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« Acteur délégué du service public, nous nous devons de proposer un service numérique de qualité et sécurisé » - Entretien avec Thomas Denfer, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

« Acteur délégué du service public, nous nous devons de proposer un service numérique de qualité et sécurisé » - Entretien avec Thomas Denfer, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
Publié le 06/10/2022 à 09:56

Les crises successives et l’évolution du contexte géopolitique actuel ont fait naître de nouvelles préoccupations liées à la souveraineté. Cette année, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a justement choisi le sujet de la souveraineté numérique appliquée à la justice pour son 134e congrès national. Enjeux, garanties, perspectives : entretien avec Thomas Denfer, président du CNGTC.

 





Les 6 et 7 octobre prochains se tiendra à Lille le 134e congrès du CNGTC, organisé autour de la souveraineté numérique. Pourquoi ce thème ?

Cette année, nous avons en effet choisi de consacrer notre congrès annuel à la souveraineté numérique car il s’agit sujet d’actualité, à l'heure où l'utilisation de la donnée, qui constitue un bien précieux, mérite encadrement et sécurité.

 

 


Quels seront les temps forts de votre congrès ?

Notre congrès s’organise autour de trois axes majeurs : les enjeux, les garanties et les perspectives du numérique, au service de la justice commerciale.

La sécurité est évidemment au cœur de nos préoccupations. Lors d’une table ronde consacrée à la souveraineté numérique garante d’une justice indépendante, interviendront Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc, préfète et directrice générale de l’Agence nationale des titres sécurisés, Gaëtan Poncelin de Raucourt, sous-directeur adjoint stratégie de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information et Dieudonné Mpouki, président du GIE Infogreffe.

Pour inscrire cette problématique dans une dimension européenne voire internationale, nous sommes également heureux d’accueillir durant ce congrès Didier Reynders, commissaire européen de justice, et de recueillir le témoignage de Florence Hermite, magistrate de liaison à Washington, dans le cadre d’une approche comparative.

Les développements numériques ne doivent pas se faire au détriment de l’accès au droit et à la justice : la Défenseure des droits, Claire Hédon, sera présente pour nous le rappeler. En effet, les outils numériques, et notamment le Tribunal Digital créé en 2019, offrent un accès facilité à la justice commerciale, mais ne remplacent en aucun cas la dimension humaine et la proximité territoriale, avec la présence de 134 tribunaux de commerce en France métropolitaine et 7 tribunaux mixtes de commerce et dans les départements et régions d’outre-mer.

Se tiendra également une table ronde portant sur les défis de l’open data des décisions de justice, avec la participation d’Emmanuelle Wachenheim, cheffe du service de l’expertise et de la modernisation au ministère de la Justice, Sandrine Zientara-Logeay, présidente de chambre à la Cour de cassation, directrice du service de documentation, des études et du rapport en charge de l’open data, Sonia Arrouas, présidente de la Conférence générale des juges consulaires de France et Victor Geneste, greffier associé du tribunal de commerce du Mans et vice-président de notre Conseil national.

 


 

« Le dispositif français et la tenue des registres dits “à la française” (…) sont clairement salués à l’international. »

 

 


Ces deux dernières années, le CNGTC a dû être réactif pour permettre à la justice commerciale de continuer à fonctionner. Quels dispositifs ont été déployés pour enrayer les effets de la crise ?

À peine 15 jours après l’annonce du premier confinement par Emmanuel Macron, en mars 2020, le Conseil national a mis en place un nouvel outil numérique : Tixéo, qui permet la tenue de visioaudiences dans des conditions compatibles avec les impératifs de sécurité et de confidentialité de la vie des affaires. Tixéo est un prestataire français recommandé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

Cet outil s’inscrit dans le prolongement du développement numérique entamé depuis plusieurs décennies déjà par la profession ; avec le minitel d’abord, puis, dans les années 2000, avec l’ouverture du site internet d’Infogreffe consacré initialement à la diffusion électronique des données du registre du commerce et des sociétés (et notamment des Kbis) et plus récemment le Tribunal Digital.

 

 


L’objectif est donc de simplifier la vie des dirigeants d’entreprise…

Exactement, nous nous engageons à faciliter le quotidien du dirigeant dentreprise en numérisant l’accès à la justice commerciale ; une démarche qui s’inscrit dans la feuille de route du président de la République, avec la possibilité pour le justiciable de suivre en ligne ses procédures. Délégataires de la puissance publique, les greffiers s’inscrivent dans cette volonté. Ils sont par exemple chargés de la tenue et du contrôle des formalités au Registre du Commerce et des Sociétés, qui peuvent être aujourd’hui intégralement accomplies en ligne. Toutefois, la tenue de ces registres suppose une vigilance accrue. La cybersécurité est un enjeu fort pour l’État français, et la protection et l’encadrement de ces données sont primordiaux pour notre profession. En tant qu’acteur délégué du service public, nous devons proposer un service numérique de qualité et sécurisé en renforçant notre arsenal de défense. Les médias se font régulièrement le relais d’attaques cyber toujours plus nombreuses, et dans ce contexte, le temps géopolitique nous oblige à être encore plus vigilants.

 


 

Justement, la CNIL a récemment prononcé une sanction de 250 000 euros à l’encontre du GIE Infogreffe pour avoir manqué à plusieurs obligations du RGPD en matière de durée de conservation et de sécurité des données personnelles.

Le numérique a vocation à faciliter la vie des entrepreneurs, mais cela implique des investissements d’autant plus importants en matière de cybersécurité afin de sécuriser les données des registres dont nous assurons la tenue. Rappelons toutefois que dans le cas d’Infogreffe, aucune intrusion malveillante n’est intervenue et qu’aucune donnée n’a fuité. Il s’agit essentiellement d’une sanction préventive qui ont permis de pointer vers des manquements qui ont pu être corrigés, permettant ainsi une parfaite mise en conformité avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Cette actualité vient nous rappeler qu’on peut toujours s’améliorer et confirme qu’il faut rester vigilant en permanence.

 

 


Comment le dispositif français et le rôle des greffiers, notamment dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, sont-ils perçus à l’international ?

Le dispositif français et la tenue des registres dits « à la française » – comme le registre des bénéficiaires effectifs (RBE) et le RCS –, sont salués à l’international et font figure d’exemple. Le dispositif français est assez unique en son genre, et la pertinence de l’action des greffiers des tribunaux de commerce a d’ailleurs récemment été saluée, en mai dernier, dans le dernier rapport d’évaluation du Groupe d’Action Financière (GAFI). La France dispose d’une justice commerciale indépendante, transparente et agile, et ce rapport est venu le confirmer.

Pour promouvoir notre savoir-faire et mettre en avant ce dispositif tricolore, nous sommes heureux d’organiser la prochaine Conférence annuelle de l’EBRA, l’European Business Registry Association, qui se tiendra pour la première fois en France en 2023. L’occasion aussi de promouvoir l’attractivité française et d’asseoir Paris et la France comme places de droit sur la scène internationale.




Quel regard portez-vous sur les propositions portées par le comité des États généraux de la Justice en termes de justice commerciale  ?

La tenue des États généraux de la Justice est une initiative que nous applaudissons, mais se pose maintenant la question de l’après : quelle justice imaginer pour demain ?

Je salue la proposition d’élargir les compétences du tribunal de commerce avec la création d’un tribunal des activités économiques. La perspective d’une expérimentation dans des tribunaux de commerce de tailles différentes nous paraît pertinente. Il serait ainsi question d’étendre les compétences du tribunal de commerce aux associations, professions libérales et agriculteurs qui relèvent actuellement des tribunaux judiciaires. Une proposition qui s’inscrit dans le prolongement du transfert du contentieux des artisans : en effet, depuis le 1er janvier 2022, les litiges professionnels entre artisans relèvent de la compétence du tribunal de commerce. Cette proposition tend également à répondre à plus de lisibilité, en centralisant tous les litiges professionnels.

Cette proposition du comité des États généraux de la Justice pourrait par la suite enrichir les compétences des greffiers. Aujourd’hui, les associations, par exemple, ne sont pas inscrites au registre, mais simplement déclarées en préfecture. Sans un contrôle équivalent au RCS, cela peut représenter un réel point de faiblesse dans la lutte contre le blanchiment de capitaux. Les greffiers, déjà garants des informations contenues dans les registres légaux, sont prêts à voir leurs compétences élargies, en cohérence avec leurs missions dans la lutte contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous pourrions à ce titre imaginer leur immatriculation au registre tenu par la profession.

 

 

Après deux années exceptionnelles pour l’entrepreneuriat, la courbe semble s’inverser. Le dernier baromètre national des entreprises du CNGTC (1er semestre 2022) révélait 183 530 radiations (+35 % à un an d’intervalle) et plus de 14 000 liquidations judiciaires enregistrées au cours du premier semestre 2022 (+40 %). Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Depuis le début de la crise Covid, nous faisons en effet face à une situation atypique pour les entreprises. Aujourd’hui, le dernier baromètre semble amorcer un retour à la normale, avec l’éclatement de cette « bulle protectrice » maintenue par les aides de l’État. Avec le remboursement des PGE et le contexte international marqué par la guerre en Ukraine, l’entrepreneuriat est en tension. L’occasion de rappeler le rôle de prévention des greffiers auprès des entreprises en difficulté, et l’existence du site Prevention.infogreffe.fr, une plateforme permettant au chef d’entreprise d’évaluer le degré de difficulté que rencontre sa société, et de lui donner les orientations adaptées.

Dans ce contexte, je tiens également à rappeler le rôle d’APESA (Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance Aiguë), association cofondée par Marc Binnié, greffier associé du tribunal de commerce de Saintes, qui vient en aide aux entrepreneurs en difficulté. Nous sommes très sensibles à ce dispositif composé de 5 000 sentinelles, sur toute la France et en Outre-mer, qui rappelle que derrière chaque entreprise, il y a surtout des personnes qui ont besoin d’être accompagnées et soutenues.

 

Propos recueillis par Constance Périn




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