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Pour équiper les forces de l’ordre, les dépenses ont bondi de 180 % en cinq ans

Pour équiper les forces de l’ordre, les dépenses ont bondi de 180 % en cinq ans
Publié le 16/10/2018 à 12:20

Dans un rapport rendu public le 19 septembre dernier, la Cour des comptes ne manque pas de saluer l’effort budgétaire en direction de l’équipement des forces de l’ordre. Si elle regrette un trop grand éclatement de la chaîne de distribution et des dysfonctionnements dans la prise en compte des besoins, elle recommande au SAELSI, service chargé de l’équipement, de « poursuivre l’effort de mutualisation et de rationalisation déjà entamé ».




La Cour des comptes le souligne, depuis 2012, l’État a considérablement accru les moyens du ministère de l’Intérieur, en particulier à destination de l’équipement des forces de l’ordre, matière dans laquelle ce dernier se devait de combler un certain « retard », estime-t-elle dans un rapport rendu public le 19 septembre dernier. Deux raisons motivent cet effort budgétaire : une forte activité opérationnelle, ainsi que la prépondérance de la menace terroriste.


Par ailleurs, la Cour a indiqué qu’elle avait régulièrement souligné « l’existence d’un effet d’éviction des dépenses d’équipement en raison du poids des dépenses de rémunération » des policiers et des gendarmes, ce qui risquait « d’obérer le maintien des capacités opérationnelles des forces ».


Bien que la rémunération des forces de l’ordre soit toujours le principal poste de dépenses aujourd’hui, la part des dépenses d’équipement a cependant nettement progressé, affichant 3 % en 2017, contre 1 % en 2012.




De 132 millions d’euros en 2012 à 372 millions d’euros en 2017


Sous l’effet des plans de renfort successifs décidés dans le contexte des attentats de 2015, dont le « plan de lutte anti-terroriste » (PLAT, plan triennal 2015-2017 mis en place à la suite des attentats de janvier 2015), ou encore le « pacte de sécurité » (PDS ou PLAT 2, lancé à la suite des attentats de novembre 2015), les dépenses d’équipement ont donc explosé en l’espace de cinq ans.


La police et la gendarmerie nationales ont ainsi chacune bénéficié d’une augmentation de crédits, puisque les dépenses d’équipement sont passées de 132 millions d’euros en 2012 à 372 millions d’euros en 2017, soit une hausse de plus de 180 % sur la période, amplifiée à partir de 2015, rapporte la Cour des comptes.


Cette dernière relève que le plus gros budget est consacré aux véhicules, à hauteur de 170 millions en 2017, soit une flambée de plus de 160 % sur la période considérée. Les moyens de protection, qui arrivent juste après (83 millions d’euros), ont quant à eux bondi de près de 4 000 %, suivis par l’habillement (78 millions d’euros), dont le budget a « seulement » progressé de moitié.


En queue de peloton, les armes et les munitions ont coûté plus de 40 millions d’euros (230 % d’augmentation). À ce titre, le fusil d’assaut « HK G36 » a été introduit dans le cadre du plan de sécurité publique, pour les unités de type BAC et PSIG. Selon la Cour des comptes, l’arme revêt « une importance opérationnelle et symbolique forte, compte tenu de son origine militaire ».


En dépit de ces efforts conséquents, la Cour des comptes ne manque pas de pointer quelques anomalies. À l’instar des disparités existantes entre les deux forces, puisque l’augmentation des dépenses d’équipement apparaît plus prononcée en faveur de la gendarmerie (+ 186 %) que de la police (+176 %). Toutefois, la juridiction administrative relativise en expliquant que, de toute façon, « les contraintes propres à chaque force, conjuguées à des différences persistantes de doctrine, rendent inopérant tout objectif de parité de dépense », et le justifie également par le fait que les conditions d’exercice des missions dévolues à la gendarmerie nécessitent « l’existence d’un parc automobile plus étendu ».


Autre phénomène dénoncé par la Cour, l’absence de transparence dans l’exécution budgétaire des crédits alloués dans le cadre des plans de renfort nuirait à leur suivi et reste « perfectible », indique-t-elle. Ainsi, « dans le cadre de la mise en œuvre des PLAT, les marchés résultant d’une situation d’urgence impérieuse ont pu être conclus selon une procédure négociée, sans publicité ni mise en concurrence », évoque-t-elle notamment.

 



Mise en place du SAELSI


En-dehors d’un budget plus fourni, de nouveaux services ont été mis en œuvre afin de « mutualiser des fonctions support de la police et de la gendarmerie nationales » et de faire « progresser la qualité des achats », souligne la Cour des comptes.


Depuis 2014, le dispositif de la commande publique a par exemple été réorganisé au niveau déconcentré – puisque les secrétariats généraux pour l’administration de la police (SGAP) ont été transformés en secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI), mais aussi au niveau central, avec la mise en place du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI). Ce service « recense les besoins métiers des directions opérationnelles, exerce la fonction achat et assure la logistique nationale des matériels livrés », détaille le rapport. Principale innovation apportée : le SAELSI a créé des revues de projets destinées à anticiper l’évolution des besoins sur un mode triennal, afin d’identifier les priorités des directions et les besoins en équipements nouveaux, par exemple via des réflexions sur le terrorisme et l’immigration irrégulière, comme cela a été le cas avec les revues de 2016 et 2017. Si en 2016, l’exercice ne s’était pas révélé concluant (la plupart des structures ayant envisagé la revue de projets comme « l’occasion de présenter un catalogue de matériels à acquérir », regrette la Cour des comptes), en 2017 en revanche, les structures ont fait état de leurs besoins tout en formulant leurs souhaits pour mieux orienter la recherche et le développement, signe qu’elles sont prêtes à s’investir en la matière.

 


« Poursuivre l’effort de mutualisation et de rationalisation déjà entamé »


Malgré des améliorations notables, la Cour des comptes constate qu’un trop grand éclatement subsiste. La chaîne de distribution des équipements de sécurité intérieure est encore, selon elle, trop fragmentée, car malgré la création du SAELSI et des SGAMI, « le soutien logistique repose encore largement sur des circuits séparés », mais aussi trop de pratiques différentes dans la gestion des pièces détachées et la maintenance des véhicules.


Par ailleurs, la juridiction administrative met en avant un certain nombre d’approximations. Le suivi de l’exécution des marchés par le SAELSI serait ainsi « encore très partiel », l’approvisionnement des unités opérationnelles par les services déconcentrés « mal mesuré », et les données fournies par les systèmes d’information logistiques sur les stocks manqueraient « de fiabilité ». La succession rapide des plans de renforcement aurait en outre empêché une analyse correcte des besoins des forces de l’ordre, puisque « les produits les plus rapidement disponibles ont été privilégiés, et il ne subsiste aucune trace d’analyses de besoins ». Des plans qui ont d’ailleurs introduit de nouveaux besoins, qui vont rendre nécessaire, avertit la Cour des comptes, de s’atteler au remplacement des armes individuelles acquises au début des années 2000, qui commencent « à montrer des signes de fatigue avec une augmentation des cas de dysfonctionnement ».


Plus généralement, les mécanismes d’anticipation et de gestion des besoins présentent eux aussi des failles, dénonce la Cour des comptes. Les cadres locaux des CRS se plaindraient notamment souvent d’une procédure de « remontée des besoins » qui change trop souvent, et de délais de réponse « trop courts ». Le SGAMI Île-de-France a ainsi estimé, rapporte-t-elle, que la constitution d’un plan de renouvellement automobile (PRA) en dix jours était « très compliquée » au regard des 8 000 véhicules qu’il gère. La préfecture de police de Paris a pour sa part indiqué avoir rencontré des difficultés lors du remplacement de ses véhicules, le SAELSI ayant passé commande « sans [les] consulter » de véhicules « plus petits ou plus légers » alors que cette dernière avait, à l’inverse, besoin de voitures d’une capacité plus élevée.


Dans son rapport, la Cour des comptes invite donc à « poursuivre l’effort de mutualisation et de rationalisation déjà entamé » et recommande au SAELSI de se doter « d’outils numériques adaptés et plus performants pour son inventaire ». Elle appelle à systématiser la réalisation des inventaires physiques annuels et à concevoir une « stratégie commune de modernisation et de sécurisation des systèmes d’information logistiques, à consolider avant 2020 ».


 


Bérengère Margaritelli


 


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