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Pierre-André Imbert, conseiller social à la présidence de la République, invité du Club de l’Audace |
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Publié le 08/02/2018 à 15:08 |
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Le Club de l’Audace a
convié le 23 janvier dernier le conseiller social à la présidence de la
République, Pierre-André Imbert. L’ancien directeur de cabinet de Myriam El
Khomri est intervenu sur la réforme du paysage social français. Dans le viseur
: la formation.
« Pour moi, la première audace, c’est d’être
assez lucide par rapport aux difficultés successives de notre pays pour
combattre le chômage », a reconnu d’emblée
Pierre-André Imbert, soulignant du même coup sa présence au Club de l’Audace.
Le conseiller social à la présidence de la République, ancien directeur de
cabinet de Myriam El Khomri, a directement planté le décor et reconnu l’extrême
complexité, depuis dix ans, à passer en dessous de la barre des 8 % de chômeurs. Il l’a
également reconnu : le marché du travail fonctionne de manière
inégalitaire, en repoussant les moins qualifiés et les plus jeunes. « Quand
vous avez un bac+2, vous vous retrouvez face à un taux de chômage de 20 % à
la sortie des études, mais de 5 % dix ans après. Vous aurez tendance à rester au
chômage 6 mois, et quand vous retrouverez un emploi, ce sera plutôt un CDI. Quand
vous sortez du système scolaire sans qualification, vous vous retrouvez face à
un taux de chômage de plus de 35% à la sortie des études, mais 10 ans
après il dépassera encore les 18 %. Et là, vous resterez plutôt un an et demi au
chômage, et quand vous retrouverez un emploi, ce sera un emploi
précaire », a-t-il déploré. Parmi les invités présents lors de
cette matinée, Thomas Huzar, PDG de la Société générale d’archives, a confié
qu’il n’arrivait pas à recruter en CDI, 10 % au-dessus des minima sociaux, des gens non
qualifiés. « Demain j’en embauche vingt si vous les trouvez ! Je
pense que l’on a un vrai problème de trappes et d’incitation à l’emploi pour
ces personnes moins qualifiées », a-t-il argué. Christophe Parry,
banquier privé chez SwissLife, a de son côté évoqué la sensation qu’il avait
que les milliards investis allaient essentiellement à ceux qui étaient déjà
formés. « Comment comptez-vous réorienter ces sommes vers ceux qui ont
le plus besoin, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas en entreprise, mais au
chômage ou en intérim, et à qui on propose des formations juste pour faire
baisser les statistiques du chômage », a-t-il questionné. Pierre-André
Imbert a indiqué qu’il s’agissait du « paradoxe de la formation » :
« On fait plus sortir des gens qui se disent que c’est une chance de
trouver une formation et qui se réinscrivent à Pôle emploi ». Le
conseiller social à la présidence de la République a admis avoir constaté le
problème, et que l’ensemble de la masse des crédits professionnels n’allaient
effectivement pas suffisamment aux chômeurs, ajoutant que la formation
concernait 10 à 15 % des demandeurs d’emploi.
Pierre-André Imbert a toutefois promis que le plan d’investissement des
compétences allait se focaliser sur les jeunes tout juste sortis du système
scolaire et sur la question de formation des demandeurs d’emploi. Un plan de 15 milliards d’euros, avec un
financement sur cinq ans. « C’est la première fois que nous n’avons pas
de plan sur une année, mais que nous nous engageons sur 5 ans
avec plusieurs milliards sanctuarisés dans la procédure budgétaire », a expliqué Pierre-André Imbert. Ce dernier a affiché l’objectif du
gouvernement : doubler le nombre des chômeurs qui auront droit à une
formation. « Mais la formation doit être utile, donc l’attention sera
portée sur deux choses essentielles : qui on envoie en formation, et dans
quelles conditions ». Un autre point concerne la reprise en main juste
après la formation, car les conseillers qui suivent les personnes inscrites à
Pôle emploi ont rarement une idée précise de ce qui se passe durant cette
dernière – ce qui est potentiellement regrettable vis-à-vis de l’investissement
financier entrepris. Le conseiller social à la présidence de la République a
également mis en avant la nécessité d’envoyer des personnes dans des formations
qui correspondent aux besoins actuels des entreprises – ce qui nécessite pour
cela que les entreprises puissent en amont identifier les compétences et
qualités dont elles ont besoin.
Le défi de la qualification
Pierre-André Imbert a par ailleurs affirmé que le
véritable défi du moment était celui de la qualification ; un enjeu, pour
le gouvernement, au cœur des projets de réforme de l’apprentissage et de la
formation professionnelle. Ainsi, afin de surmonter les défis sur la
transformation numérique, la transition écologique ou encore le besoin
d’adaptation des compétences, le conseiller social souhaite transformer la
manière dont est perçue la formation professionnelle. « Pour cela, la
qualité du système doit être à la hauteur, et la vision même sur la formation
doit changer. Car il est bien connu que la formation va d’abord à ceux qui sont
jeunes, bien portants et diplômés. Sauf que si vous n’êtes pas jeunes, bien
portants et diplômés, le taux accès à la formation dégringole », a
martelé Pierre-André Imbert. Ce dernier a par ailleurs rapporté que le taux
d’accès à la formation professionnelle était bien plus faible en France qu’en
Angleterre et en Allemagne. Pourtant, le taux de chômage des non-qualifiés y
est quasiment le même – à la différence que la qualification moyenne de la main
d’œuvre est plus élevée là-bas que chez nous. « Il faut regarder la
situation avec des yeux plus éclairés par la raison que par notre attachement
au système éducatif : nous avons subi un décrochage collectif sur la
qualification de la main d’œuvre », a regretté le conseiller social à
la présidence de la République. Sur ce point, Gilles de Robien, président de
l’AFOIT et ancien ministre, a tenu à réagir : « Nous avons un
problème de formation des formateurs et un problème de turn-over des
formateurs, qui devraient non pas transmettre ce qu’ils ont appris il y a dix
ans mais anticiper et pouvoir former aux métiers de demain ». Le
président de l’AFOIT a notamment cité, à l’appui de ses propos, l’exemple
canadien, selon lequel, pour l’équivalent de l’IUT, il existerait un turn-over
dans l’équipe formation de 30 % tous les deux ans. En comparaison, la France apparaît donc, à son sens,
très statique en la matière, d’où son retard en matière de qualification.
Xavier Broseta, DRH du groupe Bolloré, a pour sa part interpellé Pierre-André
Imbert sur la nécessité de rendre les formations plus efficaces sur les façons
de faire. « Ce qui frappe, c’est qu’il y a tout un tas d’innovations
liées au digital en matière de pédagogie qui se sont fait jour, mais pour les
entreprises, j’ai l’impression qu’il est difficile de bénéficier de ces
innovations. Il faudrait réfléchir à un mécanisme qui permettrait de diffuser
davantage l’innovation publique, l’innovation pédagogique », a-t-il
lancé. Pierre-André Imbert l’a conforté dans ses propos, en confirmant qu’il y
avait en effet peu d’investissement sur l’innovation pédagogique, domaine dans
lequel la recherche a le plus déserté, ce qui aboutissait à une perte de vue de
la complexité du monde du travail. Pierre-André Imbert s’est également dit
frappé par le fait que des jeunes prenaient le contre-pied et développaient des
start-up dans le domaine de la formation et de l’emploi, avec « des
innovations pédagogiques qui remettent en cause l’idée même de la
formation », et qu’il était urgent de diffuser cela dans les collèges.
Il a en outre affirmé que redonner du sens à ce qui fait l’intérêt de la
formation faisait partie des objectifs du gouvernement : « Nous ne
voulons pas de formation pour la formation, mais une formation pour les
résultats qu’elle apporte. Si l’obligation de formation et la mutualisation des
fonds ont bien marché pendant longtemps, elles ont fini par créer un marché où
l’on dépensait car on avait une obligation de dépenser, avec un coût de l’heure
de formation le plus élevé d’Europe, et des résultats pas forcément à la
hauteur ». Le conseiller social à la présidence de la République a par
ailleurs ajouté que les discussions sur la qualité de l’emploi étaient plus
fortes à l’étranger qu’en France, où le poids du chômage avait surdéterminé le
débat. Cela couplé au fait, selon lui, que les relations de travail en France
sont perçues à l’étranger comme très hiérarchiques, laissant peu d’espace à
l’autonomie des salariés par rapport à de nombreux autres pays européens. « Il
est nécessaire que nous retrouvions de la compétitivité, a-t-il précisé, et ce
qui fait la compétitivité entreprise, ce sont des gens bien formés et une
meilleure organisation du travail ». Mais la formation ne va pas sans
la motivation, a estimé Pierre-André Imbert, qui en a appelé à un
investissement personnel plus fort. « Il faut changer le rapport au
travail ! Il est nécessaire de trouver une satisfaction dans un engagement
qui va au-delà des tâches accomplies ». Pour cela, a-t-il dit, il faut
lutter contre la peur du déclassement, la peur d’être au chômage, très fortes
en France, selon lui. « L’angoisse de l’avenir renvoie à l’idée que la
mobilité sociale est grippée – ce qui est en partie vrai, mais moins vrai que
la perception qu’on en a. La société est trop gouvernée par la peur, or la peur
n’est jamais très bonne conseillère. Nous devons diffuser l’idée que chacun
peut développer sa créativité, et que, s’il échoue, la société est là pour lui
donner une deuxième chance. »
Gilles de Robien est pour sa part intervenu en
mentionnant le problème de l’orientation, estimant que la France n’était pas
suffisamment performante dans ce domaine. Pierre-André Imbert l’a néanmoins
assuré : la question de l’orientation constitue « la première
brique de la réforme ». « L’orientation est une machine à
exclure de la manière la plus sauvage qui soit. On envoie en enseignement
professionnel ceux dont on estime qu’ils n’ont pas les résultats scolaires
suffisants. Le déroulement de carrière pour un principal au collège est
accéléré si ce dernier envoie plus de collégiens en filières générale et technologique :
on marche sur la tête ! » a-t-il asséné. À cet égard, Meriem
Selmani, présidente de l’Observatoire de la protection sociale, a pris la
parole pour souligner qu’aller en apprentissage ou au lycée professionnel ne
devait jamais être considéré comme un échec. « Il est nécessaire
d’apprendre aux entreprises que le bac+5 d’école de commerce n’est
pas la seule référence » a-t-elle ajouté.
Pierre-André Imbert a opiné, en précisant que la priorité serait mise sur la
transparence de l’information auprès des familles et des enseignants, qui « doivent
disposer d’une information claire sur le devenir et l’insertion dans l’emploi
et le taux de réussite aux examens pour chacune des filières ». Car
certaines filières généralistes affichent des taux d’emploi à 5, 10 ou 15 %, alors que des filières
dans l’apprentissage affichent 70 %, ce qui est rarement mis en exergue.
Réforme de l’apprentissage
Sur l’apprentissage, Roger Serre, délégué général du
groupe IGS, a également fait entendre sa voix, estimant que l’apprentissage
devait être d’abord tourné vers le jeune, et qu’il fallait arrêter de voir
l’intérêt de l’entreprise avant toute chose. « L’apprentissage, c’est
le transfert du beau geste avec la volonté du jeune de choisir son entreprise,
et pas le contraire. Il y a trois éléments importants, dans l’ordre : le
jeune, le centre de la formation, et après l’entreprise. C’est comme ça que ça
marche, et pas le contraire ». Pierre-André Imbert n’a pas manqué de
répondre que mettre le jeune au cœur du dispositif était effectivement une
nécessité, tout comme un défi pour le gouvernement qui planche sur le sujet. « Il
faut que les Centres de Formation d’Apprentis (CFA) aient pour principale
préoccupation de trouver des entreprises et d’accompagner les jeunes, et non pas
de mettre en place des structures qui visent à aller chercher des
subventions ». Par ailleurs, le conseiller social à la présidence de
la République a souligné la nécessaire liberté des entreprises d’aller chercher
les apprentis là où elles jugent qu’ils seront les meilleurs. Il a également
pointé que l’apprentissage constituait un secteur dans lequel énormément
d’argent était investi, alors que la connaissance de la valeur ajoutée apportée
par telle ou telle formation était très faible. Un paradoxe, selon lui. À
quelques mois de la présentation par le gouvernement du projet de loi de
réforme de l’apprentissage, qui occasionne par ailleurs quelques différends
entre la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, et le Premier ministre, Édouard
Philippe, Pierre-André Imbert a dévoilé quelques axes du projet. L’idée
principale est celle d’un transfert des compétences des régions, qui
aujourd’hui bénéficient de 51 % de la taxe d’apprentissage, vers les entreprises. Jusqu’à maintenant,
pour chaque apprenti, l’entreprise est tenue de verser à son CFA une
contribution (le CFO) dont le montant est déterminé par la région. Le
gouvernement souhaite que, désormais, les places en CFA soient financées « au
contrat », en fonction de la demande en termes d’emploi évaluée par
les branches professionnelles. En outre, un coût de référence pour chaque type
de formation serait instauré, sachant que les entreprises bénéficieront de
cette subvention quel que soit le CFA, a avancé Pierre-André Imbert. Le but
affiché : mettre tout le monde sur un pied d’égalité quant au
subventionnement des formations. « Il faudrait que les organismes de
formation soient soumis à des critères et à des contrôles d’efficacité ;
qu’ils soient jugés et payés en fonction de ce que deviennent les jeunes »,
a, toutefois observé Gilles de Robien. Dans ce sens, Pierre-André Imbert a
affirmé qu’un centre qui se développerait bien et qui présenterait plus
d’apprentis, bénéficierait de davantage de fonds. Ce dernier a également avancé
que les régions, bien qu’elles aient admis qu’un financement au contrat pouvait
être un meilleur système que la régulation administrative, restaient
intraitables sur certains points. Particulièrement : le droit de véto sur
l’ouverture des CFA, et l’impossible concentration sur un même territoire des
investissements, qui pourraient se cannibaliser.
Bérengère
Margaritelli
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