Le président
du Cercle, Jean Castelain, et Danielle Monteaux, déléguée générale, ont invité
Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée, à
l’École normale supérieure. Spécialiste de l’Islam et du
Monde arabe, le professeur nous esquisse sa compréhension géopolitique de la
région sur plusieurs décennies.
En octobre 1973, la guerre du Kippour ou guerre du Ramadan, est
déclenchée, rappelle le professeur. Les égyptiens
et les Syriens profitent du jeûne juif du kippour pour attaquer. C’est
également la période du ramadan. Sans nourriture du lever au coucher de soleil,
il est compliqué d’envoyer des soldats au combat. C’est pourquoi les oulémas
proclament le djihad, dans ce cas précis, une guerre sainte
pour défendre la communauté. Il suspend les obligations inhérentes au ramadan.
Les Israéliens, soutenus par un pont aérien américain, passent le canal
de Suez.
Leur position arrive proche du Caire.
Le roi Fayçal d’Arabie saoudite convoque une conférence
des chefs d’États arabes exportateurs de pétrole, les 16 et 17 octobre, au
Koweït. Ensemble, ils proclament l’embargo des livraisons. Ce bouleversement
provoque crise de l’énergie, inflation, remise en question du modèle
économique, apparition du chômage de masse. Les USA demandent à l’Israël
d’abandonner sa marche victorieuse vers le Caire.
L’Égypte et la Syrie sont marginalisées. Des revenus pétroliers
colossaux arrivent dans la péninsule arabe qui commence à islamiser le discours
politique. L’Arabie saoudite devient la puissance dominante de la région. En
1979, au cours de la révolution islamique iranienne, l’Ayatollah Khomeiny met
en place un discours politique islamisé différent, à savoir anti saoudien et
anti américain. Le 4 novembre 1979, des militants se réclamant du guide de
la révolution prennent en otage les personnes présentes à l’ambassade
américaine de Téhéran. Ils exigent l’extradition du Shah d’Iran, Mohammad Reza
Pahlavi, exilé aux États-Unis. Par cette agression extra nationale, la
révolution islamique modifie le système géopolitique. La République islamique
devient un pôle d’attraction pour musulmans révolutionnaires. L’accord de paix
israélo-égyptien à peine signé, la zone conflictuelle se déplace vers le golfe persique, avec le
pétrole pour enjeu.
Gilles Kepel souligne que le djihad a occupé une place importante dans
l’islam classique, puis il a perdu de son importance après le 19e siècle. Les Américains et les Saoudiens en ont refait un élément clé des
relations internationales. Avec l’Afghanistan, il fait trébucher l’Union
soviétique et déclenche la fin de la guerre froide. À ce moment, les
djihadistes commencent à voyager, de l’Europe ou d’ailleurs vers
les zones de conflits. Le djihadisme essaie aussi, mais sans succès, de
s’importer dans les pays dont sont originaires certains de ces voyageurs :
Égypte (attentat du temple d’Hatshepsut à Deir el-Bahari), Algérie (massacre de
Bentalha), Bosnie, etc. Oussama Ben Laden, fondateur d’Al Qaïda (littéralement
la base), analyse ces échecs d’implantation et estime que, comme les Iraniens,
il faut engager une action spectaculaire. Le résultat, réponse des sunnites aux
shiites, se formalise en quatre attentats suicide sur le sol des États-Unis, le
11 septembre 2001.
En 1990, Saddam Hussein, alors ami de l’Occident, attaque
l’Iran. L’Iran réplique et s’en prend simultanément aux pétromonarchies.
Depuis, l’antagonisme sunnite chiite connaît une escalade permanente.
Cette opposition peut se voir comme celle des protestants et des
catholiques qui a occasionné nombre de crimes dans notre passé. Les vignettes
des débuts de l’imprimerie témoignent de la sauvagerie de cette période. Elles
sont tout à fait comparables aux vidéos de Daesch.
Vladimir Poutine est à l’origine d’une alliance complexe avec l’Iran.
Grâce à elle, aujourd’hui, en Syrie, les moyens russes comme la base aérienne
de Lattaquié et les troupes fournies par l’Iran ont permis de maintenir Bashar
Al Assad au pouvoir. Le président russe a en mémoire l’Afghanistan et ne veut
pas du même avenir en Syrie. Il cherche une conclusion politique qui puisse
attirer des investissements européens pour la reconstruction du Levant. Les
Iraniens considèrent plutôt la Syrie comme une base potentielle de lancement de
missiles vers Israël. Cette capacité de frappe est une garantie qui les
préserve d’une attaque américaine. Samedi 4 mai dernier, une centaine de
roquettes ont été tirées depuis Gaza. Quelques-unes ont traversé le dôme de
fer, système de défense antiaérien d’Israël. Six Palestiniens et un Israéliens
sont morts.
Les États-Unis ont dépêché leur porte-avion Abraham Lincoln sur site.
Cette tension et les multiples acteurs impliqués pourraient conduire au
déclenchement involontaire d’un conflit armé.
En dernier point, le professeur nous parle du missile russe S-400,
particulièrement sophistiqué, redouté par l’OTAN où il crée actuellement la
zizanie. À l’origine, le
président turc, Recep Tayyip Erdogan, suite au coup d’état qu’il a déjoué le
15 juillet 2016, s’est estimé abandonné par l’OTAN, en particulier par les
Américains. Il s’est rapproché de Vladimir Poutine et a acheté à la Russie ses
fameux missiles livrables à l’été 2019. La Turquie est la seconde armée, en
termes d’effectifs, après les USA. Pour l’OTAN, c’est un casus belli et la Turquie ne peut plus y
siéger. À suivre…
C2M