Parce qu’il n’est pas
toujours facile d’associer tourisme, écologie et engagement sociétal, Marine de
Beaufort a lancé, en juin 2016, Voy’Agir, une plateforme collaborative qui
répertorie des adresses responsables. Comment ce projet est-il né et
comment fonctionne-t-il ? Entretien.
Pouvez-vous vous
présenter, et nous présenter Voy’Agir ? Quand et comment est née cette
plateforme ?
J’ai fondée officiellement Voy’Agir en 2016. Il
s’agit d’une plateforme collaborative pour des voyageurs responsables. Pour
valider mon Master en développement durable que je réalisais en parallèle de
mon métier de consultante en système d’information, j’ai pris un congé sans
solde et suis partie six mois pour réaliser une étude de terrain
comparative sur l’écotourisme au Panama et au Costa Rica. Très vite, mon étude est
au final devenue une critique des labels sur l’écotourisme, le tourisme
durable, le tourisme solidaire, etc. Je me suis vite rendu compte qu’il était
très compliqué de trouver sur Internet des établissements véritablement
engagés. C’est donc ainsi qu’est née Voy’Agir.
Sur notre plateforme, chaque voyageur peut librement
référencer une adresse non pas en la labellisant, mais en décrivant simplement
les actions responsables qui y sont menées. Libre à chacun d’être responsable
de ses choix et de juger si l’établissement est assez « engagé » pour
y effectuer une réservation. L’idée est de responsabiliser le voyageur, plutôt
que de se fier à un macaron collé sur la vitrine, sans en connaître les
détails.
Quels aides et soutiens
avez-vous reçus lors de sa création ?
Lors de la création de Voy’Agir, mes associés ont été
d’une aide précieuse ! Il y a mon compagnon Mathieu, développeur du site
Internet, qui assure toujours la maintenance et le suivi des nouveaux
développements. Anna, avocate, nous a aidés à créer la base juridique de la
structure. Laura, spécialisée dans la communication des organisations à impact,
aide sur la stratégie de communication, et Cécile aide sur l’aspect
organisationnel. Enfin, il y a le soutien de mes deux parents, qui m’apportent
leur aide sur l’aspect réseau, et financier. Nous n’avons bénéficié d’aucune
subvention, car lors d’une telle demande, il faut fréquemment la justifier avec
appel à prestataire. Or, nous avions déjà les compétences en interne et avions
surtout besoin d’aides pour développer Voy’Agir. Nous avons donc lancé une
campagne de crowdfunding en 2017.
Justement pouvez-vous nous
en dire plus sur cette campagne de crowdfunding (ou financement
participatif) ?
Cette campagne, qui avait pour objectif principal de
nous permettre de développer la plateforme en interne, nous a beaucoup aidés,
car sur un objectif de 4 000 euros affiché, nous sommes parvenus à
récolter 11 000 euros. Nous avons ainsi pu poursuivre notre logique
en continuant les développements en interne et en gardant le contrôle.
Outre l’aspect financier, cette campagne nous a
aussi offert une grande visibilité, permettant de multiplier par 5 le nombre
d’utilisateurs et d’obtenir des articles dans des magazine et sur des blogs.
Suite à ce succès, nous avons été approchés par plusieurs business angels intéressés
pour réaliser une levée de fonds. Nous nous sommes toutefois rendu compte que
cela nous obligerait à renoncer à certains critères qui nous tenaient à cœur.
J’ai fondé Voy’Agir non pas pour
monter une start-up et faire de l’argent, mais parce que je crois en ce
tourisme durable. Le tourisme a longtemps été un moyen de développement pour
certains pays, mais aujourd’hui, il est aussi devenu un fardeau. Il peut
toutefois redevenir un outil merveilleux pour leur développement, mais
seulement s’il est développé de manière durable. Pour répondre à ce besoin, la
plateforme devait rester entièrement gratuite, et ce n’était pas compatible
avec les projets des business angels. Les 11 000 euros
récoltés durant la campagne nous ont donc permis de faire ce choix, en nous
laissant un peu de marge pour continuer dans ce sens.
Comme vous le disiez, la
plateforme est collaborative. Ce critère était-il important pour vous ?
Comment cela fonctionne-t-il ?
Cet aspect est même complètement inhérent au concept
de Voy’Agir. Il est essentiel car sans ce critère, notre système
s’apparenterait à celui d’un label, c’est-à-dire que nous deviendrions juges et
parties, et ce n’était pas notre choix. C’est aussi essentiel pour le développement
de la plateforme, notamment à l’international, car cela permet de récolter un
maximum d’adresses dans une multitude de pays. En outre, la participation de
chacun est utile pour la mise à jour des avis, l’aspect collaboratif permettant
d’assurer la fiabilité de l’information. La logique n’est pas d’associer un
autocollant « responsable » à l’établissement, mais clairement
de décrire les actions réalisées. Utilisation de panneau solaire,
petit-déjeuner bio, tri des déchets… les données sont très concrètes et les
actions sont vérifiables par le voyageur. Le collaboratif est à mon sens
l’avenir et se développe dans de nombreux domaines. Enfin, comme le nom
Voy’Agir l’indique, l’aspect participatif permet de rendre le voyageur actif et
responsable de ses choix.
Activité, gastronomie,
hébergement, shopping… votre plateforme répertorie de nombreux établissements,
et ce dans le monde entier. Comment vous assurez-vous de leur engagement
responsable ?
Le but est de s’assurer des engaments grâce à la
communauté. C’est elle qui confirme ou infirme les données. Toutefois, par le
contrôle que nous avons lors de la validation des adresses saisies, nous nous
assurons au maximum de l’engagement responsable des établissements. D’abord en
prenant connaissance de leur « politique » sur le site
Internet et les réseaux sociaux de l’établissement ; en termes de
contenu bien sûr, mais surtout en analysant la façon dont l’établissement
communique sur son engagement et leur cohérence. Assurément, ces informations
ne sont pas sûres à 100 %, mais demeurent des faisceaux d’indices
pertinents et révélateurs.
Dans le cas où le doute demeure, nous contractons
l’établissement et/ou la personne qui a partagé l’adresse pour obtenir
davantage d’informations.
De façon générale sur Voy’Agir, nous privilégions
des descriptions claires avec des exemples factuels et précis qui sont plus
facilement vérifiables.
«
Le tourisme a longtemps été un moyen de développement pour certains pays, mais aujourd’hui, il est aussi devenu un
fardeau ».
Le tourisme de masse est
une industrie extrêmement polluante. Par son impact, le touriste détruit donc
les sites qu’il est pourtant venu observer. Quel regard posez-vous sur ce
paradoxe ?
Le tourisme de masse a en effet un gros impact en
termes de pollution, notamment en ce qui concerne les transports, qui
représentent 75 % de l’empreinte carbone du tourisme, avec en tête de
liste, l’avion. Outre la pollution, soulevons aussi l’utilisation des
ressources : dans beaucoup de pays, notamment ceux en voie de
développement, le touriste utilise les ressources (énergie, eau, agricole…) en
réponse à ses habitudes occidentales, utilisation multipliée par 4, 5, voire 7
par rapport à celle d’un local. Quand on sait que certaines villes accueillent
davantage de touristes que de locaux, ces habitudes ont inévitablement une
pression énorme sur les ressources locales.
Toutefois, le tourisme peut également être créateur
d’impacts positifs, valeur que nous tentons de valoriser chez Voy’Agir. Il ne
faut pas oublier que certains pays en voie de développement ne pourraient
survivre sans le tourisme, lequel représente leur première ressource. Le
tourisme permet de protéger certains espaces naturels qui seraient voués à
disparaître sans la valeur touristique qu’ils représentent. La création de
réserves naturelles en est le bon exemple, même si dans ce domaine, tout n’est
pas toujours en règle. Au niveau patrimonial aussi, le tourisme peut s’avérer
positif : si le Machu Picchu n’avait pas un impact économique pour le
pays, il n’aurait pas été autant conservé. C’est toutefois paradoxal en effet,
car les touristes vont, à leur tour, par leur présence massive, abîmer le site.
Le tourisme peut enfin aider à développer l’économie du pays, par la création
d’emplois notamment, ou même sauver certaines coutumes qui étaient vouées à
disparaître. Cependant, là encore, il faut prendre garde de préserver la valeur
intrinsèque de ces traditions, sans tomber dans la
« folklorisation ».
Le paradoxe du tourisme est complexe, et la recherche
d’un équilibre entre l’impact négatif et l’impact positif du tourisme donne un
intérêt intellectuel au tourisme durable qui me passionne. Chez Voy’Agir, on ne
cherche pas à mettre un voile sur l’impact négatif du tourisme, mais nous
tâchons aussi de mettre en avant son impact positif, en visant à le développer
au maximum.
De plus en plus de
personnes semblent être sensibles à la problématique écologique. Dans le
tourisme, on parle même de Flygskam (honte de l'avion). Pensez-vous que
les choses sont en train d’évoluer positivement – et durablement ?
Le Flygskam se développe en effet, et la prise
de conscience quant à l’impact écologique des trajets en avion témoigne d’une
évolution positive. En effet, certaines personnes – notamment des blogueurs –
annoncent ne plus vouloir prendre l’avion. Outre leur démarche, c’est le
message qui est important. Toutefois, ce phénomène demeure marginal et l’impact
est encore très limité, car cette action ne peut réellement avoir de résonance
que si elle est pratiquée à grande échelle.
On est encore malheureusement loin du compte ! En
effet, certaines personnes prennent encore l’avion pour des trajets courts (je
m’interroge encore sur l’utilité de la ligne Paris-Montpellier… même si je
comprends que son prix soit attractif). Ce pourquoi nous « militons »
chez Voy’Agir, c’est qu’il ne faut donc pas arrêter de voyager, mais plutôt
privilégier un seul grand voyage dans l’année et favoriser, le reste du temps,
les autres transports. Nous nous sommes par exemple imposé cette exigence chez
Voy’Agir, en ne réalisant qu’un seul voyage dans l’année, de plus d’un mois, et
au cours duquel, nous tentons de compenser l’empreinte carbone engendrée par le
trajet.
Les mentalités évoluent et c’est une bonne chose. En
revanche, à mon sens, pour répondre réellement et de façon efficace à cette
problématique, le gouvernement, les entreprises et les compagnies aériennes
doivent se mobiliser. Pourquoi ne pas taxer davantage les vols internes, par
exemple ? On dit que le tourisme est responsable de 8 % des émissions
des gaz à effet de serre, mais cela inclut le tourisme d’affaires qui
correspond à plus de la moitiés des vols. À ce titre, les entreprises ont leur
rôle à jouer. Avec le développement des nouvelles technologies, il est par
exemple possible aujourd’hui de privilégier les réunions en téléconférence et
de limiter ainsi les déplacements. Par contre, dans d’autres domaines comme la
maltraitance des animaux (les ballades à dos d’éléphant par exemple), la prise
de conscience individuelle a eu un réel impact. Les gens sont aujourd’hui prêts
à faire des choix éclairés. Toutefois, la majorité des personnes n’est pas encore
prête, selon moi, à renoncer à prendre l’avion, à renoncer à ce confort et au
gain financier que ces trajets proposent. C’est notre rôle de les aider à
réduire…
Quels conseils
donneriez-vous à nos lecteurs qui cherchent à pratiquer un tourisme
responsable ?
Avant toute chose, il ne faut pas partir en voulant
être un touriste responsable, mais en voulant faire un voyage responsable,
c’est-à-dire en étant davantage dans la découverte que la consommation. La
découverte de l’autre, d’un paysage, d’une culture, et même de soi est
primordiale. On peut parler de slow tourism. Cela demande de
prendre son temps, afin de comprendre tous les tenants et les aboutissants du
pays, à l’inverse du tourisme de masse qui se caractérise par de la
consommation simple et rapide.
La première question à se poser est le choix de sa
destination. L’optimisation du transport est en effet un facteur déterminant.
Comme dit plus haut, les destinations ne nécessitant pas l’avion sont à
privilégier, mais aussi celles en vol direct, sans escales.
Se pose ensuite la question de la préparation dudit
voyage : sans tout programmer de façon « rigide », préparer le
voyage en identifiant les lieux et les activités dits
« responsables » permet de limiter son impact sur l’environnement.
Se renseigner sur la destination : quelles sont
les tensions sociales et environnementales du pays ?
Et donc choisir la manière dont on va voyager en réponse à ces problématiques.
Se renseigner aussi sur la manière d’apporter du positif sur place :
inclure par exemple durant son voyage un volontariat bénéfique à la
collectivité locale ou à l’environnement. Sinon, se renseigner sur les
besoins dudit pays : par exemple en apportant à une école, un
orphelinat ou une association du matériel (stylos, vêtements…) ou même en
proposant ses compétences en organisant des ateliers utiles, sur place. Au
Panama par exemple, nous avons organisé des ateliers dans les hôtels, dédiés au
personnel et aux clients, sur le tri du déchet.
Vient ensuite la préparation du sac. Comme au
quotidien, le zéro déchet existe quand on voyage.
Le but étant de ne pas apporter de déchets dans le pays, mais aussi de
s’équiper pour ne pas en engendrer sur place (privilégier le shampoing solide,
s’équiper d’un contenant permettant l’achat de street food, d’une paille
en aluminium ou en bambou, d’un mouchoir en tissu, d’un tote bag, d’une
gourde…).
Enfin, le tourisme responsable peut se pratiquer à
son retour, en parlant autour de soi du pays, de ses problématiques et de ce qu’on
peut faire pour favoriser un impact positif.
Enfin, quels sont vos
projets pour la suite ? Envisagez-vous un développement de votre
plateforme ?
à partir de l’année prochaine, on a décidé de transformer Voy’Agir en
association. Le plus important pour nous est de promouvoir un tourisme
responsable, mais en étant une start-up, il est compliqué de travailler
uniquement sur cet impact. Très vite, en effet, les « logiques
classiques de capitalisme » sont proposées par les investisseurs, et
ça ne marche pas dans notre secteur. On veut toutefois continuer à se
développer, toujours dans le collaboratif, mais en ayant un but non lucratif.
Toujours dans l’idée d’aider les gens à voyager de
façon plus responsable, nous sommes actuellement en train de développer la
possibilité pour le voyageur d’acheter des itinéraires personnalisés et
flexibles. Aucune réservation n’est faite – nous ne sommes pas une agence de
voyage –, mais nous proposerons, un itinéraire, des hébergements et des
activités en réponse au budget de la personne, au niveau de confort souhaité et
aux causes qui lui tiennent le plus à cœur.
J’ai commencé également à donner des cours de
tourisme responsable dans différentes écoles, et j’envisage de développer
davantage cet aspect. En effet, former les futurs professionnels en tourisme et
de l’hôtellerie, c’est aussi une voie qui me paraît essentielle pour agir pour
le tourisme durable.
Enfin, nous allons proposer cette années une série
d’interview de voyacteurs (à suivre...)
Propos recueillis par Constance Périn