Dans un rapport rendu public le 19 septembre
dernier, la Cour des comptes ne manque pas de saluer l’effort budgétaire en
direction de l’équipement des forces de l’ordre. Si elle regrette un trop grand
éclatement de la chaîne de distribution et des dysfonctionnements dans la prise
en compte des besoins, elle recommande au SAELSI, service chargé de
l’équipement, de « poursuivre l’effort de
mutualisation et de rationalisation déjà entamé ».
La Cour des comptes le souligne, depuis 2012, l’État a considérablement
accru les moyens du ministère de l’Intérieur, en particulier à destination de
l’équipement des forces de l’ordre, matière dans laquelle ce dernier se devait
de combler un certain « retard », estime-t-elle dans un
rapport rendu public le 19 septembre
dernier. Deux raisons motivent cet effort budgétaire : une forte activité
opérationnelle, ainsi que la prépondérance de la menace terroriste.
Par ailleurs, la Cour a indiqué qu’elle avait régulièrement souligné « l’existence
d’un effet d’éviction des dépenses d’équipement en raison du poids des dépenses
de rémunération » des policiers et des gendarmes, ce qui risquait « d’obérer
le maintien des capacités opérationnelles des forces ».
Bien que la rémunération des forces de l’ordre soit toujours le
principal poste de dépenses aujourd’hui, la part des dépenses d’équipement a
cependant nettement progressé, affichant 3 % en 2017,
contre 1 % en 2012.
De 132 millions d’euros en 2012 à 372 millions d’euros en 2017
Sous l’effet des plans de renfort successifs décidés dans le contexte
des attentats de 2015, dont le « plan de lutte anti-terroriste » (PLAT,
plan triennal 2015-2017 mis en place à la suite des attentats de janvier 2015),
ou encore le « pacte de sécurité » (PDS ou PLAT 2, lancé à la
suite des attentats de novembre 2015), les dépenses d’équipement ont donc
explosé en l’espace de cinq ans.
La police et la gendarmerie nationales ont ainsi chacune bénéficié d’une
augmentation de crédits, puisque les dépenses d’équipement sont passées de 132 millions d’euros en 2012 à 372 millions d’euros en 2017, soit une hausse de plus de 180 % sur la période, amplifiée à partir de 2015, rapporte la Cour des
comptes.
Cette dernière relève que le plus gros budget est consacré aux
véhicules, à hauteur de 170 millions en
2017, soit une flambée de plus de 160 % sur la
période considérée. Les moyens de protection, qui arrivent juste après (83 millions d’euros), ont quant à eux bondi de près de 4 000 %, suivis par l’habillement (78 millions d’euros), dont le budget a « seulement » progressé
de moitié.
En queue de peloton, les armes et les munitions ont coûté plus de 40 millions d’euros (230 %
d’augmentation). À ce titre, le fusil d’assaut « HK G36 » a
été introduit dans le cadre du plan de sécurité publique, pour les unités de
type BAC et PSIG. Selon la Cour des comptes, l’arme revêt « une
importance opérationnelle et symbolique forte, compte tenu de son origine
militaire ».
En dépit de ces efforts conséquents, la Cour des comptes ne manque pas
de pointer quelques anomalies. À l’instar des disparités existantes entre les
deux forces, puisque l’augmentation des dépenses d’équipement apparaît plus
prononcée en faveur de la gendarmerie (+ 186 %) que de la
police (+176 %). Toutefois, la juridiction administrative relativise
en expliquant que, de toute façon, « les contraintes propres à chaque
force, conjuguées à des différences persistantes de doctrine, rendent inopérant
tout objectif de parité de dépense », et le justifie également par le
fait que les conditions d’exercice des missions dévolues à la gendarmerie
nécessitent « l’existence d’un parc automobile plus étendu ».
Autre phénomène dénoncé par la Cour, l’absence de transparence dans
l’exécution budgétaire des crédits alloués dans le cadre des plans de renfort
nuirait à leur suivi et reste « perfectible », indique-t-elle.
Ainsi, « dans le cadre de la mise en œuvre des PLAT, les marchés
résultant d’une situation d’urgence impérieuse ont pu être conclus selon une
procédure négociée, sans publicité ni mise en concurrence »,
évoque-t-elle notamment.
Mise en place du SAELSI
En-dehors d’un budget plus fourni, de nouveaux services ont été mis en
œuvre afin de « mutualiser des fonctions support de la police et de la
gendarmerie nationales » et de faire « progresser la qualité
des achats », souligne la Cour des comptes.
Depuis 2014, le dispositif de la commande publique a par exemple été
réorganisé au niveau déconcentré – puisque les secrétariats généraux pour
l’administration de la police (SGAP) ont été transformés en secrétariats
généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI), mais aussi
au niveau central, avec la mise en place du service de l’achat, des équipements
et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI). Ce service « recense
les besoins métiers des directions opérationnelles, exerce la fonction achat et
assure la logistique nationale des matériels livrés », détaille le
rapport. Principale innovation apportée : le SAELSI a créé des revues de
projets destinées à anticiper l’évolution des besoins sur un mode triennal,
afin d’identifier les priorités des directions et les besoins en équipements
nouveaux, par exemple via des réflexions sur le terrorisme et l’immigration
irrégulière, comme cela a été le cas avec les revues de 2016 et 2017. Si en 2016, l’exercice ne s’était pas révélé concluant (la
plupart des structures ayant envisagé la revue de projets comme « l’occasion
de présenter un catalogue de matériels à acquérir », regrette la Cour
des comptes), en 2017 en revanche, les structures ont fait état de leurs besoins
tout en formulant leurs souhaits pour mieux orienter la recherche et le
développement, signe qu’elles sont prêtes à s’investir en la matière.
« Poursuivre l’effort de
mutualisation et de rationalisation déjà entamé »
Malgré des améliorations notables, la Cour des comptes constate qu’un
trop grand éclatement subsiste. La chaîne de distribution des équipements de
sécurité intérieure est encore, selon elle, trop fragmentée, car malgré la
création du SAELSI et des SGAMI, « le soutien logistique repose encore
largement sur des circuits séparés », mais aussi trop de pratiques
différentes dans la gestion des pièces détachées et la maintenance des
véhicules.
Par ailleurs, la juridiction administrative met en avant un certain
nombre d’approximations. Le suivi de l’exécution des marchés par le SAELSI
serait ainsi « encore très partiel », l’approvisionnement des unités
opérationnelles par les services déconcentrés « mal mesuré », et
les données fournies par les systèmes d’information logistiques sur les stocks
manqueraient « de fiabilité ». La succession rapide des plans
de renforcement aurait en outre empêché une analyse correcte des besoins des
forces de l’ordre, puisque « les produits les plus rapidement
disponibles ont été privilégiés, et il ne subsiste aucune trace d’analyses de
besoins ». Des plans qui ont d’ailleurs introduit de nouveaux besoins,
qui vont rendre nécessaire, avertit la Cour des comptes, de s’atteler au
remplacement des armes individuelles acquises au début des années 2000, qui
commencent « à montrer des signes de fatigue avec une augmentation des
cas de dysfonctionnement ».
Plus généralement, les mécanismes d’anticipation et de gestion des
besoins présentent eux aussi des failles, dénonce la Cour des comptes. Les
cadres locaux des CRS se plaindraient notamment souvent d’une procédure de « remontée
des besoins » qui change trop souvent, et de délais de réponse « trop
courts ». Le SGAMI Île-de-France a ainsi estimé, rapporte-t-elle, que
la constitution d’un plan de renouvellement automobile (PRA) en dix jours était
« très compliquée » au regard des 8 000 véhicules qu’il gère. La préfecture de police de Paris a
pour sa part indiqué avoir rencontré des difficultés lors du remplacement de
ses véhicules, le SAELSI ayant passé commande « sans [les]
consulter » de véhicules « plus petits ou plus légers »
alors que cette dernière avait, à l’inverse, besoin de voitures d’une capacité
plus élevée.
Dans son rapport, la Cour des comptes invite donc à « poursuivre
l’effort de mutualisation et de rationalisation déjà entamé » et
recommande au SAELSI de se doter « d’outils numériques adaptés et plus
performants pour son inventaire ». Elle appelle à systématiser la
réalisation des inventaires physiques annuels et à concevoir une « stratégie
commune de modernisation et de sécurisation des systèmes d’information
logistiques, à consolider avant 2020 ».
Bérengère
Margaritelli