À l’occasion de la journée internationale
des droits de l’enfant, célébrée chaque 20 novembre, le Défenseur des droits,
Jacques Toubon, a rendu public le rapport intitulé « Droit de l’enfant en
2017 : au miroir de la convention internationale des droits de l’enfant ».
Celui-ci dresse un bilan de la situation, deux ans après l’examen par le comité
des droits de l’enfant de l’ONU, de l’application effective de ladite
convention en France. Résultat : concernant en particulier le droit à la santé
et l’éducation à la sexualité, de nombreux efforts restent à réaliser au regard
des recommandations faites par les Nations unies.
« En cette année d’élections capitales pour notre
pays, il nous a en effet semblé utile d’actualiser et présenter nos
observations et analyses concernant la situation des enfants en France, de
mesurer les avancées et les progrès restants à accomplir, en faisant ressortir
les sujets les plus préoccupants ou les plus sensibles »,
explique le Défenseur des droits dans l’éditorial du rapport Droits de l’enfant
en 2017. Or, selon lui, il existe un « déséquilibre entre les droits
consacrés par les textes législatifs et réglementaires ou les plans d’action
nationaux, et les droits réalisés de manière effective pour tout un
chacun », et cela notamment dans les domaines du droit à la santé et
de l’éducation à la sexualité. Deux ans après l’examen de la France devant le
comité des droits de l’enfant de l’ONU, ce rapport a pour objectif de rendre
compte de la mise en œuvre, par le gouvernement, des recommandations rendues
publiques par le comité en février 2016, et de faire un bilan global de la
situation en France.
Divisé en trois parties, le document s’attache donc dans
la première à rendre compte de l’application par les pouvoirs publics des
observations du comité des droits de l’enfant de l’ONU ; dans un deuxième
temps le défenseur des droits dresse un bilan concernant l’accès à la
santé ; enfin dernier axe important du rapport : l’éducation à la
sexualité qui constitue un enjeu majeur pour le développement physique et
mental des enfants.
Suivi de la mise en
œuvre des observations du comité des droits de l’enfant de l’ONU
Pour rappel, en 2015/2016 s’est déroulé le 5e examen périodique de la
France devant le comité des droits de l’enfant des Nations unies. Cet examen,
auquel doivent se soumettre tous les cinq/six ans les États partis de la
Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), suit des règles très
précises : le comité examine les rapports alternatifs qui lui sont
adressés par les représentants de la société civile et les autorités
administratives indépendantes concernées par les droits de l’enfant du pays
examiné, puis il adresse des observations présentant son analyse de la
situation, et émet des recommandations pour corriger les manquements aux droits
de l’enfant dans l’État parti en question.
Le Défenseur des droits s’était à l’époque fortement
impliqué dans le processus du
5e examen de la France, qui constituait pour lui une première. Il
avait ainsi remis, en février 2015, au comité de l’ONU un rapport
d’appréciation en demi-teinte sur l’application de la CIDE dans l’Hexagone. Le
comité avait ensuite adressé à la France en février 2016?des observations finales, à la suite
desquelles, le Défenseur des droits avait souhaité créer un dispositif
spécifique de suivi de la mise en œuvre de ces recommandations par notre pays.
La première partie du rapport publié ce jour rend compte des progrès accomplis
par les pouvoirs publics pour faire progresser les droits de l’enfant.
En février 2016, le comité des droits de l’enfant de
l’ONU avait adressé onze recommandations à la France, on compte parmi
elles :
•
ratifier le 3e protocole facultatif à la Convention internationale
des droits de l’enfant entré en vigueur le 14 avril 2014. Celui-ci instaure, entre autres, une
procédure de recours individuel autorisant un enfant, ou l’un de ses
représentants, à présenter une communication individuelle devant le comité, en
cas de violation d’un ou plusieurs droits consacrés par la CIDE ;
•
veiller à ce que la CIDE soit reconnue comme étant d’applicabilité directe, or
cela n’est pas toujours le cas aujourd’hui tant « la reconnaissance de
l’applicabilité directe des dispositions de la Convention reste parfois
sélective, fluctuante, voire implicite », dénonce le rapport du
Défenseur des droits ;
•
veiller à ce que les petits puissent être entendus dans le cadre des procédures
et décisions judiciaires et administratives les concernant. Pour le Défenseur
des droits, un doute se pose quant au respect de ce principe quand on étudie de
près le nouveau divorce par consentement mutuel sans juge instauré depuis peu
en France. Il a ainsi dès le 11 mai
2016 interpellé
le ministère de la Justice sur le fait que la réforme ne tenait pas
suffisamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Et c’est aussi ce
qu’ont signalé plusieurs avocats français dans une plainte déposée courant 2017 dans laquelle ils estimaient que cette
réforme violait le droit de l’Union européenne ;
- accélérer l’adoption d’une stratégie globale visant à
prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des enfants, dans
le cadre de la politique générale de protection de l’enfance. Dans ce domaine
de nombreuses mesures ont été prises dans notre pays, notamment sur le plan des
violences sexuelles, mais pour le comité de l’ONU, des efforts restent à faire.
En milieu scolaire par exemple, il faudrait davantage sensibiliser les enfants
à leurs droits ; interdire expressément les châtiments corporels dans tous
les contextes, or « Le Défenseur des droits déplore qu’à ce jour cette
recommandation n’a pas été suivie d’effet », lit-on dans le rapport
annuel.
Suivi de la mise en
œuvre du droit à la santé
L’article 24 de la CIDE dispose que « Les
États partis reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de
santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils
s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à
ces services ». Si en France, l’état de santé des enfants tend à
s’améliorer depuis plusieurs décennies, « ces progrès sont cependant
relativisés par des inégalités sociales persistantes, voire qui s’accroissent,
et qui se doublent d’inégalités territoriales dans le champ de la santé »,
déplore le Défenseur des droits dans le rapport.
Pour l’institution, il est donc indispensable et urgent
de concevoir des politiques de santé dédiées spécifiquement aux enfants et
adolescents et visant au sens de la définition de l’OMS à « Un état
complet de bien-être physique, mental et social ». En ce sens, la loi
de modernisation de notre système de santé du 26?janvier 2016?constitue
une avancée, car elle intègre à la stratégie nationale de santé un volet dédié
à la santé des enfants. Mais, pour mener à bien cette réforme, il est important
de mobiliser l’ensemble des collectivités publiques, institutions,
professionnels, mais aussi de veiller au développement des coopérations
opérationnelles et de proximité… Pour le Défenseur des droits, il est également
indispensable de s’appuyer sur les parents, via par exemple des mesures
d’éducation à la parentalité, mais aussi de donner la priorité à la prévention,
de développer la participation des enfants en les laissant s’exprimer sur les
sujets qui les concernent, de garantir des moyens suffisants dans tous les
champs de la santé de l’enfant (or, on constate malheureusement que nombre de secteurs
sont en grande difficulté, notamment les services de protection maternelle et
infantile, la médecine scolaire et la pédopsychiatrie).
Dans son rapport 2017, le Défenseur des droits a
également dénoncé les difficultés persistantes d’accès à la santé pour les
enfants en situation de vulnérabilité. Parmi elles, trois situations « particulièrement
préoccupantes » ont attiré son attention : les enfants habitant
en Guyane et à Mayotte ; les mineurs étrangers ; et ceux pris en
charge par l’Aide sociale à l’enfance.
Concernant les enfants dans les territoires d’outre-mer,
les difficultés sont nombreuses telles que le manque de personnel, les blocages
administratifs, le coût trop élevé des soins… Ainsi, le Défenseur des droits
recommande que se développent la présence des équipes de PMI dans ces
territoires, la mise en place de bilan de santé pour les enfants dès leur
inscription à l’école maternelle, etc. Afin d’améliorer la couverture maladie
de ces populations, le Défenseur des droits recommande aussi que des
permanences itinérantes soient plus régulièrement organisées sur l’ensemble de
ces régions.
Concernant l’accès à la santé des enfants étrangers, le
défenseur des droits dénonce des conditions de vie difficiles menant « à
la dégradation de l’état de santé des occupants » à laquelle
« s’ajoute la fréquence des expulsions de bidonvilles, le plus souvent
sans proposition satisfaisante de relogement ». L’institution appelle
donc de ses vœux « la mise en œuvre d’une réelle politique de
résorption des bidonvilles, visant à assurer à chaque enfant des conditions de
vie acceptables ».
Enfin, pour la question de l’accès aux soins des enfants
confiés à la protection de l’enfance, le Défenseur des droits note dans son
rapport « une insuffisante prise en compte de la santé de ces
enfants ». Il recommande donc, entre autres, une surveillance médicale
régulière des enfants confiés par des professionnels de santé formés qui ont
connaissance des problématiques liées à la protection de l’enfance.
Dernière inquiétude soulevée par le Défenseur des
droits : elle vise les enfants présentant des besoins spécifiques en
matière de santé, et notamment les enfants hospitalisés, handicapés, ceux
victimes de violences, et les enfants dits « intersexes », qui
se heurtent trop souvent, selon l’institution, au manque de moyens du secteur
médical et hospitalier. Le Défenseur des droits recommande à leur sujet que
leurs situations respectives soient davantage prises « en considération
dans les politiques publiques de santé en cours de définition ».
Suivi de la mise en
œuvre de l’éducation à la sexualité
Dans son rapport, le Défenseur des droits rappelle qu’en
France, l’éducation à la sexualité en milieu scolaire est prévue par la loi
depuis 2001 (elle
était déjà présente depuis les années 70
dans les établissements scolaires, mais de manière facultative). Cependant,
cette obligation n’est pas systématiquement mise en œuvre. C’est pourquoi, ces
dernières années, plusieurs représentants de la société civile ont alerté
l’institution sur les effets négatifs de cette insuffisance d’information des
enfants et de leurs parents, alors même que les jeunes sont particulièrement
concernés par les problématiques liées à la sexualité. En outre, les jeunes
sont les premiers touchés par le harcèlement sexuel, les violences physiques,
psychologiques ou verbales sexistes ou homophobes. Quant aux jeunes femmes,
parmi celles qui sont victimes de viol ou de tentative de viol, 59 % ont subi ces violences pour la
première fois alors qu’elles étaient mineures.
À l’ère du numérique, les jeunes peuvent certes trouver
quantité d’informations sur des sujets relavant de la sexualité. Mais dans
certains cas, celles-ci sont erronées, moralisatrices, mensongères, voire
toxiques comme par exemple les sites pornographiques. Il est donc nécessaire de
leur apporter une vraie éducation dans ce domaine pour leur apprendre à faire
le tri entre les bonnes et mauvaises informations. Heureusement en France, la
prévention de l’exposition des jeunes à la pornographie constitue la mesure numéro 7 du
plan interministériel de la lutte contre les violences faites aux enfants.
Mais, le Défenseur des droits dans le présent document incite à une vigilance
plus grande quant au phénomène de « prostitution occasionnelle » qui
semble progresser chez les jeunes. L’association Agir explique que cette forme
de prostitution « concerne les collégiennes ou lycéennes qui, de
manière autonome et sans la supervision d’un tiers, consentent à exécuter des
prestations sexuelles tarifées à leurs camarades d’établissements
scolaires. » Le Défenseur des droits encourage donc les pouvoirs
publics à engager des démarches visant à prévenir ces situations qui restent
invisibles, car tabous.
Des progrès ont été récemment accomplis dans notre pays
avec la loi du 26 janvier
2016 de
modernisation du système de santé qui intègre dans le Code de la santé publique
la notion de santé sexuelle et reproductive. Cette loi est en effet venue
réaffirmer l’existence des parcours éducatifs de santé créés par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour
la refondation de l’école de la République. Et, le Défenseur des droits « encourage
la mise en place d’une approche globale de l’éducation à la sexualité »,
mais restera vigilant « quant aux modalités de mise en œuvre d’actions
d’éducation à la sexualité dans le cadre de ces parcours ». En effet,
ce que l’institution reproche le plus à ces parcours éducatifs, c’est qu’ils
abordent trop souvent la sexualité sous l’angle sanitaire. Ainsi, les
thématiques abordées sont majoritairement celles du Sida, de la contraception,
de l’IVG, mais d’autres thèmes sont peu abordés comme l’orientation sexuelle,
les discriminations sexuelles, les stéréotypes de sexe ou encore les violences
faites aux femmes. La sexualité est abordée de manière trop souvent négative
puisque liée à la prévention et aux maladies sexuellement transmissibles. Or,
« une approche positive et globale de la sexualité (incluant ses aspects
affectifs, psychologiques, et sociaux) serait pourtant de nature à faciliter le
dialogue avec les jeunes et pourrait ainsi avoir un impact direct sur leur
comportement ».
En outre, le Défenseur des droits recommande dans son
rapport que soient produits des outils pédagogiques plus adaptés, mais aussi de
renforcer la formation, initiale et continue, dispensée au personnel de
l’Éducation nationale. Cette formation « doit permettre de dépasser
l’approche médicale de l’éducation à la sexualité, notamment lorsque, comme
c’est souvent le cas, les séances sont assurées par les infirmières scolaires
ou les professeurs de sciences ». Concernant les intervenants
extérieurs à l’école, le Défenseur des droits recommande, et en cela il reprend
les idées du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, que « l’agrément
des associations intervenant sur l’éducation à la sexualité [soit conditionné]
à la signature d’une charte d’intervention (élaborée en concertation avec les
partenaires associatifs spécialisés) ». En outre, parce qu’une
politique d’éducation à la sexualité, pour être efficace, doit impérativement
associer les parents des enfants et des jeunes concernés, le Défenseur des
droits recommande d’associer les parents au projet d’éducation à la sexualité
au sein des établissements.
Enfin, pour se rendre compte de la progression de la
mise en œuvre de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, le Défenseur
des droits recommande au ministre de l’Éducation nationale qu’une évaluation
qualitative et quantitative soit assurée à échéance 2023 en lien avec l’objectif fixé par la
stratégie nationale de santé sexuelle.
En conclusion, on peut dire que le Défenseur des droits
dans son rapport 2017 a
mis en évidence les progrès accomplis en France notamment dans le champ de la
santé et de l’éducation à la sexualité, mais le document a également mis en
lumière des situations qui demandent des réactions urgentes des pouvoirs
publics (enfants dans les bidonvilles, mineurs isolés étrangers, enfants
handicapés…) C’est pourquoi, année après année, « la démarche du
Défenseur des droits, attachée à l’effectivité des droits, sera de continuer à
s’assurer des progrès faits par la France dans la mise en œuvre de la CIDE et
des recommandations du comité des droits de l’enfant ».
Maria-Angélica Bailly