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Quel est, depuis 300 ans, le plus ancien hôtel ministériel de l’État ?

Quel est, depuis 300 ans, le plus ancien hôtel ministériel de l’État ?
Publié le 21/05/2019 à 15:01



En 1958, le Pouvoir judiciaire cède la place à l’Autorité judiciaire. Une Autorité qu’il convient de continuer à administrer. C’est le rôle de la Chancellerie et de ses services.


La plupart d’entre eux sont délocalisés en 2016 au nord de Paris (quartier du Millénaire, site Olympe de Gouges), mais la Chancellerie continue à rayonner sur l’une des 5 places royales de Paris (Vendôme, Concorde, Vosges, Dauphine, Victoires), héritière d’une singulière histoire ininterrompue depuis 300 ans dans un édifice confisqué à un embastillé.


Il est magistrat, fils de notaire, anobli par la savonnette à vilain*. Paul Poisson de Bourvallais, Premier président du Parlement de Bretagne, devient en 1689 contrôleur général des finances. Il achève la construction du château de Champs sur Marne et occupe en 1706, au 13, place Vendôme, un hôtel particulier appartenant à son beau-père, Guyon de Bruslon, président de l’Élection de Paris, construit en 1699 par le maître des Requêtes Joseph Guillaume de la Vieuville, décédé en 1700. L’édifice devient alors l’Hôtel de Bourvallais. Mais Paul Poisson de Bourvallais, qualifié de maltôtier, accusé de malversations, est incarcéré et doit monnayer sa liberté. Cet élégant hôtel lui est alors confisqué. Ferré comme un poisson, Bourvallais doit aussi céder son château de Champs.


Depuis la période carolingienne, le Chancelier est un personnage important du royaume. Dans les temps reculés, il fut grand référendaire, apocrisiaire, archichancelier. Il est inamovible, nommé à vie. Il passe avant le garde des Sceaux (les deux postes sont fusionnés en 1791). Lui seul ne porte pas le deuil du roi décédé pour montrer que l’État continue lorsque le monarque s’éteint. Traditionnellement, la Chancellerie est située au domicile personnel du Chancelier, dans son hôtel particulier.


Le 5 septembre 1718, sous la Régence de Philippe d’Orléans (Louis XV n’a que 8 ans), le Conseil du Roi, qui veut rehausser le caractère de la place Vendôme, attribue au Chancelier l’hôtel confisqué à Poisson de Bourvallais.


Le Chancelier y installe donc ses bureaux, mais aussi son habitation. Et c’est ainsi que François d’Aguesseau arrive avec sa famille au 13, place Vendôme à Paris, au moment où les juristes et les prélats du royaume sont en pleine effervescence depuis la publication de la bulle Unigenitus fulminée par le pape Clément XI en 1713 à la demande de Louis XIV pour combattre le jansénisme et depuis l’Édit de juillet 1717 rappelant les lois fondamentales du royaume et « l’heureuse impuissance » du roi de pouvoir aliéner le domaine de la couronne, interdisant aux enfants naturels légitimés par le monarque d’être appelés à la succession au même titre que les enfants légitimes.


Depuis 1718, en comptant d’Aguesseau, 184 titulaires (Chanceliers, Ministres) ont occupé l’hôtel de Bourvallais, parmi lesquels cinq femmes, deux Corses, deux élus d’outremer, un ecclésiastique, un notaire, un avoué, deux militaires, trois préfets, trois diplomates, trois chefs d’entreprise, sept membres du Conseil d’État, 18 universitaires, dont les 6 derniers ministres en poste, 42 magistrats et… 88 avocats. L’un n’est resté que 7 jours, trois ont été guillotinés, un autre a été fusillé, quatre ont accédé plus tard au poste de Premier président de la Cour de cassation (un autre l’avait été avant), trois ont été élus président de la République.


Pendant la troisième république (837 mois), la durée moyenne d’un ministre de la justice (75 ministres pour 96 ministères, certains l’ayant été plusieurs fois) a été de 8,7 mois. La moyenne est tombée à 8,5 mois sous la 4e République. Sous la 5e République, elle est de 22 mois.


Classé monument historique, l’Hôtel de Bourvallais, victime d’un incendie en 1793, conserve de jolies pièces. Au premier étage, on trouve un Salon des Oiseaux aux multiples dorures, témoin de quelques prises de bec, dans lequel certains hauts magistrats ont perdu des plumes, où quelques grandes réformes judiciaires ont pris leur envol. Pour certaines réunions et expositions, une galerie (voir photo) somptueusement décorée porte le nom du garde des Sceaux Pierre-Denis de Peyronnet (nommé en 1821), avocat puis président du tribunal de Bordeaux puis procureur général à Bourges et Rouen, condamné pour haute trahison lors de la révolution de 1830 à la détention à perpétuité avant d’être gracié six ans plus tard.


Le garde des Sceaux a pour bureau la bibliothèque royale, où se trouvent la table de travail de l’archichancelier Cambacérès, l’imposante presse à sceller, servant à apposer le grand sceau républicain sur les lois constitutionnelles et les textes à portée historique, et de rares fauteuils recouverts de tapisseries d’Aubusson évoquant des fables de La Fontaine inspirées de celles du poète phrygien Ésope : Le renard et le bouc, Le loup et l’agneau, Le lion et le moucheron.


Dans Le renard et le bouc, les deux animaux se désaltèrent mais le rusé renard laisse le bouc au fond du puits et l’histoire se termine par « en toute chose il faut considérer la fin ». Dans Le loup et l’agneau, les deux animaux se désaltèrent également, mais l’un dévore l’autre car « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Dans Le lion et le moucheron, ce dernier a sauvagement piqué le roi des animaux qui n’a pu l’attraper avant de finir dans une toile d’araignée, ce qui permet au fabuliste d’ironiser : quiconque s’est soustrait à un grand péril « périt pour la moindre affaire ». Des aphorismes qu’on dû méditer des générations de ministres et de juges !


 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


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