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Union des avocats européens : Notion de parent et besoin d’enfant

Union des avocats européens : Notion de parent et besoin d’enfant
Publié le 20/04/2019 à 09:39

Sous la houlette de Gérard Abitbol, doyen des présidents d’honneur de l’Union des avocats européens (UAE), Yann Arnoux-Pollak, bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille et Gabriele Dona, président de l’UAE, ce dîner-débat chaleureux a offert la parole à un collège de professionnels. Magistrats, professeurs, médecins, avocats se sont succédé à la tribune pour chacun développer leur compréhension du sujet.



Les possibilités de la procréation médicalement assistée (PMA) se sont développées au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Les pionniers de ce domaine touchent à la science et à la médecine, bien sûr, mais aussi à l’éthique, à la morale, et au religieux. La PMA a, de fait, modifié les scénarios possibles. Pour créer une famille, sont progressivement apparues des mères biologiques ou génétiques, des donneurs d’ovocytes ou de sperme. Face à ces progrès indéniables en matière de prise en charge de la stérilité, se sont fait jour de potentielles dérives de leur utilisation.
La procréation médicalement assistée vient au secours de ceux qui ne parviennent pas à devenir parents.


La société et les mœurs ont changé. On ne fait plus un enfant au même âge, dans les mêmes conditions, ni pour les mêmes raisons, il a alors fallu s’adapter. Pourtant, la loi n’est pas toujours en phase avec les réalités : couples homoparentaux, homme ou femme célibataires, futurs parents âgés, etc. Les Nations du Monde entier ont dû considérer ces demandes, et beaucoup d’entre elles ont décidé de contrôler l’accès à ces techniques. Des régulations très différentes ont vu le jour selon les pays, en fonction de leurs traditions, de leurs usages et de leurs histoires culturelles, éthiques et religieuses. Les religions ont également été amenées à se positionner. Les pays avec des religions d’État se conforment aux recommandations religieuses. Certains prohibent le don de gamètes. L’Italie a d’abord quasiment tout interdit, y compris la fécondation in vitro classique. Elle a réglementé à l’absurde, puis un changement radical s’est opéré par l’alternance du pouvoir. Aujourd’hui, l’Italie est devenue bien plus permissive, y compris en matière d’analyse génétique des embryons. La France, quant à elle, s’est dotée d’une loi de bioéthique dès 1994. Parmi l’arsenal des contraintes réglementaires, figurent les conditions d’accès aux techniques de procréation médicalement assistée réservée aux couples composés d’un homme et d’une femme. Dès la première loi relative à la bioéthique promulguée en 1994, le législateur avait prévu l’impérative nécessité d’une révision périodique. Elle a eu lieu en 2004, puis en 2011.
La procrastination parasite le calendrier de la PMA. Les révisions de la loi bioéthique s’enchaînent sans parvenir à clarifier la situation. Certes, la promesse de présenter un projet de loi en conseil des ministres en juin a été maintenue, mais la date de l’examen de ce texte sensible au parlement semble encore très incertaine. Les grandes questions qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène tiennent bien sûr d’une part importante du texte. C’est le cas de l’encadrement de la PMA, que le comité appelle à faire progresser, comme il l’avait fait par une loi de 2017. Quelques
évolutions apparaissent, en proposant, sans la proroger, l’autoconservation des ovocytes, en souhaitant que soit rendue possible la levée de l’anonymat des futurs donneurs de sperme et en libéralisant les recherches sur les cellules souches avec un statut juridique différent de celui encadrant les recherches sur l’embryon jugées, elles aussi, nécessaires.


De nos jours, les estimations avancent qu’un couple sur six passe par la PMA. De plus en plus d’hommes et de femmes souffrent de problèmes d’infertilité. Or, la femme subit, en plus, le temps qui passe. Aujourd’hui, on fait des enfants beaucoup plus tard qu’avant, sauf que la physiologie n’a pas changé. Chez la femme, la fertilité est à son apogée entre 20 et 31 ans, tandis qu’à 40 ans, cela est plus délicat. Il ne faut pas oublier que chaque femme possède toute sa réserve ovarienne depuis la naissance. Donc à 40 ans, les ovocytes ont eux aussi 40 ans… d’où les difficultés pour procréer et le risque accru de malformation lors de grossesses tardives. Les gynécologues entendent chaque jour des regrets amers pour des projets de bébés non concrétisés plus tôt. À chaque fois, ce n’était pas le bon moment, le bon compagnon... Les patientes en veulent aux médecins, qui pourtant les ont prévenues, sans être entendus.


Dans la GPA, la mère dite porteuse remet en général son nouveau-né au couple d’intention après l’accouchement. Il y a un contrat de location d’utérus et de vente de bébé. La GPA est un commerce, à la différence de la PMA qui permet des inséminations ou des dons d’ovocytes à des couples qui ont des difficultés à procréer. La PMA est licite en France, ouverte aux couples hétérosexuels infertiles. Elle est pratiquée par des médecins agréés et passe le plus souvent par une insémination médicalement assistée avec donneur anonyme. Elle est prise en charge par la sécurité sociale pour un nombre fixé de tentatives avec un âge limité.


Les sigles PMA et GPA ont un faux air de famille du fait de lettres communes.
Il serait plus juste d’utiliser l’acronyme IAD (insémination artificielle avec don) pour la PMA afin de briser le lien parfois établi entre ces deux pratiques. Une rhétorique musicale soigneusement orchestrée par ceux qui veulent faire passer en douceur la GPA après l’admission préliminaire de la PMA.
Il suffit de changer une lettre !


Dans la GPA, la fécondation se déroule in vitro. Dans le premier cas, les acheteurs sont des parents génétiques, dans le deuxième cas, les commanditaires ne sont pas les parents génétiques, le sperme et l’ovocyte proviennent de donneurs, dans le troisième cas, l’un des commanditaires est un parent génétique, dans le quatrième cas, la vendeuse d’ovocytes est aussi la mère qui loue son utérus. De nombreux pays du Monde, États-Unis, Roumanie, Russie, Inde, accueillent le développement de centres de fertilités et de reproduction qui proposent ces techniques comme n’importe quelle autre industrie du domaine secondaire. Mondialisation et concurrence internationale obligent, ce secteur économique est souvent délocalisé dans les pays pauvres où les bébés sont fabriqués alors qu’ils sont vendus dans les pays riches. Chaque Nation légifère selon son éthique, sa façon de concevoir le droit et la morale, en tentant soit d’encadrer la concrétisation du commerce des enfants, soit de l’inscrire dans un cadre non commercial. Celles qui prohibent la maternité de substitution sont la France, la Suisse, l’Autriche, l’Italie, la Norvège, la Suède, et, hors d’Europe, la Turquie, la Chine, le Japon, et divers États d’Amérique du Nord. Certains pays encadrent la GPA, comme l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, Chypre, le Danemark ou la Hongrie, et d’autres l’autorisent également, en permettant ou non, l’accès aux étrangers, au-delà de leurs uniques ressortissants. De tous les pays d’Europe, la France reste le plus fidèle au principe d’indisponibilité du corps humain inscrit dans son Code civil. Elle interdit donc la GPA qu’elle soit rémunérée ou non. La GPA, c’est-à-dire la marchandisation des bébés, est un fait social total dont l’importance et la signification sont essentielles. L’enjeu pour l’Humanité entière fait figure d’une rupture anthropologique majeure. En France, le comité consultatif national d’éthique est clair, le Code civil également. Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, selon l’article 16-7. D’autres Etats interdisent la GPA, et certains l’encadrent avec une réglementation. Il n’existe pas de gestion internationale de la question, chacun légifère selon ses principes et les forces en présence. La pression des lobbies et des groupes en faveur de la GPA paraît forte. L’interdiction, pour le droit français comme quelques autres, est faite au nom du principe d’indisponibilité du corps humain, qui pose la limite de la libre disposition de soi, et l’idée que le corps humain ne saurait faire ni l’objet d’un contrat, ni d’une convention. Ce principe, qui repose sur l’idée de la dignité de la personne humaine, stipule qu’on n’a pas le droit de vendre ni de louer une partie ou l’ensemble de son corps. Le principe d’indisponibilité de l’état de personne est une règle non écrite, mais dont l’existence est affirmée par la Cour de cassation. La convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public d’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état de personne que l’on ne peut ni donner, ni vendre. Une femme ne peut être utilisée comme un moyen procréatif, son corps n’est pas disponible pour un tel usage. Qu’il soit fait à titre gratuit ou non, l’annihilation de la personne est la même, et l’indisponibilité du corps humain découle de l’indisponibilité de la filiation selon l’article 323 du Code civil. Les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. Notons que le droit pénal intervient et est appelé au secours de la gestation pour autrui. La cour d’appel de Montpellier a accordé un statut inédit à un homme devenu femme : ni père, ni mère, mais parent biologique. C’est cette nouvelle notion dans le droit de la filiation que vient de créer la cour d’appel de Montpellier sur la requête d’un couple de femmes, Madame D et Madame V,  souhaitant initialement voir reconnaître leur double maternité biologique sur le même enfant. Particularité de ce couple, Madame V est née homme. Transsexuelle, elle est devenue femme par changement d’état civil en 2011, tout en conservant ses attributs sexuels masculins. Déjà géniteur de deux enfants avant ce changement de sexe, le couple est devenu parent une troisième fois en 2014. Par une pré-reconnaissance de leurs enfants devant notaire, les deux femmes avaient demandé à être reconnues chacune comme mère biologique. Cette volonté a entraîné des poursuites de la part du procureur de Montpellier, lequel a obtenu gain de cause lors du jugement de première instance rendu en 2016. À l’époque, la justice avait notamment considéré que la maternité est une réalité biologique qui ne se prouve pas par la gestation et l’accouchement. Ne souhaitant pas être désignée comme père par l’état civil, Madame V a donc fait appel. En créant le parent biologique, une notion non genrée, la cour d’appel de Montpellier a fait le choix d’un entre-deux, s’engouffrant dans un vide juridique. Ainsi écrivent les juges : « seule la notion de parent biologique est de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant et de voir établie la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Madame V de reconnaître la réalité de son lien de filiation avec son enfant et le droit au respect de la vie privée. Le terme de parent neutre pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère, et à la précision biologique établissant la réalité du lien entre Madame V et son enfant… »  On sort de la binarité sexuelle dans la filiation par le sang. La notion de parent existe déjà pour les couples de femmes ou d’hommes dans le cadre de l’adoption. En revanche, il n’existait pas jusqu’ici dans le cadre d’une filiation biologique. Le législateur devra se saisir de cette question au moment de la révision de la loi bioéthique, car il lui faudra fixer les règles de la filiation à l’égard des personnes transsexuelles. Cet arrêt bouleverse le droit actuel de la filiation et ouvre la perspective d’une suppression des termes de père et de mère employés par le Code civil jusqu’à ce jour. L’arrêt a été frappé d’un pourvoi en cassation par Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Montpellier le 3 décembre 2018 sous le numéro 18-5008.


Le respect est une reconnaissance intellectuelle de la dignité de l’être humain et de sa propension à la vraie grandeur.


Il implique l’existence d’une justice assurant les droits de chacun. Les femmes ne sauraient être cédées, vendues ou échangées. Faire de la grossesse et de l’accouchement un service rémunéré est la plus formidable violence faite aux femmes depuis l’époque de l’esclavage. Nous devons au bonheur de plume ces phrases de Voltaire : « un jour tout sera bien, voilà notre espérance. Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion ».


Gérard Abitbol,
doyen des présidents d’honneur de l’UAE


 


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