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Pierre Moscovici était l'invité du Cercle : "Une ère improbable"

Pierre Moscovici était l'invité du Cercle :
Publié le 26/11/2018 à 13:54

Pierre Moscovici, reçu par Jean Castelain, président du Cercle, et Danielle Monteaux, déléguée générale, s’est exprimé sur quelques éléments d’actualité. Le a européen aborde sa perception du développement de l’Europe dans un monde où les populismes torturent la démocratie. « Nous vivons une ère improbable. Qui aurait donné gagnant Donald Trump ? Qui aurait pu pronostiquer le Brexit ? »

 


Pierre Moscovici note qu’hormis les Anglais, une part des Européens jugent que le Royaume-Uni n’a jamais vraiment pris sa place dans l’UE. Ce pays a demandé des exemptions, des exceptions, des retours budgétaires, et a toujours refusé d’adopter la monnaie commune. Pourtant aujourd’hui, s’agissant du Brexit, la messe n’est pas dite, et personne ne peut affirmer précisément ce qui va se passer. Mais le référendum doit être respecté. Probablement que le 29 mars à minuit, la Grande-Bretagne ne sera plus membre de l’Union européenne. La période est à la négociation. Dans les discussions, l’Union se veut intransigeante quant à l’accès aux quatre libertés du marché intérieur. Nul ne saurait se trouver un pied dehors, un pied dedans, et jouir des avantages sans honorer les contraintes. Néanmoins, le point délicat des échanges entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande reste en suspens, comme quelques autres. Une frontière physique n’est pas acceptable pour les 27, et cette question apparemment mineure bouscule des équilibres plus vastes.


L’Union européenne est un socle de droit. L’article 7 du traité dispose que lorsqu’un État ne le respecte pas, une procédure peut être enclenchée et mener jusqu’à la privation de son droit de vote. En réalité, peu de sanctions sont prononcées. L’élargissement de l’Europe a été une bonne chose, mais le commissaire européen estime qu’elle a raté sur un point, celui de la création d’une culture commune. L’extension s’est faite de façon mécanique quand les motifs d’adhésions ont totalement changé au fil du temps. Les fondateurs visaient un rassemblement, un partage de valeurs, et une souveraineté ouverte. Les pays de l’Est, pour leur part, ont voulu retrouver une souveraineté nationale dont ils étaient privés. Lors de leur intégration, les débats n’ont pas porté sur ces attentes différentes et les nations se sont additionnées, sans véritable convergence intellectuelle.


Pierre Moscovici rappelle que le commissaire européen agit en toute indépendance, qu’il ne faut malgré tout pas assimiler à de l’indifférence vis-à-vis de sa propre nationalité. Ainsi, l’assemblée compte, par exemple, peu de défenseurs des régions ultrapériphériques (comme les DOM TOM) parce qu’elles concernent peu d’États. Elles n’occupent des positions stratégiques que pour notre pays et lui valent d’ailleurs le deuxième territoire maritime mondial. L’économie de l’Europe est en croissance, les déficits et les dettes publics diminuent, le taux de chômage s’améliore. La stabilité a fonctionné, la solidarité moins. L’embellie s’accompagne d’une amplification des inégalités. Ainsi, le taux de chômage allemand est deux fois plus bas que le français, trois fois plus bas que l’espagnol, quatre fois plus bas que le grec. Mais comment réformer la zone euro et aboutir à une meilleure répartition de ses bienfaits ?


Il est inacceptable que des entreprises qui réalisent des bénéfices énormes ne s’acquittent pas de taxes en rapport. L’imposition des sociétés a été élaborée il y a une centaine d’années. Elle se basait sur un principe alors évident : la présence physique. Pour une usine implantée dans un département, sa production, son chiffre d’affaires, son résultat sont connus. Sa taxation se calcule automatiquement. Pour une entreprise du numérique, l’activité est mondiale. L’Union ne dispose pas de moyens d’appréhension correspondant pour répondre à des informations simples : où est-elle ? Qui sont les employés ? Quels sont les profits ? Face à ce phénomène, le défi principal consiste à identifier « la présence numérique » d’une société avant d’espérer l’imposer. On imagine qu’une taxe sur les multinationales, appliquée au sommet de la pyramide permettrait de répartir la fiscalité et amènerait une première solution. Une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires serait une autre solution envisageable. Quoi qu’il en soit, il faut inventer une fiscalité du XXIe siècle qui maîtrise l’économie dématérialisée.


La commission a préparé le budget 2021/2027. Il ne sera sans doute pas adopté avant les élections européennes. Entre le Brexit, les migrants et la valse des populismes, les soucis mobilisent ailleurs que vers un accord, toujours délicat à atteindre, sur ce sujet. Celui-ci interviendra sans doute après l’été 2019 dans une situation compliquée suite au vote. Pierre Moscovici augure que les futures forces représentées dans l’hémicycle peineront à s’entendre pour une gouvernance claire et engendreront une période de flottement. Le prochain scrutin, sorte de stop ou encore, sera axé autour de l’existence même de l’Europe.


Ceux qui souhaitent la détruire s’attaquent simultanément à une idée de la démocratie. Méprisant la politique de l’adversaire, ils pratiquent celle de l’ennemi dans laquelle, une fois élu, on sape les instruments de la démocratie libérale en commençant par la justice et la presse.


C2M


 


 


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