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Protection de nos données personnelles : le RGPD à travers le prisme américain

Protection de nos données personnelles : le RGPD à travers le prisme américain
Publié le 25/04/2018 à 12:35

L’évolution des technologies et l’avènement du big data, en créant une véritable révolution, ont matérialisé la crainte d’un « Big Brother ». En réaction et d’ici quelques semaines, entrera en vigueur le règlement général pour la protection des données (RGPD) tant discuté, qui se veut le gardien européen du respect de la vie privée et des libertés individuelles. Au-delà des bouleversements que cela implique pour les entreprises qui doivent adapter leurs pratiques, cette législation nouvelle est également à examiner sous l’angle de la société et du droit américains, puisque sa conciliation avec le géant des technologies de l’information et la communication ne va pas forcément de soi, comme l’ont souligné plusieurs professionnels présents lors d’un colloque organisé par les Salons France-Amériques, le 19 mars dernier.



Une étude publiée par The Economist Intelligence Unit (EIU) avec ForgeRock révélait en mars dernier que les consommateurs, inquiets de la collecte et de la transmission de leurs données personnelles, réclament plus de transparence et d’encadrement, mais aussi des engagements de la part des autorités publiques et des industriels pour protéger leur vie privée. 73 % des sondés français s’inquiètent ainsi de voir ces intrusions dans leur vie privée affecter leurs libertés individuelles ; et alors qu’ils sont 68 % à considérer le droit d’effacer leurs données comme prioritaire, 92 % déclarent vouloir un contrôle sur les informations transmises dans les collectes automatiques des données.
« Au fur et à mesure que les entreprises adaptent leurs infrastructures et leurs pratiques pour se conformer à l’Open Banking, à la directive PSD2
ou au RGPD, elles doivent garder à l’esprit que les régulateurs ont fait du consentement la clé de voûte de chacune de ces lois. », commentait Nick Caley, vice-président de ForgeRock.


Le consentement, clef de voûte du RGPD ? Le règlement général sur la protection des données, qui entrera en vigueur le 25 mai prochain, impose en effet de nouvelles contraintes aux entreprises concernant le traitement des données à caractère personnel. Jusqu’à aujourd’hui, en France, les données étaient protégées par la loi informatique, fichiers et libertés de 1978, la Convention n° 108 pour la protection des données personnelles du Conseil de l’Europe, ainsi que la directive 95/46/CE. Destiné à remplacer l’actuelle directive de 1995, le règlement constituera désormais un seul ensemble de règles relatives à la protection des données, directement applicable dans tous les États membres de l’Union européenne. Un cadre renforcé et harmonisé qui fait suite au constat par la Commission européenne d’une nécessaire actualisation de la législation en vigueur, afin de tenir compte des évolutions technologiques induites par le big data et autres objets connectés, ainsi que des problématiques qui accompagnent ces évolutions.


Pour les individus, ce changement se fera sous le signe d’un droit à l’effacement renforcé, d’un profilage clairement notifié, ou encore du droit à la portabilité. Le RGPD redéfinit également le caractère personnel des données en élargissant leur champ : données de localisation, cookies, numéro d’identification et éléments d’identité physique, psychique, génétique et économique viennent ainsi s’ajouter à l’adresse mail, au numéro de téléphone, à la fonction ou à l’intitulé de poste, et à l’adresse postale du lieu de travail.


Du côté des entreprises, le chamboulement est important. Pour s’adapter, ces il s’agit notamment pour ces dernières de cartographier leurs données personnelles et leurs traitements, de se doter d’un Data Protection Officer (responsable de la surveillance, de la documentation et de l’enregistrement des données), de nouveaux logiciels et de nouvelles procédures ; ou encore de former leurs équipes. Au titre de leurs nouvelles obligations, les entreprises seront également tenues de notifier dès que possible l’Autorité nationale de protection en cas de violations graves de données afin que les utilisateurs puissent prendre des mesures appropriées.


 


Tenir un registre des traitements


L’une des modifications majeures qu’implique le règlement concerne les formalités à accomplir auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). En effet, conformément à la loi informatique et libertés actuellement en vigueur, les entreprises procédant à des traitements de données doivent effectuer des déclarations à la CNIL et obtenir de celle-ci des autorisations. Mais le RGPD vient supprimer cette déclaration et renforcer la responsabilité de chaque société, qui doit tenir un registre des traitements, complet et à jour, afin de devenir responsable et garante du respect de la vie privée. Lors d’un colloque organisé le 19 mars dernier par les Salons France-Amériques invitant plusieurs professionnels à se pencher sur le RGPD, Olivier Iteanu, avocat aux barreaux de Paris et d’Israël, a d’ailleurs analysé : « l’une des difficultés du règlement est qu’il traite de la même façon les grandes et les petites entreprises – or sur 3,5 millions d’entreprises, 90 % ont moins de 10 salariés – à une obligation près : tenir le registre des traitements, puisque les entreprises du secteur privé de moins de 250 employés n’ont pas cette obligation-là ». Toutefois, ces dernières ne sont pas totalement dédouanées, puisque le RGPD prévoit également que les entreprises de moins de 250 salariés traitant des données sensibles ou qui effectuent des traitements sur une catégorie particulière de personnes de manière occasionnelle ou non doivent également tenir un registre des traitements.


Que deviennent alors les formalités préalables ? Gwendal Le Grand, directeur des technologies et de l’innovation à la CNIL, a apporté son éclairage sur le sujet : « la plupart des formalités disparaissent au profit de la logique de l’analyse d’impact », a-t-il affirmé. L’analyse d’impact (DPIA) est l’outil qui permettra aux entreprises non seulement de construire des traitements de données respectueux de la vie privée, mais aussi à démontrer leur conformité au RGPD, obligatoire pour les traitements susceptibles d’engendrer des risques élevés. « Tous les traitements nouveaux, après mai 2018, doivent faire l’objet d’une analyse d’impact sur la protection des données. Quant aux traitements déjà en place, il y a une forme de présomption de conformité à la loi, dès lors que les formalités étaient régulières après de la CNIL. Si vous aviez obtenu une autorisation, cette dernière reste valide. Si votre traitement vient d’être mis en place, vous êtes tranquille. Si le traitement est ancien, au-delà de trois ans, il y a de fortes chances que le contexte d’évaluation des risques ait changé : il est alors urgent de prioriser l’analyse d’impact ».


 



Quid du contrôle de la CNIL ?


Gwendal Le Grand a cependant affirmé que le pouvoir de contrôle de la CNIL resterait inchangé. « On pourra toujours faire des contrôles sur place, en ligne, sur audition, sur pièce. De même, les modalités qui permettent le déclenchement d’un contrôle ne changeront pas », a-t-il expliqué. Une partie des contrôles résulte du programme annuel décidé chaque année par la Commission. En outre, cette dernière reçoit un grand nombre de plaintes, environ 8 000?par an, dont certaines donnent lieu à des contrôles. « Il y a aussi les histoires qui sortent dans la presse : il n’est pas étonnant que le lendemain matin, des contrôleurs de la CNIL viennent frapper à la porte de l’entreprise pour vérifier ce qu’il en est réellement. Cela non plus ne va pas changer », a précisé Gwendal Le Grand.


Selon l’avocat Olivier Iteanu, la nouvelle réglementation a été faite pour aider les vertueux et sanctionner plus durement ceux qui ne s’y conforment pas. « Jusqu’à présent, la réglementation existait, mais l’un des grands changements est le pouvoir de sanction administrative donné à la CNIL : jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires total de l’exercice précédent de l’entreprise ». L’avocat a par ailleurs rappelé que la CNIL n’était pas un juge, mais une autorité administrative indépendante (AAI), donc plutôt un juge de la conformité, qui doit d’abord se livrer à un contrôle préalable, et, après avoir constaté les manquements à la loi, doit mettre en demeure la personne de se conformer. C’est seulement si la personne ne se conforme pas que la sanction intervient. « Il y a donc une phase de négociations systématique entre les personnes poursuivies et l’AAI », a-t-il précisé. Ce qui explique le faible nombre de décisions de sanction de la CNIL ces trois dernières années : une douzaine en moyenne chaque année. D’ailleurs, lors de la dernière grande condamnation de la CNIL à l’encontre de Facebook, en avril 2017, qui avait sanctionné la communication des données des membres de WhatsApp lors du rachat l’application, Facebook avait écopé du maximum de la peine prévue : 150 000 euros. « Imaginez que les avocats ont coûté plus cher que la sanction ! », a ironisé Olivier Iteanu.


Gwendal Le Grand a également indiqué que deux types d’obligations allaient désormais être distingués. D’un côté, les obligations qui ne sont pas nouvelles (en application des grands principes de la loi, en place depuis 1978) : « sur ces points, la CNIL n’a aucune raison d’être indulgente, car ce sont des choses qui étaient déjà en vigueur, qui devaient déjà être mises en place dans les entreprises. On va continuer à les contrôler, à les sanctionner », a-t-il affirmé. Tout en ajoutant : « Là où on va être davantage dans une démarche d’accompagnement, c’est pour toutes les obligations nouvelles du règlement, par exemple le droit à la portabilité, etc. » Gwendal Le Grand s’est par ailleurs voulu rassurant. Bien que mesurant l’effort à entreprendre par les entreprises, ce dernier l’a assuré : « Le règlement est un cap à franchir, pas un couperet. La CNIL restera un régulateur sur deux jambes, qui crée de l’accompagnement et de la sanction. L’objectif est d’accroître le niveau de sécurité, le niveau de maturité des entreprises, pour permettre que l’ensemble des données personnelles des personnes sur le territoire de l’UE soit correctement protégé. In fine, cela crée de la confiance et permet aux entreprises de se développer. »


 


« Aux USA, il n’y a pas de loi transverse qui protège les citoyens vis-à-vis des entreprises »


Si le RGPD circonscrira l’Europe tout en prévoyant un principe d’extraterritorialité, qu’en est-il de la protection des données dans les autres pays, et notamment aux États-Unis ? On a effectivement en tête l’onde de choc constituée en 2013 par les révélations d’Edward Snowden concernant les programmes de surveillance de masse d’Internet, des téléphones portables et autres moyens de communication, notamment par la NSA (National Security Agency) américaine.


Rappelons qu’en juin 2015, le Congrès américain a adopté le USA Freedom Act, un texte de compromis qui limite la manière dont la NSA peut enregistrer les métadonnées téléphoniques sur le sol américain. Cette dernière s’appuyait jusque-là sur une disposition du Patriot Act, la loi de référence de la lutte antiterroriste américaine, pour collecter l’intégralité de ces métadonnées. Les services secrets doivent désormais faire des demandes ciblées et justifiées pour obtenir l’accès à ces données, y compris en temps réel.


Pour présenter la protection des données personnelles aux États-Unis, Winston Maxwell, avocat aux barreaux de Paris et de New York, a fait état, lors du colloque organisé par les Salons France-Amériques, de « deux grands paniers » : ce qui touche à la protection du citoyen vis-à-vis du gouvernement d’un côté, et vis-à-vis des entreprises privées de l’autre. « Dans le premier panier, on a une base constitutionnelle, comme l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme : chacun a droit à la protection de son domicile, cela vient de la Constitution américaine », a expliqué Winston Maxwell. Ce concept de domicile a évolué avec le temps et la jurisprudence de la Cour suprême pour s’étendre à beaucoup de situations où les données sont en cause, notamment ce qui relève des communications privées, a indiqué l’avocat. En plus de ce socle, plusieurs lois fédérales viennent s’ajouter à la protection des données vis-à-vis du gouvernement, notamment le Privacy Act de 1974, « une sorte de directive 1995 qui s’applique aux agences du gouvernement, qui doivent avoir un règlement sur le traitement des données personnelles et un chief privacy officer. Ces agences ont des obligations assez strictes et comparables à ce qui se passe en Europe », a-t-il-estimé. Winston Maxwell a encore évoqué les lois sur les mandats de la police pour les perquisitions, avec le Stored Communications Act. « Les dispositions sont assez semblables au Code de procédure pénale : pour effectuer une perquisition, une écoute, il faut demander un mandat au juge ». S’il y a un aspect qui est d’ailleurs très médiatisé dans la presse américaine, c’est bien l’espionnage, les écoutes et les perquisitions en matière de sécurité nationale. La législation américaine prévoit dans de tels cas des procédures distinctes, moins protectrices des droits individuels. La NSA peut procéder à des écoutes avec des protections moindres que s’il s’agissait d’une simple enquête policière. « C’est la même différence qu’entre le CPP et le Code de la sécurité intérieure en France : les procédures sont différentes, dues à la nature des enjeux », a illustré l’avocat.


Concernant la protection des données
vis-à-vis des entreprises : « c’est très différent de ce qui se passe en Europe, car il n’y a pas de loi transverse qui protège les citoyens vis-à-vis des entreprises », a évoqué Winston Maxwell. À la place,
il existe une série de lois spécifiques, par secteur, qui imposent des obligations contraignantes et visent ainsi la protection des données de santé, bancaires ou encore de télécommunication. Mais lorsqu’on ne tombe pas dans l’un de ces secteurs identifiés, que reste-t-il comme protection ? Les autorités américaines se sont appuyées sur l’article 5
du FTC (Federal Trade Commission) Act qui condamne toute pratique déloyale ou trompeuse dans le commerce. La FTC, agence indépendante du gouvernement agissant dans le domaine du droit de la consommation, remplit donc le rôle du gendarme de la protection des données à caractère personnel dans les cas qui ne tombent pas dans ces secteurs, avec un article 5 du FTC Act dont le champ, relativement large, permet de sanctionner les entreprises. « On peut critiquer cette approche qui est à la fois pas assez précise et en même temps très souple. Mais la FTC est malgré tout une arme redoutable, notamment en ce qui concerne les procédures d’engagement et d’accords transactionnels ». Car à l’égard des GAFA tels Google et Facebook, la FTC a le pouvoir de les obliger à améliorer les pratiques de ces gros groupes et les faire auditer tous les ans sous peine d’amende. « Quand la FTC vous a dans le viseur, ses pouvoirs de sanction sont considérables », a résumé Winston Maxwell.


 




La question du lieu de stockage des données


Parler de données sous-tend également la question de la localisation du stockage de ces dernières, qui ne sont pas aussi volatiles qu’on pourrait bien le croire. Le professeur de droit international à l’Université Grenoble Alpes Théodore Christakis a ainsi évoqué l’amicus produit devant Cour suprême américaine, qui expose que lorsque vous accédez à vos emails de différents fournisseurs, « vous allez au data center qui se trouve dans un pays précis : vos emails se trouvent à l’intérieur de ce data center, ce n’est pas comme si vos données se trouvaient partout dans le monde », a-t-il explicité. Si Microsoft essaie par exemple de stocker les données au plus près de l’utilisateur, c’est que cela est, d’un point de vue technique, plus rapide. Par ailleurs, « Après les révélations d’Edward Snowden, la multinationale a fait le choix de dépenser des centaines de millions d’euros pour construire des data centers partout en Europe et d’envoyer un message comme quoi ce qui se fait en Europe reste en Europe : les données produites en Europe y seront stockées et protégées par la législation en question », a fait valoir le professeur de droit.


Mais le 27 février, l’Union européenne a volontairement fait fuiter par l’agence Reuters qu’elle préparait une loi obligeant les entreprises à communiquer, dans le cadre d’une enquête, les données personnelles de leurs clients, même si elles sont stockées sur des serveurs situés en dehors de ses territoires – ce, alors même que la Cour suprême s’apprêtait à entendre les plaidoiries d’un procès opposant Microsoft à la justice américaine, qui voulait l’obliger, dans le cadre d’une enquête, à communiquer des emails stockés sur ses serveurs irlandais. « Du point de vue des Droits de l’homme, on porte un coup fatal à la protection des données. Car n’importe quel pays dans le monde va pouvoir invoquer des considérations de sécurité nationale pour adopter des mandats à l’encontre de personnes accusées de blasphème, par exemple », s’est inquiété Théodore Christakis, face à cette volonté d’extra-territorialité de la part de l’UE afin de renforcer sa position face aux États-Unis.


D’autant que Donald Trump a ratifié, le 23 mars dernier, le CLOUD Act (pour Claryfing Lawful Overseas Use of Data), voté par le Congrès et inséré au sein dans la loi de finances américaine, en réaction à l’affaire Microsoft. Ce dernier vise à faciliter l’accès par les autorités américaines aux données stockées à l’étranger par des entreprises américaines lors d’une procédure judiciaire. Même si le cadre est limité, cela ne risque-t-il pas de créer des conflits vis-à-vis du RGPD ? Ce CLOUD Act comporte ceci dit, à cet égard, quelques garde-fous. Ainsi, les entreprises traitant les données demandées par les autorités américaines pourront s’opposer à leur transmission en invoquant devant la justice américaine le droit en vigueur dans le pays où les données sont stockées. Elles pourront donc refuser de transmettre des données situées en France sur la base du RGPD, dès lors qu’elles trouveront la demande disproportionnée ou contraire aux obligations du règlement.
Le CLOUD Act prévoit par ailleurs qu’une requête  peut être déposée par le fournisseur si celui-ci estime que « le client ou l’abonné n’est pas un ressortissant américain et ne réside pas aux États-Unis » et que « la divulgation créerait pour le fournisseur un risque de violation des lois d’un gouvernement étranger ». « Seulement, rien ne garantit que le juge américain va donner raison aux fournisseurs », a averti le professeur Christakis.


 


« The Battle for digital supremacy » : l’Europe exclue


Le cas des États-Unis intéresse pour la principale raison qu’il s’agit de l’un des géants – voire du plus grand géant – de l’ère digitale : la question des données personnelles ne peut guère échapper à ce prisme. L’avocat Olivier Iteanu a tenu à cet égard à présenter la Une du 17 mars du magazine The Economist, intitulée « The battle for digital supremacy ». On y voit deux personnages, mi-humains mi-robots, l’un portant un drapeau chinois, l’autre un drapeau américain. Tous deux affichant un air vindicatif, signe d’une bataille qui s’annonce. « Ce dessin est un résumé très parlant du drame que vit une troisième personne qui manque ici : l’Europe, a-t-il jugé. Un drame, car nos sociétés européennes sont en train de s’organiser autour et sur des raisons humaines. Or, nous sommes absents des centres de décision prises au titre du réseau numérique, et nos jeunes quittent l’Europe pour les États-Unis, allant là où les décisions sont prises ». Olivier Iteanu l’a également constaté : nous avons en Europe une réglementation et un marché de 500 millions de consommateurs, marché que la Chine comme les États-Unis convoitent et cherchent à transformer en leurs propres clients. « Mais en tant que consommateurs, nous avons des valeurs, qui s’expriment dans nos lois. Et il existe des différences essentielles sur des concepts fondamentaux », a signalé l’avocat, faisant notamment allusion au free speech américain, qui diffère de notre liberté d’expression, ou encore à à la culture des armes à feu, là encore qui n’a rien à voir avec la nôtre.


 


Un « dernier rempart » contre le tout connecté et la patrimonialité des données


« En matière de données personnelles et de protection de la vie privée, c’est exactement la même problématique : nous n’avons pas les mêmes valeurs que la Chine, et pas tout à fait les mêmes que les États-Unis. Et c’est justement ces valeurs qui sont au cœur de l’enjeu du RGPD », a martelé Olivier Iteanu.


Ainsi, en Europe, et avec le règlement, le droit des données à caractère personnel est un attribut de la personnalité de chacun, a-t-il affirmé. « Le consentement est un très bon exemple : on le retrouve à tous les étages de la loi informatique et libertés dès 1978. Ce consentement est nécessaire dans la grande majorité au traitement des données ». Un consentement renforcé avec le RGPD, puisque l’article 7 de ce dernier montre, selon l’avocat, une différence fondamentale avec les États-Unis. Il dispose ainsi que « la personne concernée a le droit de retirer son consentement à tout moment. Le retrait du consentement ne compromet pas la licéité du traitement fondé sur le consentement effectué avant ce retrait. La personne concernée en est informée avant de donner son consentement. Il est aussi simple de retirer que de donner son consentement. »


Cette philosophie d’un contrôle que l’on veut donner à chaque citoyen sur ses données se retrouve également dans de nombreux pans du RGPD : droit d’opposition, droit à l’oubli, droit au déréférencement, droit à la portabilité des données…


Or, Gaspard Kœnig, philosophe et président du think-tank Génération Libre, a notamment été vivement critiqué pour avoir développé une idée de patrimonialisation des données. « Aujourd’hui, nos données personnelles sont dans la nature, res nullius appropriées et revendues par les grands acteurs du numérique », a-t-il notamment écrit, plaidant « pour la propriété privée et la rémunération ». « Proudhon considérait la propriété comme "la plus grande force révolutionnaire qui existe", en ce qu’elle confère à l’individu la souveraineté sur son domaine propre. Il n’y pas de maîtrise sans possession. Ce droit fondamental doit aujourd’hui s’étendre aux données, prélude d’une véritable propriété de soi sur soi », peut-on lire en introduction du rapport « Mes data sont à moi » de janvier 2018, coécrit par plusieurs professionnels de divers secteurs. L’idée serait donc de dire que si Facebook se fait des millions d’euros avec nos données, alors autant autoriser leur patrimonialisation. Ainsi, le réseau social serait forcé de partager ses gains, et chacun y gagnerait. Une position que ne partage pas Olivier Iteanu : « Une fois que j’ai transféré mes données, qu’est-ce qui me garantit que Facebook va respecter notre contrat ? Je pense qu’il faut rester sur nos concepts, sur nos valeurs, et que les autres respectent notre état de droit », a-t-il insisté.


« Une combinaison de traces et d’informations peut permettre votre traçabilité parfaite.
À la seconde, au quotidien, 24h/24, même lorsque vous dormez, on peut vous surveiller, vous tracer. La loi est le dernier rempart, puisqu’aujourd’hui, tout est possible, tout est connecté
 », a par ailleurs estimé Olivier Iteanu, pour qui le RGPD revêt sur ce point un aspect « fondamental ». « Même si ce dernier vient avec dix ans de retard, il a le mérite d’arriver ! ». L’avocat s’est  ainsi félicité d’une « volonté retrouvée » de l’Europe de protéger les données personnelles des individus, émettant le souhait que « les choses continuent d’évoluer dans cette direction ».


 


De la nécessité de maîtriser la technologie pour parer aux failles


« Il peut être illusoire de vouloir faire progresser notre droit si on n’a pas la maîtrise des technologies derrière » a cependant averti Jean-Claude Laroche, directeur des systèmes d’information d’Enedis, faisant notamment allusion à Meltdown et Spectre, deux failles découvertes en début d’année dans les microprocesseurs, qui permettent d’accéder à des informations normalement inaccessibles. « Il y a eu peu de communication depuis sur le sujet, car il n’y a pas de solution technique. Aujourd’hui, les codes informatiques pour régler cette vulnérabilité ne sont pas au point », a-t-il par ailleurs alerté.


Le directeur des systèmes d’information d’Enedis a également estimé que nous manquions cruellement en Europe de micro-processeurs et de puces, « ce qui pèsera de plus en plus lourd, au vu des cyber-attaques qui se multiplieront ». À cet égard, Jean-Claude Laroche a expliqué que lorsque l’on développe un data center, on est assujetti à la directive 2014/25 qui oblige d’organiser une consultation large des acteurs susceptibles de venir nous équiper en infrastructures. « Or, aujourd’hui, des acteurs chinois sont prêts à nous faire des prix quasiment nuls pour nous équiper en installations de stockage et de traitement. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que ces installations ont la particularité d’être télémaintenues par des échanges de données entre les installations et la Chine. Et quand nous n’avons pas la maîtrise du processus industriel, quel que soit le lieu où est notre data center, on ne sait pas où vont nos données », a indiqué Jean-Claude Laroche. Ce dernier a également rappelé que c’est par le biais d’opérations de télémaintenance qu’ont été attaquées des entreprises italiennes avec Not Petya, au travers de la corruption du fournisseur du logiciel de gestion et de comptabilité télémaintenu. « Le droit est une chose, mais comment offrir une véritable protection ? Aujourd’hui je ne connais pas de technologie européenne de sonde, de détection / protection, ou de pare-feux pour les data centers ». Une technologie « protectrice » à la traîne – si l’on en croit l’expert – qui n’aura d’autre choix que de courir après la législation pour le rattraper.


 


Bérengère Margaritelli


 


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