Anne Maréchal est directrice des
Affaires juridiques de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Dans un
entretien pour le Journal Spécial des Sociétés, elle revient notamment
sur son parcours professionnel, son rôle au sein de la direction des affaires
juridiques et les spécificités du secteur.
Quel est votre parcours professionnel ?
Après mes
études de droit et la scolarité à l’ENA dont je suis sortie en 1993, j’ai passé
près de dix années au ministère des Finances et plus particulièrement à la direction de la Législation fiscale.
J’ai ensuite rejoint la COB (la Commissions des Opérations de Bourse à laquelle
a succédé l’AMF en 2003) de 1997 à 1999 en mobilité statutaire en tant
qu’administrateur civil. Michel Prada,
président de la COB, m’avait demandé de prendre en charge le service de la
surveillance des marchés où rien n’était alors réellement automatisé. à l’aide de critères mathématiques et
statistiques, nous avons fait développé puis mis en place un système
informatisé de surveillance pour détecter des anomalies de marché qui pouvaient
être le signe d’infractions boursières : manquements d’initié,
manipulations de cours, diffusions d’informations trompeuses. Notre système
très innovant pour l’époque a même été vendu à l’étranger. C’est un outil très
performant qui fait de la France un pays doté de moyens assez remarquables de
détection des infractions boursières.
Après ces deux
années passées au sein de la COB, j’ai décidé d’embrasser la profession
d’avocat tout d’abord chez August & Debouzy, puis dans les cabinet
anglo-saxons Herbert Smith et DLA Piper où j’ai exercé durant huit ans comme
associée spécialisée en droit des affaires et droit boursier. En octobre 2013,
on m’a proposé de prendre en charge la direction des Affaires juridiques de
l’AMF. Je me suis laissée tenter par ce poste car j’avais gardé un excellent
souvenir de la COB et que les missions de l’AMF sont passionnantes. Pour moi,
l’AMF, qui est un régulateur, a besoin d’une direction juridique forte, qui en
est en quelque sorte la tour de contrôle.
Quels sont le rôle et la taille de la direction des Affaires juridiques de
l’AMF ?
J’ai une équipe
de 25 personnes et j’anime une filière d’une soixantaine de juristes répartis
au sein des directions opérationnelles. La direction juridique a pour rôle de
répondre à toutes les questions de droit boursier et de droit financier entrant
dans le champ de compétence de l’AMF, qui est très large. C’est aussi procéder
aux analyses nécessitées par les opérations des émetteurs ou des gestionnaires
d’actifs, par la supervision des infrastructures de marché ou encore dans le
cadre du rôle répressif de l’Autorité. Elle veille à ce qu’il y ait une
cohérence des positions prises au sein de l’ensemble des directions. Elle
traite également des contentieux contre les décisions de l’AMF, par exemple en
matière d’offres publiques, ou en vue de la mise en cause de sa responsabilité.
Je veille à ce que la direction des affaires juridiques soit ouverte vis-à-vis
des acteurs de la Place (avocats, professionnels de la banque, gestionnaires
d’actifs) en répondant à leurs questions. Sur le volet répressif, la direction
juridique est très vigilante et vérifie que les griefs sont bien fondés et
qu’il n’y a pas d’erreur de droit ni d’appréciation factuelle avant
transmission des dossiers au collège. L’AMF est d’ailleurs rarement désavoué
par les juridictions de recours. C’est par ailleurs la direction des Affaires
juridiques qui a la charge de négocier les compositions administratives lorsque
le collège décide de proposer une transaction aux personnes mises en cause.
Cette procédure, étendue en 2016 aux abus de marché, concerne dorénavant plus
de la moitié des contrôles et monte en puissance en matière d’enquêtes. La
négociation de ces accords, qui sont homologués par la commission des sanction
puis intégralement publiés, permet d’obtenir des efforts importants de remise
en conformité de la part des personnes mises en cause et joue un véritable rôle
pédagogique vis-à-vis de la Place.
Quelles actions avez-vous mises en place afin de faire coexister les
différentes fonctions ?
L’AMF a en
quelque sorte cinq « métiers ». Il est rare qu’une
institution ait des champs d’intervention aussi divers.
Le premier
métier est la régulation des opérations des émetteurs, c’est-à-dire notamment
la délivrance des visas pour les introductions en bourse ou les offres
publiques.
Le deuxième est
la gestion d’actifs : l’AMF est le régulateur exclusif des sociétés de
gestion et des fonds.
Le troisième métier de l’AMF est la régulation des infrastructures de marché,
et le quatrième la protection de l’épargne et les relations avec les
épargnants.
Enfin, vient le
rôle de gendarme de l’AMF.
à ces cinq compétences particulières
correspondent cinq directions opérationnelles. Au sein de la direction juridique, j’ai créé cinq pôles
correspondant à ces cinq directions opérationnelles où les juristes sont
spécialisés sur les matières correspondantes. Un des pôles de la direction
traite aussi des questions plus transversales comme celles relatives aux
pouvoirs de l’AMF, ou encore des propositions de textes qui concernent
plusieurs directions opérationnelles, ou encore certaines questions internationales.
Cette organisation qui est la reproduction de celle de l’AMF est la plus
efficace compte tenu des besoins de chaque métier.
Avez-vous des spécificités concernant votre secteur d’activité ? Quelles
problématiques juridiques rencontrez-vous ?
La véritable
spécificité de la direction des Affaires juridiques est d’être complétement
transversale. Nous avons un champ de compétence extrêmement large, ce qui
représente un vrai challenge. Notre métier est loin de se cantonner au droit
boursier ou même au droit financier. Nous traitons aussi bien des questions de
droit des sociétés, de droit européen, de droit administratif ou de droit
constitutionnel. La vraie difficulté est d’être à la fois privatiste et
publiciste. Même s’il est très lourd et très exigeant, mon poste est d’une
incroyable richesse car c’est vers la direction juridique que remontent toutes
les belles questions de droit. Au sein de l’AMF nous sommes les gardiens du
droit : nous veillons à l’application de la règle de droit mais nous avons
aussi un vrai pouvoir de proposition pour améliorer la règlementation. Par
exemple, concernant la question des levées de fonds sur la blockchain via les
ICO, il a fallu tout d’abord comprendre les opérations proposées en recevant
les acteurs avec la cellule Fintech de l’AMF puis regarder si les
réglementations existantes pouvaient s’appliquer à ces toutes nouvelles formes
d’appel public à l’épargne. Or, il est vite apparu que notre réglementation
n’ayant pas été conçue pour cela, il nous fallait réfléchir à un encadrement
réglementaire ad hoc nouveau et changer totalement de paradigme. Cette
réflexion a été présentée dans une consultation publique récente et pourrait
inspirer une réforme ambitieuse dans le projet de loi PACTE. Si nous ne faisons
pas preuve d’imagination, nous ne faisons pas bien notre métier car la
réglementation doit être adaptée aux marchés financiers où l’innovation est
constante. Autre exemple, nous avons dû chercher des solutions pour protéger
les investisseurs piégés par des offres de produits financiers complexes sur
des plateformes internet intervenant sans agrément. Outre les actions de
pédagogie en direction du public, nous avons lancé des procédures devant le TGI
de Paris pour demander le blocage de l’accès à ces sites illicites par ordonnance
judiciaire, ce que nous avons obtenu, la loi Sapin II ayant prévu une procédure
spécifique à l’AMF pour ce faire. Cela nous a ainsi permis de faire fermer 138
sites en trois ans.
Quels sont les dossiers courants et sensibles que les équipes juridiques
ont en charge ?
Par définition,
tous les dossiers sensibles passent par la direction juridique. Nous avons tout
le temps de nouvelles questions, ce qui est principalement dû au fait que tant
les textes que les schémas des opérations qui nous sont soumises évoluent
constamment.
Le service juridique de l’AMF intervient-il dans l’élaboration des textes
de loi ?
La direction
juridique propose régulièrement des textes pour améliorer la réglementation boursière et
financière en liaison avec les directions opérationnelles, en particulier le
règlement général de l’AMF, puisque celle-ci est dotée d’un pouvoir
réglementaire mais aussi la doctrine, très importante pour les praticiens. Nous
sommes également régulièrement saisis par la direction du Trésor qui sollicite
notre expertise ou nos avis sur des textes de niveau supérieur, loi ou décrets.
La direction juridique fait également des propositions de rédaction dans le
cadre des transpositions de textes européens comme celle de MIF II qui a été un
très lourd chantier de près de trois années ou les directives successives en
matière de gestion d’actifs.
Quelle est la position de l’AMF sur la revue des autorités européennes de
supervision ?
L’ESMA qui
regroupe les homologues européens de l’AMF, est basée à Paris et nous avons des
relations fréquentes avec elle. Nous sommes favorables à ce qu’elle dispose de
davantage de pouvoirs directs pour favoriser la convergence dans la supervision
de l’harmonisation des règles européennes. Elle a des pouvoirs élargis depuis
l’entrée en vigueur de MIF II le 3 janvier dernier. L’articulation des pouvoirs
propres de l’ESMA avec ceux des autorités nationales soulève des questions de
droit délicates. C’est le cas par exemple en matière de « product
intervention » où l’ESMA et les autorités nationales ont désormais des
pouvoirs d’interdiction de la commercialisation des produits financiers « toxiques »
qui pourront s’exercer concurremment.
Quels sont les impacts du Brexit pour le service juridique de l’AMF ?
Les conséquences
du Brexit sont potentiellement majeures dans le domaine de la finance compte
tenu de l’importance de la place financière de Londres. Les questions soulevées
en droit sont très nombreuses comme la continuité des contrats, le régime des
pays tiers qu’il faut examiner directive par directive, le régime
juridictionnel, etc. Nous y travaillons en liaison avec le Haut comité
juridique de Place qui a créé en son sein plusieurs groupes de travail sur ces
questions.
Quels sont actuellement les engagements/sujets qui vous tiennent à
cœur ?
La réglementation sur les ICO que l’on aimerait voir voter me
tient particulièrement à cœur. Il s’agit d’un beau challenge puisque tout
en protégeant les investisseurs, nous
espérons attirer en France les projets sérieux et favoriser l’innovation sur la
blockchain.
Propos recueillis par Cécile Leseur