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Rentrée judiciaire de la cour d’appel de Paris : retour sur le bilan 2019

Rentrée judiciaire de la cour d’appel de Paris : retour sur le bilan 2019
Publié le 22/01/2020 à 11:21

La dyarchie de la cour d’appel de Paris a clôturé l’année 2019. Les thèmes principalement développés ont été l’analyse de l’autorité et la politique de qualité entreprise par le ministère public.





En introduction de son allocution, le Premier président Jean-Michel Hayat, a rendu hommage à trois personnalités qui nous ont quittés : Michèle Bernard-Requin, ancienne avocate au barreau de Paris devenue magistrat, Christian Rudloff, président de chambre à la cour d’appel de Paris en retraite, et le bâtonnier Jean-René Farthouat, ancien président du Conseil national des barreaux. Trois figures qui prouvent « s’il en était besoin, que la magistrature et le barreau sont intimement liés, y compris dans l’épreuve ».


La plaquette d’activité de la cour d’appel de Paris confirme la bonne tendance du domaine civil :


baisse des affaires nouvelles, tendance qui se répète depuis 2017 ;


hausse des affaires terminées ;


courbe clairement décroissante des affaires en cours.


Les contrats d’objectifs appliqués depuis 2015, avec la direction des services judiciaires, donnent des résultats, et le dernier mouvement de magistrats a consolidé les effectifs. Autre motif de satisfaction : les effectifs de greffe, ont été revus à la hausse.


Par ailleurs, la chambre commerciale internationale démontre régulièrement son attractivité et concentre depuis septembre 2018 :


92 procédures inscrites au rôle, dont 32 concernent des recours contre des sentences arbitrales internationales ;


90 affaires nouvelles en 2019 ;


26 affaires d’ores et déjà terminées.


Internationale sans conteste, quand elle, a entendu 281 parties issues de 62 pays dont 24 en Europe. Rapide, elle statue sur sa compétence en quatre mois et rend un arrêt sur le fond en onze. La chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris offre donc des qualités recherchées pour un périmètre de traitement des affaires pourvu en compétiteurs.


Jean-Michel Hayat s’est ensuite tourné vers le nouveau bâtonnier de Paris, Maître Olivier Cousi, afin de le féliciter d’une part, et, d’autre part, pour évoquer deux types de contentieux sur lesquels la Cour porte une attention accrue :


le traitement des appels des ordonnances de taxation des honoraires d’avocats par les bâtonniers réclament un délai moyen de 35 mois. Le stock dénombre plus de 2 000affaires. En multipliant les audiences, la Cour entend réduire cette attente d’un an ;


de la même façon, les moyens alloués au traitement des appels d’ordonnances de non conciliation en matière familiale seront renforcés pour améliorer la fluidité du pôle famille de la cour d’appel.


Face à un accroissement permanent du nombre d’affaires nouvelles et à « la déferlante » annoncée en matière de terrorisme, le Premier président demande la révision à la hausse de la localisation des emplois de magistrats. Une nouvelle formation de chambre de l’instruction et une nouvelle formation correctionnelle paraissent indispensables.

" [...] Le tribunal de Paris prépare activement l’organisation devant la Cour d’assises spécialement composée, du procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 qui se tiendra en avril 2020 et [que] la cour d’appel en fait tout autant pour le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui devrait avoir lieu, dès la mi-janvier 2021, autant de procès dont la dimension hors normes n’échappera à personne, mobilisant pour des mois et des mois, de nombreux magistrats de la Cour et du tribunal". a ajouté Jean-Michel Hayat.


Jean-Michel Hayat


Le Premier président a ensuite salué les présidents nommés en 2019 dans quatre juridictions du ressort avant de détailler précisément les efforts et le travail accomplis à Bobigny, Évry, Meaux, Melun, Paris, Fontainebleau et Sens.


En 2020, l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile, et notamment de l’exécution provisoire de plein droit des jugements de première instance, source d’inquiétudes chez les avocats, justifie la considération de quelques chiffres significatifs de 2017 à Paris :


taux d’appels des jugements des tribunaux d’instance (hors protection des majeurs) : 7 % ;


taux d’appel des jugements des tribunaux de commerce : 17 %  ;


taux d’appel des jugements TGI (hors incapacité des mineurs) : 33 %  ;


taux d’appel CPH : 57 %.


Plus en détail, dans les différents pôles de la Cour concernant :


les référés, traités par le pole 1, le taux de confirmation est de 48 % ;


les contentieux civils spécialisés, aux pôles 2 et 4, les taux de confirmation sont respectivement de 60 et de 67 % ;


au pôle économique, le taux de confirmation est de 65 % ;


au pôle social, le taux de confirmation est de 76 % ;


au pôle famille, le taux de confirmation est de 78 %.


Ces statistiques, et d’autres à venir en matière pénale, éclaireront les discussions avec les barreaux et permettront d’ajuster les moyens.


L’open data, libre accès du public aux décisions de justice rendues, soulève des questions comme la méthode d’anonymisation à suivre par exemple.
Le projet de décret confie l’occultation
à trois autorités distinctes :


celle des parties et des tiers, au président de la formation de jugement ;


celle des magistrats du siège et du greffe, au président du tribunal judiciaire ou au Premier président ;


celle des magistrats du parquet, au procureur de la République ou au procureur général.


Concrètement, vu les volumes à prendre en charge, comment réaliser cette tâche conséquente et chronophage ? Par ailleurs, un risque existe de rendre la décision incompréhensible. Comment s’en prémunir ?


Pour répondre à ces problématiques, Jean-Michel Hayat suggère à la Chancellerie l’organisation d’une concertation, dans l’objectif d’aboutir, sur ce sujet, à un consensus satisfaisant pour le législateur, le justiciable et le personnel de Justice.


Avec la réforme de la mise en état, du divorce, de la procédure accélérée sur le fond, l’assignation avec date, l’exécution provisoire de plein droit, le bloc-peines, le Code de la justice pénale des mineurs et pour ce qui concerne plus spécifiquement le ressort de la cour d’appel de Paris, la JUNALCO (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) et le contentieux terroriste, l’année 2020 s’annonce chargée.


Le Premier président a conclu par le vœu « que la Cour et les juridictions du ressort puissent continuer à progresser, non pour nous en glorifier mais pour le seul profit des justiciables, au nom de l’intérêt supérieur de la Justice ».


Prenant la parole à son tour, Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d’appel de Paris, s’est associée à Jean-Michel Hayat et a eu une pensée à la mémoire de Michèle Bernard-Requin et à celle de Christian Rudloff, avant de résumer l’activité juridictionnelle de l’année écoulée.


 


Activité juridictionnelle de la cour d’appel en 2019


Concernant le pénal, la charge de travail ne faiblit pas, ayant amené les chambres de l’instruction à statuer sur plus de 7 000 affaires durant l’année. Il est à noter que les procédures volumineuses ont entamé la capacité à rendre des décisions dans des délais légaux contraints. L’activité de la chambre de l’application des peines augmente. Le nombre de dossiers terroristes progresse. 144 affaires ont été jugées en 2019 contre 100 en 2018. Les chambres correctionnelles ont traité près de 10 % d’affaires supplémentaires en 2019. Malgré cela, le stock ne cesse de croître. Les affaires JIRS accaparent une bonne partie de l’activité des chambres correctionnelles des pôles 5 et 8. La création de la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) accentuera le phénomène dans un tribunal déjà saturé de dossiers. Les prévisions augurent une forte augmentation des affaires criminelles : 13 audiencées au premier semestre 2020 (attentats de janvier 2015) et 11 affaires dont 5 en appel devraient être jugées au second semestre (attentats de Villejuif et du Thalys). La vague continuera en 2021 avec, par exemple, le procès des attentats du 13 novembre.


La procureure générale attend une libération de moyens humains proportionnée avec cette activité intense. Elle a chaleureusement remercié les magistrats et les fonctionnaires du parquet général, ainsi que les onze procureurs du ressort. Ensemble, « ils incarnent une magistrature debout, […] un acteur majeur de la qualité de la justice pénale ».


 


La qualité, un axe central


Catherine Champrenault a assuré que le ministère public agit pour une justice de qualité. Les Français s’en plaignent mais même insatisfaits, ils lui demandent d’être toujours plus présente. Le magistrat voit dans cette contradiction à la fois un encouragement pour sa mission, mais aussi une remise en question. Les critiques pointent les délais lents ou express, les sanctions dures ou légères, quelquefois le manque d’humanité ou l’inverse. Peu écoutée, mal comprise, la justice est ressentie comme imparfaite. Pourtant, son fonctionnement est essentiel à la préservation des droits de chacun dans une société démocratique.


Rendre un jugement certain et instantané est une utopie, car la vérité judiciaire réclame du temps. Cependant, l’institution judiciaire a intégré l’attente de rapidité depuis longtemps. Pour circonscrire les délais, elle a donc mis en place les procédures rapides, les comparutions immédiates ou COPJ, les procédures simplifiées telle que la CRPC, tout en prenant soin de préserver la qualité de son office. En 2019, le parquet général et les parquets du ressort ont mené plusieurs actions en ce sens.



 Catherine Champrenault



Encourager la qualité


Catherine Champrenault a organisé sa politique avec l’objectif d’adapter la réponse pénale aux évolutions de la criminalité, de délivrer une réponse appropriée.


Ainsi, les stages de sensibilisation, alternative aux poursuites, pour les auteurs d’infractions de gravité moyenne et les primo-délinquants ont été nettement utilisés par les parquets. Ils s’appliquent à 3 600 personnes par an sur le ressort, soit une hausse de près de 50 % en deux ans. Souvent en partenariat avec le monde associatif, les stages dispensés abordent :


les stupéfiants ;


l’insécurité routière ;


la responsabilité parentale ;


les violences conjugales ;


les achats sexuels ;


la citoyenneté avec des modules spécifiques de nature à sensibiliser les participants aux actes de racisme et d’antisémitisme, ou de sexisme ;


les fraudes aux prestations sociales…


Ces mesures alternatives aux poursuites démontrent l’investissement du ministère public dans les politiques partenariales locales, notamment avec les 21 maisons de justice et du droit. En 2019, les juridictions du ressort ont par ailleurs intensifié la personnalisation des peines. Le recours aux aménagements ab initio, dès le prononcé de la peine, a progressé de 33 % contre 26 % pour l’ensemble du territoire.


Le 24 mars 2020 s’appliquera la loi du 23 mars 2019 qui prohibe les courtes peines d’emprisonnement. Il conviendra de préparer l’opinion publique à ce changement et d’accompagner les acteurs judiciaires impliqués.


 


Spécialisation de contentieux


Tous les parquets du ressort ont désigné des magistrats référents par type de contentieux : habitat insalubre, environnement, dopage, racisme et discrimination, radicalisation, violences conjugales, et prostitution des mineurs. Outre les bons résultats dus à cette spécialisation, le procédé redonne, entre deux traitements urgents, des instants de réflexion vitaux pour la préservation du sens et de l’attractivité du métier, pour la qualité de son office.


 


Spécialisation des contentieux techniques ou complexes


La qualité de la justice passe par une spécialisation aux contentieux techniques ou complexes. Le parquet national financier et le parquet national antiterroriste en sont deux concrétisations efficaces. Depuis sa création il y six ans, le parquet national financier a prouvé l’utilité de son expertise. Il a en effet permis au trésor public de recouvrer près de 7 milliards d’euros. Né il y a six mois, le parquet national antiterroriste est déjà requis, depuis sa création, dans dix affaires criminelles. En 2020 et 2021 se déroulera la lourde tâche du jugement en cour d’assises des attentats terroristes qui ont touché la France en janvier et novembre 2015. Le parquet général de Paris compte également un département antiterroriste riche de sept magistrats et des groupes de travail pluridisciplinaires, associant des magistrats, des chercheurs, des philosophes, de psychiatres ou des psychologues, afin de cerner le processus de la radicalisation violente, et du passage à l’acte. Une JIRS nationale a été créée à Paris pour lutter contre le crime organisé auteur d’affaires complexes. La « JUNALCO » s’est saisie depuis septembre 2019 de quatre affaires.


 


La qualité dans les contentieux du quotidien


La procureure générale a décidé de mettre en place une expérimentation au sein de la cour d’appel de Paris aux fins d’évaluer en profondeur les personnalités des mis en cause dans les procédures de violences conjugales. Catherine Champrenault préconise aux parquets d’avoir recours à la nouvelle procédure de comparution à délai différé issue de la loi du 23 mars 2019 et de requérir, auprès d’un pool de 14 experts psychiatres ou psychologues, des examens sur le profil de l’agresseur dans une période d’environ six semaines. Cette méthode d’investigation poussée apporte un gage de qualité de la décision rendue.


Le parquet général entend également accentuer son effort sur les questions environnementales. Au-delà de la santé publique, l’ensemble des parquets sont concernés par la hausse des procédures en matière de pollution des sols, de l’air, de l’eau, des transports et en matière d’habitats indignes, etc. Des partenariats seront établis avec les collectivités territoriales dans un but de prévention des atteintes à l’environnement.


La qualité est vectrice d’efficacité, elle suscite l’adhésion, elle inspire la confiance. La justice rend compte de son activité pour être comprise dans une société toujours plus difficile à comprendre. Elle participe à sa préservation.


 


 


 


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