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Le MEDEF met à l'honneur l'entreprise et le territoire

Le MEDEF met à l'honneur l'entreprise et le territoire
Publié le 18/07/2018 à 10:06

Bruno Cavagné, président de la Fédération des travaux publics, était l’hôte d'une session de réflexion organisée par le MEDEF le 20 juin dernier. La matinée proposait des tables rondes autour de deux thèmes en miroir : l’entreprise au service de son territoire, et réciproquement, le territoire au service de l’entreprise.

 


Pour Bruno Cavagné, considérer territoire, développement économique et cohésion, amène à s’interroger sur la fracture sociale. Du reste, si on se penche sur le second tour des élections présidentielles de 2017, on observe des choix nets. D’une part, un vote dans tout le nord-est de l’Hexagone, zone de plus faible PIB, et d’autre part, au sud-ouest, région de plus haut PIB, le choix opposé, la rupture existe à l’évidence entre métropole et monde rural. Tout le travail que souhaite accomplir le MEDEF à ce propos consiste à maintenir une continuité, par le biais de l’économie, entre la ville et la campagne.

Sophie Duval-Huwart, directrice du développement des capacités des territoires, explique que la réflexion sur le développement économique des territoires se trouve au cœur de la mission du commissariat général à l’égalité des territoires et des politiques publiques. Le gouvernement s’emploie à faciliter la vie des entreprises, même si le patronat a la sensation que les choses ne vont pas assez loin ni vite. La politique d’aménagement du territoire prévoit des dispositifs de soutien à l’installation (prime d’aménagement du territoire, aide fiscale, cluster, pôle de compétitivité) mis en place pour compenser le manque d’attractivité de quelques régions. L’État peut fixer de grandes orientations avec la législation, mais les régions doivent agir sur place et s’engager dans l’accompagnement des entreprises. Le rôle de support des collectivités, mis au point localement et non pas imaginé à Paris, est amené à prendre de l’ampleur en incluant les CCI et les CMA. Enfin, le dernier chantier entrepris par le gouvernement, la réforme de la fiscalité locale, aboutira à un paradigme plus clair pour les sociétés.

L’entreprise, quelle que soit sa taille ou son activité, imprime le dynamisme d’une zone géographique. En milieu rural, la fermeture d’un établissement impacte toute la communauté. Évidemment, le développement sur une zone est intimement lié à celui de son tissu économique. Penser l’un sans l’autre relève de l’hérésie. En regardant plus loin, s’impose une question : les sociétés ont-elles une responsabilité à ce sujet et doivent-elles s’engager dans l’animation du territoire ? Faut-il adjoindre à leur responsabilité sociale et environnementale, une responsabilité territoriale ?

L’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui verra le jour cet été, travaillera différemment avec les territoires. L’État sortira d’une logique de contrôle pour devenir plutôt un accompagnateur de projet. Il apportera son aide et ses moyens à des idées imaginées sur les sites. Les entreprises sont invitées à participer. Dans le plan « action cœur de ville » en cours, les entreprises sont priées de rejoindre la démarche, comme les CCI et les CMA l’ont déjà fait, pour construire une politique publique commune.

 

L’entreprise pour le territoire

 

Comment l’entreprise peut-elle contribuer au projet économique d’un territoire ? se demande Michel Rousseau, président de la Fondation Concorde. On peut mettre les entrepreneurs au centre de tout projet local. Ce principe commande les travaux de la Fondation Concorde. Les raisons sont simples. Sans emploi et sans création de richesse, il n’y a pas de projet de développement économique. Michel Rousseau se plaît à dire qu’aucun territoire n’est perdu tant qu’on y trouve des entrepreneurs, des compétences et des financements. Ce constat se répète dans tous les pays développés. Quels que soient les efforts des uns et des autres, une seule réponse peut apporter prospérité et avenir aux économies locales, c’est la densité de son industrie. Toutes les régions d’Europe et des États-Unis, là où le chômage n’est pas un problème, s’accommodent de cette règle. Les mêmes difficultés se posent à l’échelle locale ou nationale : charges, financement, formation. Le secteur industriel a une productivité trois fois supérieure aux autres. C’est notre meilleur levier de croissance, mais il reste sous-exploité.

L’entreprise fait déjà beaucoup sur les territoires. Dès 2008, la création d’un observatoire des partenariats en France est donc apparue comme pertinente. Charles-Benoît Heidsieck est président de l’association « Le Rameau », laboratoire d’alliances pour l’innovation au service du bien commun. Ses dernières études montrent trois points importants.

Premièrement, 76 % des maires, aujourd’hui, considèrent que leur commune est entrée dans un mouvement de co-construction impliquant les entreprises. Et 46 % d’entre eux s’interrogent sur les implications du phénomène. Cela sous-entend qu’une méthode reste à déployer. Rappelons qu’en 2006, la co-construction du bien commun ne faisait pas partie du vocabulaire.

Deuxièmement, toutes les parties prenantes des territoires ont une attente forte. 69 % des concitoyens, 81 % des dirigeants d’entreprise, 86 % des responsables associatifs, 87 % des maires estiment la co-construction territoriale comme une nécessité. Le collège de réflexion pour concevoir les réponses aux défis actuels est plébiscité. Il ne s’agit pas là de la recherche de solidarité ni de pratique vertueuse ou responsable, mais bien d’innovation. Les mentalités changent.
La catégorisation antérieure répartissait nettement les questions entre d’un côté ce qui relève de l’intérêt général et de l’autre des dimensions économiques. Maintenant, cette séparation, pour ne pas dire opposition, n’existe plus lorsque les problèmes de réduction des fragilités ou de création de moteur de croissance et d’emploi sont abordés. Les acteurs réévaluent toutes les responsabilités dans le processus, et donc celle de l’entreprise. Le devoir d’alliance se pose comme une opportunité d’élaborer des solutions. L’entrepreneur est un créateur de richesse au cœur du territoire.

Troisièmement, les entreprises sont depuis longtemps investies dans la co-construction. 37 % des entreprises ont développé des partenariats avec les acteurs de l’intérêt général sur leur territoire. 74 % de ces actions sont extrêmement localisées. Mécénat, RSE, R&D sociétale sont leurs trois leviers principaux.

Sous la houlette de François Rouvier, directeur social business, Renault ambitionne la position de meneur de la mobilité durable pour tous. Dacia est la première née des marques à bas coût du secteur automobile. Elle a permis de toucher des clients inhabituels de voiture neuve dans le monde. Les différences se constatent tant au niveau social qu’à celui des revenus, malgré tout, un « pauvre » ne peut pas acheter une voiture sortant de l’usine de cette marque plus accessible. La question de la mobilité durable pour tous se pose ainsi : est-elle adaptée pour toutes les catégories de clientèle ? Non.
Le corollaire est : quid du lien pauvreté/mobilité et de la responsabilité sociale d’une entreprise comme Renault ?

Danone et Schneider les premiers ont développé le social business. Inspiré par ces pionniers, Renault a amorcé sa propre réflexion à partir de 2010. Le commerce à fort impact social fait appel à la responsabilité sociale, à l’économie solidaire, sous un autre angle que le mécénat. Ces pratiques de coopération entre le monde de l’intérêt général et celui de la grande entreprise génèrent des opportunités. Aujourd’hui, il est courant de parler d’entreprise à mission. L’État n’a pas vocation à tout faire. Les entreprises, avec les territoires et les ONG, ont un rôle à tenir pour enrayer le chômage et la pauvreté.

Après un an d’étude du terrain en 2010-2011, les équipes ont compris que la réparation constituait un souci majeur pour les automobilistes en difficulté financière, d’autant que le lien mobilité/emploi est vital. Des garages associatifs solidaires existaient déjà. Renault, qui dispose d’un réseau de 3 800 garages en France, a donc imaginé de construire une solution identique à celle des garages solidaires. Ainsi, 350 garages volontaires de la marque au losange proposent maintenant cette possibilité. Ils réparent à prix coûtant pour des clients envoyés par les prestataires sociaux. L’économie sur la facture est de l’ordre de 50 %.
La mise en place de ce service a entraîné d’autres idées et l’émergence d’un nouveau segment de marché, par exemple pour les populations qui n’accèdent pas au crédit classique. Les propositions ne manquent pas : réparation, location de voitures neuves, fonds d’investissement abondés par les salariés, fonds commun de placement d’entreprises solidaires, projet de commerce équitable, etc. Il n’y a pas de limite à créer du social business. Bien sûr, il se conçoit sans perte, peut-être même avec des gains, mais la qualité qui prédomine tient à son impact social.

C’est un chemin périlleux, où il faut se montrer efficace, performant, voire rentable. Beaucoup d’observateurs interprètent le dispositif comme un « coup de com ». Il faut du temps pour sexpliquer, montrer la sincérité de la démarche, la réalité de limplication et inspirer la confiance. Mais la récompense est au bout ; l’autonomisation apportée aux garages des territoires est formidable.

Marie-Claire Carrère-Gée préside le Conseil d’orientation pour l’emploi. Son rapport récent « Consommation responsable et emploi » se base sur des enquêtes effectuées auprès des consommateurs. Leur préférence va vers le plus bio, plus équitable, plus socialement responsable, plus local, plus fabriqué en France. Les décisions d’achat, complexes et sous contrainte ne suivent pas impérieusement cette ligne, mais, en moyenne s’y dirigent peu à peu.

À propos de lachat local, le Conseil d’orientation pour l’emploi a voulu évaluer les conséquences pour l’emploi d’une hypothétique réorientation à la marge du comportement des consommateurs. Cest-à-dire sil écoutait plus son opinion et achetait français, quitte à payer un peu plus (alors qu’en pratique, chacun sait que les importations augmentent sans cesse). Si donc, par supposition, 10 % de ce que les ménages consomment en produits importés (environ 11 milliards d’euros) étaient affectés à des produits français, quadviendrait-il ? Ce cas décole aboutit sur le papier à la création de 150 000 emplois. Cette théorie fonctionne avec une offre compétitive dans tout le pays respectant un cycle court de circulation de l’argent production et rémunération, distribution, consommation et dépense. Cette idée séduisante a d’ailleurs été fort bien résumée par le message diffusé dans les années 90 : « nos emplettes sont nos emplois ».

En 2008, inquiet du vieillissement de la population d’Épervans (71380), Éric Michoux, son maire, imagine les conséquences pour l’avenir. Il s’interroge sur les recettes à appliquer pour revitaliser le village. Éric Michoux pense qu’on vit jeune plus longtemps. Les représentants de collectivité sont obligés de proposer des habitats adaptés, en particulier aux personnes de 65 à 80 ans en pleine forme. L’EPHAD ne convient pas pour elles. À l’intention des seniors, la mairie a créé un quartier centré sur le thème de la gastronomie. Au milieu du bourg se trouve une école de cuisine qui forme huit CAP par an. Cette idée a amené du lien social entre villageois et les jeunes diplômés ont permis la sauvegarde de restaurants en milieu rural. Là où la désertification est souvent évoquée, à la fois économique et administrative. Installer de la formation professionnelle dans les périmètres délaissés fait partie des moyens efficaces pour améliorer l’activité économique. Ce premier pas a précédé le développement d’associations de cuisiniers, de jardins potagers, d’une cuisine pour tous. La commune s’est construit une identité autour de ce thème, là où beaucoup d’autres la perdent, phagocytées par la métropolisation galopante. Fort de cette expérience réussie, la municipalité se concentre maintenant sur un second sujet, le concept de ruralité moderne à travers tous ses axes : accès aux soins, dépendance des personnes âgées, petite enfance, etc.

« Lorsque l’énergie a dopé notre économie, les campagnes ont été incluses dans le mouvement, faisons de même avec le numérique ». C’est l’objectif du maire d’Épervans, qui garde présent à l’esprit que l’activité économique est le moteur de tout. L’impossibilité de transmettre les entreprises artisanales représentent également un souci. Les formations professionnelles ont disparu et avec elles les repreneurs potentiels.
Il n’existe pas de lieu d’accueil des artisans en milieu rural. La plupart du temps, atelier et résidence sont sur la même parcelle, éventuellement dans le même bâtiment. Pour céder, il faut quitter la maison. C’est une cause de renoncement. Pour maintenir l’économie, il faut regrouper les artisans avec des bâtiments adaptés à proximité d’une maison de services et de formations professionnelles.

La commission ruralité et territoires de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) note que beaucoup d’établissements ferment chaque semaine dans la totalité des départements. 90 % des communes ont moins de 3 500 habitants ; 26 000 n’ont plus de cafés ni de commerces. Michel Morin, président de  l’UMIH, rappelle qu’un Français sur trois vit en zone rurale et ceux qui s’y installent sont quasiment tous des actifs. L’UMIH se veut un des acteurs du soutien des commerces dans les villages et dans les villes moyennes.
Les entreprises doivent se remettre en cause, revoir leurs horaires d’ouverture, leurs produits, soit. Toutefois, il faudrait aussi les aider plutôt que les condamner. Ainsi, des mesures favorables sont prises dans les zones de revitalisation rurales, sauf en cas de transmission. Cette distinction inégalitaire est regrettable et nuit au maintien des hôtels détenus par une famille.

D’autres décisions ont un impact néfaste qui n’a pas été anticipé. Ainsi, le Grenelle de l’environnement a décidé que les préenseignes, le long des routes apportaient une pollution visuelle. Elles ont été supprimées, mais seulement pour les villes de moins de 10 000 habitants. C’est-à-dire que le long d’une nationale fréquentée, on trouve toujours les mêmes énormes enseignes de marques bien connues et référencées. Par contre, un peu isolé, un café, hôtel, restaurant ne peut plus se signaler avec un panneau dans un rayon de quelques kilomètres quand bien même cela rendrait service à un automobiliste à la recherche d’une étape. Pire, cette zone moins peuplée dispose, en général, d’un maillage téléphonique moins performant pour accéder à l’information. C’est une aberration sans doute très éloignée de l’objectif initial. En tout cas, le résultat est désastreux. Il entraîne par endroit jusqu’à 30 % de perte d’activité et met en cause la viabilité des établissements. Bien sûr, souvent, les panneaux sont trop grands, trop nombreux et ne respectent pas le paysage, mais cette loi pourrait être aménagée plus finement. Autre exemple : les normes de sécurité et d’accès pour les handicapés exigent des aménagements chers. Les hôtels restaurants ou cafés n’ont pas tous les moyens de financer une rénovation complète. Dans le même temps, des maisons d’hôtes de moins de cinq chambres, dispensées de ces obligations, ouvrent et concurrencent les professionnels. L’UMIH propose la création d’une 6e catégorie d’hôtellerie soumise à une réglementation plus légère.

 

Le territoire pour l’entreprise

 

La désindustrialisation a frappé les territoires remarque Philippe Ansel, chef économiste de la fondation Concorde. La France est devenue l’un des pays les moins industrialisés d’Europe. Rapporté au PIB, nous nous situons au niveau de la Grèce et de Malte. À la suite des deux chocs pétroliers, dans les années 80, dépenses publiques et prélèvements augmentent de dix points en près de dix ans pour traiter par le social les problèmes d’activité et de chômage. En 90-93, la lire, le dollar, la livre dévaluent. Le franc et le deutsche mark s’épaulent. Les désordres monétaires amènent une récession industrielle sévère qui induit la perte de 750?mille emplois. Dans les années 2000, la mise en place des 35?heures d’une part, et la politique de compétitivité instaurée en Allemagne d’autre part, portent la dernière estocade à l’industrie française qui décroche durablement à partir de cette époque. Aujourd’hui, le pays ne produit pas plus de biens manufacturés qu’en 2000, alors que notre consommation de ces biens a augmenté de 60?%. La chute est vertigineuse.

Des réponses économiques locales sont apparues en réaction à la crise de l’emploi : la hausse des dépenses d’investissement en 1980?et 2000 ; le développement de surface commerciale par les collectivités locales en 1990?et 2000 ; l’augmentation des effectifs des collectivités locales. Ces politiques entraînent la hausse des prélèvements obligatoires et la désertification des centres villes. Une nouvelle vague se présente maintenant. Le système inopérant de relance par la dépense publique a atteint la limite supportable, et les grandes surfaces commerciales, le modèle d’hypermarché « à la française » (tout sous le même toit), connaissent des difficultés et ferment certains sites. Parallèlement à l’augmentation massive des achats sur le net sont apparues les faillites de quelques chaînes de magasins. Par ailleurs, les communes ont beaucoup investi sur l’économie résidentielle en accueillant des retraités. Or, les projections estiment que le revenu des retraités a atteint son pic. Il va décroître. Dans un scénario médian, il réduira de 20?% en vingt ans. Les collectivités devront absorber tous ces chocs.

Statistiquement, 81?% des Franciliens avec un niveau d’étude supérieur à la maîtrise veulent quitter la région en raison de leur environnement et de leurs conditions de vie. 30?% des Français souhaitent habiter une petite ville ou à la périphérie d’une grande agglomération. 48?% des actifs préféreraient une petite ville ou un village même éloigné d’une zone urbaine. Tous ces chiffres démontrent l’écart considérable qui existe entre l’action publique obnubilée par les métropoles et le rêve des citoyens. Cependant, des licornes apparaissent dans des villes ignorées par la révolution industrielle. Ces territoires « délaissés » ont une nouvelle chance, d’autant plus que leur cadre de vie peut attirer des talents. Il faut justement raisonner en termes d’attractivité des talents. Les jeunes actifs adhèrent à l’idée de travailler et de s’amuser au même endroit.

Pierre Morel à l’Huissier est député de la Lozère. Son département regroupe 78?mille habitants, répartis sur deux cents communes, pour une densité d’environ 15?habitants au km². À son avis, les gens se perdent dans un système administratif français complexe qui, de son côté, méconnaît la culture des entreprises privées. La compréhension réciproque est difficile. Le député regrette : « en seize ans d’activité parlementaire, je n’ai jamais vu un préfet réunir les acteurs dynamiques du département pour essayer d’analyser les forces et les faiblesses du territoire et voir avec le milieu économique ce qui pourrait être impulsé ». Sur ce point, les chambres consulaires aussi manquent de fougue. C’est pourquoi la proposition du MEDEF de faire sortir le concept de diagnostic du territoire est primordiale. Incitons les préfets à réunir ceux qui font la réalité du département. Des pépites naissent partout, mais personne ne leur donne la main. La culture administrative se cantonne au contrôle, et ne s’intéresse malheureusement pas au conseil. Les gestionnaires de la dotation de l’équipement des territoires ruraux (DETR) ne discutent jamais de leurs choix avec le monde économique. Dommage.

Les Français devraient peut-être revoir leurs relations. Ainsi, le télétravail fonctionne bien dans les pays anglo-saxons, pas en France. Culturellement, aussi bien dans le privé que dans le public, notre pays pèche par un défaut de confiance entre l’employeur sur site et le salarié hors site. De la même façon, les sous-préfets pourraient être mobiles, faire des rencontres avec les entrepreneurs, des formations pratiques comme « comment demander une subvention en France, en Europe ? »

Autre sujet, ne faudrait-il pas approuver le principe d’adaptabilité des normes ? Toutes conçues à Paris, il arrive régulièrement qu’elles ne correspondent pas au terrain ou encore soient disproportionnées sur le plan technique ou pécuniaire. Jusqu’à présent, les préfets ne bénéficient pas de bases juridiques qui leur permettraient de déroger ou d’adapter. Un principe d’adaptabilité enrichirait utilement la Constitution s’il autorisait les préfets à assouplir quelques normes.

Bruno Arcadipane, président du MEDEF Grand-Est ne partage pas l’avis de Pierre Morel à l’Huissier. Il est en relation permanente avec les strates des structures de l’État. Pour lui, le problème des entrepreneurs réside dans l’intermédiation. La répartition des compétences doit être clairement ordonnée. Chacun doit savoir qui fait quoi et où. Pour un entrepreneur, il importe également de pouvoir s’appuyer sur une norme stable. Il est impossible que des fiscalités extrêmement différentes s’appliquent sur un même territoire et créent quasiment de la concurrence déloyale. Il revient à l’entrepreneur d’avoir une vision claire de l’avenir de son activité. Tout ne peut pas se décider à Paris. Sinon, les élus locaux n’ont plus aucun pouvoir, les chefs d’entreprise ne sont plus écoutés et on en arrive à la situation actuelle.

Le problème de l’appel à projet est qu’une étude n’est pas adéquate pour l’ensemble d’un pays estime Jean-François Cesarini, député de la 1re circonscription du Vaucluse. Le mont Blanc, la Côte d’Azur, les châteaux de la Loire, ont des cadres spécifiques qui réclament des solutions sur mesure. Les résidents, les CCI, les notaires, eux, connaissent les besoins pertinents. Et attention, l’organe ne crée pas la fonction, bâtir un théâtre n’échafaude pas une politique culturelle. Aussi, c’est à la région d’identifier le projet économiquement viable que l’État et les acteurs locaux pourront mener à bien.

La révolution numérique ne représente pas un secteur d’activité supplémentaire, mais les concerne tous. Elle apporte une déconcentration. Facebook et Apple ont été inventés à Palo Alto, ville de 50?000 habitants, deux fois moins qu’Avignon. Aujourd’hui, une multinationale planétaire peut naître dans un petit village. Ces deux dernières années 40?000 personnes ont quitté Paris, la population de San Francisco diminue, ce phénomène mondial ressemble à une déconcentration. Ce mouvement démographique généré par une cause économique dépasse largement les pouvoirs publics. Néanmoins, ils essaient de pousser les entreprises à s’interroger : combien de salariés peuvent travailler hors site ? Comment prendre en compte le conjoint ? Comment les aider à s’installer ?

La forte croissance de demain se situe en partie sur les territoires. L’agriculture, la viticulture connectées ne se développeront pas dans Paris ; le boom de la télémédecine ne se fera pas au cœur de Lyon ; etc. La France va délocaliser dans ses régions qui vont redéfinir l’équilibre de la population.

Pour Guillaume Vuilletet, député de la 2e circonscription du Val-d’Oise, les pratiques de la politique publique, les fermetures en particulier, laissent flotter une atmosphère de crise dans les régions. La conjonction de plusieurs événements simultanés diligentés par l’administration sans coordination est malheureuse. Elle crée un manque temporaire ou définitif d’hôpital, de lycée,… et provoque le sentiment d’abandon observé chez les usagers.

Beaucoup d’individus veulent vivre à la campagne. En réalité, sur une région comme l’Occitanie, les deux métropoles regroupent 26?% de la population et 79?% de la valeur ajoutée. Les zones de richesse attirent naturellement les gens et assèchent le reste du territoire. Ce n’est pas un phénomène organisé. Pour rééquilibrer, la conception d’un nouveau modèle de développement s’impose. Dans cette optique, le gouvernement a lancé les opérations de revitalisation du territoire.

Les partenariats actuels ne sont pas adaptés. Il existe une sorte de réflexe qui veut que systématiquement se recrée une institution d’encadrement. Or, la genèse d’un projet ne s’en accommode pas forcément bien. Des initiatives émergent : décentralisation énergétique, distribution pour l’e-commerce, etc. Elles requièrent de l’ingénierie dès le départ, mais pas forcément d’entrer dans une case. Nous devons essayer de rompre avec la logique d’appel à projet pour devenir accompagnateurs d’idées nées sur le terrain, et organiser des réunions de réflexions collégiales multi-partenariales.

Casino a beaucoup moins d’hypermarchés que ses concurrents. La marque reste attachée à un réseau en milieu rural, en petites et grandes villes, représentant 10?000 magasins alimentaires en centre bourg. Claude Risac, directeur des relations extérieures du groupe note que la discussion sur thème de la revitalisation des centres villes ne parle que de commerce. Cependant, le commerce n’est qu’un symptôme, et non pas la maladie. Cela paraît une évidence, mais il faut premièrement des habitants. Par endroit, la création de secteurs piétonniers a un peu vidé l’espace d’habitant. Deuxièmement, il faut du flux qui est souvent drainé par les professions libérales (juriste, médecin, comptable…). Or, ces dernières quittent les centres pour rejoindre la périphérie. Leur éligibilité aux bénéfices des zones franches mériterait d’être reconsidérée. Troisièmement, les services publics et les administrations sont nécessaires, pourtant, ils se situent souvent à l’entrée de la ville. Des places de stationnement à un prix décent et d’autres formes de mobilité sont également indispensables. Et puis le centre-ville doit aussi se montrer propre, sûr, agréable, voire convivial par période. Les commerçants ont un comportement rationnel. S’ils voient tous ces éléments, ils s’implantent.

Quelquefois s’est construit un conflit périphérie contre centre-ville. Dans ces cas-là, en général trop de mètres carrés commerciaux ont été construits autour de la ville. Plus dévastateur encore, le commerce en ligne remet carrément en question l’existence du commerce physique. Heureusement, en zone rurale, les magasins de type multiservices se défendent bien.

En conclusion de cette matinée, Pierre Gattaz a déclaré se passionner pour ce thème de société. Il craint le problème de la dévitalisation des territoires et va créer une fondation pour lutter contre. Il se refuse à ignorer les chômeurs de longue durée ou à regarder les commerces disparaître dans certaines villes. Haut débit numérique, simplification, infrastructure donnent des résultats en dehors d’une économie administrée qui coûte cher en impôts et réduit les marges. L’administration doit être une facilitatrice. La fondation s’appellera « y croire ». Trois fois par an dans cinq villes moyennes, elle cherchera des individus avec un projet qu’ils ne savent pas réaliser. Après un premier tri, cent cinquante personnes seront orientées dans les réseaux d’accompagnement locaux. Et à la suite d’un second tri, 10?% d’entre elles suivront une formation lourde. Sociologiquement, c’est un bienfait dans des lieux sans vie, sans espoir, sans fierté.

 

C2M

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