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Nouvelle charte, référents formés : les représentants des avocats poursuivent leur engagement contre le harcèlement et les discriminations

Nouvelle charte, référents formés : les représentants des avocats poursuivent leur engagement contre le harcèlement et les discriminations
Publié le 23/10/2019 à 16:24

A l’occasion de la journée de formation des référents « harcèlement et discriminations » organisée par la Conférence des bâtonniers, le 26 septembre dernier, l’association a signé avec le CNB et le barreau de Paris, sous l’œil du Défenseur des droits, une Charte relative à la lutte contre ces fléaux dans la profession d’avocat. Un « engagement inédit » qui vient renforcer le combat que ses représentants mènent aujourd’hui. 


Alors que Les Échos ont publié, le 2 octobre dernier, un article intitulé « Comment #MeToo bouscule le monde feutré des avocats », en écho aux langues qui se délient face au harcèlement dans les cabinets, les représentants de la profession se mobilisent eux aussi. 


Le 26 septembre, la Conférence des bâtonniers organisait ainsi une journée de formation des référents « harcèlement et discriminations », à destination d’une trentaine d’anciens bâtonniers et membres de conseils de l’Ordre. Sensibilisés par les services du Défenseur des droits sur les conditions de travail et expériences des discriminations dans la profession d’avocat, ainsi que sur l’appréhension et l’analyse des discriminations dans les professions libérales, les apprentis référents ont également bénéficié des retours d’expérience des barreaux de Lyon et de Paris, déjà engagés dans cette lutte. 


Une formation qui s’est déroulée en présence du président de la Conférence des bâtonniers, Jérôme Gavaudan, de sa successeure, Hélène Fontaine, du Défenseur des droits, Jacques Toubon, de la présidente du CNB, Christiane Féral-Schuhl, de la bâtonnière de Paris, Marie-Aimée Peyron, de la présidente de la Commission Égalité du Conseil national des barreaux, Aminata Niakaté, ou encore de la bâtonnière Marie-Anne Mendiboure, membre du Bureau de la Conférence. « Cet événement est le premier étage de la fusée du dispositif mis en place par l’association pour endiguer le phénomène de discrimination et de harcèlement », a souligné cette dernière. 


Parallèlement, la Conférence des bâtonniers a élaboré une liste de référents nationaux désignés par les conférences régionales. 


 

Jérôme Gavaudan


Une charte pour lutter contre les discriminations et le harcèlement 


À cette occasion symbolique, la Conférence des bâtonniers a co-signé, avec le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux, de la main de leurs représentants respectifs, une Charte relative à la lutte contre les discriminations et le harcèlement dans la profession d’avocat. 


Le texte, qui comporte 11 articles, fait état de « l’existence et de la permanence, au sein de la profession d’avocat et entre confrères, de comportements et de pratiques aboutissant à des situations de discriminations ». Les trois signataires se sont engagés « à la mise en place d’une politique commune de coordination et d’accompagnement », notamment à ce que, dans chaque barreau adhérent, soi(en)t désigné(s) un ou plusieurs référent(s) parmi des anciens bâtonniers ou membres du Conseil de l’Ordre, chargé(s) de faire un rapport au bâtonnier, lui-même habilité à mettre en œuvre une enquête déontologique ou une procédure disciplinaire. « Le Conseil national des barreaux s’engage à promouvoir auprès des écoles d’avocats (...) un module sur les problématiques de discriminations et de harcèlement », et « la Conférence des bâtonniers s’engage à intégrer un module de formation dans le cadre des séminaires de formation des bâtonniers », indiquent par ailleurs les articles 5 et 6. La Charte mentionne enfin la création d’un groupe permanent réunissant les trois parties, chargé d’analyser et d’évaluer les situations et les dispositifs mis en œuvre pour les résoudre, ainsi que la création facultative d’un registre au sein de chaque Ordre, afin de recueillir « toute information relative à des faits de harcèlement et de discriminations ». 


Si Marie-Aimée Peyron s’est réjouie d’un « beau moment » pour la profession, Anne-Marie Mendiboure a quant à elle salué un « acte politique fort », avec une charte qui « prend des engagements pour la profession ». « Il fallait donner du lustre à cette signature, et quoi de mieux pour cela que de le faire à l’occasion de cette journée de formation ? » 


Un avis partagé par Christiane Féral-Schuhl, qui a évoqué « un engagement inédit pour la profession ». « Imaginez la tâche qu’il a incombé au président de la Conférence des bâtonniers quand il a fallu considérer le combat contre les discriminations à l’échelle des 163 barreaux ! » s’est exclamée la présidente du CNB, avant de rendre hommage à Jérôme Gavaudan : « Monsieur le président de la Conférence, ce que vous réalisez est historique, car c’est vous qui allez déployer concrètement, barreau par barreau, cabinet par cabinet, un arsenal de bonnes pratiques qui ont vocation à changer les rapports entre confrères. (...) Je voudrais vous remercier au nom de tous les avocats humiliés, de tous ceux qui n’ont pas trouvé de résonance à leur serment dans leur profession. Les avocats doivent savoir que les représentants de la profession unis ont décidé de dire "stop" : il ne pourra plus y avoir un seul cabinet où l’on maltraite les avocats en raison de leur sexe, de leur origine, de leur couleur, de leur appartenance religieuse. »


 


« La situation des avocates est préoccupante » : retour sur l’enquête du Défenseur des droits 


Jérôme Gavaudan l’a précisé : « la réflexion de l’ensemble de la profession sur la nécessité d’agir » a été générée, a-t-il affirmé, par l’enquête menée auprès de plus de 7 000 avocats par le Défenseur des droits, en collaboration avec la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) (voir JSS n° 40 du 6 juin 2018). 


Les résultats, présentés en 2018, ont notamment permis d’analyser sous quelles formes et selon quelle fréquence se manifestaient des situations de discrimination dont les avocats pouvaient faire l’expérience. Et ces derniers sont éloquents. « Les signaux d’alerte mis en évidence montrent des résistances au changement qui persistent dans la profession. La situation des avocates, notamment, est préoccupante », a commenté Jacques Toubon. 


Revenant sur les enseignements de cette enquête, le Défenseur des droits a pointé que la profession était marquée par de « fortes inégalités » entre les femmes et les hommes, en particulier quant à l’accès au statut d’associé et aux inégalités salariales. Ainsi, a-t-il mis en évidence, 63 % des associés sont des hommes, au sein même d’une profession pourtant majoritairement féminine. Par ailleurs, a mentionné Jacques Toubon, 72 % des femmes et 47 % des hommes interrogés indiquent avoir été les témoins de discriminations à l’encontre de leurs collègues ; – discriminations « principalement sexistes ». 38 % des personnes interrogées (53 % des femmes, 21 % des hommes) rapportent en outre une expérience de discrimination dans les cinq dernières années. Des discriminations fréquentes à l’âge de la parentalité, qu’elle soit ou non effective, et qui visent également un grand nombre de femmes de 30 à 49 ans de religion musulmane. 


Pourtant, le Défenseur des droits a souligné que moins de 5 % des personnes confrontées à ces situations avaient entamé des démarches pour faire valoir leurs droits. Les raisons ? Inutilité du recours, insuffisance des preuves, peur des représailles sont les trois principaux motifs avancés. « Il y a un paradoxe entre cette profession vouée au(x) droit(s), et les situations de discrimination et de harcèlement qu’elle vit », a fait remarquer Jacques Toubon. « Il faut que nous regardions les vérités en face, a exhorté ce dernier,
il existe des situations de souffrance au travail.
 » Le rapport a « mis des mots sur des pratiques que nous, avocats, n’avons pas évitées », a reconnu de son côté la bâtonnière Anne-Marie Mendiboure : « Nous avions pu nous dire que des comportements n’étaient pas éthiques et pas conformes déontologiquement, quand il s’agissait en réalité de discriminations et de harcèlement. »


« Au sein d’une profession comme la vôtre qui se féminise, qui se rajeunit, qui s’ouvre sociologiquement, le droit à la non-discrimination ambitionne de mettre fin au paradigme de la seule performance et de l’adhésion au groupe pour réaffirmer les valeurs de votre déontologie professionnelle », a déclaré le Défenseur des droits. « Il faut utiliser le droit comme levier pour que ne se cristallisent pas ces inégalités et ces rapports de domination. »


Jacques Toubon s’est toutefois félicité d’un essor « considérable » du droit applicable aux discriminations, et a constaté une évolution de la jurisprudence en ce sens. Ainsi, depuis 2017, plusieurs cours d’appel ont reconnu le droit d’être protégé contre un harcèlement environnemental ou une ambiance de nature sexiste et raciste, à l’instar d’Orléans et Montpellier. 


 


Le DDD comme « auxiliaire du tribunal »


Pour lutter contre de telles pratiques discriminatoires et souligner l’importance de sanctions dissuasives, l’institution présente ainsi les résultats de ses enquêtes devant des conseils de l’Ordre en formation disciplinaire et devant les cours d’appel. 


Le Défenseur des droits peut en outre instruire des réclamations, recueillir puis analyser la preuve de la discrimination : « Nous avons un rôle distinct des parties et avocats, mais nous pouvons être un auxiliaire du tribunal en lui proposant une lecture du droit et des faits ; une analyse, sous forme d’observations, à disposition des parties » a expliqué Jacques Toubon, qui a assuré que pouvoirs d’enquête et participation aux actions judiciaires étaient les premiers moyens de promotion de l'accès au droit en matière de discriminations. Le Défenseur des droits peut enquêter à la demande des avocats, et une loi organique prévoit qu’il peut donner son avis et procéder à une enquête à la demande des ordres professionnels ou à la demande d’un tribunal, du parquet, ou bien d’un juge d’instruction. L’institution peut également auditionner un mis en cause lors de l'enquête, par exemple lorsqu’elle est saisie d’un cas de harcèlement sexuel. Elle effectue d’autre part des vérifications sur place, afin de mieux appréhender l’environnement de travail et d’échanger avec les personnes concernées. 


Avant la création du Défenseur des droits, en 2011, Jacques Toubon a rappelé que la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) avait été saisie par des avocates licenciées à cause de leur grossesse, qui s’estimaient sans recours.
En 2009, plusieurs médias dont Le Figaro rapportaient d’ailleurs que depuis sa création en 2005, la Haute autorité avait été saisie « par 400 femmes pour des affaires de discrimination liée à la grossesse. Et pour la seule année 2009, elles étaient 250. » Jacques Toubon a indiqué que l’ancêtre du Défenseur des droits avait amorcé « une mobilisation devant les juridictions et auprès du gouvernement ». En 2014, la loi Vallaud-Belkacem sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a ainsi amendé l’article 28 de la loi de 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, et introduit la protection de la grossesse dans le statut des collaborateurs libéraux. « L’ampleur des discriminations fondées sur la grossesse a permis de faire admettre et reconnaître un droit des discriminations qui s’applique aux professions libérales, et notamment aux avocats », a résumé le Défenseur des droits. 


 


Une bâtonnière engagée


À la tête des barreaux aussi les choses commencent à bouger. Marie-Aimée Peyron a témoigné de son expérience : il y a un peu plus de trois ans, alors candidate au bâtonnat, elle avait été « véritablement interpellée », a-t-elle confié, par le nombre de saisines du Défenseur des droits par des avocat(e)s.
« Cela n’était pas normal, alors que nous avions des ordres, des formations disciplinaires au sein des barreaux. J’ai étudié l’arsenal mis en place par mes prédécesseurs, et je me suis aperçue que la Commission Harcèlement et Discrimination mise en place au sein du barreau, c’était très bien, mais cela ne suffisait pas ; car comme toute commission de conciliation, elle conciliait, mais n’allait pas au-delà. » Or, a-t-elle affirmé, l’Ordre connaissait l’existence de situations de harcèlement moral et sexuel, de discriminations, sans qu’aucune poursuite disciplinaire n’ait lieu. « Pendant la campagne, je me suis donc officiellement engagée, si j’étais élue, à lever le bâton sur ces affaires, qui partiraient en disciplinaire. »


Une promesse que la bâtonnière a mise en œuvre, soutenue notamment par son vice-bâtonnier, Basile Ader. « Il est indispensable que nous soyons exemplaires », a-t-elle martelé. 


Le principe de non-discrimination et l'interdiction des comportements sexistes ont ainsi été intégrés dans le règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP), respectivement en 2019 et en 2018. Par ailleurs, alors que la bâtonnière de Paris a recensé six dossiers en enquête déontologique « avec du très lourd », a-t-elle indiqué, pour des faits de harcèlement, un avocat relaxé au pénal a récemment été condamné disciplinairement pour harcèlement sur une auditrice et plusieurs élèves-avocates, s’est-elle félicitée. « L’enquête a permis de faire remonter tous les agissements qui avaient pu intervenir à l’égard des avocates passées par le cabinet, et j’ai pu le poursuivre en ma qualité de bâtonnier, a-t-elle rapporté. L’instruction a permis de renforcer cette enquête, et que cet homme soit condamné disciplinairement avec publication. Il ne faut jamais oublier la publicité ! », a appuyé la bâtonnière, qui a toutefois souligné que s’il fallait faire connaître le nom de l’avocat sanctionné, les victimes souhaitaient rarement que l’on connaisse leur nom. 


Par ailleurs, le RIBP a également intégré un principe d’égalité, Marie-Aimée Peyron ayant fait de l’égalité femme-homme de ses chevaux de bataille. Celle-ci a toutefois admis être confrontée, en pratique, à une principale difficulté : « On ne peut pas mettre en place de règles pour contraindre les cabinets à rémunérer de la même façon les hommes et les femmes », a-t-elle déploré, alors qu’à Paris, les avocates perçoivent en moyenne 51 % de moins que leurs confrères. La question est donc de réussir, dans un barreau, à mettre en place une politique d’incitation à l’égalité. « Avec le laboratoire de l’égalité, nous avons dressé une charte pour les cabinets d’avocats », a ajouté Marie-Aimée Peyron. Ont également été mis en place des « trophées de l’égalité », afin de récompenser et de mettre en avant les cabinets qui peuvent démontrer qu’ils n’effectuent pas de discrimination en matière de rémunération et qu’ils n’hésitent pas à associer des femmes, etc. Trois catégories sont ainsi prévues : moins de 10 avocats, moins de 30 avocats et plus de 30 avocats. « Nous avons découvert qu’au-delà de 30 avocats, il y avait beaucoup plus de candidats remplissant les critères, alors qu’on aurait pu penser qu’il était plus simple d’atteindre l’égalité dans de petites structures », a rapporté la bâtonnière. « Les grands cabinets mettent en place cette politique, car économiquement, cela est plus intéressant, mais aussi parce que les clients réclament de l’égalité et de la diversité », a-t-elle précisé. 


Toutes ces avancées ont été saluées par Christiane Féral-Schuhl, qui a rendu hommage à Marie-Aimée Peyron : « vous vous êtes engagée comme vous savez le faire, tout entière, parfois violemment, en prenant des risques, vous avez raison ! Après tout ce que vous avez fait, toute pause serait une trahison. » La présidente du CNB a par ailleurs considéré que le bâtonnier était un catalyseur de toutes les pensées de la profession, et qu’il était « trop facile de mettre sur le dos des décennies de dérives de l’ensemble de la profession et de la société ». « Je n’ai pas rencontré de bâtonniers indifférents à la souffrance de leurs confrères, mais j’ai pu noter les difficultés à gérer des crises et à trouver une juste frontière entre la rumeur et le devoir de protection des avocats en danger », a-t-elle témoigné. 


 

Marie-Aimée Peyron




Le CNB va faire face à un « long combat »


Au CNB, les règles qui régissent la profession ont également été bousculées. Les principes d’égalité et de non-discrimination font désormais partie des principes essentiels de la profession depuis qu’ils ont été ajoutés à l’article 1.3 du RIN (Règlement Intérieur National de la profession), par décision publiée au Journal officiel du 29 juin 2019.


Ces modifications ont été assorties d’un plan d’action élaboré par Aminata Niakaté et Anne-Lise Lebreton, présidente de la Commission Collaboration du CNB, d’actions de communication et de sensibilisation, ainsi que d’un programme de formation, a précisé Christiane Féral-Schuhl. 


Devant la tâche qu’il incombe à la profession, et notamment à ses représentants, cette dernière a souhaité « relever le défi », bien qu’il soit, a-t-elle reconnu, « difficile de faire bouger les lignes ». « Nous connaissons de mauvais usages, de mauvaises excuses, d’odieuses tolérances. Il ne faut pas se voiler la face, nous sommes entrés dans un long combat qui va nécessiter beaucoup de persévérance. Il y aura des reculs et des reniements. Mais nous devons acter l’essentiel : nous sommes sur la bonne voie, nous avons de la détermination, et il n’y a pas d’autre chemin. » 



 

Christiane Féral-Schuhl

Bérengère Margaritelli


 


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