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Nos aliments sont-ils plus sûrs en 2019 qu’en 1905 ?

Nos aliments sont-ils plus sûrs en 2019 qu’en 1905 ?
Publié le 02/04/2019 à 12:05

Plus de cent ans après la première loi sur la répression des fraudes en alimentation et la création du premier organisme d’évaluation des risques pour le consommateur, qu’en est-il de la sécurité sanitaire de nos aliments ? Dominique Parent-Massin, professeure honoraire en toxicologie alimentaire, a profité du Salon de l’Agriculture pour revenir sur les « grands progrès » en la matière.


Nos aliments sont-ils plus sûrs en 2019 qu’ils ne l’étaient en 1905 ? Lors du Salon de l’Agriculture, Dominique Parent-Massin, professeure honoraire en toxicologie alimentaire et vice-secrétaire de l’Académie d’agriculture, s’est montrée catégorique : la réponse est « oui » !


« Quand un homme a pris le matin à son premier déjeuner du lait conservé par de l’aldéhyde formique, quand il a mangé à son déjeuner une tranche de jambon conservé par du borax, des épinards verdis par des sulfures, quand il a arrosé cela d’une demi-bouteille de vin fuschiné ou plâtré à l’excès, et cela pendant vingt ans, comment voulez-vous que cet homme ait encore un estomac ? ». En 1904, cette phrase d’un docteur va marquer l’époque. Elle sera même utilisée lors des débats parlementaires autour de la loi sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires et des produits agricoles, par le rapporteur du projet de loi, Gustave Trannoy. La loi sera adoptée en 1905, première réglementation en la matière.


« Aujourd’hui, l’aldéhyde formique n’est plus autorisé dans le lait, ni le borax dans le jambon, ni les sulfures dans les épinards, et je ne sais pas ce qui était utilisé pour plâtrer le vin, mais ce n’est en tout cas plus autorisé non plus ! », a assuré Dominique Parent-Massin.


Depuis le début du XXe siècle, les évolutions ont été considérables en matière d’encadrement et de contrôles des substances contenues dans notre alimentation. Outre le texte fondateur de 1905, c’est aussi au début du XXe siècle que se met en place la section « alimentation » au Conseil supérieur d’hygiène publique de France, qui va dès lors examiner les arômes, les enzymes, les additifs. C’est ensuite l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) qui prend le relai. Sa fusion avec l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail) en 2010 donne naissance à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Au niveau européen, le Scientific comity of food est créé en 1974, puis l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA), fondée en 2002, lui prend ses attributions alimentaires.


« Aujourd’hui, nous savons de mieux en mieux évaluer les données de consommation, et nous disposons de méthodes analytiques performantes. Nous avons des dossiers toxicologiques dont la qualité s’améliore de jour en jour », a en outre considéré la professeure en toxicologie. Les travaux sont ainsi enrichis ; à l’image des travaux sur le déoxynivalénol, produit par la moisissure. « En 1999, il existait 9 pages d’opinion. En 2017, il existait 345 pages sur la même molécule », a mentionné Dominique Parent-Massin.


Un autre grand progrès, a-t-elle souligné, réside dans la création de la « liste positive », selon laquelle tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. « Il s’agit d’une liste de produits, et d’additifs autorisés. Ceux qui n’y figurent pas sont interdits. C’est vraiment un principe essentiel ! », a commenté la professeure en toxicologie.


Aussi essentiel, a-t-elle estimé, que l’instauration du concept de « dose journalière admissible » (DJA) – introduit en 1956 par René Truhaut, scientifique français, et utilisé aujourd’hui dans le monde entier –,
qui est la quantité d’une substance qu’un individu peut ingérer tous les jours de sa vie sans courir de risque pour sa santé.



Évaluer le risque


Se pose naturellement la question de savoir comment est évalué le risque, au sein des agences de sécurité alimentaire. Les expérimentations humaines étant interdites pour des raisons éthiques, elles sont effectuées sur des animaux. « Tout d’abord, on identifie les dangers. On va voir si la substance entraîne des hémorragies digestives, des problèmes neurologiques ou des paralysies. Ensuite, on caractérise le danger », a listé Dominique Parent-Massin. Afin de caractériser le danger, il existe des études toxicologiques obligatoires, qu’il faut soumettre aux agences de sécurité lors d’une demande d’autorisation de mise sur le marché. Il faut également présenter une étude de toxicité sur le rat, qui va durer 90?jours, ce qui représente un dixième de la durée de vie des animaux, ainsi qu’une étude de toxicité chronique, soit durant la vie entière de l’animal. « Ensuite, on regarde si la substance a des effets cancérogènes. On vérifie si la substance modifie l’ADN, car la modification de l’ADN est la première étape de la cancérisation. Donc si une substance modifie l’ADN, elle ne sera jamais autorisée. Puis on vérifie si on voit apparaître des tumeurs chez les animaux soumis à la substance pendant deux ans. Les animaux ont souvent spontanément des tumeurs : simplement, là, il faut voir s’il y a plus de tumeurs, si c’est statistiquement significatif », a précisé la professeure en toxicologie alimentaire.


Il est également procédé à des études sur la reproduction. « On regarde s’il y a bien mise bas ou avortement spontané, comment sont les petits, si les mères sont capables d’allaiter, de s’en occuper. Ensuite, on croise les petits une fois adultes pour voir s’ils ne sont pas stériles », a expliqué Dominique Parent-Massin, qui a en outre mentionné l’étude sur la tératogenèse, au cours de laquelle est administrée la substance aux femelles gestantes, afin de vérifier s’il n’y a pas d’anomalies sur les petits.


« On va étudier tous les paramètres : prises de sang, on regarde à l’œil nu si on voit des hémorragies, on teste toutes les maladies possibles, tous les effets toxiques possibles.  Au terme, il faut qu’on arrive à trouver la dose journalière acceptable ». Pour calculer la DJA, il faut alors identifier pour chaque étude toxicologique la plus petite dose qui n’a aucun effet toxique, chez les mâles et les femelles. Cette plus petite dose est divisée par cent (car l’on part du postulat que l’homme est dix fois plus sensible que l’animal), et l’on arrive alors à la quantité que l’on peut ingérer tous les jours de notre vie sans courir de risques pour notre santé, déterminée par les agences de sécurité alimentaire. Dans l’évaluation du risque, il faut cependant savoir quelle quantité de cette substance nous consommons. Pour cela, on va évaluer la consommation des denrées alimentaires concernées, et multiplier par la quantité qu’il y a dans les denrées, afin d’obtenir la quantité à laquelle le consommateur est exposé tous les jours. « Si vous êtes exposé à une dose inférieure à la dose qu’on peut ingérer tous les jours de l’année, alors il n’y a aucun risque », a assuré Dominique Parent-Massin.



Une exposition « beaucoup plus élevée dans les années 70 pour 18 substances »


La professeure en toxicologie l’a rappelé, il existe deux catégories de contaminants : les substances ou denrées soumises à autorisation (additifs, nouveaux aliments, enzymes, produits phytosanitaires…) et les contaminants naturels, « amenés par dame nature », à l’instar des mycotoxines, toxines particulièrement dangereuses fabriquées par les moisissures.


Lors d’un inventaire national dans les années 70, 46 substances ont été recherchées dans 364 aliments prélevés dans le commerce et analysés par 25 laboratoires : 58 000 résultats analytiques ont été obtenus entre 1976 et 1978.


L’exposition (la contamination par la consommation) moyenne pour les adultes, les enfants et les adolescents était « beaucoup plus élevée dans les années 70 pour 18 substances », a indiqué Dominique Parent-Massin. C’est le cas de l’exposition à la patuline (mycotoxine produite par des moisissures sur des pommes, le plus souvent), ou au cadmium, par exemple. Le taux d’exposition à ce métal a beaucoup baissé entre les années 70 et 2000, bien qu’il ait très légèrement ré-augmenté ensuite, via certains légumes, céréales et fruits de mer. Les produits de la mer constituent d’ailleurs une source importante d’exposition, qui est aujourd’hui « plus faible en plomb, mais cependant plus élevée en mercure », a relevé la professeure en toxicologie.


Par ailleurs, par rapport à 1970, le risque – soit la probabilité d’être exposé au danger via la consommation d’un aliment qui contient une molécule dangereuse à une dose toxique compte tenu de l’exposition – a diminué de manière générale. Le pourcentage d’individus qui dépassent la dose journalière admissible ou la dose journalière tolérable est « beaucoup plus faible pour un grand nombre de substances ». Ainsi, pour le cadmium, si 60 % des enfants dépassaient la DJA en 1970, ils ne sont plus que 14,9 %. Pour les sulfites, le pourcentage de la population dépassant la DJA est passé de 8,5 à 3 %. Quant aux nitrites et à la patuline, « plus personne ne dépasse la dose journalière admissible », a souligné Dominique Parent-Massin.


En outre, la commission européenne a demandé en 2007 à l’EFSA de réévaluer la sécurité de tous les additifs alimentaires autorisés, pays par pays, puis pour l’Union européenne. 41 colorants ont ainsi été passés au crible : suite à ces travaux qui ont duré plusieurs années, les experts ont établi ou mis à jour la DJA pour chaque substance évaluée, les niveaux maximum de trois colorants ont été réduits, et le colorant Rouge 2G (E 128) a été retiré du marché. Dominique Parent-Massin s’est d’ailleurs insurgée qu’un article de Que Choisir ait « classé des additifs, qui avaient été évalués comme ne faisant pas courir de risques aux consommateurs, comme dangereux et nocifs », dénonçant une « infox ».


La professeure en toxicologie alimentaire a par ailleurs déploré le manque d’évaluations des contaminants naturels, notamment eu égard aux compléments alimentaires. « Les compléments alimentaires à base de plantes ne sont en aucun cas évalués : il y a un trou dans la réglementation française et européenne. Les industriels ont beau dire que puisque c’est issu des plantes, c’est naturel et donc ce n’est pas dangereux, ce n’est pas vrai ! Les poisons les plus puissants sont fabriqués par la nature », a insisté Dominique Parent-Massin.


Et en effet, l’Académie de pharmacie a publié un rapport inquiétant en 2018, qui alerte sur le fait que les comprimés à base de végétaux peuvent générer des effets indésirables. Entre 2009 et 2016, l’Anses a d’ailleurs reçu près de « 2 500 signalements liés à des compléments alimentaires, dont près de la moitié considérés comme graves », informait l’Express en février.


 


Bérengère Margaritelli






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