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Rapport annuel droits de l’enfant en 2017 - Où en sommes-nous en France ?

Rapport annuel droits de l’enfant en 2017 - Où en sommes-nous en France ?
Publié le 14/12/2017 à 15:34

À l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, célébrée chaque 20 novembre, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a rendu public le rapport intitulé « Droit de l’enfant en 2017 : au miroir de la convention internationale des droits de l’enfant ». Celui-ci dresse un bilan de la situation, deux ans après l’examen par le comité des droits de l’enfant de l’ONU, de l’application effective de ladite convention en France. Résultat : concernant en particulier le droit à la santé et l’éducation à la sexualité, de nombreux efforts restent à réaliser au regard des recommandations faites par les Nations unies.


 


« En cette année d’élections capitales pour notre pays, il nous a en effet semblé utile d’actualiser et présenter nos observations et analyses concernant la situation des enfants en France, de mesurer les avancées et les progrès restants à accomplir, en faisant ressortir les sujets les plus préoccupants ou les plus sensibles », explique le Défenseur des droits dans l’éditorial du rapport Droits de l’enfant en 2017. Or, selon lui, il existe un « déséquilibre entre les droits consacrés par les textes législatifs et réglementaires ou les plans d’action nationaux, et les droits réalisés de manière effective pour tout un chacun », et cela notamment dans les domaines du droit à la santé et de l’éducation à la sexualité. Deux ans après l’examen de la France devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU, ce rapport a pour objectif de rendre compte de la mise en œuvre, par le gouvernement, des recommandations rendues publiques par le comité en février 2016, et de faire un bilan global de la situation en France.


Divisé en trois parties, le document s’attache donc dans la première à rendre compte de l’application par les pouvoirs publics des observations du comité des droits de l’enfant de l’ONU ; dans un deuxième temps le défenseur des droits dresse un bilan concernant l’accès à la santé ; enfin dernier axe important du rapport : l’éducation à la sexualité qui constitue un enjeu majeur pour le développement physique et mental des enfants.


Suivi de la mise en œuvre des observations du comité des droits de l’enfant de l’ONU


 

Pour rappel, en 2015/2016 s’est déroulé le 5e examen périodique de la France devant le comité des droits de l’enfant des Nations unies. Cet examen, auquel doivent se soumettre tous les cinq/six ans les États partis de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), suit des règles très précises : le comité examine les rapports alternatifs qui lui sont adressés par les représentants de la société civile et les autorités administratives indépendantes concernées par les droits de l’enfant du pays examiné, puis il adresse des observations présentant son analyse de la situation, et émet des recommandations pour corriger les manquements aux droits de l’enfant dans l’État parti en question.



Le Défenseur des droits s’était à l’époque fortement impliqué dans le processus du
5e examen de la France, qui constituait pour lui une première. Il avait ainsi remis, en février 2015, au comité de l’ONU un rapport d’appréciation en demi-teinte sur l’application de la CIDE dans l’Hexagone. Le comité avait ensuite adressé à la France en février 2016
?des observations finales, à la suite desquelles, le Défenseur des droits avait souhaité créer un dispositif spécifique de suivi de la mise en œuvre de ces recommandations par notre pays. La première partie du rapport publié ce jour rend compte des progrès accomplis par les pouvoirs publics pour faire progresser les droits de l’enfant.


En février 2016, le comité des droits de l’enfant de l’ONU avait adressé onze recommandations à la France, on compte parmi elles :


ratifier le 3e protocole facultatif à la Convention internationale des droits de l’enfant entré en vigueur le 14 avril 2014. Celui-ci instaure, entre autres, une procédure de recours individuel autorisant un enfant, ou l’un de ses représentants, à présenter une communication individuelle devant le comité, en cas de violation d’un ou plusieurs droits consacrés par la CIDE ;


veiller à ce que la CIDE soit reconnue comme étant d’applicabilité directe, or cela n’est pas toujours le cas aujourd’hui tant « la reconnaissance de l’applicabilité directe des dispositions de la Convention reste parfois sélective, fluctuante, voire implicite », dénonce le rapport du Défenseur des droits ;


veiller à ce que les petits puissent être entendus dans le cadre des procédures et décisions judiciaires et administratives les concernant. Pour le Défenseur des droits, un doute se pose quant au respect de ce principe quand on étudie de près le nouveau divorce par consentement mutuel sans juge instauré depuis peu en France. Il a ainsi dès le 11 mai 2016 interpellé le ministère de la Justice sur le fait que la réforme ne tenait pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Et c’est aussi ce qu’ont signalé plusieurs avocats français dans une plainte déposée courant 2017 dans laquelle ils estimaient que cette réforme violait le droit de l’Union européenne ;


- accélérer l’adoption d’une stratégie globale visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des enfants, dans le cadre de la politique générale de protection de l’enfance. Dans ce domaine de nombreuses mesures ont été prises dans notre pays, notamment sur le plan des violences sexuelles, mais pour le comité de l’ONU, des efforts restent à faire. En milieu scolaire par exemple, il faudrait davantage sensibiliser les enfants à leurs droits ; interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes, or « Le Défenseur des droits déplore qu’à ce jour cette recommandation n’a pas été suivie d’effet », lit-on dans le rapport annuel.



Suivi de la mise en œuvre du droit à la santé


L’article 24 de la CIDE dispose que « Les États partis reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services ». Si en France, l’état de santé des enfants tend à s’améliorer depuis plusieurs décennies, « ces progrès sont cependant relativisés par des inégalités sociales persistantes, voire qui s’accroissent, et qui se doublent d’inégalités territoriales dans le champ de la santé », déplore le Défenseur des droits dans le rapport.


Pour l’institution, il est donc indispensable et urgent de concevoir des politiques de santé dédiées spécifiquement aux enfants et adolescents et visant au sens de la définition de l’OMS à « Un état complet de bien-être physique, mental et social ». En ce sens, la loi de modernisation de notre système de santé du 26?janvier 2016?constitue une avancée, car elle intègre à la stratégie nationale de santé un volet dédié à la santé des enfants. Mais, pour mener à bien cette réforme, il est important de mobiliser l’ensemble des collectivités publiques, institutions, professionnels, mais aussi de veiller au développement des coopérations opérationnelles et de proximité… Pour le Défenseur des droits, il est également indispensable de s’appuyer sur les parents, via par exemple des mesures d’éducation à la parentalité, mais aussi de donner la priorité à la prévention, de développer la participation des enfants en les laissant s’exprimer sur les sujets qui les concernent, de garantir des moyens suffisants dans tous les champs de la santé de l’enfant (or, on constate malheureusement que nombre de secteurs sont en grande difficulté, notamment les services de protection maternelle et infantile, la médecine scolaire et la pédopsychiatrie).


Dans son rapport 2017, le Défenseur des droits a également dénoncé les difficultés persistantes d’accès à la santé pour les enfants en situation de vulnérabilité. Parmi elles, trois situations « particulièrement préoccupantes » ont attiré son attention : les enfants habitant en Guyane et à Mayotte ; les mineurs étrangers ; et ceux pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.


Concernant les enfants dans les territoires d’outre-mer, les difficultés sont nombreuses telles que le manque de personnel, les blocages administratifs, le coût trop élevé des soins… Ainsi, le Défenseur des droits recommande que se développent la présence des équipes de PMI dans ces territoires, la mise en place de bilan de santé pour les enfants dès leur inscription à l’école maternelle, etc. Afin d’améliorer la couverture maladie de ces populations, le Défenseur des droits recommande aussi que des permanences itinérantes soient plus régulièrement organisées sur l’ensemble de ces régions.


Concernant l’accès à la santé des enfants étrangers, le défenseur des droits dénonce des conditions de vie difficiles menant « à la dégradation de l’état de santé des occupants » à laquelle « s’ajoute la fréquence des expulsions de bidonvilles, le plus souvent sans proposition satisfaisante de relogement ». L’institution appelle donc de ses vœux « la mise en œuvre d’une réelle politique de résorption des bidonvilles, visant à assurer à chaque enfant des conditions de vie acceptables ».


Enfin, pour la question de l’accès aux soins des enfants confiés à la protection de l’enfance, le Défenseur des droits note dans son rapport « une insuffisante prise en compte de la santé de ces enfants ». Il recommande donc, entre autres, une surveillance médicale régulière des enfants confiés par des professionnels de santé formés qui ont connaissance des problématiques liées à la protection de l’enfance.


Dernière inquiétude soulevée par le Défenseur des droits : elle vise les enfants présentant des besoins spécifiques en matière de santé, et notamment les enfants hospitalisés, handicapés, ceux victimes de violences, et les enfants dits « intersexes », qui se heurtent trop souvent, selon l’institution, au manque de moyens du secteur médical et hospitalier. Le Défenseur des droits recommande à leur sujet que leurs situations respectives soient davantage prises « en considération dans les politiques publiques de santé en cours de définition ».


 Suivi de la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité


Dans son rapport, le Défenseur des droits rappelle qu’en France, l’éducation à la sexualité en milieu scolaire est prévue par la loi depuis 2001 (elle était déjà présente depuis les années 70
dans les établissements scolaires, mais de manière facultative). Cependant, cette obligation n’est pas systématiquement mise en œuvre. C’est pourquoi, ces dernières années, plusieurs représentants de la société civile ont alerté l’institution sur les effets négatifs de cette insuffisance d’information des enfants et de leurs parents, alors même que les jeunes sont particulièrement concernés par les problématiques liées à la sexualité. En outre, les jeunes sont les premiers touchés par le harcèlement sexuel, les violences physiques, psychologiques ou verbales sexistes ou homophobes. Quant aux jeunes femmes, parmi celles qui sont victimes de viol ou de tentative de viol, 59
% ont subi ces violences pour la première fois alors qu’elles étaient mineures.


À l’ère du numérique, les jeunes peuvent certes trouver quantité d’informations sur des sujets relavant de la sexualité. Mais dans certains cas, celles-ci sont erronées, moralisatrices, mensongères, voire toxiques comme par exemple les sites pornographiques. Il est donc nécessaire de leur apporter une vraie éducation dans ce domaine pour leur apprendre à faire le tri entre les bonnes et mauvaises informations. Heureusement en France, la prévention de l’exposition des jeunes à la pornographie constitue la mesure numéro 7 du plan interministériel de la lutte contre les violences faites aux enfants. Mais, le Défenseur des droits dans le présent document incite à une vigilance plus grande quant au phénomène de « prostitution occasionnelle » qui semble progresser chez les jeunes. L’association Agir explique que cette forme de prostitution « concerne les collégiennes ou lycéennes qui, de manière autonome et sans la supervision d’un tiers, consentent à exécuter des prestations sexuelles tarifées à leurs camarades d’établissements scolaires. » Le Défenseur des droits encourage donc les pouvoirs publics à engager des démarches visant à prévenir ces situations qui restent invisibles, car tabous.


Des progrès ont été récemment accomplis dans notre pays avec la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé qui intègre dans le Code de la santé publique la notion de santé sexuelle et reproductive. Cette loi est en effet venue réaffirmer l’existence des parcours éducatifs de santé créés par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Et, le Défenseur des droits « encourage la mise en place d’une approche globale de l’éducation à la sexualité », mais restera vigilant « quant aux modalités de mise en œuvre d’actions d’éducation à la sexualité dans le cadre de ces parcours ». En effet, ce que l’institution reproche le plus à ces parcours éducatifs, c’est qu’ils abordent trop souvent la sexualité sous l’angle sanitaire. Ainsi, les thématiques abordées sont majoritairement celles du Sida, de la contraception, de l’IVG, mais d’autres thèmes sont peu abordés comme l’orientation sexuelle, les discriminations sexuelles, les stéréotypes de sexe ou encore les violences faites aux femmes. La sexualité est abordée de manière trop souvent négative puisque liée à la prévention et aux maladies sexuellement transmissibles. Or, « une approche positive et globale de la sexualité (incluant ses aspects affectifs, psychologiques, et sociaux) serait pourtant de nature à faciliter le dialogue avec les jeunes et pourrait ainsi avoir un impact direct sur leur comportement ».


En outre, le Défenseur des droits recommande dans son rapport que soient produits des outils pédagogiques plus adaptés, mais aussi de renforcer la formation, initiale et continue, dispensée au personnel de l’Éducation nationale. Cette formation « doit permettre de dépasser l’approche médicale de l’éducation à la sexualité, notamment lorsque, comme c’est souvent le cas, les séances sont assurées par les infirmières scolaires ou les professeurs de sciences ». Concernant les intervenants extérieurs à l’école, le Défenseur des droits recommande, et en cela il reprend les idées du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, que « l’agrément des associations intervenant sur l’éducation à la sexualité [soit conditionné] à la signature d’une charte d’intervention (élaborée en concertation avec les partenaires associatifs spécialisés) ». En outre, parce qu’une politique d’éducation à la sexualité, pour être efficace, doit impérativement associer les parents des enfants et des jeunes concernés, le Défenseur des droits recommande d’associer les parents au projet d’éducation à la sexualité au sein des établissements.


Enfin, pour se rendre compte de la progression de la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Éducation nationale qu’une évaluation qualitative et quantitative soit assurée à échéance 2023 en lien avec l’objectif fixé par la stratégie nationale de santé sexuelle.


En conclusion, on peut dire que le Défenseur des droits dans son rapport 2017 a mis en évidence les progrès accomplis en France notamment dans le champ de la santé et de l’éducation à la sexualité, mais le document a également mis en lumière des situations qui demandent des réactions urgentes des pouvoirs publics (enfants dans les bidonvilles, mineurs isolés étrangers, enfants handicapés…) C’est pourquoi, année après année, « la démarche du Défenseur des droits, attachée à l’effectivité des droits, sera de continuer à s’assurer des progrès faits par la France dans la mise en œuvre de la CIDE et des recommandations du comité des droits de l’enfant ».


 


Maria-Angélica Bailly


 


 


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