L’Assemblée et le Sénat ont définitivement adopté le
projet de loi de ratification de l’ordonnance portant réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le 11 avril 2018.
L’AFJE, très investie dans cette réforme, notamment avec la création d’un
groupe de travail « ad hoc » dès février 2015, se réjouit de l’implication
réussie des juristes d’entreprise dans la fabrique de la loi. Retour sur
l’odyssée de cette réforme.
« L’éternité c’est long, surtout vers la fin ! »,
disait Jacques Lacan. En effet, l’Assemblée nationale a adopté définitivement
les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) le 22 mars 2018, à
l’unanimité moins une abstention, et le Sénat a fait de même le 11 avril 2018,
à l’unanimité. Nous souhaitons rappeler ici les dernières étapes de ce
processus enfin achevé, sachant que l’ordonnance du 10 février 2016 était
devenue le droit positif depuis le 1er octobre 2016.
Retour sur les grandes étapes
Le 9 juillet 2016, la Chancellerie dépose un projet de
loi de ratification sur le bureau des deux assemblées, ratification dite par «
voie sèche ». Il s’agit de ratifier « as is » les dispositions de l’ordonnance.
Le 9 juin 2017, le garde des Sceaux de l’époque dépose devant le Sénat un
projet de loi de ratification en ce sens, au moyen d’un article unique : «
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve des obligations est ratifiée ».
Le 4 juillet 2017, le rapporteur au Sénat, le sénateur
François Pillet, consulte l’AFJE afin de recueillir nos observations et
souhaits de modification ou d’amélioration des articles de l’ordonnance. Par
courrier en date du 8 septembre 2017, l’AFJE répond à l’ensemble des points de
la lettre du sénateur Pillet. Dans la foulée, nous sommes ensuite invités à
être auditionnés par la commission des lois du Sénat. Cela est fait le 14
septembre 2017devant sept personnes. Cette audition d’une heure nous vaut une
lettre de remerciements en date du 31 octobre 2017. Sur le fond maintenant, le
Sénat ratifie le projet de loi de ratification en première lecture le 17
octobre 2017, au moyen d’un rapport très fouillé de près de cent cinquante
pages, dont l’objet n’est pas de procéder à la réforme de la réforme. En ce
sens, le Sénat fait preuve d’esprit de responsabilité. Nous avions approuvé les
propos du rapporteur Pillet sur l’actualisation et la modernisation de notre
droit des contrats « avec quelques innovations ». Nous avions également
approuvé comme contestable l’idée que le juge puisse, dans le dispositif de
l’imprévision, modifier le contrat. Au total, le Sénat identifie quatorze
amendements apportant les corrections minimales qui s’avéraient
indispensables... Sur plus de trois cent cinquante articles.
Nous n’entrerons pas ici dans le détail, sachant que
certains amendements concernent des « erreurs de plume », modifications de
vocabulaire ou changements de terminologie. Il convient par contre de souligner
l’analyse faite sur trois points majeurs que notre groupe de travail « ad hoc »
avait identifiés dès notre première contribution d’avril 2015 :
• la distinction entre articles d’ordre public et
règles supplétives ;
• l’articulation entre droit commun et droit spécial ;
• trancher clairement la question de l’application de
la loi nouvelle aux contrats en cours.
Parmi les modifications principales, on notera la
définition du contrat d’adhésion (article 1110), un délai de deux mois au lieu
du « délai raisonnable » (article1123), la définition de dépendance économique
(article1143) et l’exigence d’un écrit en cas de cession de dette ou de créance
(article1327). L’Assemblée nationale, sur le fondement du rapport du député
Sacha Houlié en date du 29 novembre 2017, se concentre sur le rapport du Sénat.
On notera au passage qu’au travers des cent treize pages de ce rapport, la
commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pas jugé utile de consulter
l’AFJE, que ce soit par écrit ou au moyen d’une audition. Le 11décembre 2017,
l’Assemblée nationale entérine en première lecture le projet de loi de
ratification, adoptant en particulier cinq modifications en ce qui concerne le
Sénat. Comme on a pu le lire, trois heures de débats parlementaires avec une «
poignée de députés présents ne maîtrisant pas le sujet »... Pour quinze ans de
travail !
Le 22 janvier 2018, le rapporteur Pillet remet un
rapport en deuxième lecture devant la commission des lois du Sénat, avec
quelques modifications importantes : définition du contrat d’adhésion (article1110)
et entrée en vigueur de la loi de ratification au 1er octobre 2018. Le Sénat
maintient sa position quant à l’imprévision (article 1195). Il adopte ce texte
en deuxième lecture le 1er février 2018. L’Assemblée nationale prépare alors la
seconde lecture du projet de loi sur le fondement du rapport du député Sacha
Houlié en date du 7 février 2018. Sur les neuf articles en discussion avec le
Sénat, cinq voient l’Assemblée nationale accepter de se ranger du côté de la
chambre haute. Mais la chambre basse refuse de rejoindre la position du Sénat
sur l’imprévision. L’Assemblée nationale adopte en deuxième lecture le rapport
Houlié le 15 février 2018.
La commission mixte paritaire (CMP) est convoquée le
14mars 2018, avec trois points en discussion: • la caducité de l’offre en cas
de décès de son destinataire (article1117) ;
• les clauses pouvant être contestées en raison d’un
caractère prétendument abusif dans les contrats d’adhésion (article 1110) ;
• la révision judiciaire du contrat à la demande d’une
seule partie en cas de changement de circonstances imprévisible (article1195).
L’Assemblée nationale accepte la position du Sénat sur les deux premiers points
et le Sénat accepte d’abandonner sa position sur l’imprévision.
À partir de là, l’Assemblée nationale adopte
définitivement les conclusions de la CMP le 22 mars 2018, et le Sénat fait de
même le 11 avril 2018. Au-delà de la correction de quelques malfaçons, des
points importants sont améliorés :
• la définition du contrat d’adhésion (article 1110),
après trois modifications proposées ;
• le sort des sûretés en cas de cession de
contrat ou de dette (art.) ;
• la réticence dolosive (article 1112-1) ;
• le champ de la prohibition des clauses abusives
(article 1171).
Une réforme historique
Reste que la question la plus débattue a été celle des
prérogatives du juge en matière d’imprévision. Le débat a été idéologique, si
ce n’est politique. L’Assemblée a accusé le Sénat d’adopter une position
libérale sur ce point, alors que l’Assemblée, soutenue par le gouvernement,
souhaitait s’en tenir à une vision sociale de la question, vision voulue dès le
départ par le garde des Sceaux de 2015. Ainsi que l’explique le Sénat, il
fallait faire preuve de pragmatisme : l’article est supplétif, la « menace »
du recours au juge avec le pouvoir de réviser le contrat se voulait comme un
repoussoir ou un «épouvantail » afin de convaincre les parties à
aboutir à un accord. Notre groupe de travail s’est depuis fort longtemps
exprimé sur ce sujet. Oubliée l’attractivité de l’article 1195à
l’international, nos collègues anglo-saxons pouvant considérer comme «
hérétique » le pouvoir donné au juge de modifier le contrat ! Alors, le Sénat
considère comme « mort-né » cet article. L’avenir le dira ! On notera au
passage que la loi de ratification exclut du champ d’application de l’article
1195 les obligations résultant d’opérations sur les titres et les contrats
financiers.
En conclusion, de nombreuses personnalités ont
mentionné le caractère « historique » de cette réforme, après
un « travail titanesque » ou « colossal » du
Sénat. Nous verrons bien à l’entrée en vigueur la loi de ratification (1er
octobre 2018) ce qu’il en adviendra. Pour ce qui nous concerne, nous, juristes
d’entreprise français, sur les quinze articles de la loi de ratification, seuls
quatre articles de fond ont modifié les dispositions de l’ordonnance sur les
plus de trois cent cinquante articles du texte de droit positif depuis le 1er
octobre 2016. On ne peut que se féliciter, nous, praticiens au quotidien, de
l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve les parlementaires.
Quant à ce point des régimes de droit transitoire,
nous aurons ainsi :
• un premier régime avant le 1eroctobre 2016(ancien
Code civil jusqu’au 30 septembre 2016) ;
• un régime entre le 1er octobre 2016 et le
30septembre 2018 ;
• et le dernier régime à compter du 1er octobre
2018. Le tout sous réserve de dispositions particulières entrant en vigueur
avant les dates prévues. Rappelons à cet effet que dès la publication de
l’ordonnance du 10 février 2016, la question s’était posée d’un maintien en
vigueur de l’ancien Code civil décidé « inter partes » à propos de tel ou tel
contrat. La réponse de la doctrine avait été positive, sous réserve des règles
d’ordre public. À la fin de ce travail de plus de trois ans, gardons à l’esprit
cette phrase de J.E.M. Portalis : « Les lois sont faites pour les
hommes et non les hommes pour les lois ».
Dernier point, à titre d’incidente, nombre de
parlementaires ont demandé à ce que l’avant-projet de loi du 13 mars 2017 portant
réforme du droit de la responsabilité civile ne fasse pas l’objet d’ordonnance
mais passe bien par la voie parlementaire. Au-delà de l’aspect incantatoire,
car les deux chambres ont souligné à de multiples reprises que la réforme du
droit des contrats aurait dû suivre la voie parlementaire en raison de son
caractère « éminemment politique » et non technique (?), il
avait été décidé dès 2015 que cette réforme passerait par la voie du Parlement.
Quant au calendrier, nous avons compris que rien ne
serait fait avant la fin2018 ou au début de 2019. Pour être complet, on notera
que la commission des lois du Sénat a créé le 7 mars 2018 une mission
d’information sur la responsabilité civile dont les rapporteurs sont les
sénateurs Jacques Bigot et François Pillet. Cette mission d’information a créé
un « espace participatif » destiné à recueillir tous
commentaires, remarques et observations sur l’avant-projet de loi du 13 mars
2017. Les contributions sont reçues jusqu’au 31 mai 2018. Le groupe de travail
«ad hoc» de l’AFJE apportera sa contribution sous forme de réponses aux
questions posées par la mission d’information. Rappelons que l’AFJE avait
soumis en date du 6 septembre 2016 une première contribution à la Chancellerie
sur le premier projet et avait été reçue par la Chancellerie le 16 décembre
2016 à ce sujet. Mais, comme le disait Rudyard Kipling, « Ceci est une
autre histoire ».
Maurice
Bensadoun,
administrateur de l’AFJE
& animateur du groupe de travail AFJE sur la réforme du droit des contrats