Dans le cadre de la mission d’informations
communes sur l’évaluation de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité
des chances économiques dite « loi Macron », les
huissiers de justice ont été invités à s’exprimer, sur demande de la Commission
des Lois. Aussi, l’Union nationale des huissiers de justice (UNHJ) a transmis à
la profession un questionnaire. Suite à la réception de 213 réponses de
professionnels, l’UNHJ en a réalisé une synthèse et souligne ainsi qu’« entre traumatisme et
perte de confiance, le maillage territorial et la ruralité se révèlent être un
axe de travail prioritaire, tant dans l’objectif de pérenniser l’activité de
nos études que pour préserver les droits et les obligations du justiciable ».
Les huissiers de justice (amenés à fusionner avec les
commissaires-priseurs judiciaires pour devenir commissaire de justice), ce sont
15 000 personnes (12 000 salariés et
3 200 professionnels libéraux) qui se définissent, selon le syndicat
l’Union nationale des huissiers de justice, comme des « bâtisseurs de
solutions justes au service de chacun ». Trois ans après la loi
Macron, quel regard la profession pose-t-elle sur son évolution ?
Pour 9 huissiers sur 10, la réforme aurait eu un impact négatif
sur l’économie de leur structure et sur l’emploi : « Cette réforme
anxiogène a contribué à la baisse de rentabilité, à la baisse constante des
produits due à des pertes de clientèle d’une part, et à l’augmentation des
charges d’autre part » souligne l’UNHJ dans sa synthèse qui considère
qu’à ce jour, 30 % des études sont en difficulté financière. L’ouverture
des compétences, qui aurait élargi l’étendue géographique des professionnelles,
serait aussi à l’origine de la dégradation des conditions de travail. Enfin,
« la baisse du tarif a été préjudiciable, à laquelle il faut ajouter la
perte de la signification de certains actes, et la diminution générale de la
matière monopolistique » précise le président de l’UNHJ, Patrice Gras,
dans ce rapport. La profession ne se dit pas contre une quelconque réforme,
mais regrette le fait de ne pas avoir été entendue « quant aux
conséquences à venir d’une telle réforme ».
Alors que
les effets de la loi Macron ne sont pas encore tous visibles – et face à la
numérisation nécessaire de la profession – les huissiers alertent la commission
des lois, estimant n’être « qu’au début de la décroissance si rien ne
change en profondeur ».
L’huissier-salarié
Si la profession compte 12 000 salariés, la majorité d’entre
eux exercent dans des offices de 5 à
10 salariés. Mais « quelle qu’en soit leur taille, toutes ces
structures sont fragiles et directement impactées » précise le
rapport. Deux types de salariés sont à distinguer : celui qui s’est
fait « tout seul » et a gravi les échelons, et celui titulaire
d’un niveau d’étude supérieur. Face à l’instabilité de la situation, la
synthèse craint d’assister à la disparition du premier.
Interrogés sur les effets des dispositions visant à développer l’exercice
salarié de la profession d’huissier de justice, les professionnels donnent une
réponse double : les effets semblent positifs quand il s’agit de
considérer le salarié comme futur associé potentiel, mais plutôt négatifs quand
celui-ci est utilisé comme « faire valoir corvéable à merci ». Le
rapport souligne enfin que « l’année 2017 s’est traduit par 0 % d’augmentation pour nos
salariés, et seulement 1 % d’augmentation pour l’année 2018 »
précise le président de l’UNHJ dans cette synthèse adressée à la commission.
La tarification de la profession
« En 2016, date d’application du nouveau tarif, ce dernier
n’avait pas été revalorisé depuis 8 ans » rappelle l’Union.La
baisse de 5 % (programmée par tranche de 2,5 % sur deux ans)
n’était alors pas imaginable pour la majorité des huissiers. L’UNHJ résume la
situation par l’équation suivante : « Réforme structurelle +
baisse conjoncturelle + baisse du tarif = profession en danger. » Un
raccourci alarmant, décrivant une profession s’estimant en danger. « Beaucoup
de nos actes sont déficitaires, déclare un huissier, nous facturons des
actes à perte », faisant de la profession la seule à devoir produire
des actes en dessous de leurs coûts de fabrication. À ce sujet, l’Union
souhaiterait pouvoir rouvrir le débat.
La profession s’est également exprimée sur les dispositions de
l’article 11 du projet de la loi de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice, prévoyant la fixation des tarifs à partir
d’un objectif de taux de résultat moyen estimé globalement pour la
profession ; question qui a d’ailleurs surpris de nombreux contributeurs.
« Pour des professionnels libéraux, fixer des tarifs à partir d’un
objectif de taux de résultat moyen estimé globalement n’incite pas les
professionnels que nous sommes à nous mettre dans les conditions de pouvoir
répondre à une telle question », souligne l’Union, qui suppose une
volonté de nationalisation du secteur par le législateur. Plutôt que de fixer
les tarifs sur le résultat, la profession estime qu’il s’agirait plutôt de
tenir compte du « temps passé, de la difficulté, de l’intérêt de
l’acte, de la sécurité qu’il apporte, de la qualité et de l’expertise que nous
avons pour le réaliser, et de la responsabilité que nous engageons envers nos
clients » et rappelle que le syndicat « estimait le coût de
production d’un acte pénal à 21,72 euros quand le coût de l’émolument
tarifé payé par l’État est de 4,50 euros », proposant ainsi de
faire appel à un cabinet d’audit indépendant permettant d’aboutir sur une
tarification correcte.
La profession ne semble toutefois pas contre la révision des tarifs tous
les ans, mais souhaiterait que soient pris en compte le coût de l’inflation et
tous les auteurs facteurs économiques. L’Union souligne toutefois – comme elle
en avait averti la Chancellerie – « qu’une nouvelle baisse du tarif de
2,5 % applicable au 1er janvier 2018 serait une catastrophe », rappelant
que la profession a, en 10 ans, perdu de façon « considérable »
son pouvoir d’achat. Elle souhaite ainsi que « révision » ne
soit pas synonyme de « diminution », la dématérialisation – et
donc le futur – de la profession n’étant possible qu’en passant par
l’investissement.
Priorité au maillage territorial
Dans le cadre de cette étude, Patrice Gras revient sur l’importance pour
la profession de la qualité de la prestation et du service. Aussi, la qualité
du maillage territorial apparaît comme une priorité, et notamment la
conservation des offices dans le cadre de la ruralité, afin d’éviter que dans
les années à venir, l’huissier ne connaisse le même sort que celui vécu
actuellement par le médecin : « Le principe de l’huissier
généraliste du droit et spécialiste du recouvrement amiable, judiciaire et
tiers de confiance doit être réaffirmé » souligne les rédacteurs de
cette synthèse.
Bilan de la libre installation
Bien qu’il soit trop tôt pour réaliser un bilan, bon nombre d’huissiers
craignent un affaiblissement de certaines études « déjà mal en
point ». « Ce qui reste choquant pour une très nette majorité
de confrères, c’est la violence avec laquelle cette réforme a été conduite »
précise le président de l’Union, qui s’indigne du fait que l’Autorité de la
concurrence n’ait retenu que le bénéfice comme critère pour fixer les zones
d’implantation des nouveaux offices, ne reflétant pas selon elle la réalité.
« Devons-nous rappeler à la commission que chiffre d’affaires n’est pas
bénéfice ? » questionne le syndicat qui considère que « raisonner
en moyenne n’a aucun sens » compte tenu de la grande disparité des
offices. « Le niveau économique général de la profession doit être tiré
vers le haut » déclare le président de l’UNHJ qui, à son tour,
interroge la commission : « Pourquoi n’existe-t-il pas de
procédure d’accompagnement compte tenu de l’importance de cette réforme ? »
s’étonne-t-il. « La protection des justiciables passe aussi par la
protection de ceux qui contribuent à la bonne application de la justice sur
notre territoire » souligne Patrice Gras.
Certains affirment enfin que la liberté d’installation avait davantage
profité aux huissiers existants souhaitant s’agrandir qu’aux jeunes huissiers
qui pourtant ne connaissaient pas, à l’inverse des notaires, de problèmes
d’installation.
L’huissier, futur commissaire de
justice ?
La fusion entre les huissiers de justice et les commissaires-priseurs
judiciaires serait vue comme un « mariage forcé » par la
profession, jugée comme un « marché de dupe » face à la
situation économique en déclin des commissaires-priseurs judiciaires.
Rappelant que « les conditions de fusion des deux professions ne
sont pas connues à ce jour », les huissiers souhaiteraient ainsi être
informés du réel apport de cette fusion pour la profession.
En effet, « si le commissaire-priseur judiciaire ne pouvait pas
exercer les fonctions d’huissiers de justice, ces derniers en qualité
d’officiers vendeurs pouvaient procéder à tous types de prisées »
souligne l’Union. Certains jugent ainsi cette union sans grand intérêt, surtout
face à un marché des ventes judiciaires en très forte baisse.
Quelles formes de structure ?
Questionnée enfin sur la diversification des formes juridiques d’exercice
des professions libérales visant à encourager le regroupement des huissiers de
justice en société, la profession est partagée, mais regrette la longueur des
délais de traitement des dossiers. Alors que certaines petites structures y
voient un risque de désertification, d’autres soulignent une occasion
permettant de pérenniser leurs activités. D’autres enfin jugent la forme SAS
comme la mieux adaptée permettant « dans un premier temps [de
fusionner] des associés juniors, préférables disent-ils aux huissiers salariés ».
Soulignant les difficultés de la profession à se regrouper, la synthèse
de l’UNHJ alerte sur le risque d’un regroupement en société
pluri-professionnelle (conflits d’intérêts, respect du secret professionnel…).
La profession ne manque pas alors d’afficher dans cette synthèse tant ses
craintes que ses difficultés : « Le modèle français est
reconnu comme performant et protecteur du justiciable, mais pour combien de
temps ? » s’inquiète alors l’Union, qui « reste à la
disposition de la commission pour être plus que jamais force de proposition ».
Constance Périn