La question de la biodiversité devient aussi cruciale que celle du
climat ; en réalité, les deux sont liés.
Avant d’aller plus avant, une précision de vocabulaire : le terme
biodiversité est comme chacun sait le résultat d’une contraction entre biologie
et diversité.
Il en existe une définition légale qui figure à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement qui est ainsi rédigée :
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la
variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes
terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes
écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des
espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les
interactions entre les organismes vivants. Ce patrimoine génère des services
écosystémiques et des valeurs d’usage ».
Au niveau mondial, on dénombrerait 1,8 million d’espèces connues
alors qu’il en existerait 10 à
15 millions (1).
Sur cette quantité, un nombre important d’espèces ont disparu et vont
continuer à disparaître. Cela est dû à la déforestation et à la dégradation des
sols, auxquelles s’ajoutent le bouleversement climatique.
Les services écosystémiques restent considérables, or nous en
consommons beaucoup trop par rapport à ce que la planète peut nous donner,
puisqu’en cette année 2018, à la date du 17 août (et non plus en septembre
ou en octobre), notre limite annuelle était dépassée.
Pour rendre
plus concrètes les choses (même si cela n’est pas le cas en France), la
déforestation est un fléau au niveau mondial (chez nous, cependant, c’est
l’artificialisation des sols qui est la grande menace). Un récent rapport de
l’Institut national de la recherche agronomique et de l’Institut français des
sciences et technologies des transports de l’aménagement et des réseaux s’est
alarmé à juste titre de la situation actuelle.
En effet, selon leurs observations, un peu plus de 51 600 km², soit 9,4 % du territoire français, sont déjà perdus en raison
de l’emprise grandissante des villes. Le phénomène s’accélérerait : plus
de 360 hectares par jour, soit 10 hectares toutes les heures et près
de 6 000 km2 ont ainsi
été détournés de leur fonction d’espaces naturels depuis 2006, soit
l’équivalent en superficie du département du Gard.
C’est devant cette situation alarmante qu’a été élaborée la loi dont le
titre est parfaitement évocateur : Reconquête de la biodiversité, de la
nature et des paysages, ce qui, au passage, consiste à admettre que la
situation de la biodiversité a bien été obérée.
La loi du 8 août 2016 (2) a fondé
toute sa stratégie sur la création d’une Agence nationale pour la protection de
la biodiversité qui est un établissement public doté de pouvoirs d’interventions
financières et de contrôle sur tous les instruments juridiques qui tournent
autour du thème « éviter, réduire, compenser » (appelée
séquence ERC), faisant de celle-ci un véritable impératif.
En effet, la loi prévoit effectivement que si l’on ne peut éviter, on
ne peut autoriser, et surtout que l’on doit impérativement réduire ou chercher
à réduire les impacts sur la biodiversité et au cas où il resterait une
atteinte, compenser.
Il faut comprendre en tout cas que le terme compenser peut s’apprécier dans
deux dimensions :
Soit, si elle est postérieure à l’action, c’est le dommage écologique
puisqu’il faudra réparer par remise en état et non pas indemniser en argent
mais en nature ;
Soit qu’elle s’entend également d’un élément positif qui suppose un raisonnement
et une politique préventive, à savoir celle qui réside en particulier dans
l’évaluation environnementale ou ce que l’on appelait, dans le temps, la
fameuse étude d’impact instituée depuis la loi de 1976 (3) et son décret d’application du 11 octobre 1977 (4).
Pourquoi cependant faut-il parler de reconquête ?
Parler de reconquête c’est sans doute, comme déjà souligné, un aveu ou
une reconnaissance du caractère alarmant de la situation.
Mais, le thème reconquête a aussi un aspect positif puisque dans la loi,
comme dans la doctrine internationale, il semble s’établir une dynamique qui
fait du protecteur un agent économique positif de la biodiversité puisqu’il
offre les conditions dans lesquelles la compensation peut s’opérer.
Pour comprendre tout l’intérêt qui s’attache à tous les éléments
positifs au niveau international, il faut tenir compte d’un récent rapport de
la Commission mondiale sur l’économie et le climat (5) qui démontre que l’action positive de la protection de la biodiversité
(forêts et terres cultivables) est encore plus attrayante que ce qui avait été
imaginé auparavant, à savoir qu’une action climatique ambitieuse ne devait pas
en tout cas coûter beaucoup plus cher que les moyens mis en œuvre en vue du
maintien d’une recherche de croissance dans le maintien du statu quo actuel.
Ce rapport rappelle que des actions extrêmement importantes ont été
entreprises en vue de la restauration de 160 000 000 hectares de terres dégradées, engagée dans le processus cadre du « Bonn
challenge » qui a prévu un investissement de l’ordre de
84 milliards de dollars par an.
Au niveau national, il fallait inverser la tendance qui résultait de la
logique de nos planifications d’urbanisme qui consistait effectivement pour
ceux qui disposaient d’espaces naturels à céder à la tentation de les rendre
constructibles.
Pour comprendre toute l’importance qui s’attache à cette perspective de
protection du patrimoine naturel, il convient de commencer par faire un léger
retour en arrière et montrer combien les tendances et les directions
d’évolution du droit de l’environnement ont été vraiment erratiques jusqu’à
présent. On recadrera ensuite les principales évolutions de la loi.
C’est d’abord par le droit des pollutions et de la responsabilité civile
que l’on a commencé à prendre conscience de l’intérêt de la nature, ou si l’on
préfère de la biodiversité.
C’est la société civile et les juges qui ont effectivement inventé la
notion du dommage écologique qui va se poursuivre à partir d’un jugement du
tribunal de grande instance de Bastia du 5 juillet 1985 (6) au sujet de la pollution de la mer par des produits chimiques sur les
zones de pêche des pêcheurs bastiais pour se terminer dans l’affaire
« Erika » par la reconnaissance par la Cour de cassation du
25 septembre 2012 (7) de ce type
de dommage suite à un arrêt de la Cour de Paris.
C’est donc une longue marche qu’il a fallu pour établir la prise en
considération de la nécessité de protéger la biodiversité et de sanctionner
civilement son atteinte, ce qui a permis effectivement d’imaginer l’étude
d’impact écologique, c’est-à-dire la protection préventive.
Celle-ci est encore issue des décisions des juges de première instance
en général, on en prendra deux exemples : celui du tribunal administratif de
Nantes, dans l’affaire dite de la rocade de la Baule (8). Le second est celui du tribunal administratif de Strasbourg dans
l’affaire de la pollution du Rhin qui a suspendu l’autorisation du rejet des
résidus de l’exploitation au sel des mines de potasse d’Alsace, très néfastes,
à la conservation de l’intégrité de la ressource d’eau potable, pour les
collectivités territoriales hollandaises chargées d’alimenter leur population
en eau potable puisque la Hollande ne dispose que de très peu de nappes
phréatiques compte tenu de sa situation liée à la conquête du tiers de son
territoire sur la mer (9).
En toute logique, on pouvait certes inventer l’étude d’impact avant la
réparation, mais c’est à partir de l’atteinte que l’on a imaginé la prévention.
Mais au-delà du caractère peu logique de cette progression, c’est
d’abord que dans l’histoire du droit français de l’environnement, on a voulu
privilégier le droit de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire par
rapport au droit de l’environnement, puisque dans la conception de l’étude
d’impact de la loi de 1976 qui a
précédé le décret du 11 octobre 1977, les plans d’urbanisme n’étaient pas
soumis à étude d’impact. En effet, selon la volonté du législateur, ils
auraient été eux-mêmes une étude d’impact, ce qui est loin d’être évident.
La deuxième observation tient au rôle de la jurisprudence
administrative qui n’a jamais été très exigeante vis-à-vis de l’importance des
mesures compensatoires qui devait figurer dans l’étude d’impact classique issue
de la loi de 1976.
Il suffisait au pétitionnaire de provisionner une somme d’argent pour
que la mesure compensatoire soit considérée comme acceptable. Il y eut peu
d’annulations par le juge administratif sur ce type de sujet.
Enfin et surtout, le juge administratif, devant l’importance des
contentieux, a été tenté d’en restreindre les conditions d’annulation liées aux
insuffisances de l’étude d’impact puisque maintenant, les insuffisances de
l’étude d’impact ne sont sanctionnées que si elles sont de nature à porter
atteinte à l’information de l’administration ou du public.
Il a fallu de nouvelles directives en matière d’évaluation
environnementale, la directive 97 de 2011
(10) modifiée pour changer le paysage, mais c’est surtout que
le droit positif est resté trop longtemps limité à l’application du droit des
études d’impact et au seul niveau local.
Ainsi, aurait-on dû prévoir une étude d’impact appliquée aux schémas et
plans d’urbanisme qui aurait effectivement permis de mieux conditionner et
mieux, en quelque sorte, caractériser les études d’impact au niveau local. Ce
n’est, en effet, que dans les années 2000 que les
directives ont soumis à étude d’impact ces instruments de planification (ces
plans programmes) qui sont très nombreux en France puisque cela touche aussi
bien l’eau, l’air, l’utilisation des sols, l’exploitation des carrières ou des
installations classées, par exemple, qui auraient pu montrer la direction.
Ici, le fait est que le local a précédé le global, ce qui n’est que peu
constructif.
Les choses ont peut-être changé lorsqu’a évolué la jurisprudence du
Conseil constitutionnel qui a vu dans la Charte (11) édictée en 2004 et publiée en 2005 en opérant
une analyse large de l’article 2 de celle-ci
qui rappelle « qu’il est du devoir de chacun de veiller à la
conservation de l’environnement ».
En effet, le Conseil constitutionnel a estimé que la notion de devoir
de chacun visait aussi bien les personnes publiques que les personnes privées,
et l’on voit le long cheminement pour la protection effective et à part entière
de la protection de la biodiversité car aujourd’hui même d’ailleurs, les
réglementations protectrices de l’environnement restent toujours à concilier
avec la situation de l’existant. C’est vrai pour la création des parcs naturels
ou encore par exemple pour la fameuse trame verte et bleue inventée par les
lois dites Grenelle : c’est bien pourquoi devant toutes ces difficultés
passées, une étude en profondeur du nouveau droit de la biodiversité s’impose.
Pour que le droit commun soit saisi par la biodiversité, une meilleure
vision de l’étude d’impact et de l’évaluation environnementale s’imposait
(communication 2).
Il fallait
surtout repenser complètement et instituer un véritable mécanisme de
compensation, déterminer son champ d’application, inventer les instruments et
mettre à son service, soit des instruments fonciers, soit des instruments
économiques (communication 3).
De plus, il fallait aussi et surtout avoir une vision positive de la
réparation du préjudice écologique, c’est-à-dire totalement centrée sur la
réparation en nature (ce qui n’est pas une mince affaire, dès lors que sur ce
sujet, il existe un certain nombre de contraintes de fond et de procédure (voir
communication n° 4)).
Evidemment et en toute hypothèse, sans comptabilité de la biodiversité,
sans la comparer et sans mise en perspective du sujet avec les éléments
économiques et la comptabilité publique, la réforme ne peut pas ambitionner de
reprendre les choses en profondeur sans relier les règles de l’économie avec
les impératifs de la biodiversité et la comptabilité publique (communication
n° 5).
On découvrira finalement que, sans recours à des techniques
environnementales et écologiques, la protection de la biodiversité n’a
effectivement pas beaucoup de sens, c’est l’objet de la communication
n° 6, biodiversité et process industriel.
1)
G. Sainteny, Le climat qui cache la forêt, Éditions rue de l’Echiquier,
p. 37.
2)
Loi numéro 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la
biodiversité, de la nature et des paysages (1)
(NOR : DEVL1400720L : JO, 9 août 2016).
3)
Loi numéro 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la
nature : JO du 13 juillet 1976, p. 4 203.
4)
Décret numéro 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l’application de
l’article 2 de la loi
n° 76-629 du
10 juillet 1976 relative à
la protection de la nature : JO du 13 octobre 1977,
p. 4 948.
5) World
Resources Institute, Unlocking the inclusive growth story of the 21st
century : accelerating climate action in urgent times - The New Climate
Economy, the Global Commission on the Economy and Climate, August 2018, 208p.
6)
TGI Bastia, 4 juillet 1985 commenté
in « La réparation du dommage au milieu écologique marin à travers deux
expériences judiciaires : Montedison et Amoco Cadiz », Gaz. Pal.
juillet-août 1992, doctr. p.582.
7) Cass.,
crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, P+ B+R+ I (affaire Erika).
8)
TA, Nantes, 7 mai 1975, Rec. p. 718 (affaire Rocade de la Baule).
9)
Voir sur ces différentes affaires notre ouvrage « Avocat pour
l’environnement », LexisNexis, troisième partie.
10)
Directive n° 2011/92/UE du 13/12/11 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics
et privés sur l’environnement (JOUE n° L 26 du 28 janvier 2012),
modifiée en 2014.
11)
Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de
l’environnement (JORF n° 0051 du 2 mars 2005 p.3697).
Bibliographie
sélective :
Articles
:
M. Lucas,
Le contrat au service de la compensation écologique, Energie – Env. – Infrastr.
n° 6, juin 2017, dossier 11.
A. Van
Lang, La loi Biodiversité du 8 août 2016 : une ambivalence assumée,
AJDA 2016, p.2 492.
K. Foucher,
Le principe de non-régression devant le Conseil constitutionnel, Constitutions
2016, p.487.
G. Beaussonie,
Loi n° 2016-1087?du
8 août 2016?pour la
reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, RSC 2016, p.814.
Dossier
Loi biodiversité et droit de la construction : RDI n° 11, nov. 2016,
voir notamment : A. Van Lang, La compensation des atteintes à la
biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement
contestable.
J.-M. Pastor,
Le point final des députés au projet de loi Biodiversité, AJDA 2016,
p.1 476.
A. Farinetti,
L’Agence française pour la biodiversité : fer de lance d’une nouvelle
gouvernance de la biodiversité, RDI, 2016, p.581.
K. Foucher,
Le principe de non-régression devant le Conseil constitutionnel, note sous
Conseil constitutionnel n°2016-737-DC du 4 août 2016, Loi pour la
reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, AJDA 2016,
p.1 605.
C.
Hernandez-Zakine, La loi de reconquête de la biodiversité : une loi à fort
potentiel de ruptures juridiques, Droit rural n° 447, novembre 2016, alerte 116.
J.-M.
Pastor, Les députés valident une acception large du préjudice écologique, D.,
25?mars 2016.
J.-M.
Pastor, Les contours de la future Agence de la biodiversité se précisent, D.,
25?mars 2015.
M.
Boutonnet et E. Truilhé-Marengo, Réparation du dommage environnemental :
les remèdes du droit interne face aux limites du droit de l’Union européenne,
D., 2015, p.1 196.
Ouvrages
:
C.
Cans et O. Cizel, Loi biodiversité – Ce qui change en pratique, Éditions
Législatives, mai 2017, 618 p.
CNEFAF,
Confédération des experts Fonciers et Experts Forestiers de France, Reconquête
de la biodiversité, de la nature et des paysages – Guide méthodologique pour
les Experts Fonciers et Agricoles et les Experts Forestiers, 1re éd.,
avril 2018, 226 p.
Christian
Huglo,
Avocat à la
Cour,
Docteur en
droit,
Co-Directeur du Jurisclasseur Environnement