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Télémédecine : État des lieux à la sortie du confinement

Télémédecine : État des lieux à la sortie du confinement
Publié le 29/07/2020 à 10:01


À la sortie du confinement, l’heure est au bilan : quelle place a conquis en France la télémédecine dont l’essor semble évident ? Le 23 avril dernier, Doctolib annonçait, dans un communiqué, avoir franchi le cap « symbolique » des 2,5 millions de téléconsultations vidéo réalisées via son site, depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Un record depuis la consécration légale de la télémédecine en France, par la loi HPST, en 20091. Cet engouement pour la télémédecine et le télésoin, manifesté ces derniers mois aussi bien par les patients que par les professionnels de santé, va-t-il perdurer au-delà de la crise sanitaire et faciliter durablement l’accès aux soins ? La Covid-19 pourrait ainsi marquer un tournant décisif pour la télémédecine, déjà identifiée en 2017, par la Cour des comptes, comme un « levier potentiellement majeur de modernisation de notre système de santé ».

Définie comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication »2, la télémédecine regroupe cinq types d’actes décrits à l’article R. 6316-1 du Code de la santé publique (CSP) : la téléconsultation (consultation à distance entre un médecin et son patient), la téléexpertise (sollicitation à distance par un médecin de l’avis d’un ou de plusieurs autres confrères en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient), la télésurveillance (interprétation à distance par un médecin des données nécessaires au suivi médical d’un patient), la téléassistance (assistance à distance par un médecin d’un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte), ainsi que la réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale des appels au SAMU. S’y ajoute le télésoin, qui constitue « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication », mettant en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux3. Ainsi, la télémédecine fait désormais partie de la « télésanté » depuis la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Compte tenu de la diversité des pratiques qu’elle recouvre, la télémédecine est, depuis plusieurs années, pressentie comme une réponse possible « au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques, en facilitant le maintien à domicile par des dispositifs de télésurveillance, aux difficultés géographiques d’accès aux soins, par la mise en œuvre de téléconsultations et de téléexpertises »4 ainsi qu’aux urgences vitales, telles l’AVC. Cette prise de conscience a poussé les pouvoirs publics à intervenir, en 2018, pour lever plusieurs contraintes techniques et juridiques, qui empêchaient son « décollage » en France, depuis presque dix ans. Du fait de cet assouplissement réglementaire, de nombreuses plateformes privées (mutuelles, assureurs complémentaires, starts-up, laboratoires…) sont apparues sur le marché, proposant des prestations de télémédecine parfois controversées, se situant en marge de la réglementation actuelle.

Alors, quelle place doit prendre la télémédecine ? (I) Comment garantir aux patients une télémédecine sécurisée et de qualité (II) ?

 

I. Le déploiement d’une télémédecine généralisée et libéralisée

A. Un déploiement favorise par l’assouplissement de la règlementation

L’ancien article R. 6316-6 du CSP5 imposait aux promoteurs d’un projet de télémédecine de contracter, directement ou indirectement, avec les Agences régionales de santé (ARS). En effet, pour être valide juridiquement, un contrat de télémédecine devait faire référence soit à un programme national arrêté par le ministre de la Santé, soit à un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) d’un établissement de santé, ou bien être signé directement avec le directeur d’une ARS. Ce cadre juridique, extrêmement rigide et contraignant, a certes permis le développement de la télémédecine entre établissements ou entre établissements et prestataires, mais était manifestement inadapté aux réalités quotidiennes de l’activité en cabinet, pour des médecins libéraux souhaitant proposer à leurs patients des consultations à distance. Par ailleurs, jusqu’en 2018, seul un très petit nombre d’actes de télémédecine était remboursé par l’Assurance maladie, ou pris en charge par les ARS dans un cadre expérimental régional, ce qui n’était pas favorable à la progression de la télémédecine sur le terrain.

Deux avancées majeures se sont produites en 2018. Tout d’abord, l’arrêté du 1er août 2018, portant approbation de l’avenant n° 6 à la Convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie, a fait entrer la téléconsultation (le 15 septembre 2018) et la téléexpertise (le 10 février 2019), dans le droit commun au remboursement par l’Assurance Maladie, régi par la loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2018 (loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017).

Pour qu’un patient puisse désormais prétendre au remboursement de sa téléconsultation, l’avenant n° 6 pose deux conditions préalables :

1) qu’elle s’inscrive dans le « parcours de soins coordonné » (orientation initiale du patient vers le médecin « téléconsultant » par le médecin traitant) ;

2) qu’elle soit effectuée avec un médecin auprès duquel le patient a déjà effectué au moins une consultation physique au cours des 12 derniers mois précédant la téléconsultation.

S’agissant de la téléexpertise, elle est aujourd’hui réservée aux seuls patients pour lesquels l’accès aux soins doit être facilité au regard de leur état de santé ou de leur situation géographique : patients en affection longue durée (ALD), patients atteints de maladies rares, patients résidant en zones dites « sous-denses », patients résidant en Ehpad ou en structures médico-sociales et personnes détenues. Toutefois, le calendrier de son déploiement à l’ensemble des patients devrait être défini d’ici fin 2020.

Parallèlement, l’exigence de contractualisation avec les ARS a été supprimée par le décret n° 2018-788 du 13 septembre 2018. Demeure toutefois aujourd’hui, pour les professionnels de santé pratiquant des actes de télésurveillance qui continuent à être pris en charge dans le cadre expérimental ETAPES6, l’obligation d’effectuer une déclaration d’activité de télémédecine en ligne auprès de l’ARS de leur lieu d’exercice ainsi que, le cas échéant, auprès du Conseil départemental de l’Ordre des médecins.

Au cours de ces derniers mois, la réglementation de 2018 a encore été davantage assouplie pour faire face à l’épidémie de coronavirus en France, la télémédecine étant devenue un outil précieux de gestion de cette crise sanitaire. Ainsi, pour les personnes atteintes ou potentiellement infectées par la Covid-19, les deux exigences de l’arrêté du 1er août 2018 sautent : possibilité d’avoir recours à la téléconsultation, sans prescription préalable du médecin traitant et sans obligation d’avoir déjà consulté le médecin « téléconsultant »7. De plus, le champ de prise en charge habituelle de la téléexpertise s’élargit et la limitation annuelle du nombre de téléexpertises8 est supprimée. Doit-on craindre que ce nouvel assouplissement conduise à une « ubérisation » de la santé ?

 

B. Un déploiement à réguler face au risque « d’ubérisation » de la santé ?

Jusqu’en 2018, les plateformes régionales constituaient la seule offre de télémédecine territoriale proposée en France, exclusivement par les ARS. Ainsi, à titre d’exemples :

• en 2012, la Normandie s’est dotée de la plateforme Therap-e qui permet la mise en rapport, entre eux, ou avec un patient, d’un ou plusieurs professionnels de santé ;

• en 2014, on assiste au lancement de la plateforme ORTIF (Outil régional de télémédecine d’Île-de-France) permettant de réaliser toutes sortes d’activités de télémédecine ainsi que des téléstaffs, des télé-RCP et de la téléradiologie.

À la suite de la réforme de 2018, émerge une nouvelle offre de télémédecine : des plateformes privées de type B to C (« business to consumer ») permettant de mettre en relation directe un patient et un médecin, sans passer par l’intermédiaire d’une plateforme régionale et parfois, hors parcours de soins coordonnés.

C’est dans ce contexte que la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) et le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) se sont insurgés, en janvier 2020, contre la mise en ligne en France du site internet « arretmaladie.fr », proposant un service de délivrance d’arrêt maladie, sans se déplacer au cabinet d’un médecin, sur simple demande en ligne. Estimant que la prestation proposée n’était pas conforme aux conditions de prise en charge d’une téléconsultation posées par l’avenant n° 6 à la Convention nationale et qu’elle revenait à assimiler la délivrance d’un arrêt maladie à une pratique commerciale prohibée par l’article R. 4127-19 du Code de la santé publique, la CNAM et le CNOM se sont alliés pour mettre en demeure la société allemande de suspendre la mise en ligne de son site Internet. Déjà, fin 2018, le CNOM n’avait pas hésité à mettre en demeure la société de téléconsultation Qare, filiale d’Axa Assistance, « de cesser la publication d’encarts publicitaires relatifs à la télémédecine », estimant que ces publicités étaient « fallacieuses quant à l’intégration des services proposés dans le parcours de soins pour tous les patients – et donc à leur prise en charge par l’Assurance maladie. »

L’Ordre des médecins réaffirme donc, plus que jamais aujourd’hui, que la télémédecine relève de l’exercice de la médecine clinique, ce qui interdit de la pratiquer comme un commerce, en ayant notamment recours à des procédés directs ou indirects de publicité. Cela étant dit, un terrain d’entente devrait pouvoir être trouvé avec des acteurs privés susceptibles de proposer des prestations de télémédecine conformes aux exigences légales et réglementaires françaises.

 

II. Les garanties légales d’une télémédecine de qualité et sécurisée

A. Des règles déontologiques spécifiques à respecter dans la relation médecin-patient

Il a été souligné par la Cour des comptes que la généralisation d’un dossier médical partagé (DMP), accessible tant au patient qu’au professionnel de santé au moyen d’un identifiant unique permettant de vérifier que les données de santé sont référencées dans le bon dossier patient, favoriserait le déploiement de la télémédecine, comme c’est actuellement le cas au Danemark9. Certes, mais, pour l’heure, si le DMP a bien été introduit en France par la loi du 26 janvier 2016, il ne connaît encore qu’un succès mitigé et n’est que partiellement utilisé en pratique.

De leur côté, le CNOM ainsi que la Haute Autorité de santé rappellent que l’information du patient et le recueil de son consentement à la réalisation de l’acte médical à distance, par le biais des technologies de l’information et de la communication, constituent des préalables indispensables, tout comme la vérification de son identité. L’authentification systématique des professionnels de santé10, aussi bien libéraux qu’exerçant dans des établissements de santé, est également exigée par l’article R. 6316-3 du Code de la santé publique, afin de tracer dans le DMP les actes, prestations et produits délivrés au patient et, ainsi, concourir à la qualité et à la sécurité de sa prise en charge.

C’est ensuite au professionnel de santé qu’il appartient d’apprécier la pertinence de la téléconsultation ou de la téléexpertise, en fonction de la situation clinique du patient, de la disponibilité et de la qualité des données qui lui sont transmises et, le cas échéant, s’agissant de la téléconsultation, de la capacité du patient à communiquer à distance et à utiliser les outils informatiques.

Qu’il s’agisse d’une téléconsultation ou d’une téléexpertise, un compte rendu de l’acte de télémédecine doit être rédigé et enregistré dans le dossier du patient tenu par chaque professionnel ainsi que dans son DMP quand il existe. Ce compte rendu, ainsi que les éventuelles prescriptions médicales et autres demandes d’examens ou de consultations préconisées par le médecin, doivent être accessibles ou transmis au patient, de manière sécurisée et dans un délai préalablement défini. Enfin, avant cet envoi, le médecin doit toujours informer le patient de son contenu, en continuant de favoriser un échange oral.

 

B. Des conditions de sécurité à respecter pour l’échange et le partage de données de santé

Dans son rapport de 2017, la Cour des comptes pointait du doigt l’absence de déploiement en France de la prescription médicale électronique sécurisée, alors qu’en Espagne 84 % des ordonnances intervenaient déjà sous un format électronique sécurisé. Il y avait lieu de rattraper ce retard ! Dès 2018, la prescription médicale électronique fut donc l’objet d’une expérimentation en médecine de ville et, inscrite dans le volet numérique du plan Santé 2022, elle devrait pouvoir être généralisée à tout le territoire français d’ici 2022.

Quant aux messageries sécurisées, elles constituent également un préalable nécessaire au déploiement de la télémédecine, en ce qu’elles facilitent l’échange des données de santé au sein d’une équipe de soins (le recours aux messageries électroniques personnelles étant à exclure), mais ne sont encore que peu utilisées en pratique. En mai 2016, seuls 30 % des médecins libéraux les utilisaient.

Concernant le partage des données de santé, une plateforme de télémédecine, garantissant les conditions de confidentialité et de sécurité dues au traitement de ces données, doit être utilisée par le médecin pratiquant l’acte de télémédecine. Concrètement, ce médecin, « responsable du traitement » des données de ses patients, doit s’assurer que le prestataire (qui met à sa disposition une plateforme et qui est son sous-traitant) respecte la réglementation sur les données personnelles, comme le prévoit l’article 28 du RGPD. À ce titre, le contrat de sous-traitance qu’il va signer avec la plateforme de télémédecine doit bien préciser que le sous-traitant ne traite les données à caractère personnel que sur ses instructions, veille à la signature d’engagements de confidentialité par son personnel, prend toutes les mesures de sécurité requises, ne recrute pas lui-même de sous-traitant sans autorisation écrite préalable du médecin, coopère avec ce dernier pour le respect de ses obligations en tant que responsable du traitement, supprime ou lui renvoie l’ensemble des données à caractère personnel à l’issue des prestations, et collabore dans le cadre d’audits. À ce sujet, l’Assurance maladie soulignait, dans un communiqué du 12 septembre 2018, que : « les outils de communication vidéo existants sur le marché (exemple Skype, FaceTime…) apparaissent suffisamment sécurisés pour l’échange vidéo avec le patient lorsqu’il est connu. Toutefois, ils ne remplissent pas les conditions de sécurité suffisantes pour les échanges de documents médicaux (photos, etc.) qui viendraient en complément de la téléconsultation. De ce fait, ils n’offrent pas aux médecins de solution complète pour tout l’ensemble du processus nécessaire à la réalisation des actes de télémédecine. »

Enfin, si le dispositif de télémédecine implique une externalisation des données, l’hébergement des données de santé doit être réalisé par un hébergeur agréé ou certifié pour l’hébergement, le stockage et la conservation de ces données de santé.

Seules des plateformes privées respectant de telles exigences déontologiques et techniques peuvent espérer percer sur le marché de la télémédecine en France et trouver leur place, compte tenu du cadre strict qui reste celui de la réglementation actuelle, imposant notamment le respect du parcours de soins pour que le patient puisse être remboursé.

S’il est évident et souhaitable que la télémédecine se développe en France, elle doit demeurer une possibilité supplémentaire d’améliorer la prise en charge d’un patient, être toujours choisie dans son seul intérêt et persister à mettre en œuvre une déontologie qui le protège et le respecte.


 

Catherine Paley-Vincent, Avocate au barreau de Paris, Selas Ginestie Magellan Paley-Vincent

Nathalie Boudet-Gizardin, Avocate au barreau de Paris, Selas Ginestie Magellan Paley-Vincent


 

1) Loi Hôpital Patient Santé Territoire n° 2009-879 du 21 juillet 2009.

2) Article L. 6316-1 du Code de la santé publique.

3) Article L. 6316-2 du Code de la santé publique.

4) Cour des comptes, Rapport annuel sur les lois de financement de la Sécurité sociale, septembre 2017, chapitre VII « La télémédecine : une stratégie cohérente à mettre en œuvre », pp. 297-330.

5) Dans sa rédaction issue du décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010.

6) Expérimentation de télémédecine pour l’amélioration du parcours en santé.

7) Décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 article 2 bis.

8) Décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 article 2 bis.

9) Cour des comptes, Rapport annuel sur les lois de financement de la Sécurité sociale, septembre 2017, chapitre VII « La télémédecine : une stratégie cohérente à mettre en œuvre », pp. 297-330.

10) Au travers de la carte de professionnel de santé (CPS).

 

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