Bruno Cavagné, président de la
Fédération des travaux publics, était l’hôte d'une session de réflexion
organisée par le MEDEF le 20 juin dernier. La matinée proposait des tables
rondes autour de deux thèmes en miroir : l’entreprise au service de
son territoire, et réciproquement, le territoire au service de l’entreprise.
Pour Bruno Cavagné, considérer territoire, développement économique et
cohésion, amène à s’interroger sur la fracture sociale. Du reste, si on se
penche sur le second tour des élections présidentielles de 2017, on
observe des choix nets. D’une part, un vote dans tout le nord-est de
l’Hexagone, zone de plus faible PIB, et d’autre part, au sud-ouest, région de
plus haut PIB, le choix opposé, la rupture existe à l’évidence entre métropole
et monde rural. Tout le travail que souhaite accomplir le MEDEF à ce propos
consiste à maintenir une continuité, par le biais de l’économie, entre la ville
et la campagne.
Sophie Duval-Huwart, directrice du développement des capacités des territoires,
explique que la réflexion sur le développement économique des territoires se
trouve au cœur de la mission du commissariat général à l’égalité des
territoires et des politiques publiques. Le gouvernement s’emploie à faciliter
la vie des entreprises, même si le patronat a la sensation que les choses ne
vont pas assez loin ni vite. La politique d’aménagement du territoire prévoit
des dispositifs de soutien à l’installation (prime d’aménagement du territoire, aide
fiscale, cluster, pôle de compétitivité) mis en place pour compenser le manque
d’attractivité de quelques régions. L’État peut fixer de grandes orientations
avec la législation, mais les régions doivent agir sur place et s’engager dans
l’accompagnement des entreprises. Le rôle de support des collectivités, mis au
point localement et non pas imaginé à Paris, est amené à prendre de l’ampleur
en incluant les CCI et les CMA. Enfin, le dernier chantier entrepris par le
gouvernement, la réforme de la fiscalité locale, aboutira à un paradigme plus
clair pour les sociétés.
L’entreprise, quelle que soit sa taille ou son activité, imprime le
dynamisme d’une zone géographique. En milieu rural, la fermeture d’un
établissement impacte toute la communauté. Évidemment, le développement sur une
zone est intimement lié à celui de son tissu économique. Penser l’un sans
l’autre relève de l’hérésie. En regardant plus loin, s’impose une
question : les sociétés ont-elles une responsabilité à ce sujet et
doivent-elles s’engager dans l’animation du territoire ? Faut-il adjoindre
à leur responsabilité sociale et environnementale, une responsabilité
territoriale ?
L’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui verra le jour cet
été, travaillera différemment avec les territoires. L’État sortira d’une
logique de contrôle pour devenir plutôt un accompagnateur de projet. Il
apportera son aide et ses moyens à des idées imaginées sur les sites. Les
entreprises sont invitées à participer. Dans le plan « action cœur de ville » en cours,
les entreprises sont priées de rejoindre la démarche, comme les CCI et les CMA
l’ont déjà fait, pour construire une politique publique commune.
L’entreprise pour le territoire
Comment l’entreprise peut-elle contribuer au projet économique d’un
territoire ? se demande Michel Rousseau, président de la
Fondation Concorde. On peut mettre les entrepreneurs au centre de tout
projet local. Ce principe commande les travaux de la Fondation Concorde.
Les raisons sont simples. Sans emploi et sans création de richesse, il n’y a
pas de projet de développement économique. Michel Rousseau se plaît à dire
qu’aucun territoire n’est perdu tant qu’on y trouve des entrepreneurs, des
compétences et des financements. Ce constat se répète dans tous les pays
développés. Quels que soient les efforts des uns et des autres, une seule
réponse peut apporter prospérité et avenir aux économies locales, c’est la
densité de son industrie. Toutes les régions d’Europe et des États-Unis, là où
le chômage n’est pas un problème, s’accommodent de cette règle. Les mêmes
difficultés se posent à l’échelle locale ou nationale : charges,
financement, formation. Le secteur industriel a une productivité
trois fois supérieure aux autres. C’est notre meilleur levier de
croissance, mais il reste sous-exploité.
L’entreprise fait déjà beaucoup sur les territoires. Dès 2008, la
création d’un observatoire des partenariats en France est donc apparue comme
pertinente. Charles-Benoît Heidsieck est président de l’association « Le Rameau », laboratoire
d’alliances pour l’innovation au service du bien commun. Ses dernières études
montrent trois points importants.
Premièrement, 76 % des
maires, aujourd’hui, considèrent que leur commune est entrée dans un mouvement
de co-construction impliquant les entreprises. Et 46 % d’entre eux s’interrogent sur les implications
du phénomène. Cela sous-entend qu’une méthode reste à déployer. Rappelons qu’en
2006, la co-construction du bien commun ne faisait pas partie du vocabulaire.
Deuxièmement, toutes les parties prenantes des territoires ont une
attente forte. 69 % des
concitoyens, 81 % des
dirigeants d’entreprise, 86 % des
responsables associatifs, 87 % des
maires estiment la co-construction territoriale comme une nécessité. Le collège
de réflexion pour concevoir les réponses aux défis actuels est plébiscité. Il ne
s’agit pas là de la recherche de solidarité ni de pratique vertueuse ou
responsable, mais bien d’innovation. Les mentalités changent.
La catégorisation antérieure répartissait nettement les questions entre d’un
côté ce qui relève de l’intérêt général et de l’autre des dimensions
économiques. Maintenant, cette séparation, pour ne pas dire opposition,
n’existe plus lorsque les problèmes de réduction des fragilités ou de création
de moteur de croissance et d’emploi sont abordés. Les acteurs réévaluent toutes
les responsabilités dans le processus, et donc celle de l’entreprise. Le devoir
d’alliance se pose comme une opportunité d’élaborer des solutions.
L’entrepreneur est un créateur de richesse au cœur du territoire.
Troisièmement, les entreprises sont depuis longtemps investies dans la
co-construction. 37 % des
entreprises ont développé des partenariats avec les acteurs de l’intérêt
général sur leur territoire. 74 % de ces
actions sont extrêmement localisées. Mécénat, RSE, R&D sociétale sont leurs
trois leviers principaux.
Sous la houlette de François Rouvier, directeur social business, Renault
ambitionne la position de meneur de la mobilité durable pour tous. Dacia est la
première née des marques à bas coût du secteur automobile. Elle a permis de
toucher des clients inhabituels de voiture neuve dans le monde. Les différences
se constatent tant au niveau social qu’à celui des revenus, malgré tout, un
« pauvre » ne peut pas
acheter une voiture sortant de l’usine de cette marque plus accessible. La
question de la mobilité durable pour tous se pose ainsi : est-elle adaptée
pour toutes les catégories de clientèle ? Non.
Le corollaire est : quid du lien pauvreté/mobilité et de la responsabilité
sociale d’une entreprise comme Renault ?
Danone et Schneider les premiers ont développé le social business.
Inspiré par ces pionniers, Renault a amorcé sa propre réflexion à partir de
2010. Le commerce à fort impact social fait appel à la responsabilité sociale,
à l’économie solidaire, sous un autre angle que le mécénat. Ces pratiques de
coopération entre le monde de l’intérêt général et celui de la grande
entreprise génèrent des opportunités. Aujourd’hui, il est courant de parler
d’entreprise à mission. L’État n’a pas vocation à tout faire. Les entreprises,
avec les territoires et les ONG, ont un rôle à tenir pour enrayer le chômage et
la pauvreté.
Après un an d’étude du terrain en 2010-2011, les équipes ont
compris que la réparation constituait un souci majeur pour les automobilistes
en difficulté financière, d’autant que le lien mobilité/emploi est vital. Des
garages associatifs solidaires existaient déjà. Renault, qui dispose d’un
réseau de 3 800 garages en France, a donc imaginé de construire une
solution identique à celle des garages solidaires. Ainsi, 350 garages
volontaires de la marque au losange proposent maintenant cette possibilité. Ils
réparent à prix coûtant pour des clients envoyés par les prestataires sociaux.
L’économie sur la facture est de l’ordre de 50 %.
La mise en place de ce service a entraîné d’autres idées et l’émergence d’un
nouveau segment de marché, par exemple pour les populations qui n’accèdent pas
au crédit classique. Les propositions ne manquent pas : réparation,
location de voitures neuves, fonds d’investissement abondés par les salariés,
fonds commun de placement d’entreprises solidaires, projet de commerce
équitable, etc. Il n’y a pas de limite à créer du social business. Bien sûr, il
se conçoit sans perte, peut-être même avec des gains, mais la qualité qui
prédomine tient à son impact social.
C’est un chemin périlleux, où il faut se montrer efficace, performant,
voire rentable. Beaucoup d’observateurs interprètent le dispositif comme un
« coup de com ».
Il
faut du temps pour s’expliquer,
montrer la sincérité de la
démarche, la réalité de l’implication
et inspirer la confiance.
Mais
la récompense est au bout ; l’autonomisation apportée aux garages des
territoires est formidable.
Marie-Claire Carrère-Gée préside le Conseil d’orientation pour l’emploi.
Son rapport récent « Consommation
responsable et emploi »
se
base sur des
enquêtes effectuées auprès des consommateurs. Leur préférence va vers le plus
bio, plus équitable, plus socialement responsable, plus local, plus fabriqué en
France. Les décisions d’achat, complexes et sous contrainte ne suivent pas impérieusement
cette ligne, mais, en moyenne s’y dirigent peu à peu.
À propos
de l’achat
local, le Conseil d’orientation pour l’emploi a voulu évaluer les conséquences
pour l’emploi d’une hypothétique réorientation à
la
marge du comportement des consommateurs. C’est-à-dire s’il
écoutait plus son opinion et achetait français, quitte à payer un peu plus
(alors qu’en pratique, chacun sait que les importations augmentent sans cesse).
Si donc, par supposition, 10 % de ce
que les ménages consomment en produits importés (environ 11 milliards
d’euros) étaient affectés à des
produits français, qu’adviendrait-il ? Ce cas
d’école
aboutit sur le papier
à la création de 150 000 emplois. Cette théorie fonctionne avec une
offre compétitive dans tout le pays respectant un cycle court de circulation de
l’argent production et rémunération, distribution, consommation et dépense.
Cette idée séduisante a d’ailleurs été fort bien résumée par le message diffusé
dans les années 90 : « nos emplettes sont nos emplois ».
En 2008, inquiet du vieillissement de la population d’Épervans (71380),
Éric Michoux,
son maire, imagine les conséquences pour l’avenir. Il s’interroge sur les
recettes à appliquer pour revitaliser le village. Éric
Michoux
pense qu’on vit jeune plus longtemps. Les représentants de collectivité sont
obligés de proposer des habitats adaptés, en particulier aux personnes de 65 à
80 ans en pleine forme. L’EPHAD ne convient pas pour elles. À l’intention
des seniors, la mairie a créé un quartier centré sur le thème de la
gastronomie. Au milieu du bourg se trouve une école de cuisine qui forme
huit CAP par an. Cette idée a amené du lien social entre villageois et les
jeunes diplômés ont permis la sauvegarde de restaurants en milieu rural. Là où
la désertification est souvent évoquée, à la fois économique et administrative.
Installer de la formation professionnelle dans les périmètres délaissés fait
partie des moyens efficaces pour améliorer l’activité économique. Ce
premier pas a précédé le développement d’associations de cuisiniers, de
jardins potagers, d’une cuisine pour tous. La commune s’est construit une
identité autour de ce thème, là où beaucoup d’autres la perdent, phagocytées
par la métropolisation galopante. Fort de cette expérience réussie, la municipalité
se concentre maintenant sur un second sujet, le concept de ruralité
moderne à travers tous ses axes : accès aux soins, dépendance des
personnes âgées, petite enfance, etc.
« Lorsque l’énergie a dopé notre économie, les campagnes ont été incluses dans le mouvement, faisons de
même avec le numérique ». C’est
l’objectif du maire d’Épervans, qui
garde présent à l’esprit que l’activité économique est le moteur de tout.
L’impossibilité de transmettre les entreprises artisanales représentent
également un souci. Les formations professionnelles ont disparu et avec elles
les repreneurs potentiels.
Il n’existe pas de lieu d’accueil des artisans en milieu rural. La plupart du
temps, atelier et résidence sont sur la même parcelle, éventuellement dans le
même bâtiment. Pour céder, il faut quitter la maison. C’est une cause de
renoncement. Pour maintenir l’économie, il faut regrouper les artisans avec des
bâtiments adaptés à proximité d’une maison de services et de formations
professionnelles.
La commission ruralité et territoires de l’Union des Métiers et des
Industries de l’Hôtellerie (UMIH) note que beaucoup d’établissements ferment
chaque semaine dans la totalité des départements. 90 % des communes ont moins de
3 500 habitants ; 26 000 n’ont
plus de cafés ni de commerces. Michel Morin, président de l’UMIH,
rappelle qu’un Français sur trois vit en zone rurale et ceux qui s’y
installent sont quasiment tous des actifs. L’UMIH se veut un des acteurs du
soutien des commerces dans les villages et dans les villes moyennes.
Les entreprises doivent se remettre en cause, revoir leurs horaires
d’ouverture, leurs produits, soit. Toutefois, il faudrait aussi les aider
plutôt que les condamner. Ainsi, des mesures favorables sont prises dans les
zones de revitalisation rurales, sauf en cas de transmission. Cette distinction
inégalitaire est regrettable et nuit au maintien des hôtels détenus par
une famille.
D’autres décisions ont un impact néfaste qui n’a pas été anticipé.
Ainsi, le Grenelle de l’environnement a décidé que les préenseignes, le long
des routes apportaient une pollution visuelle. Elles ont été supprimées, mais
seulement pour les villes de moins de 10 000 habitants. C’est-à-dire
que le long d’une nationale fréquentée, on trouve toujours les mêmes énormes
enseignes de marques bien connues et référencées. Par contre, un peu isolé, un
café, hôtel, restaurant ne peut plus se signaler avec un panneau dans un rayon
de quelques kilomètres quand bien même cela rendrait service à un automobiliste
à la recherche d’une étape. Pire, cette zone moins peuplée dispose, en général,
d’un maillage téléphonique moins performant pour accéder à l’information. C’est
une aberration sans doute très éloignée de l’objectif initial. En tout cas, le
résultat est désastreux. Il entraîne par endroit jusqu’à 30 % de
perte d’activité et met en cause la viabilité des établissements. Bien sûr,
souvent, les panneaux sont trop grands, trop nombreux et ne respectent pas le
paysage, mais cette loi pourrait être aménagée plus finement. Autre
exemple : les normes de sécurité et d’accès pour les handicapés exigent
des aménagements chers. Les hôtels restaurants ou cafés n’ont pas tous les
moyens de financer une rénovation complète. Dans le même temps, des maisons
d’hôtes de moins de cinq chambres, dispensées de ces obligations, ouvrent
et concurrencent les professionnels. L’UMIH propose la création d’une 6e catégorie
d’hôtellerie soumise à une réglementation plus
légère.
Le territoire pour l’entreprise
La désindustrialisation a frappé les territoires remarque Philippe
Ansel, chef économiste de la fondation Concorde. La France est devenue l’un des
pays les moins industrialisés d’Europe. Rapporté au PIB, nous nous situons au
niveau de la Grèce et de Malte. À la suite des deux chocs pétroliers, dans les
années 80, dépenses publiques et prélèvements augmentent de dix points en près
de dix ans pour traiter par le social les problèmes d’activité et de chômage.
En 90-93, la lire, le dollar, la livre dévaluent. Le franc et le deutsche mark
s’épaulent. Les désordres monétaires amènent une récession industrielle sévère
qui induit la perte de 750?mille emplois. Dans les années 2000, la mise en
place des 35?heures d’une part, et la politique de compétitivité instaurée en
Allemagne d’autre part, portent la dernière estocade à l’industrie française
qui décroche durablement à partir de cette époque. Aujourd’hui, le pays ne
produit pas plus de biens manufacturés qu’en 2000, alors que notre consommation
de ces biens a augmenté de 60?%. La chute est vertigineuse.
Des réponses économiques locales sont apparues en réaction à la crise de
l’emploi : la hausse des dépenses d’investissement en 1980?et 2000 ;
le développement de surface commerciale par les collectivités locales en
1990?et 2000 ; l’augmentation des effectifs des collectivités locales. Ces
politiques entraînent la hausse des prélèvements obligatoires et la
désertification des centres villes. Une nouvelle vague se présente maintenant.
Le système inopérant de relance par la dépense publique a atteint la limite
supportable, et les grandes surfaces commerciales, le modèle d’hypermarché
« à la française » (tout sous le même toit), connaissent des
difficultés et ferment certains sites. Parallèlement à l’augmentation massive
des achats sur le net sont apparues les faillites de quelques chaînes de
magasins. Par ailleurs, les communes ont beaucoup investi sur l’économie
résidentielle en accueillant des retraités. Or, les projections estiment que le
revenu des retraités a atteint son pic. Il va décroître. Dans un scénario
médian, il réduira de 20?% en vingt ans. Les collectivités devront absorber
tous ces chocs.
Statistiquement, 81?% des Franciliens avec un niveau d’étude supérieur à
la maîtrise veulent quitter la région en raison de leur environnement et de
leurs conditions de vie. 30?% des Français souhaitent habiter une petite ville
ou à la périphérie d’une grande agglomération. 48?% des actifs préféreraient
une petite ville ou un village même éloigné d’une zone urbaine. Tous ces
chiffres démontrent l’écart considérable qui existe entre l’action publique
obnubilée par les métropoles et le rêve des citoyens. Cependant, des licornes
apparaissent dans des villes ignorées par la révolution industrielle. Ces
territoires « délaissés » ont une nouvelle chance, d’autant plus que
leur cadre de vie peut attirer des talents. Il faut justement raisonner en
termes d’attractivité des talents. Les jeunes actifs adhèrent à l’idée de
travailler et de s’amuser au même endroit.
Pierre Morel à l’Huissier est député de la Lozère. Son département
regroupe 78?mille habitants, répartis sur deux cents communes, pour une densité
d’environ 15?habitants au km². À son avis, les gens se perdent dans un système
administratif français complexe qui, de son côté, méconnaît la culture des entreprises
privées. La compréhension réciproque est difficile. Le député regrette :
« en seize ans d’activité parlementaire, je n’ai jamais vu un préfet
réunir les acteurs dynamiques du département pour essayer d’analyser les forces
et les faiblesses du territoire et voir avec le milieu économique ce qui
pourrait être impulsé ». Sur ce point, les chambres consulaires aussi
manquent de fougue. C’est pourquoi la proposition du MEDEF de faire sortir le
concept de diagnostic du territoire est primordiale. Incitons les préfets à
réunir ceux qui font la réalité du département. Des pépites naissent partout,
mais personne ne leur donne la main. La culture administrative se cantonne au
contrôle, et ne s’intéresse malheureusement pas au conseil. Les gestionnaires
de la dotation de l’équipement des territoires ruraux (DETR) ne discutent
jamais de leurs choix avec le monde économique. Dommage.
Les Français devraient peut-être revoir leurs relations. Ainsi, le
télétravail fonctionne bien dans les pays anglo-saxons, pas en France.
Culturellement, aussi bien dans le privé que dans le public, notre pays pèche
par un défaut de confiance entre l’employeur sur site et le salarié hors site.
De la même façon, les sous-préfets pourraient être mobiles, faire des
rencontres avec les entrepreneurs, des formations pratiques comme
« comment demander une subvention en France, en Europe ? »
Autre sujet, ne faudrait-il pas approuver le principe d’adaptabilité des
normes ? Toutes conçues à Paris, il arrive régulièrement qu’elles ne
correspondent pas au terrain ou encore soient disproportionnées sur le plan
technique ou pécuniaire. Jusqu’à présent, les préfets ne bénéficient pas de
bases juridiques qui leur permettraient de déroger ou d’adapter. Un principe
d’adaptabilité enrichirait utilement la Constitution s’il autorisait les
préfets à assouplir quelques normes.
Bruno Arcadipane, président du MEDEF Grand-Est ne partage pas l’avis de
Pierre Morel à l’Huissier. Il est en relation permanente avec les strates des
structures de l’État. Pour lui, le problème des entrepreneurs réside dans
l’intermédiation. La répartition des compétences doit être clairement ordonnée.
Chacun doit savoir qui fait quoi et où. Pour un entrepreneur, il importe
également de pouvoir s’appuyer sur une norme stable. Il est impossible que des
fiscalités extrêmement différentes s’appliquent sur un même territoire et
créent quasiment de la concurrence déloyale. Il revient à l’entrepreneur
d’avoir une vision claire de l’avenir de son activité. Tout ne peut pas se
décider à Paris. Sinon, les élus locaux n’ont plus aucun pouvoir, les chefs
d’entreprise ne sont plus écoutés et on en arrive à la situation actuelle.
Le problème de l’appel à projet est qu’une étude n’est pas adéquate pour
l’ensemble d’un pays estime Jean-François Cesarini, député de la 1re
circonscription du Vaucluse. Le mont Blanc, la Côte d’Azur, les châteaux de la
Loire, ont des cadres spécifiques qui réclament des solutions sur mesure. Les
résidents, les CCI, les notaires, eux, connaissent les besoins pertinents. Et attention,
l’organe ne crée pas la fonction, bâtir un théâtre n’échafaude pas une
politique culturelle. Aussi, c’est à la région d’identifier le projet
économiquement viable que l’État et les acteurs locaux pourront mener à bien.
La révolution numérique ne représente pas un secteur d’activité
supplémentaire, mais les concerne tous. Elle apporte une déconcentration.
Facebook et Apple ont été inventés à Palo Alto, ville de 50?000 habitants, deux
fois moins qu’Avignon. Aujourd’hui, une multinationale planétaire peut naître
dans un petit village. Ces deux dernières années 40?000 personnes ont quitté
Paris, la population de San Francisco diminue, ce phénomène mondial ressemble à
une déconcentration. Ce mouvement démographique généré par une cause économique
dépasse largement les pouvoirs publics. Néanmoins, ils essaient de pousser les
entreprises à s’interroger : combien de salariés peuvent travailler hors
site ? Comment prendre en compte le conjoint ? Comment les aider à
s’installer ?
La forte croissance de demain se situe en partie sur les territoires.
L’agriculture, la viticulture connectées ne se développeront pas dans
Paris ; le boom de la télémédecine ne se fera pas au cœur de Lyon ;
etc. La France va délocaliser dans ses régions qui vont redéfinir l’équilibre
de la population.
Pour Guillaume Vuilletet, député de la 2e circonscription du
Val-d’Oise, les pratiques de la politique publique, les fermetures en
particulier, laissent flotter une atmosphère de crise dans les régions. La
conjonction de plusieurs événements simultanés diligentés par l’administration
sans coordination est malheureuse. Elle crée un manque temporaire ou définitif
d’hôpital, de lycée,… et provoque le sentiment d’abandon observé chez les
usagers.
Beaucoup d’individus veulent vivre à la campagne. En réalité, sur une
région comme l’Occitanie, les deux métropoles regroupent 26?% de la population
et 79?% de la valeur ajoutée. Les zones de richesse attirent naturellement les
gens et assèchent le reste du territoire. Ce n’est pas un phénomène organisé.
Pour rééquilibrer, la conception d’un nouveau modèle de développement s’impose.
Dans cette optique, le gouvernement a lancé les opérations de revitalisation du
territoire.
Les partenariats actuels ne sont pas adaptés. Il existe une sorte de
réflexe qui veut que systématiquement se recrée une institution d’encadrement.
Or, la genèse d’un projet ne s’en accommode pas forcément bien. Des initiatives
émergent : décentralisation énergétique, distribution pour l’e-commerce,
etc. Elles requièrent de l’ingénierie dès le départ, mais pas forcément
d’entrer dans une case. Nous devons essayer de rompre avec la logique d’appel à
projet pour devenir accompagnateurs d’idées nées sur le terrain, et organiser
des réunions de réflexions collégiales multi-partenariales.
Casino a beaucoup moins d’hypermarchés que ses concurrents. La marque
reste attachée à un réseau en milieu rural, en petites et grandes villes,
représentant 10?000 magasins alimentaires en centre bourg. Claude Risac,
directeur des relations extérieures du groupe note que la discussion sur thème
de la revitalisation des centres villes ne parle que de commerce. Cependant, le
commerce n’est qu’un symptôme, et non pas la maladie. Cela paraît une évidence,
mais il faut premièrement des habitants. Par endroit, la création de secteurs
piétonniers a un peu vidé l’espace d’habitant. Deuxièmement, il faut du flux
qui est souvent drainé par les professions libérales (juriste, médecin,
comptable…). Or, ces dernières quittent les centres pour rejoindre la
périphérie. Leur éligibilité aux bénéfices des zones franches mériterait d’être
reconsidérée. Troisièmement, les services publics et les administrations sont
nécessaires, pourtant, ils se situent souvent à l’entrée de la ville. Des
places de stationnement à un prix décent et d’autres formes de mobilité sont
également indispensables. Et puis le centre-ville doit aussi se montrer propre,
sûr, agréable, voire convivial par période. Les commerçants ont un comportement
rationnel. S’ils voient tous ces éléments, ils s’implantent.
Quelquefois s’est construit un conflit périphérie contre centre-ville.
Dans ces cas-là, en général trop de mètres carrés commerciaux ont été
construits autour de la ville. Plus dévastateur encore, le commerce en ligne
remet carrément en question l’existence du commerce physique. Heureusement, en
zone rurale, les magasins de type multiservices se défendent bien.
En conclusion de cette matinée, Pierre Gattaz a déclaré se passionner
pour ce thème de société. Il craint le problème de la dévitalisation des territoires
et va créer une fondation pour lutter contre. Il se refuse à ignorer les
chômeurs de longue durée ou à regarder les commerces disparaître dans certaines
villes. Haut débit numérique, simplification, infrastructure donnent des
résultats en dehors d’une économie administrée qui coûte cher en impôts et
réduit les marges. L’administration doit être une facilitatrice. La fondation
s’appellera « y croire ». Trois fois par an dans cinq villes
moyennes, elle cherchera des individus avec un projet qu’ils ne savent pas
réaliser. Après un premier tri, cent cinquante personnes seront orientées dans
les réseaux d’accompagnement locaux. Et à la suite d’un second tri, 10?%
d’entre elles suivront une formation lourde. Sociologiquement, c’est un
bienfait dans des lieux sans vie, sans espoir, sans fierté.
C2M