Pierre Moscovici, reçu
par Jean Castelain, président du Cercle, et Danielle Monteaux, déléguée
générale, s’est exprimé sur quelques éléments d’actualité. Le a européen aborde
sa perception du développement de l’Europe dans un monde où les populismes
torturent la démocratie. «
Nous vivons une ère improbable. Qui aurait donné gagnant Donald Trump ? Qui
aurait pu pronostiquer le Brexit ? »
Pierre Moscovici note qu’hormis les Anglais, une part
des Européens jugent que le Royaume-Uni n’a jamais vraiment pris sa place dans
l’UE. Ce pays a demandé des exemptions, des exceptions, des retours
budgétaires, et a toujours refusé d’adopter la monnaie commune. Pourtant
aujourd’hui, s’agissant du Brexit, la messe n’est pas dite, et personne ne peut
affirmer précisément ce qui va se passer. Mais le référendum doit être
respecté. Probablement que le 29 mars à minuit, la Grande-Bretagne ne sera plus membre
de l’Union européenne. La période est à la négociation. Dans les discussions,
l’Union se veut intransigeante quant à l’accès aux quatre libertés du marché
intérieur. Nul ne saurait se trouver un pied dehors, un pied dedans, et jouir
des avantages sans honorer les contraintes. Néanmoins, le point délicat des
échanges entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande reste en suspens,
comme quelques autres. Une frontière physique n’est pas acceptable pour les 27, et cette question
apparemment mineure bouscule des équilibres plus vastes.
L’Union européenne est un socle de droit. L’article 7 du traité dispose que
lorsqu’un État ne le respecte pas, une procédure peut être enclenchée et mener
jusqu’à la privation de son droit de vote. En réalité, peu de sanctions sont
prononcées. L’élargissement de l’Europe a été une bonne chose, mais le
commissaire européen estime qu’elle a raté sur un point, celui de la création
d’une culture commune. L’extension s’est faite de façon mécanique quand les
motifs d’adhésions ont totalement changé au fil du temps. Les fondateurs
visaient un rassemblement, un partage de valeurs, et une souveraineté ouverte.
Les pays de l’Est, pour leur part, ont voulu retrouver une souveraineté
nationale dont ils étaient privés. Lors de leur intégration, les débats n’ont
pas porté sur ces attentes différentes et les nations se sont additionnées,
sans véritable convergence intellectuelle.
Pierre Moscovici rappelle que le commissaire européen
agit en toute indépendance, qu’il ne faut malgré tout pas assimiler à de
l’indifférence vis-à-vis de sa propre nationalité. Ainsi, l’assemblée compte,
par exemple, peu de défenseurs des régions ultrapériphériques (comme les DOM
TOM) parce qu’elles concernent peu d’États. Elles n’occupent des positions
stratégiques que pour notre pays et lui valent d’ailleurs le deuxième
territoire maritime mondial. L’économie de l’Europe est en croissance, les
déficits et les dettes publics diminuent, le taux de chômage s’améliore. La
stabilité a fonctionné, la solidarité moins. L’embellie s’accompagne d’une
amplification des inégalités. Ainsi, le taux de chômage allemand est deux fois
plus bas que le français, trois fois plus bas que l’espagnol, quatre fois plus
bas que le grec. Mais comment réformer la zone euro et aboutir à une meilleure
répartition de ses bienfaits ?
Il est inacceptable que des entreprises qui réalisent
des bénéfices énormes ne s’acquittent pas de taxes en rapport. L’imposition des
sociétés a été élaborée il y a une centaine d’années. Elle se basait sur un
principe alors évident : la présence physique. Pour une usine implantée
dans un département, sa production, son chiffre d’affaires, son résultat sont
connus. Sa taxation se calcule automatiquement. Pour une entreprise du
numérique, l’activité est mondiale. L’Union ne dispose pas de moyens
d’appréhension correspondant pour répondre à des informations simples : où
est-elle ? Qui sont les employés ? Quels sont les profits ? Face
à ce phénomène, le défi principal consiste à identifier « la présence
numérique » d’une société avant d’espérer l’imposer. On imagine qu’une
taxe sur les multinationales, appliquée au sommet de la pyramide permettrait de
répartir la fiscalité et amènerait une première solution. Une taxe de 3 % sur le chiffre
d’affaires serait une autre solution envisageable. Quoi qu’il en soit, il faut
inventer une fiscalité du XXIe siècle qui maîtrise l’économie
dématérialisée.
La commission a préparé le budget 2021/2027. Il ne
sera sans doute pas adopté avant les élections européennes. Entre le Brexit,
les migrants et la valse des populismes, les soucis mobilisent ailleurs que
vers un accord, toujours délicat à atteindre, sur ce sujet. Celui-ci interviendra
sans doute après l’été 2019 dans une situation compliquée suite au vote. Pierre Moscovici augure que
les futures forces représentées dans l’hémicycle peineront à s’entendre pour
une gouvernance claire et engendreront une période de flottement. Le prochain
scrutin, sorte de stop ou encore, sera axé autour de l’existence même de
l’Europe.
Ceux qui souhaitent la détruire s’attaquent
simultanément à une idée de la démocratie. Méprisant la politique de
l’adversaire, ils pratiquent celle de l’ennemi dans laquelle, une fois élu, on
sape les instruments de la démocratie libérale en commençant par la justice et
la presse.
C2M