-concession)
peuvent désormais, pour les exercices clos depuis le 31 décembre 2019, utiliser ce
dernier pour compenser le déficit d’exploitation. À noter que l’imputation n’est possible que sur le déficit de
l’exercice et non sur les déficits antérieurs reportables. Cette mesure n’en
reste pas moins un assouplissement intéressant.
Mécénat
d’entreprise : rationalisation ou
restriction ?
Fort de son succès, le régime fiscal du mécénat
bénéficiait jusqu’à présent d’aménagements favorables.
La loi de finances pour 2020 vient rationaliser voire
restreindre la réduction d’impôt mécénat, mettant ainsi en œuvre certaines
recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport de novembre
2018 sur
le soutien public au mécénat des entreprises.
Cette réforme, largement relayée par les médias,
présentée comme une rationalisation nécessaire par certains et ressentie comme
une restriction injustifiée par d’autres, s’articule principalement autour des
mesures suivantes :
• l’abaissement du taux de la réduction de 60 % à 40 % pour les dons excédant 2 millions d’euros, sous
réserve des dons effectués aux associations d’aide à la personne ;
• l’encadrement du mécénat de compétences : les charges
devant être prises en compte sont précisées et plafonnées à trois fois le
plafond de la Sécurité sociale par salarié (10 824 euros mensuel pour 2020) ;
• le relèvement de la limite alternative des versements de 10 000euros à 20 000 euros pour les TPE et les PME (plafond alternatif à celui défini à 5 pour mille du chiffre
d’affaires).
à noter également que le régime est étendu aux dons en faveur de Radio
France affectés au financement des activités des formations musicales dont elle
assure la gestion et le financement.
Ces nouvelles dispositions s’appliquent aux
versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 janvier 2020.
Obligation
de déclaration des schémas transfrontières : précisions suite à la transposition de la directive DAC 6
L’ordonnance n° 2019-1068 publiée le 21 octobre 2019 constitue le premier jalon
dans le processus de transposition de la directive DAC 6 mettant à la charge des
intermédiaires et/ou des contribuables (conseils ou entreprises elles-mêmes)
impliqués dans des dispositifs transfrontières (UE ou hors UE) présentant
certains « marqueurs » indiquant un risque potentiel d’évasion
fiscale, l’obligation de les déclarer à l’administration fiscale. La loi de
finances pour 2020 précise
que l’obligation de déclaration incombe soit aux intermédiaires, soit, dans le
cas où l’intermédiaire serait dispensé d’une telle
déclaration, aux contribuables, corrigeant une omission du texte
initial et renforçant encore un peu plus ce dispositif. En effet, des cas
d’absence de déclaration auraient pu subsister notamment dans l’hypothèse où
les intermédiaires, soumis à une obligation de secret professionnel dont la
violation est sanctionnée pénalement, auraient bénéficié d’une dispense de
déclaration par les contribuables. Cette obligation déclarative s’impose à
compter du 1er juillet 2020. Un éclairage de l’administration
s’impose notamment quant à la portée de l’obligation pesant sur
« l’intermédiaire sachant » compte tenu des enjeux qui entourent ces
nouvelles obligations…
Mesures relatives aux plateformes
en ligne
Eu égard aux débats suscités par l’intégration dans
le panorama législatif français de la taxe GAFA, plusieurs dispositions de la
loi de finances pour 2020 intéressant
les plateformes en ligne sont adoptées par le gouvernement éminemment résolu à
en resserrer le contrôle.
D’abord, les plateformes en ligne seront redevables
de la TVA due sur les ventes qu’elles facilitent, dès lors que le vendeur est
établi dans un pays tiers.
Par ailleurs, le dispositif de solidarité de paiement
de la TVA est élargi à l’ensemble des plateformes en ligne, quel que soit le
nombre de visiteurs.
Enfin, le « Name & Shame »
s’applique aux plateformes. L’administration fiscale pourra publier sur son
site Internet la liste des plateformes non coopératives, ne respectant pas, de
manière réitérée, leurs obligations fiscales sur le territoire français, y
compris en tant que tiers déclarants.
Crédit d’impôt
recherche (CIR) : restrictions et renforcement du contrôle
La loi de finances apporte également des aménagements
importants en matière de CIR auxquels il convient de s’intéresser.
Tout d’abord, le législateur introduit deux
limitations visant à réduire l’assiette du CIR. La première concerne
l’abaissement du taux forfaitaire des dépenses de fonctionnement pour les
dépenses de personnel de 50 % à 43 % depuis le 1er janvier
2020. La seconde limitation vise le crédit d’impôt collection et le crédit
d’impôt innovation (sous-catégories du CIR) qui ne seraient plus applicables
que jusqu’au 31 décembre
2022.
Ensuite, le législateur renforce le contrôle des
dépenses de sous-traitance en introduisant une mesure anti-abus visant à lutter
contre la sous-traitance en cascade. Ainsi, depuis le 1er janvier
2020, les dépenses de recherche confiées à des prestataires publics ou des
prestataires agréés ne seront éligibles, sauf exceptions, que si les opérations
de recherches sont réalisées directement par ces organismes.
Enfin, la loi de finances modifie le champ de
l’obligation documentaire en créant une nouvelle obligation incombant aux entreprises réalisant entre 10 millions
d’euros et 100 millions d’euros de dépenses de recherches. Ces sociétés devront
en effet fournir un état portant sur la part des jeunes docteurs financés ou
recrutés par les dépenses ouvrant droit au CIR.
Hélène Delurier,
Avocat Counsel,
August Debouzy