La Conférence
générale des juges consulaires de France a organisé son congrès annuel lors de
deux journées. Plus de 350 juges se sont réunis pour assister à deux ateliers
autour d’un thème d’actualité : « l’évaluation et la réparation du préjudice
commercial au regard des nouvelles
dispositions de l’ordonnance 2016 portant réforme du droit des contrats et des
obligations », et d’un
sujet constamment à l’ordre du jour, « le tribunal de commerce chef d’orchestre de
la prévention ». La deuxième
journée était consacrée à la séance solennelle. Jean Messinesi, président du TC
de Paris ; Olivia Polski, adjointe à la maire de Paris ; Georges Richelme,
président de la Conférence générale des juges consulaires de France, et la
garde des Sceaux, Nicole Belloubet, ont prononcé leurs discours, axés notamment
sur la création d’un tribunal des affaires économiques.
« Nous souhaitons que cohabitent dans
la sérénité les magistrats professionnels et les juges issus de la société
civile que nous sommes. Il faut que disparaisse la méfiance que trop souvent on
nous manifeste ». Jean Messinesi, le président du tribunal de commerce de Paris, a rappelé que les juges consulaires rendent une justice sans frais et rapide, et de plus «
mieux acceptée
que celle rendue par d’autres juridictions » puisqu’elle fait l’objet d’un bien plus faible taux d’appel. En tant que président du TC de la capitale française, Jean Messinesi n’a pu éviter le sujet du Brexit. « L’essentiel c’est que nous offrions
aux acteurs économiques internationaux une alternative à la saisine des
juridictions anglo-saxonnes », a-til indiqué, mais aussi « face à une multiplication des cours
spécialisées à Amsterdam, Bruxelles ou ailleurs ». Déjà capable d’offrir aux acteurs étrangers « une justice économique plus efficace, moins chère,
et plus rapide », il faut néanmoins, selon lui, « contribuer à faire de cette ville la capitale
économique, commerciale et juridique de l’Europe de demain ».
La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, s’est exprimée sur le sujet lors du
congrès : « Le ministère
de la Justice a amorcé la mise en place de chambres commerciales internationales. Des échanges ont lieu entre le tribunal de commerce, la cour d’appel de Paris, et les représentants du barreau, afin de pouvoir mettre en oeuvre, dans les meilleurs délais, ce projet ambitieux. Il s’agit de saisir l’occasion de la sortie future du Royaume-Uni de l’Union européenne pour
attirer devant des
juridictions françaises des opérateurs qui soumettaient jusqu’alors leur contentieux aux juridictions commerciales londoniennes, mais qui ne pourront plus bénéficier de la libre circulation des décisions de justice au sein de l’UE
après le Brexit. Pour l’essentiel sont concernés les contentieux relatifs aux
contrats financiers ainsi que les contentieux du droit des affaires avec un
élément d’extranéité ou un caractère international. Il est donc envisagé de
permettre aux parties, souvent non francophones, de faire usage de la langue
anglaise à tous les stades du procès, dans le respect de nos principes et
règles constitutionnelles, en particulier dans le respect de l’article 2 de la
Constitution et les dispositions de l’ordonnance de Villers-Cotterêts ».
Olivia Polski, adjointe à la mairie de Paris chargée du commerce, de l’artisanat
et des professions libérales et indépendantes, a elle aussi soutenu les juges consulaires,
loin de la méfiance évoquée par Jean Messinesi. « Les révolutions technologiques, les nouveaux modes de production et de consommation : ces mutations s’accompagnent d’une
technicité croissante du droit. Dans ce contexte complexe (multiplication des normes
internationales, environnementales, etc.) les TC se distinguent par la
réactivité de leur réponse et leur faible coût », a-telle déclaré. Elle a poursuivi en saluant le rôle des tribunaux de commerce dans la prévention des entreprises en difficulté : « Votre accompagnement
au quotidien des entreprises par une procédure d’assistance et de conseil
permet en effet d’anticiper au bénéfice des entrepreneurs et des salariés ». Olivia Polski partage également le point de vue du président du TC sur le rayonnement de Paris qui doit « s’imposer davantage encore comme
une place de droit à l’influence internationale ».
Sans doute un des symptômes de la méfiance à l’égard des juges consulaires,
Georges Richelme, le président de la Conférence générale des juges consulaires de
France, a entamé son intervention en évoquant une situation « que nous avons déploré ». Il s’agit d’une disposition de la loi J21 qui
fixe la limite d’âge au-delà duquel un juge ne peut plus siéger.
Lors des discussions parlementaires, la conférence
des juges consulaires avait manifesté le désir de voir des mesures transitoires
accompagner le texte. « Nous n’avons pas été entendus
sur ce point et un certain nombre de
juges quitteront les tribunaux sans avoir
terminé leur mandat. Nous avons déploré cette
situation. C’est un manque de respect pour ces femmes et ces hommes qui se sont
dévoués pendant des années bénévolement au service de la justice »,
regrette-t-il, avant d’énumérer
les chiffres de la justice
commerciale pour montrer leur importance : « 550 juges élus cette année sur un total de 3 200 et 950
000 décisions rendues en 2016 ». Georges Richelme salue cependant
la démarche de la Chancellerie qui les a convié à participer aux travaux
concernant la négociation relative au projet de directive européenne visant à
améliorer les procédures de restructuration et d’insolvabilité des entreprises
en difficulté. Il souhaite d’ailleurs prolonger la réflexion jusqu’au rôle de la juridiction
commerciale.
VERS UN TRIBUNAL DES AFFAIRES
ÉCONOMIQUES ?
Le président de la Conférence générale des juges consulaires
de France a annoncé le lancement des « travaux de la commission prospective
qui devra évaluer notre proposition d’aller vers
la création d’un tribunal des affaires
économique ». C’est Xavier Aubry, président du TC de Versailles, qui en sera « la cheville ouvrière ».
Ce dernier déclarait déjà en
2013 : «
Les TC administrent-ils encore seulement entre les commerçants
ou ne sont-ils pas devenus les garants d’un bon
fonctionnement de l’économie ».
Georges Richelme justifie cette volonté : « La juridiction consulaire
actuelle ne connaît pas tous les sujets de la sphère économique. Selon le Code de
l’organisation judiciaire, le TGI est compétent pour toutes les matières qui ne
sont pas expressément réservées à une autre juridiction, c’est ainsi que le contentieux
des artisans, des agriculteurs, des professions libérales, des associations et
des sociétés civiles relèvent du TGI, le TC ne connaissant que celui des commerçants
et des sociétés. Mais, si un agriculteur ou un artisan a intégré son activité dans
une structure sociétaire, celle-ci relèvera alors du TC. En outre, le TGI a une
compétence exclusive pour les litiges relatifs aux baux commerciaux et à la
propriété intellectuelle qui sont des domaines importants de la vie des entreprises.
De la même façon concernant les procédures collectives, alors que les dispositions
du Code de commerce sont identiques, quelle que soit la personnalité juridique
du débiteur – Livre VI – le tribunal de commerce n’est compétent que pour les
procédures à l’encontre du débiteur ayant une activité commerciale ou artisanale.
Les autres procédures relèvent du tribunal de grande instance. Et pour complexifier
un peu plus tout cela, relevons que depuis la loi du 6 août 2015 dite "loi pour
la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques", seuls 18
tribunaux de commerce sur les 134 qui existent aujourd’hui sont compétents pour
les entreprises importantes... ».
Concrètement, Georges Richelme propose de réunir dans une seule juridiction
les affaires économiques. Pour la soutenir, il sait pouvoir compter sur un
allié de poids : le Sénat qui, s’inspirant de leur rapport, propose des
amendements pour l’extension des compétences des TC pour toutes les mesures et
les procédures relatives à la prévention et au traitement de difficultés des
entreprises quel que soit le statut du débiteur. La chambre haute motive cette mesure
de la manière suivante : « compte tenu du savoir-faire des juges
consulaires en ce domaine, sans aller jusqu’à lui transférer le contentieux des baux commerciaux, le
Sénat propose que le TC soit compétent pour les litiges
liés aux baux commerciaux, lorsqu’une
procédure collective est ouverte ».
Lors de son intervention, Nicole Belloubet a clairement affiché son soutien
aux juges consulaires. « Les juridictions consulaires françaises sont un modèle
à part en Europe. Cette originalité,
vous y êtes attachés, et je le suis aussi, car je crois réellement que le monde
du droit et le monde de l’économie ne sont pas antagonistes, mais
complémentaires », a-telle indiqué après un bref retour historique.
La garde des Sceaux a poursuivi en parlant de l’avenir : « Nous devons sans cesse réfléchir ensemble à l’amélioration et à la
modernisation de nos instruments juridiques pour
en faire de véritables leviers d’attractivité économique et commerciale ». Mais elle a aussi
évoqué ce qui a déjà été fait : « La loi du 18 novembre 2016 a procédé à un élargissement de vos compétences en les étendant, à compter du 1er janvier
2022, aux litiges entre artisans, répondant ainsi à une
attente depuis longtemps exprimée ».
Nicole Belloubet a même indiqué avoir demandé à ses services de travailler sur
les propositions de la Conférence générale des juges consulaires de France. Et d’ajouter : « La justice
consulaire, à l’origine justice des marchands, est aujourd’hui devenue la
justice de la vie économique. Ma conviction est que la justice doit prendre
toute sa part dans la nouvelle régulation de notre économie ; il faut donc
poursuivre la modernisation des juridictions commerciales. Vous l’avez évoqué
publiquement à de nombreuses reprises, Monsieur le Président, la création d’un
Tribunal des affaires économiques vous tient à coeur, dans un souci de
rationalisation de la justice et d’uniformisation des dispositifs. Cette réflexion nous devons la
conduire ensemble, avec ambition et pragmatisme ».
L’INTÉGRATION DES ARTISANS DANS LE
CORPS ÉLECTORAL
La ministre de la Justice a poursuivi son intervention
en évoquant la volonté du législateur d’intégrer les artisans dans le corps
électoral des juges consulaires, en leur donnant la possibilité d’être élus
délégués consulaires. Cette mesure s’inscrit dans la logique d’extension voulue
par la Conférence générale. « L’intégration des artisans dans le corps électoral des juges consulaires est positive, mais c’est un
levier insuffisant pour encourager
la participation aux élections. Or, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle, une situation dans laquelle le nombre de délégués
consulaires théorique n’est jamais atteint,
loin s’en faut : en 2016, sur
14 432 postes de délégués consulaires à pourvoir, près de 5 600 postes ne l’ont pas été faute de candidats.
Ainsi, pour certains tribunaux de commerce,
aucun délégué consulaire n’a été élu
(Cusset ou Évreux par exemple). En outre, le
taux de participation aux élections des juges
consulaires est faible », justifie-t-elle.
Nicole Belloubet a aussi évoqué la simplification de
la procédure électorale, laquelle s’inscrit dans un mouvement plus large de
simplification de la procédure civile et de la procédure pénale. Elle propose
ainsi de «
supprimer le système des délégués
consulaires, et de faire élire les juges consulaires directement par les membres élus des chambres de commerce
et d’industrie et des chambres des métiers
et de l’artisanat » « C’est une proposition
que je mets en débat », précise-t-elle.
Victor Bretonnier