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Entretien avec Marine de Beaufort, fondatrice de Voy’Agir

 Entretien avec Marine de Beaufort, fondatrice de Voy’Agir
Publié le 29/02/2020 à 10:00

Parce qu’il n’est pas toujours facile d’associer tourisme, écologie et engagement sociétal, Marine de Beaufort a lancé, en juin 2016, Voy’Agir, une plateforme collaborative qui répertorie des adresses responsables. Comment ce projet est-il né et comment fonctionne-t-il ? Entretien. 



Pouvez-vous vous présenter, et nous présenter Voy’Agir ? Quand et comment est née cette plateforme ?


J’ai fondée officiellement Voy’Agir en 2016. Il s’agit d’une plateforme collaborative pour des voyageurs responsables. Pour valider mon Master en développement durable que je réalisais en parallèle de mon métier de consultante en système d’information, j’ai pris un congé sans solde et suis partie six mois pour réaliser une étude de terrain comparative sur l’écotourisme au Panama et au Costa Rica. Très vite, mon étude est au final devenue une critique des labels sur l’écotourisme, le tourisme durable, le tourisme solidaire, etc. Je me suis vite rendu compte qu’il était très compliqué de trouver sur Internet des établissements véritablement engagés. C’est donc ainsi qu’est née Voy’Agir.


Sur notre plateforme, chaque voyageur peut librement référencer une adresse non pas en la labellisant, mais en décrivant simplement les actions responsables qui y sont menées. Libre à chacun d’être responsable de ses choix et de juger si l’établissement est assez « engagé » pour y effectuer une réservation. L’idée est de responsabiliser le voyageur, plutôt que de se fier à un macaron collé sur la vitrine, sans en connaître les détails.


 


Quels aides et soutiens avez-vous reçus lors de sa création ?


Lors de la création de Voy’Agir, mes associés ont été d’une aide précieuse ! Il y a mon compagnon Mathieu, développeur du site Internet, qui assure toujours la maintenance et le suivi des nouveaux développements. Anna, avocate, nous a aidés à créer la base juridique de la structure. Laura, spécialisée dans la communication des organisations à impact, aide sur la stratégie de communication, et Cécile aide sur l’aspect organisationnel. Enfin, il y a le soutien de mes deux parents, qui m’apportent leur aide sur l’aspect réseau, et financier. Nous n’avons bénéficié d’aucune subvention, car lors d’une telle demande, il faut fréquemment la justifier avec appel à prestataire. Or, nous avions déjà les compétences en interne et avions surtout besoin d’aides pour développer Voy’Agir. Nous avons donc lancé une campagne de crowdfunding en 2017.




 



Justement pouvez-vous nous en dire plus sur cette campagne de crowdfunding (ou financement participatif) ?


Cette campagne, qui avait pour objectif principal de nous permettre de développer la plateforme en interne, nous a beaucoup aidés, car sur un objectif de 4 000 euros affiché, nous sommes parvenus à récolter 11 000 euros. Nous avons ainsi pu poursuivre notre logique en continuant les développements en interne et en gardant le contrôle.


Outre l’aspect financier, cette campagne nous a aussi offert une grande visibilité, permettant de multiplier par 5 le nombre d’utilisateurs et d’obtenir des articles dans des magazine et sur des blogs. Suite à ce succès, nous avons été approchés par plusieurs business angels intéressés pour réaliser une levée de fonds. Nous nous sommes toutefois rendu compte que cela nous obligerait à renoncer à certains critères qui nous tenaient à cœur. J’ai fondé Voy’Agir non pas pour monter une start-up et faire de l’argent, mais parce que je crois en ce tourisme durable. Le tourisme a longtemps été un moyen de développement pour certains pays, mais aujourd’hui, il est aussi devenu un fardeau. Il peut toutefois redevenir un outil merveilleux pour leur développement, mais seulement s’il est développé de manière durable. Pour répondre à ce besoin, la plateforme devait rester entièrement gratuite, et ce n’était pas compatible avec les projets des business angels. Les 11 000 euros récoltés durant la campagne nous ont donc permis de faire ce choix, en nous laissant un peu de marge pour continuer dans ce sens.


 


Comme vous le disiez, la plateforme est collaborative. Ce critère était-il important pour vous ? Comment cela fonctionne-t-il ?


Cet aspect est même complètement inhérent au concept de Voy’Agir. Il est essentiel car sans ce critère, notre système s’apparenterait à celui d’un label, c’est-à-dire que nous deviendrions juges et parties, et ce n’était pas notre choix. C’est aussi essentiel pour le développement de la plateforme, notamment à l’international, car cela permet de récolter un maximum d’adresses dans une multitude de pays. En outre, la participation de chacun est utile pour la mise à jour des avis, l’aspect collaboratif permettant d’assurer la fiabilité de l’information. La logique n’est pas d’associer un autocollant « responsable » à l’établissement, mais clairement de décrire les actions réalisées. Utilisation de panneau solaire, petit-déjeuner bio, tri des déchets… les données sont très concrètes et les actions sont vérifiables par le voyageur. Le collaboratif est à mon sens l’avenir et se développe dans de nombreux domaines. Enfin, comme le nom Voy’Agir l’indique, l’aspect participatif permet de rendre le voyageur actif et responsable de ses choix.


 


Activité, gastronomie, hébergement, shopping… votre plateforme répertorie de nombreux établissements, et ce dans le monde entier. Comment vous assurez-vous de leur engagement responsable ?


Le but est de s’assurer des engaments grâce à la communauté. C’est elle qui confirme ou infirme les données. Toutefois, par le contrôle que nous avons lors de la validation des adresses saisies, nous nous assurons au maximum de l’engagement responsable des établissements. D’abord en prenant connaissance de leur « politique » sur le site Internet et les réseaux sociaux de l’établissement ; en termes de contenu bien sûr, mais surtout en analysant la façon dont l’établissement communique sur son engagement et leur cohérence. Assurément, ces informations ne sont pas sûres à 100 %, mais demeurent des faisceaux d’indices pertinents et révélateurs.


Dans le cas où le doute demeure, nous contractons l’établissement et/ou la personne qui a partagé l’adresse pour obtenir davantage d’informations.


De façon générale sur Voy’Agir, nous privilégions des descriptions claires avec des exemples factuels et précis qui sont plus facilement vérifiables.



 


«  Le tourisme a longtemps été un moyen de développement pour certains pays,  mais aujourd’hui, il est aussi devenu un fardeau ».


 


 


Le tourisme de masse est une industrie extrêmement polluante. Par son impact, le touriste détruit donc les sites qu’il est pourtant venu observer. Quel regard posez-vous sur ce paradoxe ?


Le tourisme de masse a en effet un gros impact en termes de pollution, notamment en ce qui concerne les transports, qui représentent 75 % de l’empreinte carbone du tourisme, avec en tête de liste, l’avion. Outre la pollution, soulevons aussi l’utilisation des ressources : dans beaucoup de pays, notamment ceux en voie de développement, le touriste utilise les ressources (énergie, eau, agricole…) en réponse à ses habitudes occidentales, utilisation multipliée par 4, 5, voire 7 par rapport à celle d’un local. Quand on sait que certaines villes accueillent davantage de touristes que de locaux, ces habitudes ont inévitablement une pression énorme sur les ressources locales.


Toutefois, le tourisme peut également être créateur d’impacts positifs, valeur que nous tentons de valoriser chez Voy’Agir. Il ne faut pas oublier que certains pays en voie de développement ne pourraient survivre sans le tourisme, lequel représente leur première ressource. Le tourisme permet de protéger certains espaces naturels qui seraient voués à disparaître sans la valeur touristique qu’ils représentent. La création de réserves naturelles en est le bon exemple, même si dans ce domaine, tout n’est pas toujours en règle. Au niveau patrimonial aussi, le tourisme peut s’avérer positif : si le Machu Picchu n’avait pas un impact économique pour le pays, il n’aurait pas été autant conservé. C’est toutefois paradoxal en effet, car les touristes vont, à leur tour, par leur présence massive, abîmer le site. Le tourisme peut enfin aider à développer l’économie du pays, par la création d’emplois notamment, ou même sauver certaines coutumes qui étaient vouées à disparaître. Cependant, là encore, il faut prendre garde de préserver la valeur intrinsèque de ces traditions, sans tomber dans la « folklorisation ».


Le paradoxe du tourisme est complexe, et la recherche d’un équilibre entre l’impact négatif et l’impact positif du tourisme donne un intérêt intellectuel au tourisme durable qui me passionne. Chez Voy’Agir, on ne cherche pas à mettre un voile sur l’impact négatif du tourisme, mais nous tâchons aussi de mettre en avant son impact positif, en visant à le développer au maximum.


 


De plus en plus de personnes semblent être sensibles à la problématique écologique. Dans le tourisme, on parle même de Flygskam (honte de l'avion). Pensez-vous que les choses sont en train d’évoluer positivement – et durablement ?


Le Flygskam se développe en effet, et la prise de conscience quant à l’impact écologique des trajets en avion témoigne d’une évolution positive. En effet, certaines personnes – notamment des blogueurs – annoncent ne plus vouloir prendre l’avion. Outre leur démarche, c’est le message qui est important. Toutefois, ce phénomène demeure marginal et l’impact est encore très limité, car cette action ne peut réellement avoir de résonance que si elle est pratiquée à grande échelle.


On est encore malheureusement loin du compte ! En effet, certaines personnes prennent encore l’avion pour des trajets courts (je m’interroge encore sur l’utilité de la ligne Paris-Montpellier… même si je comprends que son prix soit attractif). Ce pourquoi nous « militons » chez Voy’Agir, c’est qu’il ne faut donc pas arrêter de voyager, mais plutôt privilégier un seul grand voyage dans l’année et favoriser, le reste du temps, les autres transports. Nous nous sommes par exemple imposé cette exigence chez Voy’Agir, en ne réalisant qu’un seul voyage dans l’année, de plus d’un mois, et au cours duquel, nous tentons de compenser l’empreinte carbone engendrée par le trajet.


Les mentalités évoluent et c’est une bonne chose. En revanche, à mon sens, pour répondre réellement et de façon efficace à cette problématique, le gouvernement, les entreprises et les compagnies aériennes doivent se mobiliser. Pourquoi ne pas taxer davantage les vols internes, par exemple ? On dit que le tourisme est responsable de 8 % des émissions des gaz à effet de serre, mais cela inclut le tourisme d’affaires qui correspond à plus de la moitiés des vols. À ce titre, les entreprises ont leur rôle à jouer. Avec le développement des nouvelles technologies, il est par exemple possible aujourd’hui de privilégier les réunions en téléconférence et de limiter ainsi les déplacements. Par contre, dans d’autres domaines comme la maltraitance des animaux (les ballades à dos d’éléphant par exemple), la prise de conscience individuelle a eu un réel impact. Les gens sont aujourd’hui prêts à faire des choix éclairés. Toutefois, la majorité des personnes n’est pas encore prête, selon moi, à renoncer à prendre l’avion, à renoncer à ce confort et au gain financier que ces trajets proposent. C’est notre rôle de les aider à réduire…


 


Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs qui cherchent à pratiquer un tourisme responsable ?


Avant toute chose, il ne faut pas partir en voulant être un touriste responsable, mais en voulant faire un voyage responsable, c’est-à-dire en étant davantage dans la découverte que la consommation. La découverte de l’autre, d’un paysage, d’une culture, et même de soi est primordiale. On peut parler de slow tourism. Cela demande de prendre son temps, afin de comprendre tous les tenants et les aboutissants du pays, à l’inverse du tourisme de masse qui se caractérise par de la consommation simple et rapide.


La première question à se poser est le choix de sa destination. L’optimisation du transport est en effet un facteur déterminant. Comme dit plus haut, les destinations ne nécessitant pas l’avion sont à privilégier, mais aussi celles en vol direct, sans escales.


Se pose ensuite la question de la préparation dudit voyage : sans tout programmer de façon « rigide », préparer le voyage en identifiant les lieux et les activités dits « responsables » permet de limiter son impact sur l’environnement.


Se renseigner sur la destination : quelles sont les tensions sociales et environnementales du pays ?
Et donc choisir la manière dont on va voyager en réponse à ces problématiques. Se renseigner aussi sur la manière d’apporter du positif sur place : inclure par exemple durant son voyage un volontariat bénéfique à la collectivité locale ou à l’environnement. Sinon, se renseigner sur les besoins dudit pays : par exemple en apportant à une école, un orphelinat ou une association du matériel (stylos, vêtements…) ou même en proposant ses compétences en organisant des ateliers utiles, sur place. Au Panama par exemple, nous avons organisé des ateliers dans les hôtels, dédiés au personnel et aux clients, sur le tri du déchet.


Vient ensuite la préparation du sac. Comme au quotidien, le zéro déchet existe quand on voyage.
Le but étant de ne pas apporter de déchets dans le pays, mais aussi de s’équiper pour ne pas en engendrer sur place (privilégier le shampoing solide, s’équiper d’un contenant permettant l’achat de street food, d’une paille en aluminium ou en bambou, d’un mouchoir en tissu, d’un tote bag, d’une gourde…).


Enfin, le tourisme responsable peut se pratiquer à son retour, en parlant autour de soi du pays, de ses problématiques et de ce qu’on peut faire pour favoriser un impact positif.


 


Enfin, quels sont vos projets pour la suite ? Envisagez-vous un développement de votre plateforme ?


à partir de l’année prochaine, on a décidé de transformer Voy’Agir en association. Le plus important pour nous est de promouvoir un tourisme responsable, mais en étant une start-up, il est compliqué de travailler uniquement sur cet impact. Très vite, en effet, les « logiques classiques de capitalisme » sont proposées par les investisseurs, et ça ne marche pas dans notre secteur. On veut toutefois continuer à se développer, toujours dans le collaboratif, mais en ayant un but non lucratif.


Toujours dans l’idée d’aider les gens à voyager de façon plus responsable, nous sommes actuellement en train de développer la possibilité pour le voyageur d’acheter des itinéraires personnalisés et flexibles. Aucune réservation n’est faite – nous ne sommes pas une agence de voyage –, mais nous proposerons, un itinéraire, des hébergements et des activités en réponse au budget de la personne, au niveau de confort souhaité et aux causes qui lui tiennent le plus à cœur.


J’ai commencé également à donner des cours de tourisme responsable dans différentes écoles, et j’envisage de développer davantage cet aspect. En effet, former les futurs professionnels en tourisme et de l’hôtellerie, c’est aussi une voie qui me paraît essentielle pour agir pour le tourisme durable.


Enfin, nous allons proposer cette années une série d’interview de voyacteurs (à suivre...)


 


Propos recueillis par Constance Périn


 


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