« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeurent
toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine
de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps
administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions
» : ainsi venait disposer en son article 13 la
loi des 16 et 24 août 1790, érigeant le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires. Aujourd’hui, ce dualisme perdure – il est
d’ailleurs la norme pour 23 des 28 États membres de l’UE – mais n’échappe pas
aux critiques : complexité pour le justiciable, opposition de jurisprudences, manque
d’impartialité des juges administratifs… Toutefois, les conflits de compétence
sont rares ; chaque ordre se réfère au droit positif de l’autre plutôt qu’il ne
le contredit ; et les juges administratifs, dont l’affectation fait l’objet
d’un encadrement, sont soumis à un régime distinct de celui des fonctionnaires
depuis 2012. Par ailleurs, si les juges administratifs et judiciaires partagent
un certain nombre de devoirs et tendent vers un objectif commun : juger dans
l’intérêt et au service du justiciable, ils obéissent à des règles différentes
et connaissent des matières spécifiques, fondement de leur distinction. Le
colloque organisé le 15 mars dernier par la cour d’appel de Paris est revenu
sur les différences, mais aussi la nécessaire complémentarité des deux ordres,
qu’avait parfaitement exprimées Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil
d’État, à l’ENM, le 21 juillet 2017 : «
Aucun ordre juridictionnel, ni le judiciaire, ni l’administratif, ne peut
considérer qu’il a accompli sa mission qui est d’assurer, à son échelle, un
service public de la justice de qualité, sans le concours actif et la
collaboration de l’autre ordre. (...) C’est pourquoi si je pense que nos
différences sont un atout, car elles peuvent et doivent conduire à un
enrichissement, une complémentarité, voire une émulation réciproques, elles ne
doivent en aucun cas conduire à l’indifférence, la rivalité, pire encore à
l’hostilité. (...) Nous devons poursuivre et approfondir notre dialogue et
évoluer vers une véritable coopération. Une telle coopération n’est pas
décorative, elle n’est pas seulement utile ou judicieuse ; elle est impérative
et d’intérêt général, si nous voulons que notre justice soit reconnue à la
place qui doit être la sienne dans une société démocratique fondée sur la
séparation des pouvoirs. »
Bérengère Margaritelli