La Cour de cassation a
organisé, le 5 avril dernier, une conférence pour rendre compte des
nouvelles règles de rédaction de ses arrêts, qui prendront effet le 1er octobre
2019. Parmi ces changements : les paragraphes seront numérotés, le style
sera direct et le « attendu
que » sera supprimé. En
outre, les arrêts les plus importants bénéficieront d’une motivation enrichie.
Explications.
Lors de son discours d’installation, le 16 juillet 2014, en tant que
Premier président, Bertrand Louvel avait déjà affirmé qu’il était temps, pour
la plus haute juridiction de France, de réfléchir « sur la place, le
rôle et les méthodes de la Cour de cassation ».
À l’automne 2014, à son initiative, une démarche « collective,
large et très ouverte » fut donc engagée afin de réfléchir aux « évolutions
possibles et souhaitables en matière de motivation [des] décisions ».
Plusieurs raisons nécessitaient, selon le Premier
président de la Cour de cassation, d’entreprendre cette démarche. Ce dernier
les a explicitées lors d’un discours prononcé le 14 septembre 2015, en
ouverture des travaux de la commission de réflexion dédiés à la
motivation ; commission dont les travaux ont été présidés par
Jean-Paul Jean, président de chambre.
Il y a d’abord l’émergence de cours supranationales,
et en particulier de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci exerce
en effet un contrôle qui bouscule celui du juge de cassation « en
subordonnant les arrêts de la Cour de cassation au regard d’une juridiction qui
[révise] profondément les appréciations de fait à partir de quelques principes
de droit aux développements toujours plus étendus ».
Par ailleurs, dans notre société actuelle, le
principe d’ « une communication externe limitée à la production
d’une jurisprudence très technique à destination d’un public initié (…) peu
critique envers une institution judiciaire » ne peut plus avoir cours.
En effet, la libéralisation complète de l’expression publique a remis en cause
l’autorité relative des arrêts « par une communication sociale
permettant désormais à tous, par-delà même les parties et les initiés, de
connaître, de commenter, d’interroger en temps réel le sens et la portée
possible des décisions », a expliqué Bertrand Louvel dans son
allocution.
Enfin, a-t-il rappelé, le droit n’est plus désormais
une matière réservée à l’élite, « l’apanage de quelques-uns, et dont la
société était invitée à bénéficier sans être jugée apte à les comprendre ».
Le justiciable à notre époque n’accepte plus en effet qu’on lui impose une
solution juridique sans qu’il en comprenne les raisons. Il demande sans cesse
explications et justifications de la part de la Cour.
Un grand nombre de citoyens attendent d’elle par
exemple « qu’elle explicite la part du raisonnement proprement
juridique entrant dans la décision et celle des données techniques, économiques
et sociales qui l’ont déterminée », a ajouté le Premier président de
la Cour de cassation.
Bref, tous les repères ancestraux au sein desquels
la Cour de cassation a évolué pendant des siècles sont aujourd’hui bouleversés.
Sauf à « hypothéquer son existence
même », la Cour de cassation doit donc s’adapter, a affirmé Bertrand
Louvel dans son intervention.
Suite aux travaux de la première commission, en mars
2017, une autre commission pilotée par Bruno Pireyre, président de chambre, a
été chargée de proposer des choix précis, et d’élaborer un « dispositif
opérationnel ». À la mi-décembre 2018, cette commission a achevé ses
travaux.
En début d’année 2019, grâce à l’ensemble de toutes ces réflexions, la
Cour de cassation a pu prendre des solutions concrètes et les formaliser afin
qu’elles servent de règles rédactionnelles. Ces dernières prendront effet au 1er octobre
2019.
Les nouvelles règles à appliquer
Lors de la conférence du 5 avril dernier, le
Premier président de la Cour de cassation, le procureur général François Molins
et de nombreux présidents de chambre sont revenus en détail sur ces nouvelles
règles de rédaction des décisions de la Cour, ainsi que sur la motivation
développée des arrêts les plus importants.
D’abord, en ce qui concerne le libellé des arrêts,
que leur motivation soit traditionnelle ou développée, il est prévu, dès la fin
2019, que ceux-ci contiennent trois parties intitulées de telle manière :
• faits et procédure ;
• examen des moyens du pourvoi (critique de la décision attaquée) ;
• dispositif de l’arrêt (ce qu’il décide).
Quant à la phrase unique, introduite par « attendu
que », la commission qui a élaboré ce projet a décidé de l’abolir au
profit d’un style plus direct, avec des paragraphes numérotés accompagnés de
titres de plusieurs niveaux.
« On a une vieille tradition d’écriture en “attendu
que” qui est au service de ce style très rapide qui est dans notre
tradition. Or, on se rend compte que quand on sort de ce style, on libère
davantage l’écriture », a ainsi déclaré Bertrand Louvel dans une vidéo
postée sur le site de la Cour de cassation.
Concernant la motivation en forme développée des
arrêts, « elle doit permettre un accès au droit plus précis et plus
informé », indique le site de la Cour de cassation.
« Souvent les arrêts de la Cour ont été
critiqués pour leur caractère obscur ou lapidaire », a regretté de son
côté le procureur général François Molins, « or, les justiciables ont
besoin de décisions de justice claires et intelligibles », a-t-il
ajouté.
« Pour rendre plus lisibles nos décisions,
nous allons davantage les développer, notamment en montrant qu’elles sont au
service des droits fondamentaux de l’individu. Nous rendons aussi des décisions
de principe qui sont nouvelles, qui n’ont pas de précédent, et il nous faut
expliquer pourquoi nous choisissons telle solution plutôt que telle autre »,
a expliqué Bertrand Louvel.
Reste que la motivation en forme développée
s’appliquera seulement à des arrêts particuliers, comme ceux qui : opèrent
un revirement de jurisprudence ; tranchent une question de principe ou
présentent un intérêt marqué pour le développement du droit ; procèdent à
l’interprétation d’un texte nouveau ; présentent un intérêt pour l’unité
de la jurisprudence ; mettent en jeu la garantie d’un droit
fondamental ; ou tranchent une demande de renvoi préjudiciel à la Cour de
justice de l’Union européenne ou une demande d’avis consultatif à la Cour
européenne des droits de l’homme.
Bref, aujourd’hui « l’obscurité n’est plus
le signe de la richesse de la pensée », a résumé François Molins.
Maria-Angélica Bailly