2019 s’ouvre sur une France qui rit encore jaune, aux prises avec cet amalgame
de manifestations de revendications multiples et contradictoires,
autoproclamées « bon enfant » mais aussi émaillées de saccages
en règle par les casseurs qu’accompagne en « meute » une
frange non négligeable des irréductibles « gilets jaunes ».
La France silencieuse, souvent schizophrène, reste
toujours partagée entre sidération et soutien au mouvement, avec cette
inconscience toute gauloise, dans le droit fil de celle apportée aux
grévistes-cheminots, avant qu’elle ne bascule dans l’exaspération signifiant la
fin de la partie. Mais les sondages qui donnaient un soutien massif de
l’opinion (75 %) s’infléchissent nettement à la baisse (voir sondage Ifop
- Fiducial du 17 novembre) et restent tout aussi contradictoires :
83 % des sondés se disent aussi contre les saccages, ce qui laisse à
penser qu’ils ne sont pas prêts à rejoindre le mouvement sur les ronds-points.
Courageux, mais pas téméraires.
Ainsi, les « nuances de jaunes »
de ce mouvement protéiforme sont maintenant devenues plus claires.
Il y a, en premier lieu, celles (qui tendent vers le
gris) de l’imposture démocratique : à écouter leurs « figures
médiatiques », les gilets jaunes se prétendent indépendants de tous
mouvements politiques. Or, les deux tiers d’entre eux se revendiquent à parité,
des « Insoumis » et du Rassemblement national… Donc seule une
minorité, sans doute sincèrement aux prises avec des difficultés ou des états
d’âme, s’est trouvée progressivement embarquée dans ces actes à répétition (on
en est au neuvième) portée par les réseaux sociaux et les chaines
d’informations en continu, dont la responsabilité dans la surpondération de
l’événement et la « légitimation-banalisation » des violences
reste écrasante, et inconsciente.
Ce n’est donc pas le « peuple » qui
s’exprime, mais une minorité de nos concitoyens qui doute de son avenir et se
croit abandonnée par le gouvernement et le Président Macron, mais qui est en
réalité exploitée par des sous-marins, revanchards ou europhobes, avançant
masqués.
200 000 personnes en novembre, dix fois moins en
janvier, ce n’est tout de même pas la France en révolution…
Apparaît ensuite la nuance du jaune, qui va du noir
des anarchistes au rouge des extrémistes de gauche, dont l’objectif clair est
la remise en cause de l’ordre Institutionnel, de la démocratie représentative,
bref de la République elle-même. Cette situation surréaliste doit nous
interroger sur la décadence de l’autorité républicaine, ce cancer qui ronge le
pays depuis 1968 et
qui a progressé sous les reculs successifs des différents gouvernements
(généralisé sous le quinquennat de Monsieur Hollande). La priorité reste donc
de restaurer l’autorité : le droit de manifester ne saurait à nouveau
primer le droit à l’ordre public et la sécurité des biens et des personnes à
laquelle aspirent tous citoyens ; il faut en accepter le prix et les
risques collatéraux et soutenir sans réserve les actions des représentants de
l’ordre public.
Enfin, ressurgit cette ultime nuance du jaune qui
vire au brun foncé, en rappelant de sombres souvenirs, c’est celle de la haine
et de l’ignorance : la haine de « l’autre », parce que
tout paraît trop lui réussir, parce qu’il semble être plus dans l’invective que
dans la compassion, qu’un de ses mots ou petite phrase a pu blesser, parce
qu’il s’affranchit de symboles en priorisant la réalisation des actions sur
lesquelles il s’est engagé. Mais aussi l’ignorance, car la réalité objective de
notre pays reste celle de la Nation la plus égalitaire de l’OCDE qui, avec
moins de 1 % de la population mondiale et 3 % du Pib, consomme à elle seule 15 % de
la protection sociale de la planète ; championne du monde des prélèvements
sociaux avec une dette publique qui reste une véritable épée de Damoclès et une
addiction au chômage structurel depuis… 30 ans ; avec cette fixation
irrationnelle sur la suppression de l’ISF qui rapportait 4 milliards en
impôts mais coûtait 20 milliards par an de perte de valeur (50 % de
40 milliards de PIB partis – source bdf – à l’étranger !!!). Certes,
entend-on, c’est un « symbole », mais que je sache, le « pouvoir
d’achat » ne se fait pas avec des symboles !
C’est sans doute de cette réalité-là (qui se heurte à
une inculture économico-financière nationale patente alimentée par des
hétérodoxes de tous poils) dont il faudrait parler pour définir un « nouveau
pacte social ». On espère son apparition à l’issue du
dialogue-concertation qui va occuper l’espace national au cours des prochains
mois. Ainsi, enfin, après le nécessaire retour au calme, pouvoir redéfinir
« notre pacte social » avec l’ensemble des parties prenantes,
conscientes du déclassement régulier du pays et de la nécessité de faire des
choix dans nos priorités, est l’enjeu majeur pour espérer, soigner « ce
mal de France » qui désespère le pays.
« Le péril s’évanouit quand on ose le regarder
en face » rappelait Chateaubriand. Après toutes ces décennies de fuite
en avant, La France va-t-elle enfin oser ?
C’est en tout cas l’un des plus chers de nos vœux
pour cette nouvelle année : qui ose gagne !
Jean-Louis Chambon,
Président fondateur du Cercle Turgot