La Chambre des Notaires
de Paris organisait sa 2e édition du Forum des Technologies et du
Notariat au Pavillon Cambon, à Paris, le 8 novembre dernier. À côté de la
partie stand, où une quarantaine d’exposants (dont le JSS) étaient présents
pour faire la démonstration d’outils technologiques et digitaux développés par
la profession ou pour son compte, les notaires et leurs collaborateurs ont
également pu assister à une série de conférences thématiques. De quoi faire le
point sur les opportunités mais aussi les risques apportés par la
transformation numérique.
« Vous n‘êtes plus en
train de subir, vous pouvez devenir des acteurs ! Au-delà de votre
profession réglementée, vous évoluez dans un monde très complexe, qu’il va
nécessairement falloir intégrer »,
a lancé Gilles Babinet, chahutant son public de notaires, à l’occasion de la 2e édition
du salon TechNot,
le 8 novembre dernier. Et pour s’intégrer, l’ancien digital champion
auprès de la Commission européenne, professeur associé à Sciences Po l’a
assuré : il ne saurait y avoir de transformation s’il n’y a pas, en amont,
de volonté forte du management. « Chez vous, de ce que j’ai observé, la
transformation a déjà été mise en œuvre. Mais il va falloir transformer la
nature du capital humain, l’expertise de vos collaborateurs, changer la nature
même de votre “business”. »
Le professeur a cependant
confié son « horreur des entreprises qui parlent de blockchain et
d’intelligence artificielle », considérant que cela les dépolarisait
de ce qui était important. « Si ces outils vous aident,
utilisez-les ! Mais il faut partir de l’expérience utilisateurs. »
D’après lui, l’avenir, dirigé vers les clients, consisterait donc,
notamment, en la suppression des barrières entre les différentes professions,
afin de fournir une expérience intégrée : « Avec l’IA, des
expériences différentes et inconciliables le deviennent » – par
exemple, dans le cadre d’un déménagement, et de tous les aspects que celui-ci
induit, a-t-il illustré.
En plus de se recentrer sur
les clients, Gilles Babinet a insisté sur la « matière première » :
le capital humain, estimant que les notaires devaient valoriser davantage leurs
jeunes collaborateurs : « Les métiers intellectuels comme le vôtre
ont l’avantage de pouvoir appréhender cette modernité ! »
Pour éviter de se perdre dans
sa transformation, le professeur a indiqué qu’il était important de se « créer
une feuille de route », pour changer son modèle « de façon
radicale », et ne pas hésiter à se donner une perspective de temps
long, à l’instar du fondateur d’Amazon, l’entreprise la plus valorisée au
monde, qui avait prédit son succès il y a 20 ans. « Vous avez déjà
achevé un niveau de transformation important, vous avez virtualisé une grande
partie de vos services. Plutôt que d’être dans la frénésie, donnez-vous du
temps et vous ne serez pas rattrapés. »
Gilles Babinet a également
fait allusion à de nouveaux enjeux – tels que le RGPD, « enjeu de
certification essentiel » –, sur lesquels les notaires pourraient se
positionner. « Pour le moment, on ne sait pas quels acteurs vont faire
cela. C’est donc une grande opportunité pour vous ! » Le
professeur s’est montré optimiste, affichant sa vision du notariat :
« Une profession réglementée qui fait partie du 21e siècle
est une profession qui co-participe à la façon dont la réglementation sera mise
en œuvre dans une logique d’expérience utilisateur, de gains de productivité.
C’est comme cela qu’on allie le meilleur des deux mondes : la
réglementation et l’innovation. »
Objectif
plus-value
Stéphane Adler est président
de Paris Notaires Services (PNS), association créée en 1994 à l’initiative de
la Chambre des Notaires de Paris afin d’offrir des outils aux notaires.
L’association a notamment mis en place un espace notarial collaboratif, qui
permet la mise en ligne des dossiers, « compte
175 000 clients utilisateurs, 28 000 dossiers en ligne, et
plus de 6 millions de documents », a-t-il énuméré. Outre cet
espace collaboratif, PNS a développé une dataroom « pour
catégoriser, analyser, classer », a expliqué Jacques Binard, directeur
des systèmes d’informations. « On travaille avec l’IA pour organiser la
classification de manière automatisée. Avec la blockchain, on sécurise les
accès, on s’assure que la documentation est exhaustive, intègre, que tout le
monde y a accès. » L’association est par ailleurs à l’origine d’un
outil « plateformes promoteurs », en test depuis janvier
dernier, permettant une relation promoteur-notaire (bientôt agrandie au
banquier).
« Plus le digital
progresse, plus l’innovation progresse, plus le business se tourne vers les
experts, dont vous faites partie », a affirmé Stéphane Scarella,
président de la Fédération française de l’Internet immobilier.
Dans la même veine que l’outil
testé par Paris Notaires Services, Sacha Boyer, fraîchement diplômé notaire, a
présenté MyNotary, start-up créée il y a trois ans. Revendiquant « fabriquer
de manière collaborative et digitale la vente immobilière », celle-ci
compte à son actif 1 200 études utilisatrices et
6 000 professionnels de l’immobilier. « Quand on parle
technologie, numérique, on entend blockchain, zéro papier, mais on entend peu “relations
avec l’agent immobilier et le mandataire immobilier”. Pourtant, ils
constituent 60 % du business dans la transaction ! » L’une
des barrières actuelles consisterait, selon Sacha Boyer, en la
non-compréhension mutuelle de ces professions, surtout due au manque de
limpidité : « Aujourd’hui, l’agent immobilier ne sait pas quel est
le collaborateur à qui le dossier a été attribué, si le dossier a bien été pris
en charge, quand aura lieu la signature… Donc il y a des appels, des relances,
des tensions. Quant au collaborateur attributaire, il ne sait jamais si le
dossier qu’il reçoit va être complet ou non ! » MyNotary a ainsi
voulu faire en sorte qu’agents et notaires travaillent main dans la main,
« car celui qui subit, c’est le client, qui a une double
relation ! », en proposant une prise en charge en accéléré.
« En un clic, vous pouvez attribuer un dossier à un collaborateur, et
l’agent sait immédiatement que le dossier a été pris en compte, à qui il a été
attribué. Vous avez également une visibilité, vous voyez le travail qu’il vous
reste à faire pour aller jusqu’au bout dossier. » Le but : faire
économiser du temps au notaire, qui peut ainsi se consacrer sur sa plus-value,
a assuré le startupper.
Un objectif partagé par
Izilaw, qui se voit comme le « doctolib du droit », avec son
outil de relation client destiné à « aider les notaires à fidéliser
leur clientèle, renouveler leur clientèle s’ils le souhaitent, et supprimer
toutes les tâches répétitives à faible valeur ajoutée liées à la prise de
rendez-vous ». La start-up propose un module de prise de rendez-vous
en ligne, pour créer un premier contact avec un client actuel ou un prospect,
et un module de rendez-vous multi-participants. « Vous pouvez vous
rendre accessibles, avec des nouveaux canaux d’acquisition et de maintien de la
clientèle, que vous pouvez paramétrer et adapter. Le principal est que vous
déterminiez en amont ce que vous souhaitez en faire », a précisé Charles de Braquilanges, l’un de ses
fondateurs.
La
révolution numérique, aubaine
pour la cybercriminalité
La révolution numérique
profite certes à de nombreux acteurs, mais nourrit aussi ceux qui peuvent être
particulièrement mal intentionnés, faisant le bonheur de la cybercriminalité.
Alain Bouillet, président du
Club des experts de la sécurité de l’information et du numérique (CESIN), est
ainsi revenu sur les risques qui peuvent être rencontrés par les notaires comme
par toute entreprise, parmi lesquels ransomwares et malwares.
« À cause de la forte digitalisation de tous les processus, votre
système informatique est à genoux quand il est attaqué », a-t-il
souligné. Comment alors limiter les risques de piratage ?
Alain Bouillet a notamment recommandé de n’utiliser que des systèmes
d’exploitation « supportés ». « Quand les logiciels ne
sont pas à jour, c’est une porte d’entrée pour les hackers. C’est à partir de
ce moment que les ennuis commencent. » Le président du CESIN a
également conseillé de ne pas être administrateur de son poste pour réaliser
des interventions quotidiennes. « Si un hackeur vient prendre la main
sur votre poste et que vous avez des droits d’administrateur, il sera le roi du
pétrole ! » D’autres mesures simples, « b.a-ba en matière
de sécurité » selon lui : se doter d’un antivirus, de préférence
payant, et effectuer fréquemment des sauvegardes. « Des sauvegardes que
vous ne devez pas laisser branchées sur le système de production, car lors
d’une attaque par ransomware, votre disque dur que vous avez oublié de
débrancher du port USB est chiffré lui aussi, et là vous n’avez plus que vos
yeux pour pleurer… » Par ailleurs, les entreprises optent de plus en
plus pour les cyber assurances, via lesquelles l’assureur propose des contrats
spécifiques contre un certain nombre de risques. Elles sont ainsi couvertes si
leur système a été indisponible pendant un certain temps.
Malgré les précautions prises,
des attaques peuvent être perpétrées. « Quand vos données ont été
chiffrées et que vous recevez un message vous demandant d’envoyer des Bitcoins
pour que vous soit envoyée une clé de déchiffrement, déjà, je vous recommande
de ne pas envoyer vos Bitcoins », a souri le spécialiste. Ainsi, lors
d’une suspicion sérieuse de fraude, la première chose à faire est de ne toucher
à rien, et de ne surtout pas formater les ordinateurs, sous peine d’effacer des
preuves, ce qui rendrait impossible la découverte a posteriori de
l’origine du problème.
Violation des données et perte de confidentialité :
CNIL et RGPD
Au-delà d’un système paralysé,
la question des données est centrale. Selon les derniers chiffres de la CNIL,
depuis mai, 750 violations de données ont ainsi été notifiées.
« De notre côté, nous
avons à déplorer une première notification de violation de données d’une étude
que nous avons effectuée auprès de la CNIL », a indiqué Aurélie
Merquiol, présidente de Cil.not, filiale de l’Association pour le Développement
du Service Notarial français, et correspondante informatique et libertés du
notariat sur mandat du Conseil supérieur du notariat. Cette dernière est
revenue sur l’obligation liée au RGPD, entré en vigueur en mai dernier, de
notifier toute violation de données dans les 72 heures à l’autorité de
contrôle, en cas de risque.
La violation des données,
a-t-elle rappelé, constitue une perte de confidentialité ou une potentialité de
perte de confidentialité. Il est donc nécessaire de qualifier la nécessité ou non
de notifier la violation selon le risque identifié au préalable. Cette
opération relève de l’expertise du délégué à la protection des données, qui va
accompagner le notaire pour analyser ce risque, en fonction d’une grille
fournie par la CNIL.
Si Aurélie Merquiol a
considéré que le RGPD n’avait pas réellement créé de rupture, la loi de 1978
ayant été reprise en totalité par le règlement européen, elle a toutefois
souligné de nouvelles obligations, au titre desquelles l’instauration d’un type
d’interlocuteur inédit : les délégués à la protection des données. « Le
Règlement rend obligatoire ce délégué pour toutes les entreprises qui traitent
de la donnée, pour les autorités publiques ou les entités qui ont une mission
de service public, et pour les entreprises qui traitent des données sensibles.
Les notaires sont donc concernés à double titre : de par leur mission
d’officiers publics, mais aussi car ils traitent de données sensibles ».
Selon Aurélie Merquiol, le notariat n’a pas attendu le RGPD pour se soucier de
cette question, Cil.not ayant été mis en place par la profession dès 2007 – ce
dernier a simplement été transformé en délégué. Tout notaire ou toute étude
peut donc décider de le désigner, ou bien un cabinet de conseil ou d’audit, ou
alors un collaborateur en interne, à condition qu’il ne soit pas notaire
associé, a-t-elle précisé. Autre nouveauté qui concerne les notaires : le
principe de responsabilité, puisque tous les sous-traitants du responsable de
l’étude seront par principe co-responsables du traitement des données à
caractère personnel. « Contrairement aux États-Unis où il y a une sorte
de droit de propriété sur les données des autres, en Europe on continue à
penser qu’on ne peut pas en disposer. C’est pourquoi le droit d’accès, de
rectification et d’opposition, qui existaient déjà, ont été repris par le RGPD. »
Cil.not reçoit ainsi « deux à trois demandes de ce genre par semaine »,
a mentionné Aurélie Merquiol.
Cette dernière a encore fait
allusion au droit d’être informé des violations de données, qui n’est rien
d’autre que l’obligation de notification des personnes concernées. Avec, pour
corollaire, l’introduction d’une action de groupe en matière de protection des
données. « Aujourd’hui, des associations peuvent décider de mettre en
place des actions de groupe contre des responsables de traitement des données
qui ne respecteraient pas le RGPD.
La Quadrature du net, dès l’entrée en vigueur du RGPD, a mené une action de
groupe contre les GAFAM, a-t-elle mentionné. Les premières condamnations
commencent à tomber. »
Bérengère Margaritelli