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Réforme de la justice - Vingt bâtonniers en colère au barreau de Seine-Saint-Denis

Réforme de la justice - Vingt bâtonniers en colère au barreau de Seine-Saint-Denis
Publié le 07/05/2018 à 12:02

Le 20 avril 2018, les bâtonniers des vingt plus grands barreaux de France se sont réunis autour de Valérie Grimaud, la bâtonnière du barreau de Seine-Saint-Denis, et de Maître Jérôme Gavaudan, président de la Conférence des bâtonniers, afin de protester ensemble contre le projet de loi de programmation pour la justice présenté au Conseil des ministres le jour même. Ont notamment été évoqués les points bloquants du texte et les actions de mobilisation à venir.

 


Alors que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, présentait le matin même le projet de loi justice en Conseil des ministres, les bâtonniers des vingt plus grands barreaux de France avaient décidé de se réunir à la Maison des avocats de Bobigny pour manifester contre certains aspects de la réforme qui ne « passent toujours pas ». En effet, même si certaines avancées ont été obtenues grâce à la forte mobilisation de la profession, les avocats mettent en garde contre un recul de l’accès à la justice pour les citoyens.


 


Un projet de loi très contesté


Depuis le lancement des cinq chantiers de la justice en octobre 2017 (transformation numérique, simplification des procédures pénales et civiles, organisation territoriale et efficacité des peines), les avocats sont sceptiques : cette réforme ne risque-t-elle pas d’éloigner les justiciables de la justice ? La réforme de la carte judiciaire ne va-t-elle pas aboutir à des déserts judiciaires ? Des craintes qui se sont avérées fondées par la suite.


Le 9 mars 2018 dans l’après-midi, le Conseil national des barreaux a été destinataire du projet de loi de programmation pour la justice. Immédiatement, le Conseil a fait part à la garde des Sceaux de l’hostilité de la profession « au regard de la méthode et de l’orientation d’un texte qui fait trop peu de cas des avocats et de qu’ils représentent » (cf. communiqué du CNB du 14 mars 2018). Malgré une entrevue, le 14 mars dernier, entre Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, Christiane Féral-Schuhl, la présidente du CNB, Marie-Aimée Peyron, le bâtonnier de Paris, et Jérôme Gavaudan, le président de la Conférence des bâtonniers, de nombreux désaccords ont persisté entre la Chancellerie et les représentants de la profession.


Lors de l’Assemblée générale des 16 et 17 mars, les élus du Conseil se sont prononcés sur les points du projet qui, selon eux, méritent d’être revus. Ils ont notamment dénoncé :


un texte attentatoire aux droits et libertés individuelles ;


un texte qui répond aux seules demandes des forces de police et du parquet, sans garanties des droits de la défense ;


Un texte qui limite drastiquement les droits de la victime ;


Un texte qui tend à initier une véritable révolution sans concertation par la mise en place du tribunal criminel départemental ;


Une déjudiciarisation qui aboutit à une véritable privatisation de la justice, en faisant primer une réduction de moyens qui aboutit à une justice sans juge, sans avocat et sans justiciable ;


La création de déserts judiciaires par la spécialisation et le regroupement des juridictions.


Le 16 mars 2018, la Chancellerie s’était tout de même engagée auprès de la profession à retirer du projet de loi la disposition réformant la procédure de saisie immobilière, et à réintégrer l’avocat obligatoire dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Des efforts certes reconnus par le CNB, mais qui restent néanmoins insuffisants pour rendre le texte acceptable. D’où l’organisation d’une journée « justice morte » le 21 mars 2018, suivie d’une autre le 30 mars. De même, le 11 avril dernier, magistrats, greffiers, avocats ont manifesté partout en France contre le projet de loi justice (voir Journal Spécial des Sociétés n° 28 du 14 avril 2018). À Paris, à l’appel des principaux syndicats, une manifestation nationale a réuni pas moins de quatre mille avocats dans les rues de la capitale.


 


Ce qui ne passe pas


Le 20 avril 2018, c’est donc vingt bâtonniers des plus grands barreaux de France (en terme de nombre d’avocats) qui se sont réunis à la maison du barreau de Bobigny (Bordeaux, Nanterre, Créteil, Aix-en-Provence, Nantes, Toulouse, Lille, Grasse, Nice, Val-d’Oise, Rouen…) pour manifester contre la loi présentée au Conseil des ministres le matin même.


Valérie Grimaud, la bâtonnière du barreau de Seine-Saint-Denis, a dénoncé une réforme « menée au pas de charge dans l’impréparation la plus totale et avec beaucoup d’approximations ». Pour elle en effet, « quand on veut améliorer le service public, deux options sont possibles : soit augmenter le nombre de magistrats et personnels et d’y mettre les moyens ou alors de fermer les accès de la justice aux justiciables. C’est cette deuxième option qui a été choisie ». Ainsi, pour elle, on se dirige droit vers : « une justice de classe pour ceux qui en ont les moyens et un système dématérialisé sans possibilité d’explications ».


Quant à Jérôme Gavaudan, le président de la conférence des bâtonniers, a regretté ne pas retrouver dans le texte tel qu’il est présenté « les bonnes intentions de la ministre », « ce qui fait que nous, avocats, nous allons continuer à nous battre et nous ne laisserons pas passer un projet qui est destructeur de la justice telle que nous la concevons dans un État démocratique », a-t-il ajouté. Outre une augmentation du budget de la justice jugée clairement insuffisante (+4 % sur 4 ans), les bâtonniers présents ce jour-là ont réitéré leur opposition contre les aspects suivants de la réforme :


la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance, qui est censée, selon la Chancellerie, « rendre plus lisible et plus efficace la justice civile ». Or pour eux, cela risque d’aboutir à la suppression des tribunaux d’instance et de la fonction de juge d’instance. Certaines affaires risquent donc de ne jamais être jugées ;


un recours obligatoire à la médiation avant de saisir un tribunal dans les cas des litiges de moins de 10 000 euros. Une mesure décriée, car elle pourrait coûter plus cher au justiciable, des sociétés privées pouvant intervenir lors de ces médiations, ce qui conduirait à une justice à deux vitesses (certaines personnes n’ayant pas les moyens de payer un médiateur) ;


l’expérimentation d’un tribunal criminel départemental en lieu et place de la cour d’assises pour les crimes allant jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle. Il sera composé de magistrats seulement et non de jurés populaires. Une décision inacceptable pour la profession, car l’absence de jurés pourrait aboutir à « faire de l’abattage d’affaires ». On aurait affaire à une « justice dégradée » avait affirmé à ce sujet le syndicat de la magistrature ;


une réforme du système des peines qui proscrit les détentions courtes, mais assure l’application de celles de plus d’un an tout en multipliant les alternatives en milieu ouvert. Ainsi, seulement sept mille prisons vont être construites contre quinze mille promises par le président Macron lors de sa campagne ;


l’introduction de nouvelles procédures en ligne. Notamment le règlement de petits litiges par voie dématérialisée, sans audience même si une partie le demande. « Nous vivons déjà le numérique », a affirmé Jérôme Gavaudan, pour éviter que l’on assimile ce rejet à un refus de se moderniser, « mais ce numérique doit être au service de la justice, et non l’inverse » ;


l’abandon aux directeurs de la CAF, au lieu des juges, du traitement de litiges portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.


Quoi qu’il en soit, le texte du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 a tout de même été adopté par le Conseil des ministres ce jour-là.
La Conférence des bâtonniers a pris acte de cette nouvelle donne et son président s’est exprimé ainsi : « L’ensemble de la famille judiciaire conteste l’esprit, la forme et le fond de cette réforme. La Conférence des bâtonniers reste mobilisée et va continuer à faire entendre sa voix, tant auprès des parlementaires qu’auprès de la Chancellerie, jusqu’à obtenir un certain nombre de garanties, notamment sur la question des territoires ».


Prochaine étape ? Le vote au Parlement de la loi avant l’été 2018. Jusqu’à cette date, les avocats ne lâcheront rien.


 


Maria-Angélica Bailly


 


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