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Union nationale des huissiers de justice : la « loi Macron » fragilise-t-elle la profession ?

Union nationale des huissiers de justice : la « loi Macron » fragilise-t-elle la profession ?
Publié le 23/10/2018 à 12:31


Dans le cadre de la mission d’informations communes sur l’évaluation de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « loi Macron », les huissiers de justice ont été invités à s’exprimer, sur demande de la Commission des Lois. Aussi, l’Union nationale des huissiers de justice (UNHJ) a transmis à la profession un questionnaire. Suite à la réception de 213 réponses de professionnels, l’UNHJ en a réalisé une synthèse et souligne ainsi qu’« entre traumatisme et perte de confiance, le maillage territorial et la ruralité se révèlent être un axe de travail prioritaire, tant dans l’objectif de pérenniser l’activité de nos études que pour préserver les droits et les obligations du justiciable ».






Les huissiers de justice (amenés à fusionner avec les commissaires-priseurs judiciaires pour devenir commissaire de justice), ce sont 15 000 personnes (12 000 salariés et 3 200 professionnels libéraux) qui se définissent, selon le syndicat l’Union nationale des huissiers de justice, comme des « bâtisseurs de solutions justes au service de chacun ». Trois ans après la loi Macron, quel regard la profession pose-t-elle sur son évolution ?


Pour 9 huissiers sur 10, la réforme aurait eu un impact négatif sur l’économie de leur structure et sur l’emploi : « Cette réforme anxiogène a contribué à la baisse de rentabilité, à la baisse constante des produits due à des pertes de clientèle d’une part, et à l’augmentation des charges d’autre part » souligne l’UNHJ dans sa synthèse qui considère qu’à ce jour, 30 % des études sont en difficulté financière. L’ouverture des compétences, qui aurait élargi l’étendue géographique des professionnelles, serait aussi à l’origine de la dégradation des conditions de travail. Enfin, « la baisse du tarif a été préjudiciable, à laquelle il faut ajouter la perte de la signification de certains actes, et la diminution générale de la matière monopolistique » précise le président de l’UNHJ, Patrice Gras, dans ce rapport. La profession ne se dit pas contre une quelconque réforme, mais regrette le fait de ne pas avoir été entendue « quant aux conséquences à venir d’une telle réforme ».


Alors que les effets de la loi Macron ne sont pas encore tous visibles – et face à la numérisation nécessaire de la profession – les huissiers alertent la commission des lois, estimant n’être « qu’au début de la décroissance si rien ne change en profondeur ».


 


L’huissier-salarié


Si la profession compte 12 000 salariés, la majorité d’entre eux exercent dans des offices de 5 à 10 salariés. Mais « quelle qu’en soit leur taille, toutes ces structures sont fragiles et directement impactées » précise le rapport. Deux types de salariés sont à distinguer : celui qui s’est fait « tout seul » et a gravi les échelons, et celui titulaire d’un niveau d’étude supérieur. Face à l’instabilité de la situation, la synthèse craint d’assister à la disparition du premier.


Interrogés sur les effets des dispositions visant à développer l’exercice salarié de la profession d’huissier de justice, les professionnels donnent une réponse double : les effets semblent positifs quand il s’agit de considérer le salarié comme futur associé potentiel, mais plutôt négatifs quand celui-ci est utilisé comme « faire valoir corvéable à merci ». Le rapport souligne enfin que « l’année 2017 s’est traduit par 0 % d’augmentation pour nos salariés, et seulement 1 % d’augmentation pour l’année 2018 » précise le président de l’UNHJ dans cette synthèse adressée à la commission.


 


La tarification de la profession


« En 2016, date d’application du nouveau tarif, ce dernier n’avait pas été revalorisé depuis 8 ans » rappelle l’Union.La baisse de 5 % (programmée par tranche de 2,5 % sur deux ans) n’était alors pas imaginable pour la majorité des huissiers. L’UNHJ résume la situation par l’équation suivante : « Réforme structurelle + baisse conjoncturelle + baisse du tarif = profession en danger. » Un raccourci alarmant, décrivant une profession s’estimant en danger. « Beaucoup de nos actes sont déficitaires, déclare un huissier, nous facturons des actes à perte », faisant de la profession la seule à devoir produire des actes en dessous de leurs coûts de fabrication. À ce sujet, l’Union souhaiterait pouvoir rouvrir le débat.


La profession s’est également exprimée sur les dispositions de l’article 11 du projet de la loi de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice, prévoyant la fixation des tarifs à partir d’un objectif de taux de résultat moyen estimé globalement pour la profession ; question qui a d’ailleurs surpris de nombreux contributeurs. « Pour des professionnels libéraux, fixer des tarifs à partir d’un objectif de taux de résultat moyen estimé globalement n’incite pas les professionnels que nous sommes à nous mettre dans les conditions de pouvoir répondre à une telle question », souligne l’Union, qui suppose une volonté de nationalisation du secteur par le législateur. Plutôt que de fixer les tarifs sur le résultat, la profession estime qu’il s’agirait plutôt de tenir compte du « temps passé, de la difficulté, de l’intérêt de l’acte, de la sécurité qu’il apporte, de la qualité et de l’expertise que nous avons pour le réaliser, et de la responsabilité que nous engageons envers nos clients » et rappelle que le syndicat « estimait le coût de production d’un acte pénal à 21,72 euros quand le coût de l’émolument tarifé payé par l’État est de 4,50 euros », proposant ainsi de faire appel à un cabinet d’audit indépendant permettant d’aboutir sur une tarification correcte.


La profession ne semble toutefois pas contre la révision des tarifs tous les ans, mais souhaiterait que soient pris en compte le coût de l’inflation et tous les auteurs facteurs économiques. L’Union souligne toutefois – comme elle en avait averti la Chancellerie – « qu’une nouvelle baisse du tarif de 2,5 % applicable au 1er janvier 2018 serait une catastrophe », rappelant que la profession a, en 10 ans, perdu de façon « considérable » son pouvoir d’achat. Elle souhaite ainsi que « révision » ne soit pas synonyme de « diminution », la dématérialisation – et donc le futur – de la profession n’étant possible qu’en passant par l’investissement.


 


Priorité au maillage territorial


Dans le cadre de cette étude, Patrice Gras revient sur l’importance pour la profession de la qualité de la prestation et du service. Aussi, la qualité du maillage territorial apparaît comme une priorité, et notamment la conservation des offices dans le cadre de la ruralité, afin d’éviter que dans les années à venir, l’huissier ne connaisse le même sort que celui vécu actuellement par le médecin : « Le principe de l’huissier généraliste du droit et spécialiste du recouvrement amiable, judiciaire et tiers de confiance doit être réaffirmé » souligne les rédacteurs de cette synthèse.


 


Bilan de la libre installation


Bien qu’il soit trop tôt pour réaliser un bilan, bon nombre d’huissiers craignent un affaiblissement de certaines études « déjà mal en point ». « Ce qui reste choquant pour une très nette majorité de confrères, c’est la violence avec laquelle cette réforme a été conduite » précise le président de l’Union, qui s’indigne du fait que l’Autorité de la concurrence n’ait retenu que le bénéfice comme critère pour fixer les zones d’implantation des nouveaux offices, ne reflétant pas selon elle la réalité. « Devons-nous rappeler à la commission que chiffre d’affaires n’est pas bénéfice ? » questionne le syndicat qui considère que « raisonner en moyenne n’a aucun sens » compte tenu de la grande disparité des offices. « Le niveau économique général de la profession doit être tiré vers le haut » déclare le président de l’UNHJ qui, à son tour, interroge la commission : « Pourquoi n’existe-t-il pas de procédure d’accompagnement compte tenu de l’importance de cette réforme ? » s’étonne-t-il. « La protection des justiciables passe aussi par la protection de ceux qui contribuent à la bonne application de la justice sur notre territoire » souligne Patrice Gras.


Certains affirment enfin que la liberté d’installation avait davantage profité aux huissiers existants souhaitant s’agrandir qu’aux jeunes huissiers qui pourtant ne connaissaient pas, à l’inverse des notaires, de problèmes d’installation.


 


L’huissier, futur commissaire de justice ?


La fusion entre les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires serait vue comme un « mariage forcé » par la profession, jugée comme un « marché de dupe » face à la situation économique en déclin des commissaires-priseurs judiciaires.


Rappelant que « les conditions de fusion des deux professions ne sont pas connues à ce jour », les huissiers souhaiteraient ainsi être informés du réel apport de cette fusion pour la profession.


En effet, « si le commissaire-priseur judiciaire ne pouvait pas exercer les fonctions d’huissiers de justice, ces derniers en qualité d’officiers vendeurs pouvaient procéder à tous types de prisées » souligne l’Union. Certains jugent ainsi cette union sans grand intérêt, surtout face à un marché des ventes judiciaires en très forte baisse.


 


Quelles formes de structure ?


Questionnée enfin sur la diversification des formes juridiques d’exercice des professions libérales visant à encourager le regroupement des huissiers de justice en société, la profession est partagée, mais regrette la longueur des délais de traitement des dossiers. Alors que certaines petites structures y voient un risque de désertification, d’autres soulignent une occasion permettant de pérenniser leurs activités. D’autres enfin jugent la forme SAS comme la mieux adaptée permettant « dans un premier temps [de fusionner] des associés juniors, préférables disent-ils aux huissiers salariés ».


Soulignant les difficultés de la profession à se regrouper, la synthèse de l’UNHJ alerte sur le risque d’un regroupement en société pluri-professionnelle (conflits d’intérêts, respect du secret professionnel…).


La profession ne manque pas alors d’afficher dans cette synthèse tant ses craintes que ses difficultés : « Le modèle français est reconnu comme performant et protecteur du justiciable, mais pour combien de temps ? » s’inquiète alors l’Union, qui « reste à la disposition de la commission pour être plus que jamais force de proposition ».


 


Constance Périn


 


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