Dans la
dynastie des Capétiens et plus généralement parmi tous les rois de France,
Saint Louis occupe une place singulière. Le XIIIe siècle qu’on a
coutume d’appeler « le siècle de Saint Louis » durant lequel
il régna semble tout entier irradié de sa lumière bienfaisante. Sa canonisation
intervenue en 1297 a contribué
à léguer à la postérité cette image de roi juste et pieux. Certes,
dans l’ancienne France le roi qu’on disait « fontaine de justice »
était avant tout un juge et toutes ses attributions administratives,
judiciaires et guerrières découlaient de cette fonction de roi justicier. Mais
rarement dans notre conscience collective un monarque aura autant été associé à
la justice que Louis IX devenu Saint Louis. Ce roi né en 1214, au long règne de
43 ans dont
nous avons amplement fêté, voici deux ans, les huit cents ans de la naissance,
symbolise l’idée de justice. En effet, comme l’a indiqué le grand historien
Jacques Le Goff, spécialiste du Moyen âge,
« Louis IX est le souverain qui considéra la justice comme son premier
devoir »2. Le pape Boniface VIII dans sa bulle de
canonisation (celle-ci étant intervenue sous son pontificat) loue en Saint
Louis « un juge juste et un rétributeur louable »3.
Mais quand on souhaite restituer avec exactitude son action dans le domaine de
la justice il faut faire la distinction entre le mythe et la réalité. Malgré
ceci, Saint Louis a laissé en matière judiciaire une œuvre qui a durablement et
profondément marqué nos institutions. Nous sommes ainsi surpris de voir avec
notre regard d’hommes du XXIe siècle à quel point il a témoigné
d’une conception résolument moderne de la justice. Je vais essayer de brosser à grands traits et de manière cursive
certaines des facettes essentielles de ce legs précieux que nous a laissé cette
grande figure de l’Histoire de France.
Saint Louis
avait chevillé à l’âme la volonté de faire en sorte que la justice dans son
royaume soit au-dessus d’intérêts particuliers, y compris au-dessus des grands
du royaume, de telle manière qu’elle ne soit susceptible d’aucune appropriation
clanique (I). Parallèlement il a eu la volonté de réorganiser profondément
l’appareil et les procédures judiciaires pour les rendre plus justes quelle que
soit la condition du justiciable (II).
SAINT LOUIS
FAVORISANT L’AVÈNEMENT D’UNE JUSTICE AU-DESSUS DES INTÉRÊTS PARTICULIERS ET INSUSCEPTIBLE D’UNE APPROPRIATION CLANIQUE
Avec
constance au cours de son règne, Saint Louis plaça la justice au cœur de ses
préoccupations sans doute parce qu’il avait la sereine conviction que cette
exigence de justice était le prolongement naturel de sa foi religieuse. Il faut
d’emblée s’interroger afin de savoir si dans cette optique ce roi rendait
lui-même la justice à Vincennes comme on l’évoque si souvent. Saint Louis avait
l’habitude, dans le parc de son château de Vincennes, de s’adosser à un chêne
où il recevait tous ses sujets qui souhaitaient lui parler sans intermédiaire.
Chacun pouvait en toute liberté exposer son grief au souverain qui –
contrairement à ce qu’on dit souvent à son sujet – ne rendait pas la justice
lui-même mais demandait alors par un signe à un membre de son entourage doté de
la prérogative de rendre la justice de se saisir de l’affaire. Ainsi Louis IX
n’entendait pas se substituer au système judiciaire qu’il avait instauré.
Saint Louis voulait que la justice soit la même pour tous. Une affaire
illustre de manière emblématique cette conception de la justice. En 1259 trois jeunes nobles chassent le lièvre dans le bois d’une abbaye. Ils se
fourvoient et tirent leur gibier dans le bois appartenant au seigneur Engerrand
de Coucy. Celui-ci procède immédiatement à l’arrestation de ces trois chasseurs
et les fait pendre. Les abbés indignés en rendent compte au roi qui convoque le
seigneur à la cour et le fait emprisonner à la tour du Louvre. Les seigneurs
par esprit de solidarité avec celui-ci, trouvant ce traitement trop dur,
supplient Saint Louis d’avoir pitié de leur pair.
Saint Louis n’accédera que très partiellement à leur demande. Il fera certes
libérer Coucy mais il le condamnera, en usant de manière exceptionnelle de ses
prérogatives de justice retenue, à verser une amende de 10 000 livres – une somme considérable pour l’époque –, lui
confisquera le bois où il avait procédé à la pendaison des jeunes gens, le
contraindra à partir trois années durant en croisade et lui donnera l’ordre de
construire deux chapelles dans lesquelles tous les jours des prières devront
être prononcées pour l’âme des trois jeunes gens. Fait très significatif, il
ôtera de surcroît à ce seigneur toutes ses prérogatives de justice concernant
les bois et les viviers. Saint Louis souhaite désormais en finir avec les abus
de la justice seigneuriale et montrer que la justice doit être la même pour
tous et que les puissants seigneurs ne sauraient y échapper. Il entend faire
savoir que la justice est une prérogative qui procède du roi et qui doit être
exercée par les professionnels qu’il a nommés. Il veut ainsi éviter à tout prix
que la justice fasse l’objet d’une appropriation clanique.
UNE PROFONDE RÉFORME DE L’APPAREIL JUDICIAIRE ET DES
PROCÉDURES JUDICIAIRES POUR RENDRE UNE JUSTICE PLUS JUSTE QUEL QUE SOIT LE
JUSTICIABLE
En revenant des Croisades, Saint Louis eut la volonté de réformer
profondément la justice pour la rendre plus juste et impartiale quelle que soit
la condition du justiciable. (…)
À ma
compagne Marlène
Yves
Benhamou,
Magistrat
Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial des Sociétés n°4
du 14 janvier 2017
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